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Intégrale France Occupée 1941
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 10:28    Sujet du message: Intégrale France Occupée 1941 Répondre en citant

Janvier 1941
8 – En France (et en Belgique) occupée
Une armée fantoche

1er janvier
Berlin : pas d’ambassade pour Laval
Paris
– Pierre Laval, qui a passé les fêtes à Châteldon, fait remettre à Otto Abetz une lettre de vœux destinée au Führer. Au delà des banalités d’usage, le chef du NEF exprime l’espoir que la France et l’Allemagne pourront renouer en 1941 de vraies relations diplomatiques.
Il est de fait que le Reich s’obstine à ignorer – ou à tenir pour nulle et non avenue, ce qui, en l’occurrence, revient à peu près au même – la désignation depuis octobre 1940 de Paul de Villelume comme ambassadeur du NEF à Berlin. Non seulement Villelume – dont la nomination est pourtant parue au Journal Officiel du NEF – n’a jamais reçu ses passeports, mais la Wilhelmstraße s’est abstenue avec soin de tout signe qui aurait pu donner à penser qu’elle envisageait, de près ou de loin, d’entériner le choix du personnage ou la mission dont il aurait été chargé. Villelume se morfond à Paris, où il se répand en récriminations dans les salons collaborationnistes, accusant « le Président » de le lâcher.
Jusqu’alors, personne n’a osé remontrer à Pierre Laval que retenir un membre éminent de l’entourage de Paul Reynaud, quelles qu’aient été son attitude et ses opinions depuis l’été 1939, pour assurer à Berlin la représentation de son régime ne constituait peut-être pas la plus opportune des options : le Führer a la rancune tenace… Le chef du NEF pensait au contraire que le fait d’avoir fait partie d’un cabinet ministériel légal donnait à Villelume (et à lui-même) un vernis de respectabilité.
D’ailleurs, le personnage choisi n’explique pas tout : Laval a essuyé une déconvenue analogue avec l’Italie. Le Duce et le palais Chigi se sont, eux aussi, refusés à accepter la nomination officielle de Victor Barthélemy comme ambassadeur du NEF à Rome. Tout juste lui concèdent-ils un rôle de “petit télégraphiste” tout ce qu’il y a d’officieux – un télégraphiste qui, de surcroît, n’a pas grand-chose à transmettre…


2 janvier
Rationnement officiel
Paris
– Les Français qui ont joyeusement réveillonné n’ont pas été très nombreux – la désorganisation des circuits commerciaux n’a permis qu’un approvisionnement aléatoire des villes. Mais voici qu’en guise de cadeau le Nouvel An, le ministère du Ravitaillement leur offre des cartes d’alimentation, que chacun n’appellera jamais que cartes de rationnement. Elles ne concernent que le pain, les pâtes alimentaires et le sucre, mais l’ensemble des denrées alimentaires seront progressivement touchées avant la fin de l’été. Et l’on verra bientôt apparaître les « cartes de chauffage » (pour le charbon) et les « cartes de textiles » (pour les vêtements).


6 janvier
La FST tente d’exister
Paris
– Au ministère de la Défense du NEF (portefeuille détenu par Laval lui-même), la fin de 1940 a été consacrée aux opérations de démobilisation et de dissolution de l’Armée. Il s’agit notamment de confirmer la démobilisation effectuée par le gouvernement d’Alger juste avant la fin des combats en Métropole. Hitler a bien voulu accorder à Laval le 21 août, lors de l’entrevue de Montoire, que les centaines de milliers d’hommes concernés (les chiffres les plus vraisemblables sont de l’ordre de 800 000) ne seraient pas faits prisonniers, mais rendus à la vie civile – ce qui arrange bien le Reich : qui donc, sinon, aurait fait tourner les usines au profit de la Wehrmacht ? Qui aurait cultivé les récoltes dont l’Allemagne doit prélever la part du lion ? Il semble même qu’un certain nombre d’authentiques prisonniers aient pu bénéficier de ce petit arrangement.
Mais il s’agit aussi d’affirmer, au moins sur le papier, l’inexistence de l’armée des « Africains ». C’est pourquoi un « organe liquidateur » – qui survivra jusqu’à la Libération, à des fins diverses – a été mis en place pour chaque unité formant corps. Ces organes, dans la plupart des cas, exécutent leur mission avec plus de lenteur encore que la bureaucratie militaire d’avant 1939, cependant réputée pour son manque de vivacité.
En revanche, malgré la présence massive de la Wehrmacht et les rodomontades du gouvernement Laval et de ses milices – doriotiste, déatiste ou lavalo-darnandiste (le SONEF) – les premières manifestations de résistance active, spontanées ou suscitées par Alger, ont eu lieu dès l’automne 1940 : sabotages, tracts et journaux clandestins, voire tentatives d’attentat. Pour s’opposer à ces « menées factieuses inspirées par l’Etranger », les seules forces militaires, au sens strict, dont dispose le NEF en ce début d’année sont les unités en cours de dissolution, en principe désarmées, et la Gendarmerie. Les services de Laval ont tout juste commencé à recruter pour la Force de Sécurité du Territoire (FST) concédée par l’armistice du 20 août des généraux et des officiers supérieurs, afin de pouvoir disposer en temps utile d’un encadrement de haut niveau, autour du général Emile Laure. Mais les postulants ne s’empressent guère, et nombre de pressentis se dérobent – d’autant qu’Alger a expressément interdit aux Français de tous grades, d’active ou réservistes, de participer de quelque manière que ce soit à l’action militaire et/ou policière de « l’autorité de fait », à peine de tomber, ipso facto, sous le chef d’inculpation d’intelligence avec l’ennemi.
Il est vrai que la FST n’a rien de très attrayant. Dans l’accord d’armistice, les Allemands ne lui ont accordé qu’un effectif de 80 000 hommes (des engagés exclusivement). La faiblesse de ce chiffre s’explique par trois préoccupations.
– Empêcher que la FST puisse jamais devenir l’équivalent d’une Reichswehr, c’est à dire une école pour les cadres (officiers et sous-officiers) et pour les spécialistes d’une Armée française reconstituée dans un avenir aussi imprécis que redouté. L’OKW et les généraux vainqueurs (tout comme Hitler lui-même, il va de soi) sont très bien placés pour connaître le danger ! Différents indices leur font d’ailleurs craindre : par exemple, la dissimulation systématique de matériels délaissés lors du Grand Déménagement (y compris lorsqu’ils sont stockés dans des parcs ou des magasins sous contrôle allemand), ou leur « civilisation » suivant l’exemple de la Zivilisierung conduite dès le début de 1919 par l’ex-Armée impériale malgré la révolution spartakiste.
– Priver la FST des moyens d’agir, ouvertement ou clandestinement, contre les forces d’occupation, ou de se joindre efficacement aux unités alliées susceptibles de débarquer.
– Lui donner cependant un gabarit adéquat pour mater une révolte populaire, qui, au vu des souvenirs laissés à Berlin par le Front populaire de 1936, ne pourrait être que d’inspiration communiste. Pacte avec Moscou ou pas, les Allemands, proches ou moins proches du régime, savent que le Führer ne cessera jamais de combattre les deux vrais ennemis de l’Allemagne, le communisme et les classes dirigeantes aristocratiques, bourgeoises et (judéo)-ploutocratiques. Le Horst Wessel Lied le rappelle en toutes lettres : « Kameraden, die Rotfront und Reaktion erschossen, / Marschieren im Geist in unsern Reihen mit… »
Dans l’esprit de la Wilhelmstraße et de l’OKW – et sans doute de la Chancellerie – une révolte communiste en France prendrait probablement la forme soit d’une grève générale insurrectionnelle armée (sur le modèle du mouvement des mineurs et des métallurgistes des Asturies, maté en 1934 par Franco), soit d’un juin 36 avec des armes pour “protéger” les grèves sur le tas, soit d’une désobéissance civile plus ou moins généralisée accompagnée d’attentats et de sabotages, à l’exemple de l’opposition aux Français dans la Ruhr en 1923. Les Nazis jugent les Français trop décadents (« négrifiés et enjuivés » dans leur vocabulaire) pour redouter un spartakisme à la française.
Quoi qu’il en soit, la FST doit être en mesure de faire face victorieusement à toute situation de ce genre – mais à rien d’autre.
C’est pourquoi les limites imposées par les Allemands à l’armement et à aux équipements de la FST (voir Appendice) en font une armée-croupion, uniquement destinée au maintien de l’ordre.
Mais même ce croupion n’existera pas si l’on néglige de s’en occuper. C’est pourquoi, ce 6 janvier 1941, Pierre Laval, en tant que titulaire du portefeuille de la Défense du NEF, fait (sans enthousiasme excessif) approuver par le MBH d’abord, par Otto Abetz ensuite, un projet d’organisation de la FST. Dans le mois qui suivra, la Commission d’Armistice de Wiesbaden 1, l’OKW et, in fine, Hitler lui-même approuveront le programme 2. Celui-ci, en circulation depuis fin novembre, a été préparé par le général Pierre Olléris, directeur du cabinet militaire du Président, et rédigé sous sa direction 3.
Le “plan d’organisation de la FST” porte création de vingt-six régiments interarmes de 2 000 hommes chacun, comprenant deux bataillons d’infanterie, deux escadrons montés, deux batteries à six pièces de 75 hippomobiles, une section de sapeurs-mineurs, une section de téléphonistes. Il porte également création de quatre régiments interarmes de Montagne, qui ne se différencient des autres que par le remplacement d’un escadron monté par un train muletier et celui des deux batteries de 75 standards par deux batteries à six pièces décomposables de 75 et de 65 de montagne. Un régiment doit être stationné dans chacune des vingt régions militaires, et un à proximité de chacune des dix villes les plus importantes (ou les plus remuantes).
Ces régiments sont organisés en huit divisions à trois régiments interarmes (plus un régiment d’artillerie à deux groupes de 75 et des éléments divisionnaires allégés). S’y ajoutent deux divisions dites de Montagne, à deux régiments interarmes de Montagne et un régiment interarmes normal (plus un régiment d’artillerie à deux groupes de 75 de montagne). Les divisions sont organisées en deux groupes de divisions à quatre divisions chacun avec des éléments organiques légers, plus un groupe de deux divisions de Montagne.
Soit au total les 80 000 hommes prévus, dont 60 000 pour les trente régiments interarmes et 20 000 pour le cadre divisionnaire.
À la demande de l’OKW, où l’on est convaincu que prudence est mère de sûreté, Hitler, qui n’a pas eu besoin de se faire prier à l’excès, exige au dernier moment qu’aucun régiment de la FST ne tienne garnison à moins de 80 kilomètres des frontières (frontière espagnole comprise), ni à moins de 50 kilomètres des côtes, ce qui va quelque peu bouleverser le déploiement prévu. Les deux divisions de Montagne ne pourront stationner, par conséquent, que dans le Massif Central – « et le Morvan » a ajouté un amateur de dérision de Zossen.
………
Malgré tout, la FST ne constitue pas la totalité des forces armées officielles du NEF.
– La Commission d’Armistice, qui a demandé la dissolution de la Gendarmerie mobile (censée être intégrée aux FST à partir de mars 1941), a accepté de conserver la Gendarmerie départementale. Elle a cependant veillé à limiter son armement à la carabine mod. 90 non modifiée 16 et au revolver mod. 92. La “Blanche” a toutefois été autorisée à garder quelques véhicules motorisés à l’échelon départemental : autocars et camionnettes Rochet-Schneider (à gazogène), Renault Juvaquatre de liaison et diverses motos (solos uniquement).
– L’aviation (Force Aérienne de Défense) du nouveau général Max Knipping se compose d’un fatras d’unités d’autant moins opérationnelles que, lorsque par hasard l’un des 250 appareils inscrits à leur inventaire est en état de vol, il est en général réquisitionné peu après par la Luftwaffe.
Deux exceptions seulement : d’une part le “groupe de chasse” composé des cinq Messerschmitt Bf 109B offerts par le maréchal Göring (mais qui n’ont jamais plus d’essence au décollage qu’il n’en faut pour quelques tours de piste) et d’une douzaine d’épaves de MS-406, d’autre part le Groupe Aérien Gouvernemental (GAG – sic), commandé par André Dubourdieu (un ancien de l’Aéropostale) et qui dispose de six Caudron Goéland. Tous deux sont basés au Bourget (la Luftwaffe occupe seule les autres terrains de la région parisienne). Les deux “groupes” dépendent totalement des Allemands, pour les informations météo comme pour le carburant, et les autorisations de vol ne sont accordées qu’au coup par coup. La Commission d’Armistice a refusé toute DCA au Bourget.
– Enfin, la “Force Navale de Sécurité” du NEF se limite dans les faits à un “Corps de gardiennage des Ports et Arsenaux”, tout de même commandé par un vice-amiral, ou ex vice-amiral : Laborde. Celui-ci ne commande que cinq dragueurs de mines auxiliaires (privés de tout armement !), plus une variété sans valeur militaire d’embarcations de servitude. Cette flotte n’aura guère l’occasion de croître par la suite.

14 janvier
L’Union fait la Force – V, une fois !
Radio Belgique, Londres
– Victor de Laveleye s’apprête à lancer l’opération de propagande la plus réussie de toute la guerre, le signe “V” :
« On raconte que certains de nos gosses, en Belgique, ont trouvé un nouveau moyen – un de plus – pour faire enrager les Boches. Ils découpent dans un papier les trois lettres RAF (…) et les éparpillent dans nos rues. Bravo, nos gosses ! Mais ne croyez pas, vous, les grandes personnes, que ce soit là un enfantillage. (…)
J’ai autre chose à vous proposer ce soir. (…) Je vous propose, comme signe de ralliement, la lettre V. Pourquoi ? Parce que V, c’est la première lettre de Victoire en français et de Vrijheid [Liberté] en flamand. Deux choses qui vont ensemble, comme Wallons et Flamands marchent en ce moment la main dans la main, deux choses qui sont la conséquence l’une de l’autre, la Victoire qui nous rendra la Liberté, la victoire de nos grands amis français et anglais. Et victoire, en anglais, se dit Victory. Le mot commence donc aussi par V. Vous voyez que ça clope de tous les côtés. La lettre V est donc le signe parfait de l’entente entre Belges, Anglais et Français.
Je propose V pour une autre raison encore, c’est que la lettre se crayonne facilement, rapidement. Un coup de crayon, ou de craie, sur un mur, sur une palissade, une affiche, de haut en bas et puis en remontant, en vitesse ; on frôle une façade, on lance son coup de crayon, le tout prend une seconde à peine. On n’a pas le temps de vous observer.
Ainsi, vous pouvez couvrir de V les murs de nos villes, les affiches boches, les mille endroits que vous jugerez convenir. Vous pouvez même pousser le culot jusqu’à griffer des V, avec un canif, une plume, un clou, la pointe d’un caillou, un vieux bouton de culotte, sur les carrosseries des autos boches. Le jeu consiste à les faire enrager sans se faire prendre. Et si la Belgique se couvre d’une forêt de V, quel spectacle, quelle affirmation de votre confiance et de votre patriotisme.
Vous pouvez aussi aller plus loin et faire un signe de reconnaissance entre vous, le salut du patriote au patriote. Elevez la main (…) à hauteur de la poitrine, la paume tournée vers vous, les doigts tendus vers le haut. Ecartez l’index et le médius, en abaissant le pouce et les deux derniers doigts. Cela fait V, dessiné par les deux doigts pointés vers le ciel.
Et voilà encore un symbole. La victoire annoncée sur tous les murs de Belgique, la victoire proclamée des mains mêmes du bon peuple de chez nous, la victoire qui est déjà dans tous les cœurs et qui sera bientôt dans les faits. »



27 janvier
Une Résistance « para-communiste »
Limoges
– Georges Guingouin, instituteur et membre du Parti Communiste, pose avec ses camarades de cellule les bases d’un mouvement de Résistance face aux réquisitions allemandes de biens de toutes sortes, transmises par le canal de l’administration Laval. Il crée ainsi au cœur d’un parti déjà clandestin (le PC est officiellement interdit depuis le pacte entre l’Allemagne et l’URSS) un mouvement lui-même clandestin.
C’est qu’en France occupée, les communistes sont encore plus mal à l’aise que les autres Français : ils ne savent plus sur quel pied danser ! En septembre, une délégation de second rang du PC a même demandé aux autorités d’occupation de permettre à l’Humanité de reparaître. À Moscou, Maurice Thorez, relayé en France par Jacques Duclos, a décrété que le gouvernement Reynaud était un ministère bourgeois appuyé sur des social-traîtres (la SFIO) et que le salut devrait venir de la seule classe ouvrière internationaliste. Mais depuis que l’Allemagne a mis en place un gouvernement français à sa dévotion (dont les messages de Thorez ne font pas mention), les camarades de base commencent à trouver bien amère la pilule que les cadres du Parti veulent leur faire avaler.
Mis au courant le jour même de l’initiative de Guingouin, Jacques Duclos décide de fermer les yeux, au nom de l’unité du Parti. Pour l’instant, il ne veut rien savoir des « initiatives petites-bourgeoises » ou « naïvement nationalistes »… quitte à les récupérer au moment opportun.


28 janvier
L’Union fait la Force – V, deux fois !
Londres, émission flamande de Radio Belgique
– A son tour, Fernand Geersens lance le “V” de sa voix truculente. La formule connaît un succès immense en Belgique occupée et déborde même des frontières, aux Pays-Bas, dans le Nord de la France et en Normandie. Partout surgissent des V espiègles et vengeurs.



Appendice
L’équipement de la Force de Sécurité du Territoire


Les limitations imposées par les Allemands (et très accessoirement par les Italiens) à l’armement et à aux équipements de la FST en font une armée-croupion, uniquement destinée au maintien de l’ordre.
………
L’armement individuel, en 8 mm, comprend exclusivement des Lebel ou des 07-15 non raccourcis pour les fantassins et sapeurs, et des mousquetons Berthier non modifiés 16 pour les cavaliers montés et artilleurs. Pas de restriction sur les sabres des cavaliers... Les officiers et les adjudants n’auront droit qu’à un pistolet – Ruby ou Star – en 6,35 mm. Cette prescription sera peu, ou pas, observée, et on verra les cadres des FST arborer aussi bien des Lefaucheux 11 mm que des Colt 11.43, voire des P-08 9 mm de prise (14-18).
L’approvisionnement en grenades (OF exclusivement) est limité à 1 000 par régiment.
L’armement collectif est aussi en 8 mm, avec un FM Chauchat par groupe de combat et une section de quatre mitrailleuses Saint-Étienne mod. 1907 par compagnie 4 (deux par escadron monté, sur des voiturettes hippo). Les grenadiers (tromblons VB-12) et leurs pourvoyeurs (24) relèvent d’une section unique à l’échelon du régiment.
Le FM 24/29 est interdit, comme le MAS 36 et le 07-15 M34, officiellement enfermés dans des dépôts « en gardiennage d’armistice », en même temps que les mousquetons Berthier modifiés 16 et les mitrailleuses Hotchkiss (en réalité, ces armes seront livrées par les Allemands à leurs alliés, Roumains, Hongrois ou Slovaques).
Pas de mortiers autorisés, en dehors de deux tubes de 60 mm par bataillon.
Pas d’artillerie de campagne d’un calibre supérieur à 75 mm. L’approvisionnement en munitions est limité à une seule unité de feu pour les régiments interarmes et à 1 000 coups par pièce pour l’artillerie de campagne (750 pour l’artillerie de montagne).
Pas d’armes antichars, pas de DCA. Pas d’obus chargés au gaz. Pas de mines.
………
Aucune motorisation, quelle qu’elle soit, de l’infanterie et de la cavalerie. L’artillerie, le génie et le train, et même les ambulances du Service de Santé, sont hippomobiles. Chaque bataillon dispose cependant d’une section de cinquante fusiliers-cyclistes. Seuls les généraux ont droit à une voiture automobile (à gaz de ville ou à gazogène, en théorie du moins).
Les FST n’aligneront jamais d’autres motocyclistes que le demi-peloton de l’imitation de Garde républicaine qui escorte Laval.
Les transmissions sont assurées exclusivement par téléphone ou par moyens optiques du genre héliographe, panneaux, voire agents de liaison. Aucune radio n’est autorisée.
………
Enfin, si le général Olléris a créé dès l’automne 1940 une commission de réforme des uniformes et équipements, les moyens manqueront toujours pour doter les unités de la Tenue 41, plus seyante et plus pratique que la Tenue 35 (sans pourtant se dégager du poids de l’habitude et des traditions). Les Allemands ayant pillé les magasins de l’Intendance avec méthode, les FST devront se contenter d’un échantillonnage des différents modèles en vigueur depuis 1916, jusqu’au casque Adrian mod. 15 repeint ou non, aux bandes molletières et au bleu horizon (parfois), sans parler du havresac “as de carreau” de la Belle Époque.
La Commission d’Armistice de Wiesbaden a refusé le gris de fer bleuté aux régiments de Montagne 5, mais, par une inconséquence mal compréhensible, leur a autorisé la tarte. Notons qu’à la demande des Italiens, les éclaireurs-skieurs de ces régiments sont interdits.



Notes
1 Où le NEF est représenté par le général à la retraite Lavigne-Delville, qui s’était fait remarquer pendant la guerre d’Espagne en organisant le recrutement de la Bandera Jeanne d’Arc, unité de volontaire français combattant pour les nationalistes.
2 Malgré le tropisme italien de Pierre Laval, le Duce et le palais Chigi ont été tenus à l’écart : pour le NEF, seuls compte, à la vérité, l’aval de Berlin. Rome suivra sans mot dire.
3 Le général Olléris s’est « refusé à émigrer » (a-t-il affirmé à Laval). Il s’est réfugié en août 1940 « chez des amis sûrs » pendant quelques semaines avant de proposer ses services au gouvernement du NEF, qui les a acceptés avec joie.
4 Un régiment au moins recevra même des Puteaux mod. 1905, plus médiocres encore que les Saint-Étienne.
5 Sans doute en souvenir de l’Hartmannswillerkopf et des autres champs de bataille des Vosges. La légende des Diables bleus a la vie dure.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 10:30    Sujet du message: Répondre en citant

Mars 1941
8 – En France occupée
X

2 mars
Polices parallèles
Paris
– Le Journal officiel du NEF publie ce dimanche un décret présidentiel portant création, au sein de l’intendance de Police de chaque région militaire, d’une Brigade de Répression des Menées Anti-Nationales (BRMAN). Ces nouvelles unités, indique le texte, auront compétence pour « combattre les agissements de toute nature visant à saper l’autorité du Gouvernement et à porter atteinte à l’unité de la Nation ». Les BRMAN seront commandées par un commissaire divisionnaire ou par un commissaire principal, selon le cas. La Préfecture de Police de Paris, à part comme à l’habitude, sera dotée d’une Brigade Centrale de Répression des Menées Anti-Nationales confiée à un contrôleur.
Un “commentaire autorisé” diffusé par l’OFI à l’attention des rédactions précise que les BRMAN devront lutter, au premier chef, contre « les bandes soudoyées par la dissidence , les sociétés secrètes et les fauteurs de désordre social ». Cette dernière formulation, destinée aux initiés, s’applique en fait au Parti communiste, toujours interdit en vertu du décret-loi Daladier de septembre 1939, que Pierre Laval s’est bien gardé d’abroger malgré les demandes en ce sens formulées pour cause de Pacte par Otto Abetz – sans conviction il est vrai.
Il ne faut surtout pas confondre les BRMAN de Laval, proches de Darnand et de son SONEF, avec les SSLAAN (Sections spéciales de lutte contre les activités anti-nationales), appellation officielle des “Croisés de la Reconstruction” de Doriot, que l’on a pu décrire comme l’armée privée du PPF et de son chef.
Il ne faut pas davantage les mélanger, malgré la similitude des sigles, avec le Bureau des Menées Anti-Nationales dont s’est doté le commandement de la Force de Sécurité du Territoire dès le mois de janvier, sous l’impulsion du directeur du cabinet militaire du Président, le général Olléris. Le but du BMAN est bien différent : sous couvert de s’en prendre, comme l’a affirmé le général Olléris, « aux juifs, aux communistes et aux francs-maçons qui se dissimuleraient encore dans l’Armée », il s’agit en réalité de contrebattre les agents de l’Abwehr et de l’OVRA. En effet, sous prétexte qu’ils sont en terrain conquis, ces derniers se considèrent chez eux en France occupée.
Tous ces organismes censés lutter contre les “anti-nationaux” ont en fait chacun leurs objectifs privilégiés.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 10:33    Sujet du message: Répondre en citant

Mai 1941
8 – En France et en Europe occupées
Une (petite) rafle au Vél’ d’Hiv’

1er mai
Lille
– Le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, Fernand Carles, vient fleurir la statue de Jeanne d’Arc. Il est bien seul : en ce jour, la place est interdite au public. L’occupant décourage toute manifestation de patriotisme français dans cette “zone interdite” rattachée au MilitärBefehlsHaber (commandement militaire) de Bruxelles, isolée par une ligne de démarcation et où les journaux de Paris sont interdits.


10 mai
Croatie : l’Allemagne se taille un nouvel allié
Yougoslavie
– Après quelques tractations entre puissances de l’Axe, Berlin et Rome proclament l’Etat indépendant de Croatie, avec Zagreb pour capitale. Le nouvel état inclut la Bosnie-Herzégovine, mais il est privé d’une partie de la côte dalmate, annexée par l’Italie. Ante Pavelic, le Poglavnik (conducteur) des Oustachis, en prend la tête. Juriste de formation, il se dit très soucieux de lois, et ses partisans jurent de « toujours respecter la constitution et les lois du peuple croate ». Alors que les combats entre Serbes et Croates s’intensifient en Dalmatie, le nouveau gouvernement appelle tous les Croates à cesser de se battre contre les troupes allemandes et italiennes et exige qu’ils soient libérés par l’Armée yougoslave.


14 mai
Grève du zèle à la PP
Paris
– En application des mesures du 12 novembre 1940 et des demandes de l’Allemagne concernant les Juifs non français résidant en France, une grande rafle est organisée à Paris. Trois mille personnes sont visées, mais il s’agit ouvertement d’un minimum et d’une « première étape » avant d’autres rafles. En accord avec le concept de « l’administration de surveillance », l’exécution est confiée à la police française. Un seul problème : lorsque les ordres de Doriot, ministre de l’Intérieur de Laval, arrivent de la Place Beauvau à la Préfecture de Police (la PP), ils sont aussitôt contrés par des consignes distribuées par les représentants (évidemment très officieux) de Mandel, ministre de l’Intérieur de Reynaud, à Alger.
Dès le matin, rien ne se passe comme prévu : retards, non transmission des ordres, confusion généralisée. Les consignes de discrétion ne sont pas vraiment respectées : « C’est tout juste, racontera un témoin, si les flics ne s’étaient pas fait précéder par la fanfare des gardiens de la paix. Une vraie grève du zèle ! » S’adressant à l’un des membres de la SiPo-SD qui supervise la pantomime, un inspecteur de police parisien reconnaît (en s’efforçant désespérément de ne pas rire) : « Je suis désolé, nous ne sommes pas très efficaces. Ce doit être pour ça que nous avons perdu la guerre. » Au bout du compte, les officiels allemands responsables du transfert devront se contenter de trois cent quarante-trois malheureux, qui sont enfermés dans le Vélodrome d’Hiver avant d’être déportés. C’est pourquoi, à l’emplacement du Vel d’Hiv’ (démoli dans les années soixante), se trouvent aujourd’hui deux plaques : l’une à la mémoire des trois cent quarante-trois déportés, dont vingt-sept seulement reviendront, l’autre à la mémoire des principaux organisateurs de la “grève du zèle” des policiers français, dont trois seront identifiés, arrêtés et assassinés par le SONEF de Darnand avant la Libération.
Comme, en province, la police va jusqu’à refuser d’intervenir contre les maquis, sous prétexte qu’elle est une administration civile et que de telles interventions relèvent du pouvoir militaire, donc de la gendarmerie (qui s’est aux trois-quarts évaporée l’été précédent), Werner Best, chef de l’administration de guerre auprès du commandant militaire en France, doit adapter son concept d’administration de surveillance. De mai 1941 au milieu de l’année 1942, la répression contre la Résistance se traduira par des exécutions d’otages à titre de représailles, mais aussi par le lancement de petites opérations de nettoyage contre des maquis trop entreprenants, dont la Wehrmacht sera obligée de s’occuper en personne, avec le seul soutien de quelques supplétifs français.


18 mai
Hitler-Laval : le mépris
Mönichkirchen
– De son QG ferroviaire, où il veille aux opérations dans les Balkans, le Führer exclut à titre définitif l’établissement de relations diplomatiques entre le Reich et le NEF, en dépit des recommandations de la Wilhelmstraße qui penchait pour une attitude plus conciliante. Il a, de surcroît, interdit l’octroi d’un visa à Villelume.
L’emploi à dessein du mot « établissement » (de relations diplomatiques), qui figurait déjà dans le dossier préparé par le Staatssekretär * Ernst Von Weizsäcker à l’attention de la Chancellerie, signifie que le Reich ne considère pas le NEF comme le successeur, au sens du Droit international, de la France de 1939 – auquel cas ce sont les mots « reprise » ou « rétablissement » qui auraient été utilisés. Selon cette optique, le NEF est une entité nouvelle traitée en quantité négligeable : une « autorité de fait » en somme – malgré le paradoxe qui conduit ainsi Berlin à prendre la même position qu’Alger !
Néanmoins, les Allemands se gardent bien d’annoncer explicitement à Laval le veto du Führer, indiquant seulement que « la question (des relations diplomatiques entre le Reich et le NEF) est à l’étude ». En attendant la fin de cette « étude », Villelume continuera donc à se morfondre à Paris – en bénéficiant cependant du traitement et des indemnités accordés à un ambassadeur de plein exercice.
De plus, selon son habitude, Hitler veille à proposer un (petit) lot de consolation. Il ordonne à Abetz, via Ribbentrop, d’indiquer à ses interlocuteurs que l’Allemagne pourrait reconnaître un statut de diplomate à une personnalité de premier plan chargée d’une mission – sans autre précision – auprès des prisonniers français.

Paris – Manière, peut-être, de faire pardonner à la Préfecture de Police le piteux échec de la rafle du 14, la Brigade Centrale de Répression des Menées Anti-Nationales arrête le dirigeant communiste Gabriel Péri, rédacteur en chef de l’Humanité clandestine. Il est interné à la prison de la Santé.


26 mai
Ti-Ti-Ti-Taa…
Londres
– Devant l’ampleur prise par la campagne des “V” dans les pays occupés, un comité de coordination interallié a été mis sur pied. Lors de la première réunion, le représentant belge Marc Schreiber remarque qu'en morse, le V se code sous la forme d’un son long, suivi de trois sons courts, soit exactement l’ouverture de la Ve symphonie de Beethoven. Aussitôt, les « coups du Destin », ainsi que les décrivait Stendhal, sont adoptés comme signe de ralliement, couronnant la campagne des V.

La Collaboration est aussi médicale
Paris
– Les auteurs d’outre-Rhin apparaissent de plus en plus souvent dans les publications scientifiques et techniques françaises.
Le Concours Médical, journal spécialisé le plus lu par les médecins depuis la fin du XIXe siècle, présente cette semaine la traduction d’un article du Dr Josef Mengele, du Kaiser Wilhelm Institut de Berlin-Dahlem, initialement paru dans le Deutsche Zeitschrift der Rasseforschung (Revue allemande de la Recherche raciale). Le Dr Mengele y reprend les conclusions de sa thèse sur l’origine génétique du bec-de-lièvre. L’introduction précise que le Dr Mengele, qui sert actuellement comme médecin de bataillon dans l’une des unités de la SS engagées en Yougoslavie, est déjà titulaire, à 27 ans à peine, de deux doctorats de l’université de Francfort, l’un en médecine et l’autre en anthropologie. « Aux yeux de ses maîtres et de ses collègues, il incarne aujourd’hui l’un des meilleurs espoirs de la Science médicale en Allemagne » affirme le Concours Médical.
En revanche, d’autres médecins n’ont pas l’heur de plaire à l’honorable revue. « Plusieurs journaux médicaux, dont le vénérable Concours Médical, fondé en 1879, décidèrent de suivre les instructions du gouvernement Laval en bannissant les médecins juifs de leurs pages. Il est vrai que l’antisémitisme du Concours ne datait pas de l’Occupation, mais le pays se retrouvant sous la botte, un peu de patriotisme aurait pu lui éviter de sombrer tout à fait dans l’ignominie. Nos chères Annales, en revanche, décidèrent d’interrompre leur parution plutôt que de se soumettre aux marionnettes des nazis – avant de ressusciter en 1944, au moment où le Concours, frappé par la loi républicaine, sombrait dans l’oubli. » (Discours prononcé en 1993 lors du centenaire des Annales de Médecine par Jean-Pascal Violet, directeur de la publication).


28 mai
Répression
Etat indépendant de Croatie
– Les Oustachis d’Ante Pavelic n’ont pas attendu que leur Poglavnik légifère en ce sens pour commencer leur politique de terreur contre les Serbes. En représailles au meurtre de deux agents des forces de sécurité croates la veille, 184 villageois serbes sont fusillés à Gudovac, près de Bjelovar (Slavonie), en présence du colonel Kvaternik, n°2 du régime oustachi.


Note
* En Allemagne, le Staatssekretär, haut fonctionnaire mais non homme politique, est le secrétaire général d’un ministère, à l’image du Permanent Undersecretary britannique.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 10:37    Sujet du message: Répondre en citant

Juin 1941
8 – En France (et en Belgique) occupée
Une grande grève dans les mines du Nord

1er juin
Deux ministres de l’Intérieur pour Laval
Paris
– Quelques réajustements s’imposent dans le cabinet Laval.
En effet, Max Bonnafous, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, a un défaut : il prend son rôle au sérieux ! Il négocie âprement à l’Hôtel Majestic avec les Occupants, petite concession par petite concession. Par la voix d’Otto Abetz, notamment, les Allemands agacés se plaignent amèrement à Laval de ce gêneur « qui ne cesse de pinailler avec ses comptes d’apothicaire ». Le chef du NEF remercie donc Bonnafous, divise son ministère et nomme au Ravitaillement le plus docile Pierre Pucheu (ancien des Croix de Feu et du PPF). Quant à l’Agriculture, elle est confiée à Jean-Pierre Mourer (ancien du PCF !). Ce dernier, proche des autonomistes alsaciens, a été libéré par les Allemands quelque temps plus tôt de la prison dans laquelle il croupissait depuis 1939 pour « menées antipatriotiques » – il avait critiqué la politique « d’assimilation des populations alsaciennes » menée (selon ses termes) par le gouvernement français. Les Occupants l’ont même nommé Kreisleter de Mulhouse sous le nom germanisé de Hans-Peter Mourer, nom qu’il voudra garder au sein du cabinet Laval ! Il faudra pour l’en dissuader une longue entrevue avec Otto Abetz, qui lui promettra de grandes responsabilités dans la future Alsace-Lorraine, une fois que, la guerre terminée, elle serait enfin rattachée de jure au Reich Grand-Allemand.
Par ailleurs, Joseph Darnand prend officiellement le titre de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de l’Etat, ce qui le fait cohabiter étrangement avec le ministre de l’Intérieur et de la Reconstruction Nationale, Jacques Doriot. Trois ans plus tard, leurs attributions respectives n’auront toujours pas été déterminées avec exactitude !
Sitôt nommé, Darnand désigne René Bousquet, préfet de la Marne, comme Secrétaire général de la Police.
………
Le gouvernement du Nouvel Etat Français au 1er juin 1941
– Chef de l’Etat, ministre de l’Information et de la Défense : Pierre Laval
– Ministre de l’Intérieur et de la Reconstruction nationale : Jacques Doriot
– Ministre de l’Économie et du Travail : Marcel Déat
– Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de l’Etat : Joseph Darnand
– Ministre de la Justice : Fernand de Brinon
– Ministre des Affaires Étrangères : Gaston Bergery
– Ministre de l’Instruction Publique : Abel Bonnard
– Ministre de l’Agriculture : Jean-Pierre Mourer
– Ministre du Ravitaillement : Pierre Pucheu
– Ministre de la Famille et de la Santé : Raymond Grasset
– Ministre des Sports : Jean Borotra
– Ministre des Anciens Combattants : Jacques Ybarnegaray
– Ministre de l’Air : Max Knipping
– Secrétaire d’État aux Prisonniers : Georges Scapini
– Secrétaire d’État aux Communications : Robert Gibrat
– Secrétaire Général aux Finances publiques et aux questions économiques : Georges Bonnet
– Secrétaire Général aux Beaux-Arts : Louis-Eugène-Georges Hautecœur
– Secrétaire Général à la Jeunesse : Georges Lamirand
– Secrétaire d’État aux Travaux Publics et aux Transports : Maurice Schwartz



2 juin
Mineurs en grève !
Dourges (Pas-de-Calais)
– Les mineurs de charbon de la fosse 7 refusent de descendre dans la mine. C’est le début d’un vaste mouvement de grève qui, faisant suite à plusieurs mouvements partiels en France et en Belgique, va s’étendre à tout le bassin houiller pendant près de deux semaines et faire perdre à l’occupant 500 000 tonnes de charbon. Ses principaux motifs ne sont pourtant pas politiques…

Un “ambassadeur” chez les prisonniers
Paris
– Dans l’élan du remaniement de la veille, Pierre Laval nomme l’ancien député Georges Scapini, qu’il a fait Secrétaire d’État aux Prisonniers dès le mois d’août 1940, chef d’un tout nouveau “Service diplomatique des Prisonniers”. Le Journal Officiel du NEF lui confère même un titre plus ronflant que significatif : « Ambassadeur auprès des Prisonniers ». Scapini et ses subordonnés, aux termes du décret de création de ce service, auront pour mission d’exercer les droits dévolus à la puissance protectrice des captifs au sens des Conventions de Genève. Dans la presse de la Collaboration, on peut lire qu’ils seront « un lien permanent entre la France et ses exilés » (à la radio et dans les journaux destinés au grand public, la terminologie du NEF préfère l’emploi de ce mot, aux connotations moins gênantes que prisonniers).
Georges Scapini, Abetz en a donné l’assurance à Laval, jouira du statut diplomatique et sera reconnu par toutes les autorités du Reich comme Sonderbotschafter Frankreichs für Kriegsgefangene – mais son accréditation se limitera à la Wilhelmstraße et à l’OKW. Il n’aura pas la possibilité de présenter des lettres de créance au Führer – ce qui apporterait au NEF une forme de reconnaissance dont la Chancellerie ne veut pas entendre parler.
En l’occurrence, d’ailleurs, Pierre Laval a oublié – ou a feint d’oublier – que, depuis 1939, la Suisse a été désignée par la France, comme par l’Allemagne, seule puissance protectrice de leurs prisonniers respectifs. Et s’agissant des captifs, le Reich, via la Croix Rouge, n’a traité jusqu’alors, ne traite, et semble-t-il, ne veut traiter, qu’avec Alger.
Il est vrai que les camps d’AFN et d’AOF hébergent, depuis l’été 40, des dizaines de milliers de prisonniers de guerre, dont près d’un quart d’officiers. Surtout des Italiens, bien sûr, mais bien assez d’officiers allemands, aviateurs en particulier, pour faire enrager le Reichsmarschall et gêner Berlin.


17 juin
Après la grève des mineurs
Lille
– Rapport de l’Oberfeldkommandant Heinrich Niehoff 1, Generalleutnant, à Son Excellence le Reichsmarschall Hermann Göring.
………
Comme annoncé précédemment à Votre Excellence, les mineurs de la Zone Interdite Nord-Pas-de-Calais ont repris le travail dans la totalité des puits. La remise en état se poursuit et l’exploitation devrait retrouver rapidement son niveau d’origine.
***
Ce bassin houiller, comme vous le savez, est le plus important de France et un des premiers d’Europe. Cependant, ses installations sont fort petites comparées à celles de la Ruhr. Cela tient à son morcellement en plus de vingt compagnies et à cet esprit kleinstädtisch 2, typiquement français. Les matériels sont de tous les types et de tous les âges, le courant électrique est de fréquence 42 Hz dans certains puits et 50 Hz dans d’autres, le reste à l’avenant. Aussi le rendement est-il médiocre comparé à ce qu’on observe chez nous, et il est encore diminué par l’usure du matériel et le manque de pièces détachées. De 1 294 kg par mineur et par jour en avril 1940, il était descendu à descendu à 1 041 kg à la veille de la grève. La pénurie alimentaire, moins grave que pendant la guerre précédente 3, est cependant préoccupante, et contribue à limiter le rendement des travailleurs.
***
La pénurie due au blocus anglais et aux manipulations orchestrées par Alger [sic] a provoqué un grand désordre dans les échanges, et l’organisation allemande a bien de la peine à en venir à bout. Le franc français, qui valait 0,50 franc belge l’an dernier, se négocie à 0,35 ou 0,40 au cours parallèle. Nos frais d’occupation sont garantis par la réserve de la Banque Nationale de France à Lille, qui se monte à 9 milliards de FF. Cette garantie est cependant fragile car le cours du franc dépend du bon vouloir de ces messieurs d’Alger. Il conviendrait d’en profiter au maximum tant qu’elle dure 4.
***
Les mineurs sont pour la plupart de bonne race nordique, et l’immigration d’Italiens, de Polonais et même de Nord-Africains n’a pas réussi à altérer leurs qualités naturelles. Leur langue n’est pas le flamand, comme certains le croient à Berlin, mais un parler picard qu’ils appellent le chtimi. En général, ils sont solides et laborieux, ils respectent le travail bien fait, et les mots d’ordre de sabotage ont trouvé peu d’écho parmi eux. Ils ont une haute idée de leur dignité et de ce qu’ils appellent leurs droits ; à ce sujet, leurs femmes sont obstinées et énergiques, parfois plus violentes que les hommes. Les principes du Nouvel Etat Français n’ont pratiquement pas pénétré parmi eux : ils restent foncièrement attachés aux vieilles idées socialistes et communistes. Cependant, ils considèrent les gens d’Alger comme des « bourgeois » et ne leur accordent qu’une confiance limitée.
***
Les autorités françaises sont d’une fiabilité très inégale.
Le préfet régional du NEF, Monsieur Fernand Carles, était déjà préfet du Nord avant la guerre. Il est sournois comme un Français, mais il sait se montrer coopératif par crainte de voir sa région détachée définitivement de la France et rattachée à la Belgique. Du reste, c’est un homme d’ordre et il exècre les communistes. Pendant la grève, il nous a offert sans arrière-pensée le concours de la police française. Le fichier des communistes, conservé à la préfecture, nous a été fort utile.
Monsieur Marcel Déat a tenu à nous envoyer quelques-uns de ses gens. Les deux principaux sont Messieurs Georges Dumoulin et Bedet. Monsieur Bedet dirige ici le Contrôle économique. Je dois dire que c’est une fieffée canaille et une sorte de roi du marché noir. Mais il est fort utile si on sait le tenir, et si on lui rappelle de temps en temps qu’il est à son poste pour enrichir le peuple allemand et pas pour enrichir Monsieur Bedet. Monsieur Dumoulin, au contraire, est un fort honnête homme, peut-être le seul honnête homme de son parti, un vieux syndicaliste à cheveux blancs qui croit pour de bon au programme social du RNP. Sancta simplicitas ! Les ouvriers le respectent d’une certaine manière, et nous avons avantage à le montrer le plus possible.
Monsieur Jacques Doriot nous avait aussi offert ses services, mais nous les avons poliment déclinés. L’expérience prouve que ses Croisés s’entendent fort mal avec la police régulière, plus mal encore avec le Contrôle économique, et ne font que causer du désordre. Aussi les ai-je interdits dans la région. D’ailleurs, accepter une force armée française serait préjuger du statut de la région après la guerre, ce que le Führer nous interdit.
***
Le Parti Communiste, qui était tombé fort bas au début de la guerre, est en pleine reconstitution. Il reste minoritaire mais actif. Depuis plusieurs mois, les communistes, qui évitent généralement de se présenter comme tels, reforment des cellules, distribuent des tracts, répandent des mots d’ordre. Il est difficile de savoir si ce comportement est spontané ou organisé, mais la seconde éventualité semble plus probable : parmi d’autres signes, les maires communistes d’Hénin-Liétard et Montigny-en-Gohelle se sont évadés de prison au début de l’année, et vous savez qu’un cadre communiste ne s’évade jamais sans la permission du Parti. Leur organisation est à peu près celle que nous avons connue en Allemagne : ils vont par groupes de trois, et un seul des trois est en contact avec l’échelon supérieur, qui est aussi soigneusement cloisonné des autres échelons. Les femmes sont en tête des mouvements de foule, dans la rue, sur les marchés et dans les gares.
***
Tous les ouvriers n’ont pas fait la grève. Sur 121 643 mineurs, 91 272, soit 78%, étaient en grève au plus fort du mouvement le 11 juin ; il faut y ajouter 3 627 grévistes d’autres services. Un peu plus de 30 000 mineurs ont donc continué le travail. Nous avons eu fort à faire pour les protéger : leurs camarades les traitaient de « jaunes » ou de « réformistes », ce dernier mot étant une injure sanglante parmi les ouvriers. Ils leur cassaient leurs casiers et dispersaient leurs affaires, certains ont été pris à partie par les femmes agitatrices et déshabillés dans la rue.
Les patrons français étaient, dans l’autre sens, aussi enragés que les grévistes : ils réclamaient une répression immédiate et sanglante contre les Rouges. J’ai presque eu du mal à les apaiser. Beaucoup d’entre eux étaient sincères, mais certains, sympathisant secrètement avec Alger, se contentaient sans doute de faire chorus.
***
Le cahier de revendications des grévistes demandait une augmentation des salaires de 50%, ce qui, compte tenu de l’inflation, n’était pas totalement déraisonnable ; de meilleures rations de pain, viande rouge, beurre, café, chicorée, ainsi que des vêtements de travail et du savon de bonne qualité. Je dois dire que le savon qu’on leur donne est une sorte de pierre rêche qui nettoie très peu, et que la plupart souffrent de la gale. Ils demandent aussi la fin des amendes et de ce qu’ils appellent des brimades. Vous voyez que le Front Populaire a quelque peu gâté ces braves gens.
***
Je leur ai rappelé un principe fondamental : on ne discutera jamais avec des grévistes et des agitateurs. Ceci posé, une amélioration graduelle de leurs conditions de travail, en commençant par ceux qui sont restés loyaux pendant le conflit, ne pourrait qu’améliorer leur force de travail.
***
J’ai tout de même prononcé des condamnations. Trois ou quatre cents d’entre eux partiront à Dachau pour y méditer sur le principe « Le travail rend libre ». Une centaine resteront en prison, et je n’exclus pas d’en tirer des otages si besoin est. Pour l’instant, ces mesures ont suffi à ramener le calme. Ces messieurs de Londres et d’Alger n’ont pas eu le bain de sang qu’ils espéraient pour alimenter leur propagande. J’ai su que les mineurs eux-mêmes avaient discrètement expulsé du bassin des éléments extérieurs qui auraient voulu donner un autre caractère à leur mouvement.
***
Je reste, selon vos ordres, extrêmement vigilant. La faiblesse de nos effectifs, à elle seule, imposerait une certaine prudence. Je rappelle à Votre Excellence que nous n’avons que 15 000 Feldgendarmes sur l’ensemble de la Belgique et de la Zone interdite Nord, pour une population de onze millions d’habitants avant la guerre. Démanteler l’organisation subversive demandera du temps et de la patience. Mais nous y sommes arrivés en Allemagne, pourquoi n’y arriverions-nous pas ici ?



Notes
1 Heinrich Niehoff, né en 1882 à Bochum dans la Ruhr, est surtout un général de police. Officier d’occupation en Russie pendant la Grande Guerre, il exerce ensuite des fonctions policières à Berlin et dans d’autres villes allemandes. En 1936, Göring le fait nommer chef de la sécurité de la Luftwaffe, chargé de la protection des bases aériennes, puis, en 1940, commandant de l’Oberfeldkommandantur 670 (Nord-Pas-de-Calais) – d’où le fait que le Reichsmarshall, qui est aussi président des Hermann Göring Werke, soit destinataire de ce rapport. Fin 1942, Niehoff est nommé commandant des forces d’occupation en France pour la zone Méditerranée. Il prend sa retraite pour raisons de santé au printemps 1943 et se retire à Köpenick (banlieue est de Berlin) où il est arrêté par les Soviétiques. Il est officiellement mort en prison en 1946. Selon certaines rumeurs, il aurait vécu encore plusieurs années et fait bénéficier de son expérience la jeune police est-allemande.
2 De petite ville
3 Affirmation surprenante mais exacte : la pénurie alimentaire dans cette région a été un peu moins sévère que pendant la Grande Guerre, où elle était traversée par la ligne de front.
4 Les prélèvements de l’Occupant sur les réserves monétaires de la France occupée ont été un élément déterminant dans la réforme monétaire décidée par Alger le 15 septembre 1941.
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Benoit XVII



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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 17:11    Sujet du message: Répondre en citant

petit détail : les 3 points et la barre sont inversés pour le "V"
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 12, 2012 18:14    Sujet du message: Répondre en citant

Benoit XVII a écrit:
petit détail : les 3 points et la barre sont inversés pour le "V"


Et en plus c'était correct dans l'intertritre précédent ! Merci, Votre Sainteté !
J'en profite pour vous rappeler que vos fidèles ouailles attendent respectueusement une autre de Vos saintes bulles...
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 11:59    Sujet du message: Répondre en citant

Juillet 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Des SS à la française ?

1er juillet
Un “ambassadeur” assez mal accueilli
Berlin
– Georges Scapini est reçu par Joachim von Ribbentrop, lequel se montre d’une amabilité qui avoisine l’obséquiosité. « À croire, écrira le nouveau Sonderbotschafter dans son rapport à Pierre Laval, qu’il avait du champagne à me vendre ou presque. »
Néanmoins, le ministre du Reich indique à Scapini – pourtant « ambassadeur auprès des exilés » – qu’il lui est interdit de résider en permanence sur le territoire grand-allemand, et qu’il devra solliciter un visa pour lui-même et pour ses collaborateurs avant chacune de ses tournées en Allemagne. Il ne pourra, d’autre part, se rendre que dans les camps de prisonniers désignés expressément par l’OKW.
Ce qui n’empêchera pas Scapini d’affirmer en toutes lettres à Laval : « Vous constatez ainsi, M. le Président, que ma mission débute sous les meilleurs auspices ».


4 juillet
Conscrits du travail en Alsace-Lorraine
Strasbourg
– L’administration allemande d’Alsace et de Lorraine (toutes deux annexées de fait au Reich depuis un an) décide de mettre en place un régime de conscription. Il ne s’agit pour l’instant que de recruter des unités de travailleurs, d’autant plus que la Wehrmacht n’a aucune envie de mettre en ligne dans ses unités combattantes des hommes dont la fidélité serait des plus douteuses, dès l’instant qu’ils pourraient être opposés à des troupes françaises. Mais il est évident pour tout le monde que, si le besoin s’en faisait sentir, ces unités de travailleurs pourraient être transformées en unités combattantes dès lors que l’on pourrait les envoyer vers un adversaire différent – loin à l’est par exemple.
Qui vont être les “conscrits du travail” ? D’abord, un bon nombre d’ex-prisonniers français (ou plus exactement ex-français) : la plupart des prisonniers originaires de la région ont été libérés à la fin de 1940, à condition de reconnaître leur appartenance à la Grande Allemagne. Ils ne se doutaient pas que cela impliquerait l’engagement dans les unités de travailleurs de la Heer… Outre ces anciens prisonniers, les jeunes gens incorporés (comme dans toute l’Allemagne) dans le Reich Arbeit Dienst sont des candidats involontaires mais tout trouvés à la conscription dans les unités de travailleurs.

Purification ethnique en Croatie
Zagreb
– Ante Pavelic, Poglavnik croate, a beaucoup légiféré en moins de deux mois de pouvoir. Après la loi du 30 mai sur la protection du « sang aryen » des Croates, voici une loi sur la protection de leur « culture aryenne ». Dans ce cadre, les parcs, restaurants et tramways de Zagreb sont interdits « aux Serbes, aux Juifs, aux Tziganes et aux chiens ». Dans tout le pays, les Oustachis ferment les églises orthodoxes et détruisent tous les signes de la présence serbe. Certains de leurs chefs encouragent la conversion forcée des Serbes au catholicisme. Mgr Stepinac, chef du clergé catholique croate, montre une neutralité ambiguë.
Le même jour et dans le même esprit, se tient à Zagreb une réunion présidée par l’Obergruppenführer Siegfried Kasche. Il est décidé de déporter vers la Serbie plusieurs dizaines de milliers de Slovènes du Reich et autant de Serbes de Croatie. Kasche, ancien chef SA rescapé de la purge qui a liquidé Röhm et ses amis en 1934, montre tant de zèle dans ses fonctions de purificateur ethnique que le Führer, l’année suivante, songera à lui pour le poste de commissaire du Reich pour la Moscovie – dès que l’Allemagne aura conquis la Moscovie, bien entendu.


5 juillet
Sabotage en Serbie ?
Smederevo (au sud-est de Belgrade)
– Un important dépôt de munitions allemand explose, faisant plusieurs milliers de morts, dont le fils du général serbe Nedic. On ignore encore aujourd’hui s’il s’agit d’un accident et d’un attentat, mais l’événement survient au lendemain de la conférence de Zagreb et d’une vague de décrets anti-serbes, et peu après des massacres de Serbes par les Oustachis en Krajina et Herzégovine. Parmi les massacreurs, on comptait aussi des Musulmans bosniaques, qui ont de vieux comptes à régler avec les Serbes.


7 juillet
La “Garde” : des SS à la française ?
Paris
– Laval et Bousquet, mal assurés par devers eux de la légitimité du NEF, sont peu convaincus du soutien de l’opinion publique, d’autant plus attentive aux mots d’ordre et aux consignes d’Alger que partout progresse le sentiment anti-allemand. La contestation se généralise, amplifiée par les duretés de la vie quotidienne et l’insuffisance du ravitaillement, et la montée des actions de résistance de toutes sortes est impossible à dissimuler.
Comment lutter ?
La Force de Sécurité du Territoire (FST) était censée prendre en charge la répression. Mais le ministre de la Défense du NEF – nul autre que Pierre Laval – a fait ses comptes : ils sont mauvais. En cinq mois, depuis sa mise sur pied effective en février, la FST n’a pu recruter que 50 000 hommes environ, en dépit des avantages offerts aux engagés, qui s’ajoutent, pour les prisonniers de guerre, à la liberté dont bénéficient sur le champ ceux qui souscrivent un engagement. Le déficit en sous-officiers est de l’ordre de 25 %. Il atteint presque 40 % pour les officiers. Le NEF, malgré un contexte qui peut lui paraître a priori favorable, a échoué à rassembler la majorité des éléments les plus à droite et des “nationaux” d’avant-guerre. Et la FST ne manque pas seulement d’hommes, mais de chevaux (de trait ou de selle), très importants pour cette force hippomobile. En raison des pertes dues à la campagne du printemps et de l’été 40 et des « prélèvements » des occupants, le déficit hippique ne permettrait pas, loin de là, d’équiper la totalité des unités prévues.
Au demeurant d’ailleurs, la FST n’intéresse ni Laval ni Bousquet. Il y a chez Pierre Laval, qui ne manque jamais de rappeler qu’il est l’élu des ouvriers d’Aubervilliers, un ancien fond d’antimilitarisme et de pacifisme plus ou moins teinté d’internationalisme. Quant à Bousquet, demeuré (du moins, il en est convaincu) radical-socialiste, il est d’esprit peu militaire. Tous deux ont tendance à ne pas prendre au sérieux – à railler franchement, à dire le vrai – les rêveurs et songe-creux du genre de l’amiral de Laborde. Oublié par le ressac du Déménagement sur les rives métropolitaines, celui-ci n’envisage rien moins que d’en prendre la tête à la place d’Emile Laure pour s’en aller guerroyer, en Afrique ou ailleurs, contre les armées d’Alger afin de « reconquérir l’Empire ». Laval et Bousquet ont donc cherché une autre solution pour assurer le maintien de l’ordre, leur principale préoccupation depuis leur arrivée au pouvoir.
Ils ont déjà opposé leur force d’inertie à la dissolution de la Gendarmerie Mobile réclamée par la Commission d’Armistice – non sans l’agrément tacite, peut-on imaginer, de membres allemands de cette commission, qui tempèrent par réalisme leur haine de la France (et des Français) et la volonté de venger l’offense du diktat de Versailles. Mais il y a mieux à faire.
C’est ainsi qu’avec le plein accord de Laval, Bousquet propose aujourd’hui à Abetz, et très vite à Berlin au sens large (par le canal d’Himmler, avec qui il entretient des relations, personnelles et professionnelles, de confiance) le projet de transformation de la Gendarmerie Mobile (de ses structures, non de son personnel) en “Garde Française” – la référence à l’Ancien Régime est voulue .
La “Garde” ne doit compter aucun simple soldat, mais 25 000 sous-officiers et officiers. Les sous-officiers recevront si besoin une formation de quatre à six mois ; quant aux officiers, la préférence ira à des hommes sortis du rang par Saint-Maixent ou Saumur plutôt qu’issus de Saint-Cyr.
Les ex-gendarmes mobiles seront obligatoirement versés à la FST (ce qui allègera un peu le problème d’effectifs de celle-ci), car la “Garde” se veut une organisation radicalement nouvelle, avec des hommes nouveaux ! Le gros des troupes doit être issu du SONEF, mais Bousquet explique aux Allemands que le recrutement doit intégrer volens nolens aux forces de l’État nouveau les éléments les plus turbulents des milices autorisées (les Gardes Economiques de Marcel Déat et les Croisés de la Reconstruction de Jacques Doriot), que leur comportement brutal déconsidère de plus en plus aux yeux de la population. Ces gens-là, glisse Bousquet, ne sont que des fiers-à-bras incontrôlés quand il ne s’agit pas de nervis : des fauteurs de désordre, en somme, capables de provoquer sur les arrières des troupes d’occupation, par excès de bonne volonté collaborationniste, des troubles qui, précisément, nuiraient à la Collaboration. Bousquet considère que la Garde, dès sa création, pourrait « accueillir » (les guillemets sont de Bousquet lui-même) 2 000 Gardes Economiques (sur 11 000) et 3 000 Croisés de la Reconstruction (sur 17 000), plus un millier environ de Chemises Vertes (Roland Dorgères), de Francistes (Marcel Bucard) et d’autres ejusdem farinæ, qui se trouveront ainsi canalisés, donc disciplinés. C’est mettre à profit l’allergie de la Wehrmacht et des nazis bon teint – à commencer par le Führer lui-même , mais aussi Göring, Himmler et Goebbels – au souvenir des SA en général et d’Ernst Röhm et de ses mignons en particulier.
Même si le Führer et ses séides ne cessent de proclamer leur foi « fanatique » en la victoire du Reich, le projet de Garde est accueilli assez favorablement à Berlin et au Berghof. Alors que l’on redoute que la FST ne devienne, mutatis mutandis, une Reichswehr bis, on juge n’avoir rien à craindre d’une force de police militairement organisée et fermement tenue en main par le gouvernement de Collaboration. Heinrich Himmler, qui voit toujours « faux et grand » comme le Kaiser, croit, lui, y discerner l’ébauche de la sélection d’une « SS à la française ». Celle-ci pourrait, rêve-t-il, se fondre, dans un futur non précisé, au sein de la SS aryenne et grand-allemande.
C’est pourquoi, alors que les Allemands ne font rien pour faciliter le développement de la FST, ils vont très vite accepter la création de la “Garde Française”, qui ne leur cause aucune inquiétude.


10 juillet
Un bon élève
Mönichkirchen
– Ante Pavelic est reçu par le Führer dans son train-QG. Hitler est d’une humeur massacrante depuis qu’il sait que son offensive aérienne contre la Crète va devoir être reportée. Cependant, il fait bonne figure à son émule croate et encourage le Poglavnik à nettoyer la Croatie. Il ne l’autorise pas à créer une flottille militaire dans l’Adriatique (dont les Italiens désirent faire leur propriété privée), mais il lui promet de l’aider à créer une flottille en mer Egée…


16 juillet
Attentat raté
Tirana
– Victor-Emmanuel III, roi… d’Albanie, est en visite dans sa capitale récemment reconquise. L’accueil des notables et de la population, quelque peu impressionnés par les soubresauts guerriers du printemps, est courtois sinon enthousiaste. Seul incident à déplorer : un jeune homme, que la propagande présentera à tort comme « un Gréco-Macédonien », vide son pistolet sur la voiture, sans atteindre personne. Ce mauvais tireur ne visait d’ailleurs pas le roi, mais le Premier ministre albanais Shefqet Verlaci… qui lui avait refusé un poste dans l’administration !


20 juillet
Culture et propagande
Paris
– Avant de partir en permission, le 22, Gerhard Heller met la dernière main à la liste des intellectuels français qu’il juge indispensable de voir invités par le Reich au Congrès européen de la Culture de Weimar. Il la remettra lui-même au ministère de la Propagande, accompagnée de précisions et commentaires de son cru, puis il ira passer deux semaines chez ses parents, à Potsdam.
Le choix d’Heller s’est porté sur huit plumes connues pour un engagement en faveur de la Collaboration, mais en général d’un talent salué à l’unanimité : Louis-Ferdinand Céline, Robert Brasillach, Abel Bonnard, Alphonse de Châteaubriant, André Fraigneau, Abel Hermant, Henry de Montherlant et Ramon Fernandez. Mais puisqu’il s’agit de culture au sens large, il suggère d’élargir la palette et de proposer également le voyage à des peintres comme Derain, à des sculpteurs comme Maillol – d’autant qu’Arno Breker, l’enfant chéri du régime qui apprécie la virilité monumentale de ses œuvres, est l’un des élèves de celui-ci – ou à des musiciens comme Florent Schmitt. Compte tenu des délais d’organisation, Heller fera valoir que les invitations devront être lancées le 15 août au plus tard.


22 juillet
Alias Tito
Belgrade
– L’ingénieur Slavko Babic, alias Josip Broz, alias Tito, chef du Parti Communiste yougoslave clandestin, a réuni dans la capitale en ruines de l’ex-Yougoslavie les chefs de mouvements locaux de résistance à l’occupant. Comme beaucoup de Yougoslaves – y compris le général Dušan Simović, chef du gouvernement national d’avril-mai qui avait rejeté l’ultimatum allemand – Tito avait compté sur le soutien de la Russie et espéré qu’elle allait déclarer la guerre au Reich. L’inaction de Staline pendant qu’Hitler écrase l’un après l’autre les peuples slaves a ébranlé sa confiance dans la grande Union Soviétique. Cependant, il laisse entendre à ses camarades que cette inaction n’est qu’une stratégie pour gagner du temps et que Staline, en fait, lui a donné carte blanche – à lui, Tito – pour préparer en secret une insurrection. Compte tenu de la structure très centralisée des partis communistes et de la culture du secret qui caractérise les clandestins, cet énorme mensonge est accepté.
Même s’ils ne sont pas totalement dupes, le Slovène Kardelj, les Monténégrins Djilas et Vukmanovic, le Serbe Rankovic sont aussi impatients d’agir que le Croate Tito. Il faut simplement que l’étiquette “communiste” et la référence à Staline n’apparaissent pas dans la propagande du Parti du Travail qui naît aujourd’hui – ce qui, d’ailleurs, facilitera le contact avec d’autres mouvements.


27 juillet
Insurrection monténégrine
Monténégro
– Les Italiens ayant manifesté l’intention d’annexer ce qui avait été un royaume indépendant, les Monténégrins se lancent dans une insurrection populaire. Ces montagnards ont la fibre héroïque et s’emparent d’un certain nombre de positions italiennes. Mais ils vont vite se trouver à court de vivres et de munitions.


29 juillet
Gabriel Péri
Paris
– Le dirigeant communiste Gabriel Péri, rédacteur en chef de l’Humanité clandestine, a été arrêté le 18 mai par la Brigade Centrale de Répression des Menées Anti-Nationales de la police du NEF. Il est depuis lors interné depuis à la prison de la Santé. D’abord embarrassées, les autorités du NEF décident finalement de le remettre aux Allemands.


30 juillet
La Résistance
Alger
– Radio Alger, enfin diffusée par Tipasa en ondes longues, annonce que « par l’entremise de leurs complices français, les nazis ont pu mettre la main sur Gabriel Péri, le plus patriote des responsables du PCF ». Le speaker ajoute, en citant « des milieux autorisés », qu’on a des raisons de soupçonner le Komintern de n’avoir pas été étranger à son arrestation.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 12:05    Sujet du message: Répondre en citant

Août 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Mais qui gardera la Garde française ?

3 août
La Résistance yougoslave
Yougoslavie occupée et démembrée
– Des rassemblements de résistants plus ou moins spontanés se forment en divers points du territoire ex-yougoslave. Le 6 juillet, c’était dans la forêt de Brezovica, près de Sisak en Slavonie ; aujourd’hui c’est à Srb en Krajina. Il est encore difficile de dire si ces rassemblements se rattachent aux Tchetniks de Mihailovic ou au mouvement rival qui commence à se dessiner autour de Tito.


4 août
La Résistance culturelle
Paris
– Le poète Robert Desnos, journaliste au quotidien Aujourd’hui créé par Henri Jeanson, dont le pacifisme doit composer de son mieux avec la censure allemande, déclare à sa femme Youki qu’il est temps d’entrer en Résistance. Surréaliste d’origine mais d’opinions proches du radical-socialisme des Jeunes Turcs, antinazi de toujours, Desnos ne veut plus se contenter de sous-entendus au nième degré – « mine de rien » dit-il – dans ses articles de critique littéraire. Il entend agir contre les occupants et leurs complices.
Cela ne l’empêche pas, en parallèle, de revenir à la poésie après un long passage par la publicité et le cinéma : Fortunes – bilan, assez désenchanté, des années 30, Le Président Ducono – où il raille Pierre Laval en vers argotiques, Chantefables à chanter sur n’importe quel air pour retrouver du courage, ou bien encore Le Veilleur du Pont-au-Change – qui ne cesse de veiller, tel une vestale, sur la flamme de l’espoir.


20 août
Les prétoriens du NEF
Wiesbaden
– Pour célébrer l’anniversaire de l’armistice signé par Laval, le gouvernement allemand entérine la mise sur pied de la “Garde française”. Les documents paraphés à la Commission d’Armistice prévoient, tout en la flattant, que les Occupants pourront exiger que la nouvelle organisation accomplisse certaines missions de maintien de l’ordre – contre les Juifs, notamment, ou les « bandes de terroristes » – qu’ils préfèrent ne pas accomplir eux-mêmes, ne serait-ce que pour mouiller au maximum le pouvoir de la Collaboration.
Bousquet, soutenu par Laval, a négocié pied à pied avec Abetz et le MBH et obtenu l’effectif de 25 000 hommes qu’il désirait.
L’unité de base de la Garde sera la légion (1 000 hommes), une par région militaire, soit vingt légions. Deux légions formeront un régiment.
Aux légions s’ajouteront dix Groupes Mobiles de Réserve (GMR) de 500 hommes chacun, répartis en trois Groupements Mobiles de Réserve (GtMR) à trois Groupes et un Groupe Mobile de Réserve Spécial (GMRS). Bousquet a précisé que ces GMR seront, comme les légions, chargés en priorité de missions de « maintien de l’ordre » (maintien énergique, bien sûr), mais qu’ils devront être également en mesure de s’opposer à des « actions militaires ponctuelles » (il n’est pas encore familiarisé avec le mot commando) telles que parachutages ou débarquements, ou de réduire, de vive force s’il le faut, des « bandes organisées » (le mot maquis ne fait pas encore partie du langage courant).
Pour équiper ses hommes, Bousquet a arraché le maximum – du matériel de bonne qualité puisé dans les dépôts d’armes et d’équipements capturés par les Allemands l’année précédente (voir Appendice).
Afin de marquer l’importance que le NEF lui reconnaît, la Garde sera commandée par un quatre étoiles agrémenté, à l’ancienne, des rang et appellation de « colonel général de la Garde française », le général Georges Misserey. Il aura pour adjoint un (récent) trois étoiles baptisé tout bonnement « mestre de camp de la Garde française » – le général Eugène Bridoux. Tous deux ont été récemment libérés de captivité à la demande de Laval pour pouvoir occuper ces postes ; ce sont des partisans convaincu de la Collaboration et des anticommunistes farouches.
En somme, si la FST apparaît congénitalement déshéritée, la Garde semble rassembler, au départ, les vrais prétoriens du NEF, avec des soldes et des avantages adéquats. Elle devrait – en théorie – atteindre dès la fin de 1941, grâce à l’incorporation des “politiques”, son plein effectif, en conformité avec le tableau d’organisation de Bousquet qu’ont approuvé les Allemands.
L’essentiel des troupes de la Garde – environ 15 000 hommes – viendra comme prévu du SONEF. Le SONEF n’est pas dissous, mais il ne sera plus composé que de 4 000 à 5 000 « agents spéciaux » en civil (lesquels continueront de considérer leurs anciens collègues en uniforme avec une condescendance confinant au mépris) et de quelques milliers de personnels administratifs assurant le travail de bureau (archivage, fichage, etc.) indispensable à une police politique.
Pour montrer l’unité régnant dans la Nouvelle France, Doriot et Déat offriront gracieusement à la Garde voulue par Laval les éléments les plus marginaux (voire asociaux) de leurs milices – un peu moins, cependant, que ne l’espérait Bousquet : 2 000 Croisés doriotistes et 1 500 Gardes déatistes. Les autres partenaires du NEF ne compteront que pour quelques centaines d’hommes.
En pratique, pour compléter les effectifs et arriver aux 25 000 hommes prévus, il faudra faire appel au recrutement dans la population et chez les prisonniers des Stalags…

Messages personnels
Alger, 20h15
– Pour la première fois, au beau milieu de la diffusion des “Français parlent aux Français”, la voix de Jean Oberlé s’élève pour annoncer : « Et voici maintenant quelques messages personnels ». Les auditeurs interloqués l’entendent lancer un inattendu « Hermione aura le béguin pour Pyrrhus » (parfaitement racinien toutefois), suivi d’un « La lune se couchera de bonne heure mercredi » (ce que l’almanach des PTT ne confirme pas) puis d’un « Papa a fumé sa pipe, trois fois » (l’époque ne connaissait pas de consignes anti-tabac). Chacune de ces phrases est aussitôt répétée, pour de meilleures chances que le message parvienne à son destinataire en dépit du brouillage continu en fond sonore.
Il ne faudra pas longtemps pour que tout le monde, à commencer par les Allemands et les Italiens, comprenne que ces “messages personnels”, indéchiffrables sauf cas de trahison, puisqu’ils ne sont précisément pas chiffrés, s’adressent à ceux qui luttent, dans la clandestinité, contre l’Occupant.


23 août
Tito et ses partisans
Belgrade
– Tito reçoit un message décourageant de Dimitrov, chef de l’Internationale communiste et œil du Kremlin pour les questions balkaniques : il n’est pas question que Moscou le suive dans sa stratégie aventuriste. Pendant de longs mois, Radio-Moscou restera totalement muette sur les affaires intérieures de l’ex-Yougoslavie. Tito sait maintenant que Staline ne va pas s’engager de sitôt dans le conflit – il ne va plus pouvoir soutenir que Staline a choisi une stratégie d’attente tout en préparant une insurrection généralisée.
Une fraction du PC yougoslave, le “groupe de Zagreb”, réuni autour d’Andrija Hebrang, affirme immédiatement sa fidélité aux consignes de Dimitrov et refuse la ligne titiste.
Mais Tito rejette « l’inaction clandestine » prônée par Moscou et va chercher des soutiens ailleurs – chez ceux qui se battent : les Français. Grâce à ses contacts parmi les anciens des Brigades Internationales d’Espagne, il a appris que Charles Tillon, député communiste destitué, vivait dans une semi-clandestinité à Alger depuis le mois de mars 1941, où il assure un contact très officieux entre le gouvernement français et le PCF. Tillon, comme Tito, est un de ces communistes qui estiment que le Pacte germano-soviétique n’est pas une raison suffisante pour renoncer au combat antifasciste.
En attendant de trouver des appuis à l’étranger, Josip Broz compte sur ses partisans. Car, en un mois, son mouvement a pris de l’ampleur. Plusieurs groupes armés se sont constitués et ont commis des attentats contre les occupants et leurs collaborateurs. La moisson est passée, ce qui veut dire que les paysans sont disponibles pour d’autres activités. Tito décide de sauter le pas et d’aller « dans la montagne ». Il songe d’abord à rejoindre Rankovic à Uzice, en Serbie centrale, et même à « libérer » cette petite ville pour y proclamer un gouvernement provisoire. Mais il serait en concurrence avec les Tchetniks, et la forte présence des troupes allemandes, sur les dents depuis l’explosion de Smederevo, représente un trop grand risque. Sur le conseil de Dedijer, rédacteur en chef du journal clandestin Borba, c’est l’est de la Bosnie qui est retenu. Les Allemands ont choisi d’y laisser les mains libres à leurs alliés croates, dont les capacités militaires sont plus faibles. De fait, la première réaction de Zagreb sera de minimiser l’action des “bandits” dans sa propagande.


29 août
Monténégro : la répression après l’insurrection
Monténégro
– L’insurrection populaire anti-italienne est retombée en un peu plus d’un mois, malgré les efforts de Djilas (représentant de Tito dans le pays). Les Italiens ont repris à peu près toutes les positions qu’ils occupaient. Les Vulmentari, irréguliers albanais armés depuis avril 1941 par le hiérarque fasciste Giuseppe Bottai, en profitent pour faire des razzias en pays slave.


30 août
Bosnie : de bons élèves
Jasenovac (Bosnie)
– Les Oustachis, toujours avides d’imiter leurs maîtres nazis, créent un camp de concentration où mourront près d’un demi-million de Serbes, Juifs et Tziganes.



Appendice
L’équipement de la “Garde française”

L’armement individuel est entièrement en 7,5 mm (MAS 36 ou 07-15 M34), sauf les pistolets des officiers et adjudants et les PM MAS 38 des chefs d’escouade. Toutes ces armes proviennent des stocks capturés par les Allemands. Ceux-ci n’ont cependant pas été jusqu’à permettre l’attribution à la Garde en général, ni même aux seuls GMR, du fusil semi-automatique FSA 40 à chargeurs de dix cartouches que Bousquet avait quémandé – sans guère d’illusions il est vrai.

L’armement collectif du groupe de combat est à base de FM 24-29.
Chaque légion dispose d’une batterie de six canons de 75 et de six caissons sur pneus tractés par des chevaux.
Chaque GMR compte deux compagnies de fusiliers et grenadiers, une batterie de six 75 tractés par des P 107, une section de huit mitrailleuses Hotchkiss (seules armes en 8 mm, mais leurs qualités compensent ce défaut) et une section de six mortiers de 81.
Chaque élément de la Garde possède en magasin trois unités de feu et les pièces sont, au moins en théorie, approvisionnées à 3 000 coups.

Si – comme l’infanterie allemande normale – les légions vont à pied, les GMR sont entièrement motorisés, avec des véhicules à gazogène (voitures de liaison, camions et camionnettes Citroën, Renault ou Peugeot, autocars Isobloc, tous des meilleurs types 1938-1940). Ils disposent aussi de motos solos et de sides (du type “dragons portés” Gnome & Rhône ou René Gillet). Seuls sont montés le peloton d’honneur gardant le drapeau et une fanfare d’apparat, avec timbales et trompettes « en harmoniques naturels ».
Les Allemands ont même accepté d’allouer au GMRS trois escadrons de quinze automitrailleuses Panhard 178 (sans canon de 25 antichar, mais avec deux Hotchkiss de 13,2 en tourelle). De plus, la dotation du GMRS est de douze canons de 75 au lieu de six.

Enfin, la Garde est dotée d’un uniforme inspiré de la “Tenue 41”, mais noir, avec la culotte et les jambières des troupes montées et le casque à bourrelet type 35 des motorisés. Le tissu est de bonne qualité, et les cuirs, noircis, choisis parmi les meilleurs dans les stocks.
Les casernes de la Gendarmerie Mobile, débaptisées, sont repeintes à neuf. La nourriture souffre peu des restrictions.
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 12:11    Sujet du message: Répondre en citant

Septembre 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Des polices, encore des polices…

1er septembre
La Collaboration en Serbie
Belgrade
– Après de longues négociations, le général Milan Nedic accepte la présidence d’un gouvernement serbe « de salut national » sous tutelle allemande. Les Allemands ont beaucoup plus de mal à trouver des collaborateurs en Serbie qu’en Croatie. Les fonctionnaires royaux sont le plus souvent restés en poste, mais ils font preuve d’un manque de zèle caractérisé.


10 septembre
Polices de collaboration
Paris
– Pour assurer certaines tâches militaro-policières, interdites à la FST et jugées indignes de la Garde française (dont la mise en place commence), Laval décide la création de trois organisations ad hoc, de structure plus ou moins militarisée, mais aux ordres du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de l’Etat, c’est à dire de Darnand 1. Ces organismes ne font appel qu’au volontariat – étant entendu que le pouvoir, ainsi qu’il en a été pour la Garde, choisit les “volontaires”, quand il le faut, parmi ceux qu’il estime indispensable d’encadrer de près. Il y affecte ainsi, comme “volontaires désignés”, des membres de diverses organisations qui prônent la Collaboration et des derniers lampistes du SONEF 2.
La majeure partie de l’encadrement (officiers et sous-officiers) de ces nouvelles polices provient des démobilisés qui ont été remobilisés d’office ou des camps de prisonniers. Ils sont surveillés – « selon la méthode des commissaires politiques soviétiques » admettra Bousquet – par des hommes sûrs, anciens de l’armée d’avant-guerre proches des “nationaux”, parfois de la Cagoule, dont le fanatisme offre toutes les garanties de fidélité au NEF.
………
– Les Détachements de Défense du Littoral (DDL), d’une quarantaine d’hommes chacun, seront placés sous les ordres d’officiers de la Marine Nationale, dégagés des cadres en théorie, mutés à la Sécurité avec un grade de chef de division… de préfecture (sic) ou le titre de sous-préfet. Ils sont commandés par un ex contre-amiral pourvu de l’appellation de préfet.
Les DDL ont pour mission, de concert avec les troupes d’occupation, de participer à la surveillance des côtes et de repérer les mouvements suspects de jour comme de nuit. Leur armement se limitera à des mousquetons Gras de 11 mm. En Finistère, Côtes du Nord, Morbihan, Ille-et-Vilaine et Loire inférieure, les DDL servent aussi à encadrer les autonomistes bretons dont Pierre Laval, conservant sur ce point un jacobinisme de tradition, ne cache pas de se méfier – d’autant plus que les Allemands les encouragent ouvertement.
L’effectif des DDL n’atteindra jamais 9 000 hommes, y compris l’encadrement.
………
– Les Détachements de Guet Aérien (DGA) seront commandés par d’ex officiers de l’Armée de l’Air qui, pour ce qui touche aux grades, sont alignés sur l’administration des Eaux et Forêts (sic) ou sur celle des Douanes (re-sic).
Leur mission est de soutenir l’action d’alerte des services de la Défense passive en complétant à la vue les indications fournies par les radars et le Guet allemands. Ils sont armés, par suite d’une de ces incohérences dont le IIIe Reich donne chaque jour cent exemples, d’excellents fusils anglais Lee-Enfield de prise (Dunkerque et ailleurs), mais avec cent cartouches par fusil en tout et pour tout.
L’effectif théorique des DGA, présents sur tout le territoire relevant de l’autorité du NEF, s’élèvera à 12 800 hommes, encadrement compris. En réalité, il ne dépassera pas les deux tiers.
Des discussions auront pourtant lieu en 1942 avec les Occupants qui, en dépit des stipulations de l’Armistice, souhaiteront transformer les DGA en une DCA française de 18 000 à 20 000 hommes. Le déblocage à son profit de pièces contre avions de 25, 75 et 90 mm sera envisagé. Cette DCA française aurait été rattachée au secrétariat à la Sécurité, tout en étant administrée par le ministère de la Défense. En théorie, son but aurait été de protéger les grandes agglomérations et les installations essentielles à l’économie (puits de mines, centrales thermiques et usines à gaz, barrages, réseaux d’énergie et d’eau, gares de triage, manufactures) contre les bombardements alliés. En pratique, elle devait alléger le fardeau de la Flak. Les Allemands étant, pour une fois, demandeurs, Laval tentera longtemps de faire monter les enchères, mais sans succès au bout du compte.
………
– La Surveillance du Trafic ferroviaire (STF) a failli s’appeler Police des Chemins de Fer. Mais, à la réflexion, Laval et Bousquet ont estimé que les initiales PCF ne leur porteraient pas chance. Ils ont aussi renoncé à l’adjectif spéciale, car le sigle SSTF semblait par trop provocateur.
Les équipes de la STF auront pour tâche principale de lutter contre les transports de biens et de marchandises au profit du marché noir, et de débusquer les passagers recherchés, que ce soit nommément (sur mandat d’amener) ou en général (Juifs, Résistants, parachutés par Alger ou par Londres, évadés…). Leur armement se limitera à des pistolets des modèles les plus divers. Les effectifs de cette véritable police auxiliaire, dont Alger et Londres percevront très vite le danger, dépasseront 25 000 hommes attirés par une paye alléchante et un travail apparemment aisé et sans danger, avec les avantages en nature procurés officiellement (voyages) ou officieusement (charbon) par le fait de travailler à la SNCF.


13 septembre
La Résistance en Serbie
Haute Serbie
– Mihailovic, chef des Tchetniks, accumule les ennuis avec ses émetteurs radio : appareils trop faibles, méconnaissance des fréquences et des codes… Et quand, par chance, il arrive à établir un contact prolongé avec un poste allié (en Crète), son signal est capté par la Funkabwehr. La Haute Serbie grouille de troupes allemandes : l’un après l’autre, les trop rares émetteurs des Tchetniks seront encerclés et perdus.


16 septembre
Grèce : des Résistants très disputés
Beyrouth
– Le professeur Charles Picard est un éminent archéologue, ci-devant directeur de l’Ecole française d’Athènes. Il est aussi, fait moins connu, le chef de la cellule Grèce du 2e Bureau français. En ce moment, il a fort à faire pour recevoir les nombreux réfugiés grecs et pour séparer les authentiques héros des éléments troubles ou douteux. Il est vrai que ses collègues anglais du Caire en reçoivent dix fois plus, mais eux bénéficient d’un budget confortable et d’un commandement militaire compréhensif.
Heureusement, Alger lui a envoyé du renfort : le général Nikolaos Plastiras et l’universitaire Komninos Pyromaglou, deux Grecs républicains, très francophiles, exilés en France par la dictature de Metaxas. Un an plus tôt, à Marseille, en plein Déménagement, le préfet des Bouches-du Rhône Paul Bouët leur a fourni tous les papiers nécessaires pour gagner Alger. Ils vont aider Picard à faire le tri.
Cependant, pour le gouvernement royal en exil, ces conspirateurs républicains sentent encore le soufre, car Plastiras n’a pas varié dans ses convictions : lorsque l’ambassadeur grec à Beyrouth est venu lui proposer une amnistie et un siège au gouvernement s’il faisait allégeance à Georges II, le général l’a envoyé se faire voir chez les… Anglais. Le général Adrian Carton de Wiart, à présent chargé par le général Auchinleck d’assurer la liaison avec les forces grecques et yougoslaves libres, est alors venu rappeler à Picard que la Grèce est la chasse gardée de la Grande-Bretagne, quia nominor Leo 3, et qu’une intrusion des Français serait considérée comme inamicale envers Leurs Majestés George(s) VI et II. Leurs Majestés ont leur propre réseau de renseignement en Grèce, appelé Prométhée, et leurs fidèles alliés sont priés de ne pas interférer. Picard accepte donc se cantonner à un travail discret auprès des exilés grecs. Pour le moment.


18 septembre
Informer, c’est résister
Paris
– Pour la première fois, l’éditorial de Défense de la France est signé de son rédacteur en chef, Indomitus 4. En dehors de l’équipe de la feuille clandestine, personne, pas même le 2e Bureau, ne sait quel journaliste ou universitaire se cache derrière ce pseudonyme romain.
Indomitus, en tout état de cause, insiste sur la différence de son journal avec la plupart de ses confrères. S’il se rallie au gouvernement d’Alger, dont il souligne, à la fois, la légitimité et la légalité face à “l’autorité de fait” – il reprend la formule consacrée par Jean Zay – il n’en insiste pas moins sur la légitimité « propre aux mouvements et aux réseaux », dit-il, qui, en Métropole, ont poursuivi à leur manière la lutte contre les occupants. C’est la première fois que le mot “réseau”, issu semble-t-il du glossaire de… la Cagoule, est employé publiquement au sens de “groupe d’hommes et de femmes qui combattent les occupants dans la clandestinité”. Jusque-là, il était réservé aux responsables et aux agents des services spéciaux. Au sein du gouvernement, quelques voix s’inquiètent de ce qui apparaît déjà comme l’amorce d’une concurrence, sinon d’un conflit, de légitimité.


20 septembre
De l’or pour Tito
Višegrad (Bosnie)
– Les Partisans de Tito occupent pour quelques jours cette petite ville située sur la Drina, à l’est de Sarajevo. Juste le temps de visiter l’agence locale de la Banque nationale, et de se constituer un trésor de guerre qui leur sera bien utile.


22 septembre
Excès
Paris
– Robert Denoël informe Louis-Ferdinand Céline qu’il éprouve quelques difficultés à obtenir des occupants l’autorisation de republier Bagatelles pour un massacre et L’École des cadavres – ce qui interdit le déblocage de l’allocation de papier, que le gouvernement a pourtant accordée sans difficulté. Il semble, indique l’éditeur en prenant des gants autant qu’il le peut, qu’à la Propaganda Staffel, certains, peu sensibles au style de l’écrivain et à sa renommée internationale, estiment son antisémitisme si outré, caricatural en un mot, qu’il en nuit à la cause antisémite : il pourrait pousser les gens peu avertis à penser que les adversaires des Juifs sont, au choix, des criminels ou des fous. « C’est à se demander aujourd’hui, aurait déclaré de son côté le Dr Karl Epting, un admirateur pourtant 5, si ses articles n’essaient pas de tourner en ridicule la politique du Führer. »
Ce rejet va pousser Céline, en fureur, à donner au Pilori un article où il parodie – chez lui, l’antimilitarisme n’est jamais loin – une phrase célèbre du colonel de Grandmaison (dans une conférence prononcée devant les officiers du CHEM en 1911) : « Soyons antisémites jusqu’à l’excès, et ce ne sera peut-être pas assez ! ».


Notes
1 Elles ne dépendent ni de “l’autre” ministre de l’Intérieur, Doriot, ni de la Défense – quoique Laval se soit attribué ce portefeuille, il n’a qu’une confiance modérée dans les généraux de la FST, alors qu’il sait pouvoir s’appuyer sans hésiter sur Darnand.
2 L’objectif ici poursuivi est de purger le SONEF des indésirables et de n’y conserver que le noyau le plus fiable : une milice de durs aptes à tout mais avec discipline. Quand le processus sera achevé, au début de 1942, le SONEF ne comptera plus – encadrement et personnel administratif inclus – que 5 000 hommes. Ses trois mille “agents spéciaux” inspireront alors assez confiance pour recevoir officiellement des Allemands un armement de pointe, des PM MAS 38 neufs produits à Saint-Étienne et des fusils MAS 36
3 « Parce que je me nomme Lion ». Adage latin couramment utilisé dans les cours de récréation, sous la forme légèrement modernisée : « Parce que c’est moi le plus fort, alors tu te casses. »
4 “L’indompté”, pseudonyme adopté, on l’apprendra en 1944, par Philippe Viannay.
5 Ami d’Otto Abetz, directeur de l’Institut Allemand de Paris à partir de l’automne 1940, Karl Epting, authentique universitaire, avait été le premier à faire connaître l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline dans son pays. S’il admirait l’écrivain sans réserves, il paraît qu’il considérait avec davantage de circonspection le pamphlétaire et la violence effrénée de ses écrits, ainsi qu’en témoigne leur correspondance, récemment publiée (2008).
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 12:14    Sujet du message: Répondre en citant

Octobre 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Naissance de la DGSS

3 octobre
Diplomatie d’un pseudo-état
Paris
– L’Allemagne a remplacé la Yougoslavie par trois états fantoches. Pierre Laval ne saurait rater cette occasion de nommer des ambassadeurs qui ne craindront pas la concurrence des envoyés d’Alger.
Max Bonnafous, ex-ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, déchu au début de 1941 pour avoir été trop “consciencieux” auprès des Allemands, est nommé en Serbie.
Jacques Chevalier, philosophe ultra-catholique, filleul du maréchal Pétain, a fait une courte pige à l’Education Nationale avant que Doriot ne finisse par obtenir sa tête ; il est envoyé en Croatie, chez de bons catholiques.
Jean Goy a fondé le RNP avec Marcel Déat, mais celui-ci, qui le juge trop mou, obtient son exil dans les Balkans, au Monténégro.
Enfin, Laval profite de cette salve de nominations pour se débarrasser de Georges Bonnet, Secrétaire Général aux Finances Publiques et aux Questions Économiques. Celui-ci a toujours agacé le Président du Nouvel Etat Français, qui jalouse son réseau de relations internationales. Il est expédié au Mandchoukouo occuper le poste ingrat de Haut Commissaire pour les Comptoirs, Concessions et Protectorats Français d’Extrême-Orient (!). Bonnet est remplacé dans ses fonctions par Paul Creyssel, avocat et député du PSF (après avoir été au Parti Radical et l’avoir quitté en 1936 pour protester contre l’alliance de Front Populaire).
Pour Bonnet, la punition sera bien lourde. En effet, durant son exil asiatique, il devra tenir le rôle ingrat de bradeur d’Empire en signant divers “traités” unilatéraux, cédant “officiellement” des portions d’Indochine à la Thaïlande (traité d’Hanoi, 10 mars 1942), rétrocédant l’ensemble des concessions française en Chine à la République de Chine, satellite du Japon (traité de Shanghai, 15 mai 1942) et finissant par céder les concessions française en Inde au gouvernement de l’Inde libre, autre satellite japonais (traité de Tokyo, 14 juillet 1942 – le personnel diplomatique nippon ne reculait devant aucune occasion d’humiliation). Ayant ainsi satisfait aux exigences nippones, Georges Bonnet passera le reste de la guerre ballotté entre diverses résidences surveillées étiquetées “ambassades” à travers toute l’Asie occupée par les Japonais. Ses “Mémoires d’Asie, 1941-1946” restent un tableau assez complet de ce à quoi pouvaient ressembler les coulisses les plus obscures de l’impérialisme nippon.


5 octobre
Serbie : Tito sans radio
Banlieue de Belgrade
– L’arrestation du couple Ostojic prive les Partisans de leur dernière liaison radio. Isolés dans leurs montagnes, ils ont beaucoup de mal à maintenir le contact avec leur réseau d’informateurs urbains.

Le Trait d’Union gommé
Paris
– Pierre Laval décide d’arrêter la parution du Trait d’union. Déconsidéré par les railleries de Radio-Alger, le “journal des exilés” ne servait plus, comme l’avait pronostiqué Pierre Dac, qu’à la toilette intime des captifs. Tout au plus les plus mal lotis s’en servaient-ils pour rouler, à la russe, des cigarettes à base de tabac récupéré dans des mégots décortiqués.


9 octobre
Slovénie : résistance passive
Ljubjana/Lubiana (Slovénie)
– Journée ville morte : la résistance yougoslave a fait le vide dans les rues. Les patrouilles italiennes obligent les commerçants à ouvrir leurs volets, mais que faire si personne ne veut rien acheter ? L’humiliation des Italiens est d’autant plus grande qu’ils voulaient célébrer ce jour-là l’anniversaire de la fondation du Parti Fasciste. Leurs fanfares défilent en vain dans les rues désertes : même les civils italiens, assez nombreux à « Lubiana », n’osent pas trop se montrer. Le général Mario Roatta avait oublié que le 9 octobre était l’anniversaire de l’assassinat d’Alexandre Ier de Yougoslavie, victime d’un sombre complot, sept ans plus tôt, où le Duce avait eu sa part…


22 octobre
2e Bureau + BCRAM = DGSS
Alger
– La fusion du 2e Bureau et du Bureau Central de Renseignement et d’Action en Métropole (BCRAM) est réalisée par un décret du Président du Conseil, sous l’impulsion du général de Gaulle et de Georges Mandel, ministre de l’Intérieur. Le nouveau service prend le nom de Direction Générale des Services Spéciaux (DGSS).
La DGSS est articulée en cinq sections :
– Section Renseignements, basée sur l’activité de l’ex 2e Bureau (renseignements et attachés militaire, renseignements Marine, renseignements Air).
– Section DM (Documentation Militaire), chargée de classer et d’exploiter les renseignements obtenus, mais aussi de préparer des plans d’attaque des objectifs ennemis par des opérations paramilitaires. Elle préparera les fameux Plans Vert, Violet, Bleu et Tortue/Caïman .
– Section AM (Action Militaire), chargée de la formation des agents “Action”, des liaisons avec eux pendant leurs missions, des opérations d’atterrissage et de parachutage.
– Section NM (Non Militaire), chargée de toutes les questions politiques, classant les renseignements non militaires et les transmettant au ministre de l’Intérieur.
– Section de Contre-Espionnage.
………
Le chef du 2e Bureau, le colonel Rivet, reçoit ses étoiles de général, en raison des nombreux services rendus.
De son côté, le Lt-colonel Paillole, qui devient colonel, n’a pas non plus démérité. Durant les deux mois qui ont séparé la création du BCRAM et la fin de la campagne de France, son organisation a pu mettre sur pied un embryon de structure de collecte du renseignement sur la partie du territoire encore libre et dissimuler une bonne quantité de matériel, armes et postes de radio. Au 15 août 1940, cependant, aucun réseau de liaison n’était opérationnel. Les mois suivants, le BCRAM a été confronté à plusieurs problèmes : la définition d’une doctrine pour l’action armée (en l’absence d’une tradition française de la guérilla), la formation de spécialistes aussi bien dans le domaine du renseignement que de l’action et les liaisons avec le territoire métropolitain. Fort heureusement, il a disposé pour résoudre ces difficultés de tout l’appui de De Gaulle et de Mandel (comme, au même moment en Angleterre, le SOE disposait de l’appui de Churchill). Au bout d’un an et demi, son travail commence à porter ses premiers fruits, non sans douloureux échecs.
Curieusement, durant cette période, les Alliés ont dû l’essentiel de leurs renseignements sur les forces allemandes déployées en France à l’action de forces spéciales… polonaises, commandées par le colonel Mitkiewicz. En effet, mis en place sur la base de l’accord du 4 janvier 1940 signé avec Daladier et autorisant les services spéciaux polonais à se réorganiser en France dans le cadre de la lutte commune contre l’Allemagne, ces services ont été les premiers à disposer d’hommes entraînés et de structures de renseignement prêtes à opérer en France occupée, et ce dès le mois de juin 1940 !
………
Enfin, si la DGSS est rattachée au ministre de la Guerre, son directeur n’est ni le général Rivet, ni le colonel Paillole, car c’est un civil. Jacques Soustelle est le premier à occuper ce poste. La Seconde Guerre Mondiale marque ainsi une évolution fondamentale dans l’histoire des services spéciaux français : l’irruption des civils dans un domaine jusqu’alors exclusivement militaire. S’amorce alors un processus de rapprochement entre les services spéciaux et la sphère politique, qui aboutira à faire passer la tutelle des services spéciaux de l’Etat-major au Gouvernement.


28 octobre
Serbie, Grèce : massacres en série
Haute Serbie
– Lancées dans une vaste opération de répression contre les Tchetniks, les forces allemandes massacrent la population de Kragujevac : 2 300 à 7 000 victimes selon les sources. C’est le point culminant du “nettoyage” de la Serbie centrale et orientale organisé par le général Franz Böhme.
L’organisation tchetnik mettra longtemps à s’en remettre, et la stratégie de Mihailovic est de plus en plus critiquée. Plusieurs groupes tchetniks passent en Bosnie, où certains se joignent aux Partisans, tandis que d’autres concluent des armistices locaux avec les Italiens.
………
Drama (Macédoine grecque) – Dans cette zone d’occupation bulgare, la foule rassemblée pour la Saint-Demetrios, furieuse de la politique de bulgarisation, laisse éclater sa colère. La population grecque se rue sur les soldats des troupes d’occupation. La révolte gagne vite d’autres localités de la région. La répression bulgare sera féroce : 15 000 tués, des dizaines de milliers de déplacés. Les services français et britanniques l’apprendront avec un temps de retard. Ils prendront alors conscience à la fois du potentiel insurrectionnel de la Grèce et de l’insuffisance de leur couverture de cette région.


Note
Plan Vert : doit paralyser les mouvements de l’ennemi par voie ferrée pendant le délai nécessaire à l’établissement d’une tête de pont. Sera en grande partie l’œuvre des cheminots.
Plan Violet : dirigé contre les moyens de transmission allemands, en particulier les lignes souterraines à grande distance. Sera appliqué par des spécialistes des PTT.
Plan Bleu : vise les lignes à haute tension. Il doit priver de courant les voies ferrées électrifiées et les zones côtières.
Plan Tortue : doit entraver les déplacements routiers dans le quart nord-ouest du pays grâce à l’action des maquis. Revu plusieurs fois, un moment rebaptisé Bibendum, il sera finalement étendu à toute la France, notamment aux maquis du Massif Central et du Sud-Est (dont celui du Vercors) et prendra alors le nom définitif de Caïman.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 12:23    Sujet du message: Répondre en citant

Novembre 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Collaboration culturelle

4 novembre
Quand j’entends le mot Culture…
Weimar
– Ouverture, avec un mois de retard sur le projet d’origine, du Congrès International de la Culture Européenne. Josef Goebbels prononce le discours inaugural, puis son ennemi juré, Alfred Rosenberg, idéologue en chef du régime, donne lecture d’un message du Führer.
De manière caractéristique, la délégation allemande, naturellement la plus nombreuse, comprend bien davantage d’essayistes, de philosophes (notamment Martin Heidegger, ancien rector magnificus de l’université de Fribourg et membre du Parti), d’épistémologistes, de théoriciens de la Race, de spécialistes des Celtes et des Aryens, de philologues et d’exégètes des sagas du Nord, que d’écrivains. Goebbels n’ignore pas que la blubo Dichtung 1, s’il s’en accommode et même l’encourage, n’est le fait que de médiocres, à tous les sens du mot, qui produisent des œuvres sans intérêt. Seul le dramaturge Gerhart Hauptmann, Prix Nobel en 1912, secrètement antinazi mais adulé par le public de langue allemande, relève le niveau.
Les Italiens sont conduits par les philosophes Giovanni Gentile et Ernesto Grassi, deux intellectuels de haut vol qui ont théorisé le fascisme. Curzio Malaparte, jamais en retard d’une contradiction, et Alberto Moravia, qui tente d’améliorer ses rapports avec le pouvoir fasciste, apparaissent au congrès comme d’authentiques vedettes – et ils ne s’en plaignent pas. L’essayiste (et homme politique) Henri de Man, pour la Belgique wallonne, le poète (et prêtre) Cyriel Verschaeve, pour la Belgique flamande, et l’écrivain Knut Hamsun, qui représente la Norvège de Quisling, attirent les regards. Le Portugal salazariste et l’Espagne franquiste n’ont pu dépêcher que des utilités – morts, Pessoa et Unamuno n’ont pas été remplacés.
Gerhard Heller a éprouvé mille difficultés pour parvenir à constituer une délégation française. Plusieurs de ceux qu’il avait d’abord pressentis se sont récusés plus ou moins promptement : Alphonse de Châteaubriant, Abel Hermant et Henry de Montherlant. Il lui a fallu ruser avec les susceptibilités des uns puis composer avec les réticences des autres. Louis-Ferdinand Céline a décliné l’invitation en laissant entendre qu’il aurait dû être invité individuellement et non dans le cadre d’un voyage de groupe ! Finalement, Abel Bonnard, Robert Brasillach, Jacques Chardonne, Pierre Drieu la Rochelle, André Fraigneau, Marcel Jouhandeau et Ramon Fernandez sont venus sans trop se regarder en chiens de faïence. La Propaganda Abteilung a décidé de jouer à fond le jeu de la Collaboration. Les Français sont donc accompagnés d’une trentaine de journalistes qui couvrent d’abondance l’événement : quatre dépêches Havas-OFI par jour au moins, deux chroniques quotidiennes pour Radio Paris, plus un papier tous les matins dans les principaux quotidiens.
Goebbels n’a pas voulu inviter d’autres catégories de créateurs, mais l’idée d’Heller a fait son chemin. Le Propaganda Ministerium a prévu de convier en Allemagne, au printemps 1942, des peintres, des sculpteurs et des compositeurs français.

Bosnie : le drapeau de Tito
Rogatica (Bosnie)
– Les Partisans se regroupent dans ce village proche de Višegrad, où ils lèvent pour la première fois sur la mairie le drapeau de la “République travailliste yougoslave” : deux épis de blé sur fond de drapeau tricolore yougoslave. Les fidèles de Tito marquent ainsi leur distance avec les royalistes de Mihailovic, et espèrent rallier ceux que leur origine ou leurs opinions éloignent de la monarchie serbe des Karageorges. C’est le cas de groupes indépendants qui se méfient du royalisme et du nationalisme grand-serbe des Tchetniks – ce qui n’empêche pas les Partisans d’accepter des éléments tchetniks dispersés par les opérations allemandes.


6 novembre
Maulnier en Suède
Paris
– L’essayiste Thierry Maulnier embarque gare du Nord, dans le wagon-lit Paris-Stockholm hebdomadaire. Il a été invité par l’Académie suédoise à prononcer à l’université d’Uppsala une série de conférences sur “les religions d’hier, les idéologies d’aujourd’hui et les philosophies de demain”.


12 novembre
Créer un réseau francophile en Grèce
Athènes
– Komninos Pyromaglou arrive à Athènes. Cet exilé grec républicain s’est vu confier une mission délicate par le 2e Bureau français de Beyrouth : créer un réseau de renseignement et de résistance en Grèce occupée. Quelques mois plus tôt, le professeur Picard avait loyalement transmis les coordonnées de ses contacts en Grèce au réseau Prométhée, organisé par les Britanniques. Mais Prométhée ne répond plus, ses postes radio deviennent muets après avoir transmis des renseignements de plus en plus douteux : bref (dit Picard qui sait ses classiques), Prométhée s’est fait dévorer le foie par l’aigle germanique. Les Français ont donc décidé de prendre l’initiative…
Picard avait demandé un transport par sous-marin, mais ceux-ci étaient très pris par les opérations en Corse. C’est donc le sieur Alexatas, roi de la contrebande à Athènes, qui a assuré le transport de Pyromaglou à bord d’un caïque de pêche. Alexatas a mis en garde les Alliés contre les traîtres possibles, et surtout contre un certain colonel Zervas, qui jouerait double jeu. De fait, la disparition de Prométhée suffirait à rendre Pyromaglou méfiant.
A Athènes, Pyromaglou se découvre un tout autre souci : il arrive dans un pays en pleine famine. Des femmes, des enfants, des mutilés de guerre mendient à tous les carrefours. Des hommes amaigris et vacillants essaient de vendre leurs derniers biens pour manger. La récolte de 1941, perturbée par la mobilisation et les combats, a été très mauvaise et les occupants en ont encore prélevé une grande partie. Le cours de la monnaie grecque s’est effondré et celui des monnaies d’occupation, « Reichskreditkassenschein » des Allemands ou « drachme méditerranéenne » des Italiens, commencent à en faire autant. Et on n’est qu’en novembre… De plus, Pyromaglou est déçu par le comportement des politiciens d’Athènes : ils ont beau se prénommer Périclès, Agamemnon ou Sophocle, ils sont rarement à la hauteur de l’héroïsme de leur nation.


14 novembre
Du rififi à Marseille
Marseille
– Le gouvernement fantoche mis en place par les Allemands tente d’affirmer son autorité. Mais son absence totale de légitimité stimule l’opposition… Témoin cet épisode sanglant et mystérieux, narré par l’une des principales feuilles collaborationnistes.
L’Œuvre, organe officiel du RNP (numéro du 15 novembre) – Ils ont osé !
Hier soir à Marseille, Marcel Déat, Président du Rassemblement National Populaire et Ministre de l’Economie et du Travail, a été légèrement blessé lors d’un meeting politique de grande importance qui a réuni de nombreux vrais Français désireux de redresser le pays. Hélas, parmi eux s’étaient glissés des traîtres.
Juste après le discours très applaudi sur la Nouvelle Europe prononcé par le Président Déat, une grenade a été lancée du balcon de la salle de conférence. Fort heureusement, Marcel Déat n’a été que légèrement blessé par les éclats de l’engin, et il nous a confirmé lui-même qu’il ne changerait rien au programme de ses activités.
Mais les assassins ne s’en sont pas tenus là. Dans l’affolement bien compréhensible qui a suivi l’explosion de la grenade, on a entendu des coups de feu. La salle a été évacuée en hâte, mais des hyènes guettaient à l’extérieur ! D’autres grenades ont explosé dans la rue. On déplore trois morts et de nombreux blessés.
Cette ignoble tentative d’assassinat a été revendiquée par l’organisation terroriste qui signe « Les Trois Flèches » et prétend représenter les jeunes activistes de l’ex-SFIO, aujourd’hui interdite.
Cette revendication était-elle bien nécessaire ? Un acte aussi infâme était évidemment signé, et les « trois flèches » ont pour noms Juiverie, Maçonnerie et Bolchevisme ! La bande ainsi étiquetée n’est évidemment que le faux nez (bien utile pour des Youpins !) du pseudo gouvernement d’Alger, créé de toutes pièces grâce à l’or anglo-saxon, celui de la ploutocratie cosmopolite la plus immonde, et animé par les Grands Maîtres Maçons, avides de resserrer leurs griffes sur notre malheureuse France !

En dehors de l’hystérie antisémite et antimaçonnique qui dégouline des lignes qui précèdent (on notera la discrétion relative de l’attaque anticommuniste, pacte Molotov-Ribbentrop oblige), le récit des événements est exact. Mais il reste difficile aujourd’hui de savoir ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là. En effet, certains historiens ont souligné l’intensité de la lutte pour le pouvoir entre les diverses personnalités du gouvernement Laval : Marcel Déat, Jacques Doriot, Joseph Darnand, et bien entendu Pierre Laval lui-même.
La même nuit, deux bombes explosent à la gare Saint-Charles, principale gare de Marseille, détruisant le poste principal de commande des aiguillages. Une sévère désorganisation du trafic ferroviaire s’ensuit durant plusieurs jours. Contrairement à l’attentat contre Déat, il s’agit là à coup sûr d’une action de la Résistance.


15 novembre
Répression aveugle à Marseille
Marseille
– La police allemande arrête des centaines de personnes dans le quartier de la Gare Saint-Charles. Tard dans la soirée, 35 otages sont exécutés (pour la plupart, des Juifs ou des personnes fichées pour leurs sympathies de gauche) en représailles contre les actions de la nuit précédente.


16 novembre
Contrôler la Résistance
Alger
– Réunion du Conseil de Défense Nationale français. De Gaulle demande à Léon Blum, chef du Parti Socialiste, d’éviter le déclenchement prématuré d’opérations offensives en France occupée, soulignant que le mouvement de Résistance n’est pas prêt pour des combats à grande échelle et que les représailles allemandes pourraient être très destructrices. Il admet cependant avoir approuvé de telles opérations en Corse, mais parce que le “maquis” y est bien mieux organisé et possède un encadrement bien plus solide que sur le continent.
Dans l’après-midi, Georges Mandel annonce officiellement à la radio que si l’Armée italienne devait de nouveau s’en prendre à la population civile en Corse, l’Armée de l’Air se sentirait libre d’attaquer des objectifs civils italiens. Dans le même discours, Mandel menace le commandement allemand de représailles s’il ne renonçait pas à sa politique de prise d’otages.


17 novembre
Un journaliste dans le maquis corse
Corse
– Au milieu de la nuit, le sous-marin français Monge fait surface non loin de la côte corse, face à Solenzara, et bombarde le terrain avec son canon de 100 mm. Ce bombardement cause peu de destructions, mais provoque une confusion intense, car les gardes italiens se persuadent que des commandos attaquent de nouveau le terrain. Le commandement local déclare la panica generale (l’alerte générale, tout simplement) et rappelle les troupes prenant part aux opérations de nettoyage en cours dans les collines du secteur, leur ordonnant de revenir d’urgence défendre l’aérodrome. Une mitraillade sauvage éclate et dure jusqu’aux premières lueurs du jour, quand il apparaît que les gardes ne tirent que sur des ombres ou sur d’autres gardes. Inconscient des effets étonnants de ses quelques obus, le Monge est déjà reparti vers un autre rendez-vous…
………
New York Herald Tribune – De notre envoyé spécial Donald “Abe” Lincoln
La Corse saigne, chante et se bat

Le climat corse est en général très agréable, même en novembre. Mais ce qui est vrai sur la côte l’est beaucoup moins sur les hauteurs, au fin fond du maquis, surtout en pleine nuit, quand on est loin de tout abri, qu’il est impossible de faire du feu, et que l’on va mourir le lendemain matin. Dans ces conditions, il fait un froid atroce.
J’avais débarqué quelques jours plus tôt d’un sous-marin français plein comme un œuf, qui déposait des commandos et leur équipement dans une petite baie. L’importance attachée par les Français à montrer aux Américains ce qui se passe ici, sur le « front », peut être mesurée au fait qu’à ma place, les commandos auraient pu emporter un mortier de plus, avec des munitions. Ils avaient même désigné un officier, lui-même né en Corse, Pascal X… (sa famille est toujours dans l’île) pour me servir d’ange gardien.
Deux jours plus tard, je commençais à bien connaître le paysage corse, le « maquis », et j’étais très heureux de ne pas avoir arrêté l’entraînement quand j’avais cessé de jouer au football pour devenir journaliste sportif, car la marche était notre seul mode de déplacement.
C’est alors qu’est arrivée la nuit de l’opération “Retribution”. Le 11 novembre, les commandos et les forces clandestines de la Résistance ont attaqué les principaux aérodromes de l’île. J’étais témoin de l’une de ces attaques, près d’une équipe servant un mortier, mais je ne me suis jamais senti en danger : si les commandos savaient où étaient leurs cibles, les Italiens qui défendaient le terrain n’avaient pas la moindre idée de l’endroit d’où venaient les coups. Puis les charges placées sur les avions par des hommes infiltrés ont commencé à exploser. Dans le chaos qui a suivi, nous nous sommes repliés tranquillement.
Bien sûr, on ne pouvait pas espérer que les troupes de l’Axe se laissent faire sans réagir. Mais quand Allemands et Italiens ont lancé à travers l’île des colonnes chargées de trouver et de détruire les combattants français, ces derniers se sont tout simplement évanouis dans la nature. Je me rappelle avoir vu passer une de ces colonnes, deux cents yards en contrebas de notre position, sans qu’ils soupçonnent notre présence. « Si nous avions été un peu plus nombreux, avait dit Pascal, nous leur serions tombés dessus ! » En fait, plusieurs embuscades ont permis aux Français de détruire de petites colonnes de l’Axe.
Incapables de trouver les combattants français, rendus furieux par les embuscades, Italiens et Allemands s’en sont pris aux civils. Mais les fumées des incendies et le massacre de dizaines des leurs, femmes et enfants compris, n’ont fait qu’accroître la colère et le désir de vengeance de mes compagnons.
Pourtant, petit à petit, la loi du plus fort s’est imposée. Sous la pression, les forces françaises se sont dispersées. Nous n’étions plus que quatre, avec Pascal et deux résistants, Dominique et Bruno. La veille, nous avions trouvé refuge pour la nuit dans un hameau du nom de La Maddalena. Mais au petit matin, nous avions été avertis de l’arrivée d’une colonne allemande. La fuite avait repris. Cette colonne avait-elle de meilleurs pisteurs, ou avions-nous été aperçus par le Fieseler Storch, le petit avion de reconnaissance qui nous avait survolés vers midi ? Ils étaient après nous. Et ils nous avaient pourchassés dans la montagne, nous interdisant de redescendre vers la côte, nous acculant finalement au coucher du soleil dans ce coin de rochers sans issue, alors qu’il était prévu qu’un sous-marin vienne nous récupérer, Pascal et moi, la nuit suivante…
« Je suis désolé, me dit Pascal. J’ai échoué dans ma mission. Je devais vous ramener vivant, mais je vous dois la vérité: nous ne pouvons plus fuir. Au matin, ils attaqueront, et votre carte de presse ne vous protègera certainement pas. »
J’en avais conscience. Ils ne pouvaient pas laisser rentrer à New York un journaliste qui avait encore dans les narines l’odeur des cadavres d’enfants brûlés dans la petite école de Santa Catarina.
J’essayais de ne penser à rien, et surtout pas à ceux et celles que je ne reverrais jamais, quand je réalisai que le son que je percevais n’était pas le vent, mais la voix de Bruno. Il chantait tout bas, en corse, d’une belle voix grave !
– C’est une sorte de chant typique du pays, m’expliqua Pascal. Fait pour être chanté par des hommes, en chœur, mais comme il est seul…
– Et qu’est-ce qu’il chante ?
– C’est de sa composition. Il raconte son histoire. Je vous traduis ?
– Volontiers, je manque un peu de distraction, vous savez.
– Bien. A peu près… « Les Allemands étaient chez moi… Ils m’ont dit résigne-toi… Mais je n’ai pas su… Et j’ai pris les armes… » C’est le refrain. Et voici le dernier couplet: « Un vieil homme, dans un grenier… Pour la nuit nous a cachés… Les Allemands l’ont pris… Il est mort sans rien dire… »
– Hé, une minute, le vieil homme d’hier soir ?
– Oui. Vous n’avez pas vu la fumée, dans la journée ? C’était La Maddalena, à coup sûr. Et le vieux n’a pas parlé, parce que si les Boches savaient que nous ne sommes que quatre, dont un non combattant, ils auraient déjà attaqué. Maintenant, tâchez de dormir. A l’aube, je vous donnerai une arme, vous vous en servirez si vous voulez.
J’allais répondre pour refuser, quand une violente fusillade éclata, assourdissante. Aplatis au sol, nous avons essayé de nous incruster dans le rocher, et j’ai pensé que j’aurais dû accepter l’arme proposée. Puis tout s’est calmé. Un silence nocturne absolu. Cinq minutes, puis Dominique a dit « J’y vais ! ». Encore dix minutes et il est revenu. « Ils sont partis. Ils ont dû tirer au hasard, pour nous enlever toute idée de les suivre. »
« Partis ? a répondu Pascal. Soit c’est un piège, soit ils ont reçu un message les rappelant pour quelque chose de plus important que nous. Nous n’avons pas le choix, il faut faire comme si c’était la seconde explication. On descend à la crique du rendez-vous, nous avons deux heures. »
En fait, nous étions tout près de la mer. Mais à plus de deux mille pieds en altitude ! Celui qui ne connaît pas la montagne croit que le plus dur est de monter. C’est faux. Descendre est bien plus difficile, surtout dans le noir, par des chemins tortueux ou sans chemin du tout, l’estomac vide et la peur au ventre. J’ai cessé de compter mes chutes après la douzième. Mais finalement, j’ai senti du sable sous mes chaussures de marche, j’ai entendu les vagues battre le rivage et je me suis effondré sur une minuscule plage.
Pascal sortait déjà fébrilement de son sac un petit projecteur à éclats. Il se mit à l’actionner en direction de la mer, c’est-à-dire vers la ligne noire qui séparait le ciel sombre de la mer obscure. Et là-bas, en réponse, une masse encore plus noire s’illumina des éclats d’un projecteur comme le nôtre.
Quand le canot du sous-marin sortit de l’obscurité, Dominique et Bruno nous embrassèrent, Pascal et moi, sans un mot. Non, c’est faux. Dominique me dit « Thanke you for comingue. » Bruno ne dit rien, mais il me fourra dans les mains une enveloppe. Je ne pus l’ouvrir qu’une fois dans le sous-marin. Il y avait là un texte et une partition.

………
On sait comment la chanson de Bruno sera interprétée à New York par des immigrés corses, comment elle obtiendra un succès immédiat, comment elle sera reprise dans tous les styles musicaux et toutes les langues des Alliés. On sait moins que son auteur sera tué trois jours après les événements relatés ci-dessus, et que, son nom même étant incertain, l’argent des droits d’auteur sera après la guerre utilisé pour aider à la reconstruction de la Corse.


24 novembre
Les Eglises contre Laval
Alger
– Selon une dépêche d’Havas Libre, aussitôt relayée par Radio Alger puis par la BBC, la politique antijuive du gouvernement Laval aurait été condamnée sans équivoque par l’Église de France et par les églises protestantes. Havas Libre se borne à citer une “source sûre”, sans pouvoir, bien sûr, indiquer qu’il s’agit d’informations transmises par le 2e Bureau.


25 novembre
Trafic d’œuvres d’art
Paris, Palais des Musées d’Arts Modernes
– Le secrétaire général aux Beaux-Arts, Louis Hautecœur, s’affaire de bon matin. Officiellement pour préparer l’ouverture partielle du musée d’Art Moderne dans l’aile ouest, avec une grande partie des œuvres d’art récupérées en dans le sud de la France, où elles avaient été mises à l’abri pendant la Drôle de Guerre ou la Campagne de France. Officieusement, pour sélectionner les œuvres que l’on va faire disparaître pour les mettre à l’abri d’un éventuel « prêt de longue durée » aux autorités allemandes, notamment à la suite d’une prochaine (et redoutée) visite de Hermann Göring. On craint en effet, à raison, la propension à présent bien connue du Reichsmarshall à récupérer tableaux ou sculptures pour sa propre collection ou celles de ses proches.
Depuis un an maintenant qu’il fait partie du gouvernement Laval, Hautecœur, tout en œuvrant pour l’ouverture du musée national d’Art Moderne (qui ne se fera finalement qu’après la guerre), a organisé un réseau pour cacher les nombreux chefs-d’œuvre, modernes ou non, passant entre ses mains. Hélas, l’universitaire (normalien, agrégé d’histoire et de géographie, membre de l’École de Rome, ancien professeur à l’École du Louvre et à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, sans parler d’autres titres de gloire artistique), peu fait pour la clandestinité, a dû manquer de discrétion... Sur oukase personnel de Doriot, il est arrêté dans la matinée « pour interrogatoire » au milieu de ses chères œuvres d’art, par les hommes d’une Section Spéciale de Lutte contre les Activités Anti-Nationales. Conformément à leurs ordres, les miliciens agissent avec le maximum de discrétion (c’est à dire que l’information circulera dans le Tout-Paris vers midi et qu’Alger sera informé en détails à l’heure du thé).


26 novembre
Nouveau remaniement ministériel chez Laval
Paris
– Une dépêche d’Havas-OFI reprend un communiqué de la Présidence 2 selon lequel l’amiral Georges Platon (extrait quelques mois plus tôt d’un camp de prisonniers allemand et qui n’est d’ailleurs que contre-amiral – le terrien Laval ne semble pas avoir saisi la distinction) devient secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies. Ce texte précise que l’amiral devra exercer par délégation les pouvoirs du ministre de l’Information dans les colonies, protectorats et territoires sous mandat et disposera d’une pleine autorité en matière de censure. L’agence y joint un “commentaire autorisé”, attribué à « des sources proches de la Présidence », qui fait remarquer que le régime prépare l’avenir puisque l’amiral Platon, outre ses tâches quotidiennes de gestion et d’administration, aura à définir ce que seront la Marine et l’Empire après la victoire (la victoire de l’Axe, il va de soi, ce qu’Havas-OFI s’abstient de dire). Seuls quelques mauvais esprits – la Presse collaborationniste n’en manque pas, quoi qu’ils puissent penser et écrire par ailleurs – remarqueront que le Nouvel Etat Français n’a pas plus de Marine à gérer que de Colonies à administrer. De fait, la dite marine, officiellement dénommée Force Navale de Sécurité du NEF et toujours commandée par l’ex vice-amiral Laborde, ne comptera jamais de bâtiment plus gros qu’un chalutier.
………
Peu après cette nomination, un autre communiqué des services de la Présidence annonce que Louis Hautecœur est « incapable de continuer à assumer ses fonctions pour raisons de santé ». Il est remplacé par l’architecte Jean Boissel. Celui-ci dirige le bimensuel Le Réveil du Peuple, où il avait, quelques années plus tôt, menacé de mort Léon Blum. Il s’est aussi illustré par ses prises de parole lors des manifestations de la Ligue Mondiale Antijuive… Bref, une autre idée de la culture.
Les réserves du Palais des Musées d’Arts Modernes (et de quelques autres) pâtiront fort de ce changement. Certaines œuvres ne retrouveront Paris que plusieurs dizaines d’années après, ayant dû faire un détour par des musées de Leningrad ou de Moscou – et quelques-unes sont encore introuvables.
Quant à Louis Hautecœur, après avoir passé quelques journées fort désagréables dans les geôles des SSLAAN, il sera mis en résidence surveillée jusqu’à la Libération. Lors des procès de l’Epuration, inculpé pour sa participation au gouvernement Laval, il bénéficiera d’un non-lieu.


28 novembre
Opération Višegrad
Bosnie
– Le 13e régiment d’infanterie croate et le régiment de cavalerie de Zagreb tentent d’encercler et de détruire les Partisans près de Višegrad. Les combats vont durer plusieurs jours, mais Tito et ses hommes pourront s’échapper.


29 novembre
Laval privé de “son” journal
Paris
– Mauvaise journée pour Pierre Laval en tant que ministre de l’Information.
Dès l’heure du petit déjeuner, Otto Abetz lui indique que les autorités d’occupation s’opposent absolument au projet de relance de L’Ami du Peuple, le quotidien qu’avait créé le parfumeur François Coty, “nez” hors pair, homme d’affaires sulfureux et financier en pied de l’extrême-droite. Ce dessein, suscité en sous-main par le Président lui-même mais payé par des industriels qui s’affirment modérés (c’est à dire anticommunistes grand teint, et davantage soucieux de faire des affaires avec les occupants que d’approuver la Collaboration 3), visait à concurrencer le Cri du Peuple de Jacques Doriot, et voulait aussi imposer un rival à L’Œuvre de Marcel Déat. Laval avait l’intention d’en faire sa tribune, rôle que remplit mal son Moniteur du Puy-de-Dôme 4, quitte à rogner les ailes à Gringoire et à Je Suis Partout, fidèles relais de la parole présidentielle, pourtant – on aurait débauché leurs meilleures plumes, en y mettant le prix aussi bien en salaires qu’en avantages en nature. Mais cette manœuvre était cousue de fil blanc.
Abetz n’a évidemment pas révélé à Laval que Jean Luchaire lui a savonné la planche, ni que Louis Renault, qui avait été sollicité de cracher au bassinet, s’est empressé d’informer l’ambassade du Reich de la manipulation. Luchaire déteste qu’on s’immisce dans son pré carré de la Corporation de la Presse et Renault s’est persuadé que Laval soutient de toutes ses forces Pierre Drieu La Rochelle, qu’il a lui-même quelque raison de haïr. Les Allemands ont vite réagi. Ils savent ce que peut signifier “diviser pour mieux régner” et refusent que leurs partisans – ils n’en ont pas tellement, et ils y tiennent autant qu’ils les tiennent – se déchirent davantage encore. Ils ne sont pas non plus fâchés de donner, de temps en temps, un coup de frein aux ambitions du chef du NEF.
Une autre mauvaise nouvelle tombe en milieu d’après-midi : la baisse générale de la diffusion de la Presse de la Collaboration et la progression constante du taux de bouillon. Le recul de Paris-Soir n’avait été qu’un signe avant-coureur de la désaffection qui frappe toute la Presse de Paris et, dans une moindre mesure, de Province. « Si ça continue comme ça, lance Laval à Jean Jardin, il faudra que le gouvernement achète deux cent mille exemplaires par jour au moins à tous ces incapables, pour faire croire que leurs canards trouvent encore des lecteurs ! » De dégoût, le Président crache son mégot sur le tapis d’Aubusson, vestige de la Monarchie sauvegardé par la République, qui orne son bureau.

Créer un réseau francophile en Grèce
Athènes
– Les occupants et leurs auxiliaires ratissent la ville, raflant tous les suspects qu’ils rencontrent. Le bombardement anglais de la veille les a mis de très mauvaise humeur. Aussi, quand Komninos Pyromaglou voit sa porte forcée par quatre hommes robustes, en civil mais armés de revolvers, son premier réflexe est de sauter par la fenêtre. Trois hommes le retiennent de justesse. Le quatrième, qui semble le chef, éclate d’un rire homérique (bien entendu). « Eh bien, professeur, vous n’êtes pas content de me voir ? On vous a raconté du mal sur mon compte ? » Puis l’homme lui tend un étui à cigarettes égyptiennes – un luxe, en cette ère de pénurie – et ajoute : « Je connais votre adresse depuis des semaines, et vous voyez, c’est moi qui viens et pas la Gestapo.Ce chien d’Alexatas a médit de moi ? Il vendrait sa mère et trahirait son père s’il pouvait y gagner de l’argent ».
Le colonel Zervas, prénommé curieusement Napoleon, est disposé à coopérer avec Pyromaglou et à fonder un mouvement de résistance sous l’étiquette EDES : Union nationale grecque républicaine. Mais, ajoute-t-il, « j’aimerais autant vous emmener chez moi en Epire. On y mange mieux et on y voit moins de figures de traîtres. »


30 novembre
Laval nomme Marion pour mieux le contrôler
Paris
– Le remaniement ministériel auquel Pierre Laval a procédé le 26 a dû, sans doute, souffrir quelques couacs, à moins que les mauvaises nouvelles de la veille ne soient restées sur l’estomac présidentiel… Toujours est-il que Radio-Paris annonce, dans son journal de midi, la nomination de Paul Marion au poste de Secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande. Les initiés auront noté que Philippe Henriot, toujours si disert – et avec talent – s’abstient du moindre commentaire dans sa chronique quotidienne.
Jusqu’à présent, le Président s’était réservé jalousement le portefeuille de l’Information (comme celui de la Défense), avec pour mot d’ordre : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Si on le poussait, d’ailleurs, il répondait du coin de son mégot que « si la guerre, selon Clemenceau, était une affaire trop sérieuse pour être confiée aux militaires, l’information, à mon avis à moi, pose des problèmes trop graves pour qu’on puisse l’abandonner aux journalistes ». De plus, ses rapports avec Paul Marion, fidèle d’entre les fidèles de Jacques Doriot, connu pour dire tout haut et écrire en toutes lettres ce que le “grand Jacques” ne peut, ou n’ose pas, exprimer lui-même, sont franchement mauvais quand tout va bien et deviennent exécrables dès que s’élève un peu de tension entre le PPF et le gouvernement.
Les observateurs, dès lors, en sont réduits aux conjectures. Ou bien les occupants, qui divisent pour régner et assurent la promotion de Doriot afin de mettre Laval sous pression, lui ont imposé Marion. Ou bien, tout au contraire, c’est Laval qui a délibérément choisi de mieux contrôler Doriot – sans doute le seul rival que les Allemands pourraient mettre à sa place – en tenant à l’œil, et en contraignant au silence, le meilleur de ses porte-parole.
Le soir même, un rapport expédié à Alger par deux membres du “super-NAP” bien en cour chez le Président indiquera que c’est la seconde de ces hypothèses qu’il faut retenir.

Le gouvernement du Nouvel Etat Français au 30 novembre 1941
– Chef de l’Etat, ministre de la Défense : Pierre Laval
– Ministre de l’Intérieur et de la Reconstruction nationale : Jacques Doriot
– Ministre de l’Économie et du Travail : Marcel Déat
– Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de l’Etat : Joseph Darnand
– Ministre de la Justice : Fernand de Brinon
– Ministre des Affaires Étrangères : Gaston Bergery
– Ministre de l’Instruction Publique : Abel Bonnard
– Ministre de l’Agriculture : Jean-Pierre Mourer
– Ministre du Ravitaillement : Pierre Pucheu
– Ministre de la Famille et de la Santé : Raymond Grasset
– Ministre des Sports : Jean Borotra
– Ministre des Anciens Combattants : Jacques Ybarnegaray
– Ministre de l’Air : Max Knipping
– Secrétaire d’État aux Prisonniers : Georges Scapini
– Secrétaire d’État aux Communications : Robert Gibrat
– Secrétaire Général aux Finances publiques et aux questions économiques : Paul Creyssel
– Secrétaire Général aux Beaux-Arts : Jean Boissel
– Secrétaire Général à la Jeunesse : Georges Lamirand
– Secrétaire d’État aux Travaux Publics et aux Transports : Maurice Schwartz
– Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies : Georges Platon
– Secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande : Paul Marion


Notes
1 Blubo = Blut und Boden. Littérature “du Sang et du Sol”, typiquement nazie.
2 Le flou régnant sur les institutions du NEF ne permet jamais de discerner s’il s’agit de la présidence de l’État ou de la présidence du Conseil. Pierre Laval est toujours appelé le Président, sans autre précision.
3 C’est à ce genre de personnages que s’est attaqué le général de Gaulle en fustigeant, lors d’un entretien fameux avec la presse américaine à l’occasion d’un de ses voyages, « ceux qui tambouillent leur peutite soupe dans leur peutit coin, mais qui ont de grande peurs et qui fricoteraient le cœur léger avec les Martiens si, d’aventure, la planète Mars était en guerre avec la France. » Les journalistes américains ont eu bien du mal à traduire.
4 Décidé à tenir l’Auvergne et à s’en faire un bastion, Pierre Laval a acheté ce journal de Clermont-Ferrand à la famille Montlouis en 1927. Il y rédige un éditorial par semaine au moins et s’assure par téléphone, tous les soirs, que l’édition du lendemain se conformera à sa ligne.
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 17:50    Sujet du message: Répondre en citant

Ah, je voie avec ravissement que mon idée de création d'un poste de H-C-C-C-P-F-E-O a été acceptée!

PS. Traduction: <<Haut-Commissaire pour les Comptoirs, Concessions, Colonies et Protectorats Français d'Extrème-Orient>> (voir le 3 octobre 1941).
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Dernière édition par Capitaine caverne le Ven Avr 13, 2012 18:44; édité 1 fois
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MessagePosté le: Ven Avr 13, 2012 18:11    Sujet du message: Répondre en citant

Capitaine caverne a écrit:
Ah, je voie avec ravissement que mon idée de création d'un poste de H-C-C-C-P-F-E-O a été acceptée!


Heu... Si c'était un effet de ta bonté de traduire... Shocked
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MessagePosté le: Sam Avr 14, 2012 10:24    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai gardé ce texte pour la bonne bouche, il est riche de passages qui me tiennent à coeur.


Décembre 1941
8 – En France… et en Europe occupée
Des flingués et des pendus

1er décembre
Résistance familiale
Marseille
– Aux petites heures du matin, quatre hommes cagoulés et armés de pistolets font irruption de force dans le cadre douillet des Demoiselles de la Garde, maison de tolérance réputée, régulièrement fréquentée par la crème de la garnison allemande… C’est du moins ce que Madame Antoinette, qui dirigeait le bordel en question d’une main de fer (dans un gant du plus fin chevreau), devait raconter dans la journée aux enquêteurs du SD et de la Gestapo.
Il y avait cette nuit-là huit Allemands sur place : un général (de brigade, mais un général quand même), un colonel, un SS-Obersturmbannführer (lieutenant-colonel SS), trois commandants, un capitaine (les Demoiselles étaient très chères pour la solde d’un capitaine, mais celui-ci était d’une famille riche) et un lieutenant (les Demoiselles étaient hors de portée de la bourse d’un lieutenant, mais c’était l’ordonnance du général, qui l’avait invité pour le récompenser).
Commençons par le haut de la hiérarchie.
Le Général appréciait les filles des Demoiselles, mais il appréciait au moins autant l’excellent champagne qu’on y servait. De plus, ayant connu des filles et des bouteilles en grand nombre, il aimait aussi bavarder avec l’un des autres clients de la maison, quand celui-ci s’avérait intéressant. « Un verre à la main, une fille câline de chaque côté, un cigare odorant au bec et une conversation originale avec un homme de goût, c’est mon idée du Paradis ! » disait-il.
Son interlocuteur de cette nuit-là lui donnait toute satisfaction. C’était un homme d’une bonne cinquantaine d’années, à la calvitie distinguée, qui portait un complet gris élégant et ne se séparait pas d’une sacoche en cuir noir. Seule note discordante dans ce tableau très chic, une pointe d’accent que le Général (qui avait appris un excellent français au lycée… et en camp de prisonniers, durant l’Autre guerre) n’arrivait pas à identifier exactement. Monsieur Fratello (c’est ainsi qu’il s’était présenté) était l’un de ces hommes d’affaires qui, ayant jaugé les forces en présence et les possibilités de faire prospérer leurs avoirs, avaient décidé de « collaborer » pleinement (comme disait Pierre Laval) avec l’Allemagne, pour le plus grand profit de chacun. Le Général aimait la façon dont il racontait son enfance dans un petit village et son ascension dans le monde, guidé par les maximes paternelles. « Mon père, disait M. Fratello, m’a appris que l’argent mène les hommes – et les femmes, bien entendu, haha – et qu’il faut savoir en conquérir sa bonne part pour ne pas être mené, mais meneur, sans avoir peur de prendre ses responsabilités et de se salir les mains quand c’est nécessaire. »
– Un homme remarquable, votre père. Avec des gens comme lui – et comme vous – l’amitié franco-allemande pourra renaître ! Habite-t-il toujours votre village natal ?
– Hélas, mon Général, il est mort il y a quelques semaines, dit Fratello en plongeant la main dans sa sacoche. Il en sortit un brassard noir, qu’il enfila aussitôt.
Un peu surpris par ce deuil soudain, le Général se dandina sur son canapé et bafouilla : « Quel malheur pour vous… »
– Oui, n’est-ce pas. Et quel malheur pour vous aussi, Herr General. Car, voyez-vous, mon père m’a également appris qu’il y a deux choses au monde plus importantes que l’argent. L’Honneur et la Famille.
Sur ces mots, il rouvrit sa sacoche noire pour en extraire un pistolet tout aussi noir et d’autant plus impressionnant qu’il était muni d’un silencieux. Posément, il tira deux fois. Le Général s’effondra sur le canapé sans avoir compris ce qui lui arrivait. “Fratello” se pencha par dessus la table pour le coup de grâce : il avait appris le métier avec les meilleurs et ne laissait rien au hasard. Puis, il prit dans son inépuisable sacoche une cagoule (noire, bien sûr) qui avait jadis beaucoup servi et l’enfila, avant de s’adresser aux deux filles encadrant le mort, qui s’étaient recroquevillées sur elles-mêmes dès l’apparition du brassard de deuil et gardaient à présent les yeux énergiquement fermés.
– Cinq bonnes minutes avant de hurler, hmm ? Et moi, je suis parti depuis une demi-heure.
Les filles hochèrent vigoureusement la tête.
… … … … …
Le Colonel avait le béguin pour Pauline. Client régulier, il ne voulait qu’elle. Son corps mince, ses yeux sombres et ses cheveux noirs comme une nuit sans lune, si différents de ceux de la solide épouse blonde qui l’attendait à Mannheim, le hantaient chaque fois que les nécessités du service l’obligeaient à coucher dans ses quartiers. Il se demandait quel tarif réclamerait Madame Antoinette pour lui réserver l’exclusivité des charmes de l’adorable brune, et comment faire pour en profiter plus souvent… Cette nuit-là, ayant une nouvelle fois connu des plaisirs qu’il n’avait jamais imaginés avant la guerre, il lui souffla, dans un français fort correct, qu’elle était la plus belle femme du monde.
– Oh non, dit-elle en rosissant légèrement. J’en connais au moins une plus belle.
– Impossible, chérie! Qui?
– Ma petite sœur, tout simplement. Lætitia. Je l’adore, tu sais. Même si, à 18 ans, elle était déjà beaucoup plus belle que moi. Aucun homme ne pouvait lui résister.
– Et maintenant ?
– Maintenant… Tu veux la voir ?
Le Colonel approuva, des visions enchanteresses lui montant au cerveau. Pauline se leva – un spectacle en soi – et, sans prendre la peine d’enfiler un peignoir, ouvrit le tiroir d’une table de nuit. Mais au lieu des photos espérées, elle en tira un pistolet automatique, non le petit modèle à crosse de nacre pour actrice de film américain, mais un engin assez sinistrement sérieux pour être anglais, et qui faisait totalement incongru entre ses petites mains si habiles à toutes sortes d’autres jeux.
– Quand tu seras là-haut, dis-lui bonjour de ma part.
La dernière pensée du Colonel fut qu’une Pauline dont la sœur s’appelait Lætitia devait forcément être corse et que ça expliquait…
Bien qu’assourdis par les murs épais et les lourdes tentures, les coups de feu parurent provoquer l’apparition de “Fratello” dans la chambre. Pauline lui tendit le Browning avec un soupir.
– Merci de m’avoir laissé tirer, Grand Frère. Je me sens un peu mieux, même si celui-ci n’était pas le pire.
… … … … …
L’Obersturmbannführer n’était pas comme les autres. Son uniforme n’était pas vert, mais noir, avec des sortes d’éclairs doubles par-ci par-là. Il parlait beaucoup de son Führer, de la Nouvelle Europe, et au meilleur moment (pour lui), il s’écriait souvent « Heil Hitler ! » Mais bon, ça ne dérangeait pas Françoise, qui en avait vu d’autres (et qui, de toutes façons, ne s’appelait pas Françoise, mais l’Obersturmbannführer voulait une Françoise, comme, avant la guerre, un amateur de cinéma avait voulu une Fanny). Et puis, avant de passer aux choses sérieuses, l’Obersturmbannführer fermait la porte à clef et coinçait une chaise sous la poignée. Dans un français plus que boiteux, il avait raconté à Françoise qu’il ne pouvait plus « aller avec une femme » sans cela, depuis que, quelques années avant, il avait liquidé des ennemis de son Führer, des Allemands eux aussi, pourtant, pendant qu’ils se livraient à toutes sortes de débauches. « Moi, disait-il, je veux bien crever, mais pas dans cette… position. »
Bien sûr, Françoise ne lui avait pas dit que toutes les chambres possédaient une porte de service dissimulée par des tentures. Cette nuit-là, quand un homme cagoulé en surgit, pistolet au poing, l’Obersturmbannführer fit un grand geste, mais c’était plus un mouvement d’horreur pour chasser un mauvais rêve ou un fantôme qu’une tentative pour se défendre.
« On n’échappe pas à son destin, philosopha Ginette (en fait, elle s’appelait Ginette, comme tout le monde). Surtout quand, d’une certaine façon, on l’a préparé soi-même… »
… … … … …
Les trois commandants moururent sans fioritures. Le capitaine et le lieutenant…
… … … … …
Dans la petite rue où donnait la porte de derrière des Demoiselles, attendait une Traction. Presque en même temps, trois hommes, tous porteurs d’un brassard noir, surgirent de l’immeuble et s’engouffrèrent dans la voiture, “Fratello” le premier. Mais ils durent patienter plusieurs minutes avant qu’un quatrième, un grand escogriffe dégingandé, sorte à son tour et les rejoigne. La Citroën démarra avec un grondement énervé. La conversation qui suivit se déroula en corse mais, tous nos lecteurs ne lisant pas couramment cette langue, nous avons pris la liberté de traduire (sans pouvoir, malheureusement, y ajouter l’accent).
– Bon sang, Tino ! Il te faut combien de temps pour liquider un capitaine et un lieutenant ?
– Ben, Grand Frère, liquider, ça va, tu me connais… Mais c’est les deux prières qui m’ont pris du temps…
– Les deux QUOI ?
– Les prières ! D’abord, après le lieutenant, pour l’âme de Maman. Et après le capitaine, pour l’âme de Papa.
Il y eut dans l’auto un instant de silence laudatif et ému. Grand Frère toussota, la gorge un peu serrée :
– Satané Tino, Maman disait bien que tu étais le plus sentimental de la famille.
Encouragé, Tino se lança:
– Au fait, Grand Frère, je sais que c’est pas mes affaires, mais quand les flics et les Boches vont voir les huit macchabées, ils trouveront bien dans les dossiers de la Maison Poulaga que les Demoiselles appartiennent à la famille Garneri, que la famille Garneri, c’est nous, et que la Famille vient de La Maddalena, et ils doivent bien savoir ce qui s’est passé là-bas… Alors, est-ce qu’on ne devrait pas penser à se casser vite fait ?
Grand Frère poussa un soupir.
– Ecoute, Tino, normalement je te dirais de t’occuper de tes oignons, mais aujourd’hui, ce n’est pas un jour normal, c’est un jour de vendetta… Voilà. Vous vous souvenez tous du cousin Hector ?
– Hector ? s’exclama Tino. Celui que le Papé avait dit qu’il voulait plus qu’on prononce son nom parce qu’il était devenu flic ? Comment que j’m’en souviens ! Il nous parlait toujours de justice, de paix, d’ordre – il disait qu’il était idéli… i-dé-a-liste.
– C’est ça même, Hector. Hé bien, j’ai deux nouvelles. La mauvaise, c’est qu’il est toujours idéaliste. La bonne, c’est qu’il n’est plus dans la police, du moins plus vraiment, parce qu’à cette heure-ci, il est dans un sous-marin qui ne devrait pas tarder à arriver à Alger.
– Alger ? Qu’est-ce qu’il va foutre à Alger ?
– Hé, de l’idéalisme, sans doute. Mais l’important, c’est qu’il a deux grosses valises avec lui. Dedans, il a mis des tampons officiels, un stock de papiers d’identité vierges et tout un tas d’autres trucs. Et puis nos dossiers, tous les dossiers des flics sur la Famille. Aujourd’hui, pour les poulets, et surtout pour les poulets boches, nous sommes tous blancs comme neige. Et, au fait, Antoinette a des papiers qui prouvent qu’elle est seule propriétaire des Demoiselles depuis 1932.
Un nouveau silence laudatif s’installa dans la Traction. Mais Tino eut tout de même le dernier mot :
– Y’a pas à dire, Papa et Maman avaient bien raison. La Famille, il n’y a que ça de vrai.


Yougoslavie : acharnement monténégrin
Monténégro
– Les Partisans monténégrins tentent de reprendre l’ascendant sur les occupants italiens en attaquant la petite ville de Plevlja, au nord du pays, le jour de la fête nationale de Yougoslavie, anniversaire de la fondation du royaume. Les Partisans ont rassemblé six mille hommes, mais Plevlja est efficacement défendue par des éléments de la 6e Division alpine Alpi Graie. Faute d’artillerie et de tactique, les Partisans sont repoussés. Ils ont perdu beaucoup d’hommes et le plus gros de leurs munitions.

Informer, c’est aussi résister
Orléans
– Les fondateurs du mouvement Franc-Tireur, Jean-Pierre Lévy (de tendance radicale-socialiste), Antoine Avinin (proche du christianisme social dans la tradition du Sillon) et Élie Péju (apolitique mais viscéralement antimunichois), co-signent l’éditorial du premier numéro de Franc-Tireur, qui prend la succession de France-Liberté. Ils ont choisi de mêler quelques-uns de leurs pseudonymes pour la circonstance: Robert Gilles (Lévy), Albert Arnaud (Avinin) et Jules Charbonnier (Péju).
Aussi artisanal que la plupart des journaux de la Résistance, puisqu’il est, comme eux, préparé et rédigé par des équipes de non-professionnels, Franc-Tireur s’en distingue par l’attention que ses créateurs ont apporté à la distribution. Avant d’en entamer la rédaction, ils se sont souciés de tisser une toile de militants, de sympathisants et d’amis qui se chargeront d’en assurer la diffusion sur tout le territoire.


3 décembre
Yougoslavie : opération Ozren
Bosnie
– Le régime croate, cette fois, met les moyens pour réduire les Partisans titistes le long des rivières Bosna et Sprca : toute la 4e Division d’Infanterie croate – soit 6 581 hommes : 20 bataillons de Domobran (conscrits) et 4 ou 5 bataillons d’Oustachis, avec 60 à 70 pièces d’artilleries et trois trains blindés. En huit jours de combats, les attaquants vont subir des pertes notables (350 morts, de nombreux blessés), mais ils parviendront à déloger les Partisans.
Tito transfère son QG dans les monts Romania, au nord-est de Sarajevo. Il décide d’envoyer un de ses lieutenants, Koča Popović, à Istanbul, d’où il essaiera de rejoindre Alger afin d’y demander du secours. La France n’est-elle pas l’amie de tous les peuples libres ?


5 décembre
Les Eglises contre Laval
Lyon
– La livraison mensuelle (et toujours clandestine) de Témoignage Chrétien publie le texte d’une lettre épiscopale « sur la Personne humaine » de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, datée du 7 novembre. Elle a été lue en chaire, comme il l’avait commandé, dans presque toutes les paroisses de son archidiocèse 1, mais une décision de Laval en a aussitôt interdit la diffusion sur l’ensemble du territoire métropolitain, Corse comprise.
« Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et qui reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ? Pourquoi sommes-nous des vaincus ? Seigneur, ayez pitié de nous. Notre-Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien-aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine, France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Jules-Géraud Saliège, archevêque de Toulouse »

Sans insister sur son œcuménisme – pour ne pas aider la police du NEF et la Gestapo à identifier ses rédacteurs, car les acteurs de l’œcuménisme sont alors peu nombreux, mais fort connus, dans l’Église – Témoignage Chrétien reprend aussi des extraits d’une allocution prononcée à la fin du mois d’octobre par le pasteur Marc Boegner, président de la Fédération Protestante de France, devant une centaine de cadres de la jeunesse. Ce discours, pris en sténo et recopié à la main par quelques volontaires, a circulé depuis lors dans de nombreux milieux.
« Nous, protestants, nous sommes attachés à notre liberté de pensée et de conscience. Mais aujourd’hui, je le dis avec gravité, notre conscience nous dicte qu’il faut nous en tenir à une seule pensée. Nous ne pouvons plus prononcer qu’un seul mot, qui devient notre mot d’ordre, celui que Marie Durand 2 avait, à l’aide du manche de sa cuiller, gravé sur le mur de la cellule de la tour de Constance où elle fut détenue durant plus de trente ans pour avoir obéi à sa conscience : Résister. Ce mot est à la mode, me direz-vous ? Eh bien, oublions, pour une fois, notre austérité de huguenots et suivons la mode de grand cœur ! »
La position du pasteur Boegner, rapporte Témoignage Chrétien, s’explique d’autant plus qu’il a été reçu par Laval le 15 octobre et lui a demandé de mettre fin aux déportations, ou du moins à l’aide apportée par l’administration française aux déportations. Il a fait le récit de cet entretien à des proches, que la revue s’abstient d’identifier : « Que pouvais-je obtenir d’un homme, a ajouté le pasteur, à qui les Allemands ont fait croire, ou qui fait semblant de croire, que les Juifs emmenés de France vont en Pologne du Sud pour y cultiver les terres de l’État juif que l’Allemagne affirme vouloir constituer ? Je lui parlais de massacre, il me répondait jardinage. »

Yougoslavie : massacres interethniques
Foča (Bosnie)
– Le commandant tchetnik Sergei Mihailovic (sans lien de parenté avec le colonel, entre temps devenu général) occupe la petite ville de Foča, au sud-est de Sarajevo, et massacre 300 habitants musulmans, accusés de sympathies pour les Oustachis. Cet épisode va durablement entacher la réputation des Tchetniks.


11 décembre
Collaborer, c’est aussi publier
Paris
– Lucien Rebatet et l’éditeur Robert Denoël se rendent à l’ambassade d’Allemagne pour soumettre à Otto Abetz le manuscrit des Décombres. Ils ont l’espoir d’obtenir l’imprimatur des occupants et le déstockage, dans la foulée, d’une allocation de papier pour un premier tirage de 50 000 exemplaires. Ils entendent d’abord, à la vérité, court-circuiter la censure française : Rebatet, qui déteste Laval, qualifié entre autres gentillesses de « bâtard d’un bougnat politicard et d’un Mongol prévaricateur », soupçonne le Président de continuer à cultiver, à toutes fins utiles, ses amitiés dans les anciens milieux politiques de la Troisième. Il pourrait être tenté de faire caviarder, sinon d’interdire, un livre qui dénonce avec une violence sans frein les cadres de l’ancien régime et l’étrille lui-même de belle encre.
Abetz, alléché, leur promet une réponse sous huit jours. Il laisse entendre que l’ambassade pourrait contribuer au succès du livre en se portant acquéreuse de plusieurs milliers d’exemplaires.


15 décembre
Etudes de guérilla
Nulle part, près de Djidjelli (Kabylie)
– Des officiers yougoslaves et français s’entraînent dans une base secrète organisée par le 2e Bureau, où ils reçoivent une formation de radios et d’instructeurs de guérilla. Les Yougoslaves ont choisi un village kabyle pour l’entraînement aux opérations de rue. Ils ont en effet été frappés par la ressemblance entre les villages algériens de l’intérieur, avec leurs pauvres maisons basses et leurs ruelles, et les villages de Macédoine ou du Kosovo.


16 décembre
Sémantique de la Résistance…
Lyon
– Georges Bruni, obscur journaliste 3 au secrétariat de rédaction du Temps, qui continue de paraître entre Saône et Rhône, remet, autour d’un mâchon, un rapport sur la situation de la Presse française de Métropole à l’un de ses amis. Il sait cet ami, comme il en plaisante lui-même, « en relations avec des gens qui ne sont pas sans rapports avec des personnes qui ont peut-être des connaissances qui ne seraient pas sans avoir, croit-on, quelques accointances avec Alger ». Ce rapport, confié le soir même à un “pigeon voyageur” du BCRAM désigné pour le prochain tube 4, sera sur le bureau de Jean Zay avant le Nouvel An.
Très bien placé pour suivre les journaux de province, Bruni souligne que l’on constate, depuis le début de l’automne, un infléchissement de la tonalité des articles politiques : « Je note que mes confrères, écrit-il, semblent s’affranchir, non pas des consignes du gouvernement de Paris – ils n’en ont pas la possibilité – mais du conformisme qui les engluait depuis l’été 1940. On les sent plus libres, moins soumis au pouvoir. À l’évidence, cette tendance s’est amplifiée et confirmée avec l’entrée des États-Unis dans la guerre il y a quelques jours. On commence à comprendre, même si les nouvelles ne paraissent pas bonnes a priori, que l’Axe ne gagnera pas, qu’il ne peut plus gagner, qu’il sera vaincu. En un mot, on a moins peur. »
Et Bruni ajoute des précisions d’ordre sémantique qui explicitent son propos : « Ainsi, je relève de plus en plus souvent la disparition des guillemets pour Alger (entendu au sens de l’entité gouvernementale) et, quelquefois, la substitution du mot dissidents au mot terroristes pour rendre compte des actions de la Résistance. J’ai même lu une expression significative par sa neutralité, les adversaires du gouvernement du président Laval et des Occupants, sans nul guillemet, sous la plume de deux confrères pourtant réputés amis de l’ordre, et qui ne s'étaient probablement pas concertés. »
Il conclut : « C’est peu, pensera-t-on sans doute, mais, qu’on me croie, c’est déjà énorme ».


17 décembre
C’est de l’hébreu ?
Paris
– Le commissaire central du 16e arrondissement, Louis Glouzier-Meinhard, signale à la Préfecture de Police que deux de ses gardiens de la paix ont trouvé, sur un banc du square Lamartine, un exemplaire d’un journal en caractères hébraïques. La publication se présentait sous la forme d’un feuillet plié en deux, de manière à former quatre pages petit format. Selon l’un de ses inspecteurs, Arsène Hister, originaire de Mulhouse, « expert en synagogue », ajoute Glouzier-Meinhard, le titre de ce factum à l’aspect de prospectus, assez peu lisible pour cause de stencil défaillant, serait en yiddish : d’koïmpfind ghetta 5.
Fonctionnaire blanchi sous le harnois, habitué à refiler le mistigri à d’autres et mal persuadé in petto, de la légitimité du NEF, Glouzier-Meinhard demande des instructions tout en faisant part de son étonnement : les juifs qui habitaient avant la guerre les “beaux quartiers” ne parlaient guère le yiddish, apanage plutôt du prolétariat des tailleurs, des confectionneurs à domicile et des casquettiers de Belleville, de Ménilmontant et de la rue des Rosiers 6. Pour mieux se débarrasser de l’objet en question, il envoie l’une des hirondelles 7 de son commissariat le porter au cabinet du préfet.


19 décembre
Décombres
Paris
– Otto Abetz, trop heureux de faire toucher du doigt à Pierre Laval les limites de son pouvoir, donne son feu vert, à l’heure du porto de la fin d’après-midi, à la publication des Décombres de Lucien Rebatet. Allant au devant des desiderata de Robert Denoël, il alloue une allocation de papier qui correspond à un tirage initial de 60 000 exemplaires. Mieux : afin d’éviter que Pierre Laval ne tente de s’en mêler, Abetz s’est arrangé, de son propre chef, pour que le livre soit tiré en Belgique, chez un imprimeur de Namur qui milite au Rex. Compte tenu des délais incompressibles de fabrication (impression puis brochage) et de la perturbation des circuits de distribution depuis la fin des combats, l’ouvrage pourrait être mis en vente au tout début de mars 1942 sur l’ensemble du territoire métropolitain, puis à l’étranger (Suisse, Belgique et Luxembourg d’abord) à partir du 2 ou 3 avril.
Bien entendu, Abetz s’est abstenu d’indiquer à ses visiteurs que la Wilhelmstraße et le Propaganda Ministerium, pour une fois en harmonie, se sont entendus pour faciliter l’achat et l’envoi de milliers d’exemplaires en Europe centrale – où les lecteurs francophones demeurent nombreux, en particulier en Roumanie et dans le Gouvernement général – et pour accélérer la traduction du brûlot de Rebatet. Il importe, ont estimé de concert Josef Goebbels et Joachim von Ribbentrop, de répandre au plus tôt l’image négative d’une France avilie et veule que ce pamphlet, par ailleurs écrit de main de maître, véhicule sans nuance : même ses pires ennemis reconnaissent à Lucien Rebatet de la patte et du style, quitte à le traiter, dans la foulée, de vendu et de salopard.
Robert Denoël, qui a ses petits secrets, a imaginé, lui, une manigance – plutôt, à dire le vrai, une combine – pour que quelques dizaines d’exemplaires des Décombres puissent aussi parvenir à Alger, apportés, via Madrid, par d’improbables autant qu’insoupçonnables “pigeons voyageurs”. L’éditeur estime que Radio Alger, que ce soit Les Français parlent aux Français ou Lettre chargée (l’émission du poète Max-Pol Fouchet, animateur de la revue Fontaine), ne manquera pas d’en dire pis que pendre. Il obtiendra ainsi une publicité aussi efficace que gratuite en Métropole comme de l’autre côté de la Méditerranée où, de l’avis de Denoël, qui sait son monde, quelques patriotes d’extrême-droite, qui ne servent qu’à contrecœur sans doute sous les drapeaux de la République, en prendront bonne note, en attendant de pouvoir se procurer l’ouvrage… « Un livre dont on parle, même en mal, est un livre qui se vendra, professe-t-il depuis toujours. Le dénigrement, c’est de la réclame gratuite. »
Incidemment, Otto Abetz a appris à Rebatet et Denoël que Gabriel Péri a été fusillé le 15, dans la cour de la prison du Cherche-Midi. Il leur a laissé entendre, habile à pêcher en eau trouble, que cette exécution répondait aux vœux du Kremlin : « Le Führer, messieurs, vous le comprendrez, devra faire les yeux doux à Staline pendant quelque temps encore ». Au Kremlin, selon ses dires, l’on souhaitait se débarrasser d’un dirigeant taxé depuis longtemps de nationalisme “petit-bourgeois” dans les couloirs du Komintern. La nouvelle de la mort de Gabriel Péri, répandue dans la soirée au hasard des dîners en ville par l’écrivain et par son éditeur, sera connue dès le surlendemain à Alger.


20 décembre
Feu Gabriel Péri
Paris
– La censure du NEF interdit aux journaux et à la radio de reprendre la dépêche Havas-OFI sur l’exécution de Gabriel Péri diffusée dans la matinée. Ce texte, précise le communiqué du ministère de l’Information qui la suit immédiatement sur les téléscripteurs, est réservé aux rédactions, aux dirigeants politiques et à la haute fonction publique. L’OFI, sur consigne de Gabriel Jeantet, qui souhaitait que la nouvelle puisse être rendue publique, s’était pourtant contenté de quatre lignes purement factuelles “de bonne source”.

Problèmes de transport
Istanbul
– Koča Popović, émissaire de Tito, joue de malchance. Alors qu’il espérait prendre un avion pour Alger (par Beyrouth, Le Caire, Tripoli et Tunis), il apprend que tous les vols vers la Méditerranée occidentale sont annulés jusqu’à nouvel ordre. En fait, le passage du convoi Long Sword vers l’Extrême-Orient provoque une intensification des opérations navales et aériennes fort dangereuse pour un avion civil.


Notes

1 Sept curés et chanoines, partisans du Nouvel Etat Français, se sont refusé à en donner connaissance aux fidèles. Mgr Saliège, qui ne plaisante pas avec la discipline ecclésiastique malgré son souci de charité, a juré qu’ils ne perdaient rien pour attendre.
2 Marie Durand (1711-1776), fille de pasteur et épouse d’un remonstrant, fut internée durant trente-huit ans dans la tour de Constance, à Aigues-Mortes, pour participation aux assemblées et cultes clandestins des calvinistes du Vivarais, alors sous le coup de la révocation de l’édit de Nantes comme tous les protestants du Royaume.
3 Mais sportif fort connu. Il fut l’un des dirigeants qui firent pénétrer dans le monde moderne le rugby français, longtemps aussi archaïque dans ses structures que dans son jeu.
4 C’est le nom qu’on donne à la liaison Métropole - AFN (exceptionnellement Métropole – Grande-Bretagne) par sous-marin.
5 “Le Ghetto combattant”. En Hochdeutsch, on écrirait das kämpfende Ghetto.
6 D’où la plaisanterie (juive) en vogue dans les années 30 : « Qu’est-ce qu’un israélite ? C’est un juif du 16e. »
7 Pour nos plus jeunes lecteurs : agent cycliste (du nom d’une marque de vélos des années 20 et 30).
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Sam Avr 14, 2012 10:32    Sujet du message: Répondre en citant

21 décembre
Gabriel Péri, RIP
21 décembre
Le drame de Tulle
Tulle (France occupée) –
Le marché de la Saint-Pierre
Jeune médecin, le Dr Heinz Burgdorf avait participé au congrès mondial de Médecine organisé à Saint-Pétersbourg en 1905. Impressionné par le fait qu’avec l’allemand, le français était la principale langue parlée par les congressistes de tous les pays, il avait décidé que son fils – qui serait médecin, bien sûr – apprendrait cette langue de communication scientifique. Ernst Burgdorf parlait donc un excellent français. Mais son parcours professionnel avait été modifié par la venue au pouvoir d’Adolf Hitler : ses études de Médecine interrompues, Ernst était aujourd’hui officier dans la Heer, l’Armée de Terre allemande. Néanmoins, dans sa sagesse, l’Armée n’avait pas oublié qu’Ernst parlait fort bien le français et avait été chercher le lieutenant Burgdorf dans un cantonnement près d’Athènes, souvent bombardé mais ensoleillé… pour l’expédier rafler des cochons sous une pluie glacée dans les campagnes françaises. La promotion qui avait accompagné cette mutation ne le consolait pas.
– Et le pire, se disait le capitaine Burgdorf, écœuré, c’est que je dois rafler des cochons en compagnie d’un cochon…
En cette froide matinée de décembre, Burgdorf avait avec lui non seulement une vingtaine de ses hommes, mais une quinzaine de membres de la Garde de Sécurité Economique (la milice du RNP de Marcel Déat, ministre de l’Economie et du Travail) et autant d’hommes des Sections Spéciales de Lutte contre les Activités Anti-Nationales (la milice du PPF de Jacques Doriot, ministre de l’Intérieur et de la Reconstruction Nationale). Le chef des Gardes Economiques, en uniforme gris, était effectivement rond et rose comme un porcelet. Il refusait de comprendre que le français d’Ernst était excellent et tentait de baragouiner un allemand infect, pour montrer sa supériorité sur le chef des Reconstructeurs, en uniforme brun (le noir avait été préempté par le Service d’Ordre du Nouvel Etat Français commandé par Joseph Darnand, fidèle entre les fidèles de Pierre Laval, le chef du dit Nouvel Etat).
– Heureusement que nous sommes là, Herr Kapitan ! Tous ces grippe-sous de paysans sont venus au marché de la Saint-Pierre pour faire des affaires avant Noël comme si de rien n’était, et l’administration pourrie que nous avons héritée du régime des Juifs Communistes se serait contentée de prélever un œuf ici ou là, alors que leurs fermes regorgent d’animaux et de récoltes !
– Il faudrait que la Reconstruction Nationale installe un bureau à demeure dans chaque chef-lieu, pour tenir en laisse tout ce beau monde, cracha le chef des “Croisés de la Reconstruction” (comme les appelait Doriot), un personnage aux cheveux gominés et à la lèvre ornée d’une fine moustache. Monsieur Doriot, qui m’honore de sa confiance, m’a laissé entendre que c’était bien son intention !
Souhaitant être sourd, Ernst Burgdorf observait les uniformes gris et bruns qui prélevaient énergiquement “l’Impôt de Solidarité Européenne” et transféraient bestiaux, volailles, sacs de farine et autres pommes de terre à quelque distance, dans un enclos gardé par la moitié de ses soldats, sous la houlette d’un sergent.
Les premières détonations éclatèrent de ce côté.
Les réflexes affûtés par ses campagnes du printemps précédent, Burgdorf réagit très vite. Alors que la population affolée disparaissait dans les maisons entourant la place du marché, il se dirigea vers l’enclos à la tête des hommes restés avec lui – mais l’expérience des combats de rue lui dictait d’être prudent et de rester à couvert. Ils n’avaient pas fait cent mètres qu’ils virent arriver une demi-douzaine de leurs camarades, courant l’arme au poing, en lâchant derrière eux quelques coups de feu pour couvrir leur retraite. Le sergent n’était pas avec eux.
– Ils sont toute une bande, mon capitaine ! Et bien armés !
Burgdorf ne perdit pas de temps à s’interroger sur le sort du sergent. Des tirs éclataient maintenant un peu partout dans les rues, dans tous les coins où les vaillants miliciens de l’Economie et de la Reconstruction accomplissaient bravement leur besogne quelques instants plus tôt. Tout autour, les maisons s’étaient refermées, leurs balcons typiques déserts, leurs portes cadenassées. De nouveaux coups de feu claquèrent, tout près cette fois, une balle sifflant même aux oreilles de Burgdorf. Sur le boulevard, lui et ses hommes faisaient de bonnes cibles. Et il sentait bien que les portes risquaient de ne pas s’ouvrir pour lui – encore heureux que personne ne soit déjà en train de les ajuster d’un balcon.
– A la Préfecture ! hurla-t-il. Les miliciens avaient établi là-bas leur quartier général. Les Allemands s’élancèrent, entraînant dans leur sillage le type du RNP, toujours rondouillard, mais aussi gris que son uniforme. En chemin, ils aperçurent plusieurs cadavres de miliciens, dont celui de l’homme du PPF, qui avait la confiance de Doriot – Burgdorf se rendit compte qu’il avait déjà oublié son nom. A la Préfecture, il fallut menacer les miliciens qui l’occupaient de leur balancer des grenades pour qu’ils ouvrent. Le premier soin du capitaine fut d’improviser une défense du bâtiment. Le type du RNP s’était précipité sur le téléphone, mais celui-ci – comme s’en était douté Burgdorf – était coupé.
Néanmoins, personne ne tenta de donner l’assaut. Quelques heures plus tard, quand des renforts arrivèrent, alertés par l’absence de nouvelles et la coupure téléphonique, Ernst Burgdorf put sortir sans encombre de la Préfecture. Il découvrit une ville d’où tous les produits agricoles apportés au marché le matin avaient disparu – « emportés par les brigands » répondaient les habitants interrogés.
Aucun d’entre eux, comme de juste, n’admit avoir lu les tracts qui jonchaient toujours les pavés : « Paysans français ! Ne laissez pas des traîtres envoyer en Allemagne le produit de votre travail pour nourrir l’oppresseur, alors que des enfants français vont souffrir de la faim à Noël. Pas une vache, pas un litre de lait, pas un épi de blé pour Hitler ni pour l’Allemagne ! » Cette proclamation était signée d’un mouvement encore inconnu : le Comité Patriotique des Travailleurs et Paysans. L’appellation avait quelque chose de communiste, se dit Ernst. Pourtant, le PCF clandestin était censé observer une certaine neutralité envers l’occupant en raison du Pacte germano-soviétique…
A quelques kilomètres de Tulle, les “ brigands” et leur chef, George Guingouin, trinquaient à leur réussite. Ils avaient abattu six Allemands et six traîtres, en ne perdant que trois hommes, dont les corps avaient pu être emportés. Et les paysans s’étaient empressés de récupérer veaux, vaches, cochons et couvées pour les cacher au plus profond de la campagne. Le Peuple avait repris son Bien !


Gabriel Péri, RIP
Alger
– Annoncée en début d’après-midi par une dépêche d’Havas Libre, qui cite « des sources sûres » et que suit une biographie en deux feuillets, la mort de Gabriel Péri est traitée en plus d’une minute et demie par le journal du soir de Radio Alger. Elle est ensuite commentée, au cours des Français parlent aux Français, par Henri de Kérillis et Hubert Beuve-Méry. Tous deux saluent un confrère qui faisait honneur à leur métier de journaliste sans renier ses convictions. Dans une courte interview, Léon Blum rend également hommage à « un compagnon de route difficile 8, un adversaire loyal, un patriote internationaliste, une grande intelligence et un homme que j’estimais. »


22 décembre
Gabriel Péri, RIP ?
Paris
– Gabriel Jeantet adresse une lettre confidentielle à Pierre Laval en sa qualité de ministre de l’Information. Il souligne que l’embargo imposé sur la nouvelle de la mort de Gabriel Péri a interdit aux médias de Métropole de riposter à Alger. « Nous aurions pu mener à loisir, écrit-il, une grande opération contre les communistes, et fourrer la soi-disant République des hommes de l’Ancien Régime dans le même sac. Nous sommes, hélas, réduits au silence par une décision inconsidérée. Je l’avais déconseillée. Je la déplore. »


23 décembre
Résistance culturelle
Paris
– Le dessinateur Jean Bruller, au hasard d’une promenade avec sa femme à l’ombre des tours de Saint-Sulpice, trouve enfin le nom de la maison d’édition clandestine qu’il est en train de créer avec l’un de ses amis, Pierre de Lescure, lui aussi dessinateur et, en outre, journaliste : ce sera les Éditions de Minuit.
Le premier texte qu’ils publieront – « Aux dépens d’un patriote », indiquera le livre pour mieux égarer les policiers du NEF et la Gestapo – est un récit d’une densité d’exception, Le Silence de la Mer. Sous l’apparence de l’histoire d’un amour impossible, il dénonce surtout les illusions de ceux qui, par irénisme ou par idéalisme, veulent croire encore à la possibilité de l’entente avec les Allemands “convenables”. L’auteur, peut-être un écrivain célèbre, l’a signé seulement d’un pseudonyme : Vercors. Le Silence de la Mer est en cours de tirage, cahier par cahier, chaque nuit, chez un imprimeur du 13e arrondissement. Quelques femmes de bonne volonté les assembleront à la main, à l’ancienne. Le livre est dédié à Saint-Pol Roux, « poète assassiné ».


24 décembre
Redéploiement allemand… sous l’œil de la Résistance
Alger
– Soir de Noël oblige, il y a moins de messages personnels que d’habitude à la fin des Français parlent aux Français : à peine quatre. L’un d’eux, « les Ranjikis 9 sont forts, la forêt est à eux », signale au poste de Paris du 2e Bureau que l’État-Major de la Défense Nationale a bien reçu les informations sur les préparatifs de réorganisation des garnisons allemandes de Métropole alors que se prépare l’envoi massif d’effectifs vers l’est.
La plupart des unités seront redéployées entre Calais et Nantes, face à la Grande-Bretagne, d’une part, et, d’autre part, sur la longueur de la côte de la Méditerranée. Pour le reste, à l’exception de Paris et de Lyon, et des ports confiés à la garde de la Kriegsmarine, les Allemands se contenteraient d’un bataillon, d’une compagnie parfois, par chef-lieu de département, avec l’aide d’un détachement mixte du SD et de la Gestapo. Les documents en question ont été photographiés dans un bureau de l’hôtel Meurice par deux officiers français travestis en techniciens des PTT – ils utilisaient un Minox, bien entendu : nul ne fait mieux que cette merveille de la technique allemande.


25 décembre
Le drame de Tulle
Tulle (France occupée)
Les Pendus de Noël
– Herr Käpitan !
Le Garde Economique ressemblait toujours autant à un goret, et son allemand était toujours aussi mauvais – il aurait dû dire Herr Hauptmann, un Käpitan est capitaine dans la marine.
– Pourriez-vous dire à Herr Général que les unités de la Garde de Sécurité Economique et des Sections de Lutte contre les Activités Anti-Nationales ont perdu six hommes, et non cinq. Avec vos six hommes, cela fait douze, donc à raison de trois otages pour un de nos morts, ce n’est pas trente, mais trente-six otages qu’il faut…
– Veuillez lire attentivement l’affiche, Monsieur le Contrôleur, énonça Ernst Burgdorf en français, soignant particulièrement son accent. Le compte est exact.
L’affiche apposée à l’aube sur tous les murs de la ville l’énonçait en effet clairement, en allemand et en français : « Six soldats allemands ont été lâchement assassinés le 21 décembre par des brigands et des espions à la solde des ennemis communs de l’Allemagne et de la France. Le Commandement des Forces d’Occupation du Limousin a immédiatement fait prendre quatre-vingt-dix-neuf otages dans les milieux suspects de la population. Celle-ci n’ayant pas, malgré les demandes instantes du Gouvernement français, apporté à l’Armée allemande la preuve de sa collaboration dans la lutte contre les brigands, le Commandement des Forces d’Occupation du Limousin se voit obligé de faire exécuter ce jour cinq otages pour chacun des soldats allemands abattus, soit trente otages, qui ont été désignés par tirage au sort la nuit dernière. »
Des miliciens tués, il n’était pas question…
Burgdorf avait naturellement été désigné comme l’interprète du général Paul Hoffmann, envoyé « régler la question » à la tête d’un grand déploiement de forces. Les rues de Tulle étaient pleines de soldats et de miliciens et depuis deux jours, deux Fieseler Storch de reconnaissance sillonnaient le ciel en permanence… du moins, chaque fois que la neige cessait de tomber. Le colonel grimaçait en lorgnant par la fenêtre le ciel bouché quand Burgdorf entra dans son bureau. Il savait bien que, dans ces conditions, l’opération de nettoyage ne donnerait rien. De plus, il fallait qu’il reçoive le maire et l’évêque de Tulle, et cela n’arrangeait pas son humeur. Le filtre de la traduction de Burgdorf était le bienvenu.
– Mon général, plaida l’évêque, vous ne pouvez pas exécuter des malheureux choisis au hasard. Et encore moins un jour comme aujourd’hui ! C’est Noël, mon général !
– Dans une affaire pareille, répondit automatiquement le général, qui avait évidemment préparé sa réponse, c’est toute la population qui est responsable. Elle ne nous a pas aidés. Les otages tirés au sort représentent cette population. Et une exécution le jour de Noël ne fait que souligner notre détermination. Croyez-vous que les Anglais s’abstiennent de tuer nos soldats aujourd’hui ?
– Dans ce cas, dit le maire, qui était devenu très pâle, il est de mon devoir de vous demander d’exécuter le représentant légal de la population, c’est à dire moi-même, et non des habitants quelconques. Je vous le demande, mon général, comme… une véritable faveur.
Le général ne s’attendait peut-être pas à cela, mais il avait la réponse.
– Cette proposition vous honore, Monsieur le Maire. Mais j’ai des ordres : l’administration municipale ne doit pas être perturbée. Vous relevez de votre ministère de l’Intérieur.
Ce qui n’était pas forcément préférable.
– Les otages seront-ils fusillés sur la place du Marché, mon général ? demanda Burgdorf lorsque les deux Français furent repartis, tête basse 10.
– Sûrement pas. Que ferions-nous de trente cadavres allongés sous la neige ? Il nous faut quelque chose qui marque les esprits. Ils seront pendus sur le boulevard, et les corps resteront exposés un bon bout de temps, pour l’exemple. Par ce froid, pas de problème !
– Pendus, mon général ? Mais pendus à quoi, si je peux me permettre ? Il faudrait construire des gibets…
– Faites preuve d’imagination, Burgdorf. C’est l’envoyé de la Gestapo qui m’a donné l’idée. Ils seront pendus aux balcons. Aux si jolis et si typiques balcons du boulevard…
Ce soir-là, Burgdorf eut quelque mal à s’endormir. « Si l’Allemagne est vainqueur, cette affaire sera enterrée, se disait-il. Mais si les Alliés gagnent, elle figurera dans les livres d’Histoire. » Il voyait déjà le titre : « Les Pendus de Noël ». Il n’aimait pas l’idée d’y avoir joué un rôle 11.



26 décembre
Le drame de Tulle
Justice sera faite
Paris, 01h30 – Des consignes du ministère de l’Information publiées en urgence par Havas-OFI interdisent formellement aux journaux et à la radio de diffuser quoi que ce soit à propos de la tragédie de Tulle, ne serait-ce que par allusion. « Le Président, indique le ministère, se réserve de donner lui-même, en temps utile, ses commentaires sur ces faits regrettables qui vont à l’encontre de sa politique. »
Comme par compensation, les quotidiens du 27 devront titrer : « La France fera ripaille au Nouvel An » ou « Le gouvernement a pensé à nos réveillons ». Les largesses sans ticket du NEF, à acquérir à prix taxés entre le 28 et le 31 décembre, ne dépassent pas, pourtant, 200 grammes de veau ou de mouton (avec os), 200 grammes de pommes de terre ou 300 grammes de carottes par allocataire. Le bœuf – 150 grammes sans os mais avec le ticket BN 35 – reste à prix libre. Il faut y ajouter un œuf par personne, en principe, un quart de litre de lait et 120 grammes de farine : les Français pourront manger un gâteau si les approvisionnements des magasins tiennent leurs promesses – incertitude que les journalistes sont priés, sans ambages, de passer sous silence, dans le Midi en particulier, moins favorisé que les régions du Nord et de l’Ouest par la Nature. « Les livraisons de rutabagas et de topinambours, devront préciser les articles, ont dépassé toutes les espérances. »
Alger, 06h15 – La nouvelle des pendaisons de Tulle commence à se répandre grâce à une suite d’erreurs de manipulation – ou plutôt par l’action délibérée de Résistants, voire de partisans du NEF écœurés ou de neutres qui affichent discrètement leurs sympathies. En fait, la dépêche Havas-OFI à propos des consignes du ministère de l’Information a été jointe – par pure maladresse, va plaider Gabriel Jeantet : un opérateur, obéissant au seul souci d’économie des consommables, a réutilisé une bande déjà en partie perforée – à un message de service émis à 02h55 pour le central télégraphique (l’harmo, en argot de technicien) de Berne au sujet de problèmes de réception de l’agence Stefani. Suivant la procédure courante, ce message a dû transiter par le desk de l’Agence Télégraphique Suisse (ATS-SDA). Par coïncidence ou non, l’ATS (qui, elle aussi, excipera d’une maladresse) a fait figurer la dépêche, sans y changer une virgule, dans son service par radio-téléscripteur réservé aux postes diplomatiques suisses à l’Étranger. Havas Libre, à Alger, capte ouvertement ce service (et le cite parfois).
08h15 – Arrivé depuis une demi-heure, Pierre Brossolette prépare la conférence de rédaction de la matinée en dépouillant les journaux et dépêches de la nuit. François (Ferenc) Andréanyi, un Franco-Hongrois chef du service des Écoutes 12, fait irruption dans son bureau sans même frapper : « Monsieur le directeur, regardez donc ce que les Suisses ont balancé tout à l’heure ! »
08h20 – Brossolette décroche son téléphone et compose le numéro de la ligne directe de Jean Zay. À sa surprise, le ministre confirme – « Oui, nous le savions » – sans lui révéler que l’affaire de Tulle était déjà connue du 2e Bureau. Elle a fait l’objet d’un compte-rendu Enigma envoyé de Paris à l’OKW, qui a été reçu et déchiffré en Afrique du Nord et en Grande-Bretagne (ce que Zay lui-même ignore). « Voilà les premiers éléments dont je dispose, ajoute le ministre. Tirez-en au plus vite un service abondant si vous le pouvez. »
08h30 – Brossolette, son rédacteur en chef Fernand Pommard et François Andréanyi se penchent sur un journaliste presque débutant mais doué d’une bonne plume, Marc-Henri Saint-Véran, assis devant sa machine à écrire. Tous quatre s’attellent à l’écriture du service sur la tragédie de Tulle qui comporte d’abord deux bulletins à 08h32, suivis de deux urgents, tous quatre « de source sûre ». Le programme rédactionnel prévoit ensuite un développement, un commentaire (que, fait exceptionnel, Pierre Brossolette signera en personne), des réactions en Afrique du Nord et à l’Étranger et, si possible, une reconstitution du film des événements. Il est signifié aux abonnés à 08h40.
08h45 – Les urgents d’Havas Libre sur Tulle sont repris par le service international de Reuters, puis par les agences américaines.
08h55 – Un urgent d’Havas Libre annonce que Paul Reynaud s’adressera aux Français à 20 heures au micro de Radio Alger.
09h00 – Brossolette ouvre la conférence de rédaction : « Messieurs, vous comprendrez que je vous demande, en raison de l’événement que vous savez, d’être brefs. »
09h50 – L’agence espagnole EFE reproduit, en traduction intégrale, les deux urgents d’Havas Libre. Franco lui-même, toujours équilibriste, en a donné l’autorisation.
12h30 – Le “journal parlé” de Radio Paris est intercepté à Alger. Le speaker annonce que « le président Laval s’adressera au pays ce soir à 20 heures pour entretenir les Français de l’actualité récente. »
Buenos-Aires, Rio de Janeiro, Montevideo, Santiago du Chili, Mexico, etc. – En raison du décalage horaire (cinq à neuf heures), les informations sur le drame de Tulle sont diffusées dans la journée par l’ensemble des journaux et radios d’Amérique Latine – même par ceux qui affichent, en général, des positions favorables à l’Axe.
Paris, 20h00 – Le discours de Laval s’en prend aux « terroristes manipulés par l'Etranger » qui « provoquent des représailles hélas justifiées. » Il répète sa formule déjà trop fameuse : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, je le redis, car, sans elle, le monde serait dominé par la ploutocratie judéo-capitaliste des Anglo-Saxons et par les anarchistes 13 qui s’installeraient partout. »
Alger, 20h00 – Paul Reynaud, après avoir révélé à ses auditeurs l’horreur de la tragédie de Tulle, appelle à venger les victimes, avant de conclure : « La France, je le dis avec gravité, demandera justice à ces bourreaux. Aux hommes qui ont commis le crime comme à ceux qui leur ont donné les ordres. Aux généraux des troupes d’occupation comme aux chefs de l’Allemagne nazie qui ont laissé faire les criminels, si même ils ne les ont pas encouragés. Ils seront punis, tous, aussitôt que la Victoire les aura fait tomber entre nos mains. Un procès les attend. Qu’ils commencent déjà à préparer leur défense. Ils en auront besoin. »
Le lendemain, les “contrôles radioélectriques” parisiens indiqueront qu’à 71%, les auditeurs de Métropole ont préféré écouter Paul Reynaud plutôt que Pierre Laval 14.


31 décembre
Le drame de Tulle
Des images qui marquent
Madrid – Le régime franquiste se satisfait d’une situation baroque qui répond à l’ambiguïté de sa politique. Pierre-Étienne Flandin, qui représente le Nouvel Etat Français dans la capitale espagnole, porte le titre d’ambassadeur de France. Non moins accrédité, André François-Poncet, lui, doit se contenter d’être qualifié par le protocole et les Affaires étrangères franquistes de “haut représentant de la République française”, mais il bénéficie des mêmes privilèges et immunités, et il reçoit les mêmes égards. Flandin occupe l’ambassade, calle Salustiano Olozaga. François-Poncet a décidé de s’installer dans les locaux du consulat général, calle Marqués de la Enseñada. Il n’y a pas beaucoup plus de 500 mètres entre les deux bâtiments qui arborent le même drapeau tricolore : tout juste l’intervalle entre deux stations de métro. Officiellement, on s’ignore. Mais officieusement, on sait recourir à des truchements discrets, ressortissants de pays neutres et tout prêts, par nature pour ainsi dire, à fournir leurs bons offices.
C’est l’un de ces messagers, membre marginal, pour cause de mariage morganatique, d’une famille de premier plan d’Europe du Nord où l’on ne renie pas ses racines françaises, qui remet à François-Poncet un paquet arrivé le matin même chez Flandin par la valise diplomatique de Paris : dans sa boîte métallique, la bobine d’un film tourné le 25 décembre à Tulle, par un gendarme semble-t-il, à l’insu des Allemands. Au paquet est joint un très bref message de l’attaché militaire de Flandin, le colonel (air) Malaise : « Je suis convaincu, monsieur l’ambassadeur, que Votre Excellence saura faire le meilleur usage de ce film. » Visionnée d’urgence dans des conditions qui défient la logique, la bande part dans la soirée pour Alger via Lisbonne, privant de réveillon le courrier qui en est chargé.
Le film du gendarme, héros anonyme, sera vu par Albert Lebrun et le gouvernement tout entier, puis, dès les premiers jours de janvier 1942, par les parlementaires de l’Assemblée nationale et le corps diplomatique au cours d’une séance privée dans le plus grand cinéma d’Alger, le Lux. Trois feuillets de Havas Libre en détailleront le contenu. Après un débat en Conseil des Ministres, Jean Zay obtiendra que plusieurs extraits en soient intégrés à la prochaine livraison des actualités par Marcel Ichac. Des clichés photos en seront tirés pour publication par la presse d’Afrique du Nord. Sans barguigner, le film sera mis gratuitement à la disposition de Pathé Gazette et des Newsreel, mais aussi des actualités suisses, suédoises, espagnoles, portugaises et turques.
L’affaire démontre que la Résistance a su noyauter jusqu’aux plus hauts niveaux des ministères du NEF. Elle indique aussi, plus spécifiquement, l’existence – encore inconnue du 2e Bureau – d’une chaîne de dissidents entre le ministère de la Guerre de Paris et les quelques attachés militaires qui en dépendent.
Mais pour le moment, le plus important est que le retentissement de ces images dans l’opinion mondiale, et d’abord américaine, sera immense – il l’est encore de nos jours…


Notes

8 Ce qui démontre, une fois de plus, que Léon Blum a bien de l’esprit – mais peu de gens l’ignoraient.
9 Les Ranjikis sont des personnages imaginaires d’un des bans parlés si à la mode entre les deux guerres : « Les Ranjikis sont forts, la forêt est à eux / Leur cœur est plus farouche que la flamme des cieux. »
10 Le sénateur-maire Jacques de Chammard démissionnera au début de 1942 et sera emprisonné en 1943. Sa démission, son emprisonnement et son attitude digne dans la tragédie de Noël lui feront pardonner de n’avoir pas rejoint Alger en 1940.
11 Le général Paul Hoffmann et sa 342e DI seront envoyés en Yougoslavie au printemps 1942, puis sur le front soviétique à la fin de cette année. La 342e DI sera détruite dans les combats de l’été 1944 et son chef fait prisonnier. Les Français et les Yougoslaves, qui reprochaient à Hoffmann des faits analogues, demanderont en vain aux autorités soviétiques qu’il leur soit livré. Le destin d’Heinz Burgdorf est en revanche bien connu.
12 Chez Havas, le service des Écoutes se consacre, comme son nom l’indique, à écouter les radios d’information les plus diverses et à suivre, en outre, les dépêches des agences étrangères.
13 Le mot « communistes » a été rayé in extremis et remplacé par « anarchistes », qui ne risquait pas de gêner Berlin.
14 Certains historiens, notamment William L. Shirer, considèrent cette allocution, qui stupéfia Berlin, comme la première étape du processus qui a conduit aux procès de Nuremberg.


Dernière édition par Casus Frankie le Sam Avr 14, 2012 10:39; édité 1 fois
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