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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14421 Localisation: Paris
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Posté le: Jeu Déc 26, 2024 10:22 Sujet du message: |
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J'ai laissé passer notre Joyeux Noël à Tous, après les facéties du sergent Bonestu et la déception (tempérée quand même) du capitaine De Fresnay…
Bon, on y retourne. Ça se gâte ! (un peu) Et je vous signale l'intéressante réflexion sur la signification de "toute dernière extrémité".
26 juillet
La 3e DIM sur le terrain
Brebis
Riviera italienne – Les Italiens tenaient Vintimille et donnaient l’impression de ne pas vouloir la lâcher. Ganache en avant et poings sur les hanches, Benito l’avait assuré, tonitrué et asséné à la radio : la ville serait le tombeau des envahisseurs qui osaient profaner le sacro-saint sol de la Patrie. Comme les Carthaginois avant eux, ils sortaient d’Afrique pour connaître la défaite. Une nouvelle Zama les y attendait. « Vintimiglia sara un’altra Zama ! » Et patati et patata… Mouais. Bon, déjà, on ne voyait pas trop pourquoi la Tunisie s’invitait dans la Botte – effet d’une rhétorique par trop enthousiaste sans doute. Cependant, les rapports de patrouilles confirmaient que, sûrement en attente d’un nouveau Scipion, la ville se mettait en état de défense. Mais à part les pièces qui continuaient épisodiquement à donner de la voix dans les hauteurs – et celles-là, il allait falloir les dénicher – la cité ne se festonnait pas de canons pour autant. Et question pugnacité, y’avait à redire. Le hérisson transalpin avait du mou dans le piquant, voire frisait la calvitie. Le rempart du « bel paese » flirtait plus avec le mascarpone qu’avec l’acier suédois.
De Fresnay l’avait constaté lui-même lors de sa patrouille : tombés quasiment nez-à-nez – et inopinément – son groupe et celui d’en face avaient marqué un temps d’arrêt, avant que les Bersaglieri fassent marche arrière – sans leur tourner le dos, pas fous à ce point ! On ne s’était pas salués, mais on ne s’était pas flingués, c’était tout comme. Ça changeait des Landsers. Hélas, trois fois hélas, “ils” n’étaient pas tous de ce bois-là !
Après avoir copieusement – mais sotto voce, pour faire local – engueulé ses éclaireurs incapables d’avoir repéré l’ennemi, sans doute tapi à l’ombre de la végétation, vu l’heure, le capitaine avait opté pour un large crochet, fort content, comme ses hommes, qu’aucune tête brûlée d’un bord ou de l’autre n’ait fait parler la poudre. Bon, si la coopération n’était quand même pas allée jusqu’à la reddition – là, on tombait dans l’exagération – on pouvait cependant le regretter. C’était dommage, ça aurait sans doute fait l’affaire de tout le monde, c’est dire combien on avait été surpris ! Cela dit, on progressa avec plus de prudence encore. C’est que, d’un côté comme de l’autre, on pouvait s’emporter pour un rien. Fallait comprendre : par cette chaleur, chasser une mouche passait facilement pour un mouvement d’humeur. On courait le risque d’indisposer. Cette manie, aussi, de parler avec les mains : un geste malencontreux et on frôlait l’incident diplomatique. Suffisait d’un nerveux, et les échanges n’auraient plus rien de verbaux.
Les seuls Italiens rencontrés par la suite avaient été un couple de vieux, ridés et ratatinés par le soleil, qui n’avaient pas voulu évacuer leur pauvre chez eux – ou y étaient revenus après que leurs compatriotes eussent tourné le dos. Sans doute deux chèvres et puis quelques moutons, une année bonne et l’autre non, et comme sortie, tiens, on leur proposait maintenant de s’enfermer en ville ! Et donc, qui s’occuperait des bêtes ? Ils n’étaient sans doute pas l’exception du pays. Le regrettaient-ils à présent ? Plumés par « I Tedeschi », volés par « I Fascisti » et, pour la suite, tondus par « I Francesi » ? Tandis que ses soldats, aux aguets, scrutaient les alentours, De Fresnay tentait la discussion. Un peu de français, beaucoup de gestes, ça allait. Cahin-caha, mais on arrivait à dialoguer. De toute façon, on n’était pas là pour faire de grands discours. Les soldats ? Par là. Ou par là… Et peut-être aussi par là… D’autres personnes ? Non. Des parents ? Haussement d’épaules. Des voisins ? Un peu partout…
La bergerie ne contenait que ses occupants. Fatalistes, les deux ancêtres, malgré leur cataracte, regardèrent disparaître une des brebis. Une seule, avait fini par concéder le capitaine, qui, en échange, laissa à ses hôtes forcés deux paquets de gris et un cul de salami pointillé de miettes et de trucs indéfinissables. Force congratulations et remerciements accueillirent ces marques de savoir-vivre. On se sépara. La “mascotte” momentanée de la patrouille, instruite par quelque obscur pressentiment, tenta une échappée vite réprimée, avant de se murer dans un silence obstiné et bienvenu, quoique contraire à sa nature. Pour marquer sa réprobation et une forme de résistance, elle s’obstina un temps à tendre à tout bout de champ la dent vers des tiges plus sèches les unes que les autres. Un tantinet énervé, son gardien lui ligatura les pattes, la musela – car voilà qu’elle protestait, la bougresse ! – et la chargea sur son dos. A charge de revanche, les gars, chacun son tour, sinon, adieu navarin, côtelettes, souris et gigots ! Ou, pour faire court, pragmatique et polyglotte : arrivederci, méchoui !
Cette petite excursion avait quand même pris quasiment deux jours. On était allé jusqu’à donner la main – enfin, le petit doigt, voire même le bout de l’ongle du petit doigt – aux zouaves qui descendaient du nord. Juste un contact, avant de définir les zones de chacun, histoire de ne pas se marcher dessus. Pas de chance pour le mouton, on avait fait sa connaissance sur le chemin du retour.
Pendant ce temps, les autres compagnies donnaient des coups de sonde dans le dispositif adverse. Combats de rue en perspective ! Ça n’enthousiasmait guère – ni le troufion de base, ni le commandement !
27 juillet
La 3e DIM sur le terrain
A vos ordres, mon colonel
Vintimille-ouest – De son poste d’observation, Serviac découvrait le petit cours d’eau descendu des montagnes pour venir faire du gringue aux vagues.
La Roya. Techniquement, un fleuve. Pas le Rubicon, non. Pas le Rhin non plus, hélas ! Le niveau était bas, pas de quoi regretter le sort des ponts dont les fragments gisaient plus sur les galets que dans les flots paresseux. Un bel espace dégagé à traverser, sous le feu, peut-être. De l’autre côté de la rive abrupte, c’était toujours – ou encore – Vintimille. La partie “nouvelle”, puisqu’ici, dans son dos, c’était la vieille ville. Des rues étroites, parallèles, qui n’avaient pas donné de mal et n’avaient guère souffert. Ou si peu. Un ou deux mètres carrés de crépi écorné, de vénérables moellons martyrisés, des tuiles à changer, quelques volets troués, du verre brisé… Ah ! Et le clocher de San Machin volatilisé pour une obscure raison de tireur isolé… (Tic) S’il n’y a que ça ! Paraît qu’il y a un édifice baroque qui vaut le coup d’œil. Tiens, quand on aura le temps… Trois blessés, un seul mort, et encore ! Un civil ! Pas de chance, une balle qui ricoche et va se perdre pile dans une cuisine où les échos de l’accrochage en cours n’étaient même pas encore parvenus…
Pour la ville “nouvelle”, là, est-ce que ça serait du pareil au même ? Ils ne vont pas nous la jouer Camerone, quand même ! Voyons… Traverser le fleuve (Tic) là… et là… les blindés ici…Vont encore râler que leurs chenilles souffrent ! Jamais bien chaudes pour entrer dans une ville, les grosses boîtes. Surtout avec des rues de cette taille ! (Tic) Le camion de De Fresnay ici, pour appuyer ses hommes…
Ah ! La Royale est en place. Bien, bien. Espérons qu’elle n’aura pas à intervenir de façon trop… marquante. (Tic) Donner deux ou trois fois de la voix sur les positions repérées dans la montagne à l’arrière, histoire de montrer les muscles, a dit le colonel. Après, s’il faut s’en prendre à des constructions en face, là, libre aux Italiens de nous en fournir l’opportunité. Mais en haut-lieu, il paraît qu’on a décrété que ce ne serait qu’en toute dernière extrémité. (Tic). C’est combien d’hommes perdus, une toute dernière extrémité ?…
Alors, là, qu’est-ce qu’on a ? Des trous d’hommes… Une mitrailleuse ici, sans doute… Ou peut-être là. C’est vrai qu’ici, c’est trop évident…
– Mon commandant, le colonel au téléphone.
– Le colonel ? Passez-le moi… (Tic) Mes respects, mon colonel… Oui, oui, on est en place… On attend juste… Non, non… Les passages sont bien repérés… Pas de champ de mines à ce qu’il paraît… Que je… ? (Tic) Ha !… Ah… Bon, ben… bien. A vos ordres, mon colonel… Je fais le nécessaire… Mon colonel… (Tic)
Et merde ! Il en a de bonnes ! Renforcer la surveillance côtière ! Qu’est-ce que c’est encore que ce bazar ? Les Ritals vont nous faire Dragon ?
– Vous, là, trouvez-moi De Fresnay !
Bon … C’est pas tout… Quelle heure est-il ? Déjà ? Fichtre ! Et on doit entrer là au plus tôt ? Mais bon sang, j’ai pas tout mon monde, moi ! Et des bleus ! Un jour comme ça ! (Tic, tic, et re-tic)
– Où est Roumilly ?
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14421 Localisation: Paris
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Posté le: Sam Déc 28, 2024 10:44 Sujet du message: |
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28 juillet
La 3e DIM sur le terrain
Mars à l’avant
Vintimille – La nuit finissait. Tapi derrière un bloc de maçonnerie, les chevilles baignées par la Roya, De Fresnay tâchait de vérifier la position de ses hommes, attendant comme lui le signal de l’attaque. Il ne voyait rien. Enfin, mal. Il n’en voyait pas plus de l’autre côté. Le sergent El Mardi était là, juste à l’angle, surveillant la rive opposée. Manquerait plus que les voisins d’en face décident de venir jeter un œil par ici, tiens !
L’horizon s’éclaircit. L’artillerie n’attendait que ça, semblait-il. Alors que les geysers retombaient, les hommes s’élancèrent. Déjà, les écharpes des fumigènes s’étiraient devant les maisons, aveuglant les défenseurs qui tiraillaient sporadiquement au hasard. La compagnie se précipitait vers les tranchées et trous d’hommes repérés la veille. Et les trouvait déserts. Deux fusées blanches puis deux rouges montèrent dans l’aube naissante pour signaler la réussite de l’opération.
Une appréciation sans doute un poil optimiste. Dans les positions nouvellement conquises, les assaillants se trouvèrent brusquement sous le feu de deux Breda embusquées dans un bâtiment voisin, mitraillant depuis des soupiraux – ou des ouvertures aménagées pour l’occasion – alors que des tireurs les prenaient à partie depuis les étages. Le sergent Michalon contemplait d’un œil hébété le caporal Bulu, qui lui rendait son regard. Mais c’était un regard vide, et le sol sablonneux buvait avidement le sang qui s’échappait de son épaule déchiquetée.
Bonestu le secoua.
– Il est mort, tu peux rien pour lui, par contre, tu peux quèqu’ chose pour les autres, si tu te remues le cul. Allez ! Bouge !
– Bulu…
– Récupère sa biasse, tu pleureras plus tard…
– Sergent ! Si vous avez réussi à garder ce foutu machin intact, passez-moi le PC du commandant !
– Le PC, mon capitaine…
Une nouvelle salve de fumigènes vint s’abattre pour masquer les hommes en difficulté. Mais non les mettre à l’abri. Le corps du caporal Bulu tressauta sous de nouveaux impacts tandis que le sergent Michalon tentait vainement de s’incruster dans le fond de la tranchée. Rampant par-dessus les soldats tassés dans le boyau, Bonestu attendit que le capitaine en ait fini, remarquant que, par endroits, de l’eau s’était infiltrée dans la position.
– C’est pas pour dire, mon capitaine, mais maintenant qu’on est bloqués, à votre avis, pourquoi qu’ils ne nous arrosent pas au mortier ?
– Ne parlez pas de malheur, sergent. Mais si vous voulez, on va aller le leur demander…
– Et eux, qu’est-ce qu’ils attendent pour expédier deux ou trois pruneaux sur ce machin ? fit un soldat un peu plus loin avec un signe de tête en direction du large.
– Qu’on soit plus loin, soldat. Il paraît qu’ils ne sont pas sûrs de nous situer… Vingt mètres de plus ou de moins, ça peut faire une sacrée différence, non ? Bon, sergent, on bouge. On va tenter de passer par la mer. Déjà les arbres, là. Choisissez trois ou quatre gars au passage. Laissez Santini ici, avec les autres, qu’ils continuent à les amuser. Sans prendre de risque ! Pas d’imbécile pour tenter une grenade, hein !
Alors qu’ils s’éloignaient en rampant en direction de la côte, un bruit réconfortant s’ajouta à la fusillade en cours. Dans son coin, ou plutôt son trou, car la promiscuité de la tranchée ne l’enchantait guère, Santini rechargeait son arme. Il leva les yeux, et comme les traçantes continuaient à défiler au-dessus d’eux pour converger dans le nuage de fumigènes, lâcha, plus pour lui-même que pour ses voisins : « Ah, quand même ! Lambert, espèce de planqué ! C’est pas trop tôt ! »
Rive droite, le caporal en question serrait les dents à chaque fois qu’il actionnait la détente de sa « fifille », comme il disait. Il en avait perdu sa cigarette et finissait de cracher un ultime débris de tabac ou de papier. Les tubes étaient réglés pour converger à 400 m, et là, on était loin du compte. Trois cents, à tout casser. Et pour tout casser, ça cassait tout. C’était justement fait pour ça. Mais ce foutu brouillard artificiel lui masquant ses cibles, il agissait au jugé. Trop haut, sans doute, pour prendre à partie les meurtrières au ras du sol. Ouais. Mais s’il baissait trop… Alors il revint s’occuper des étages, car la nappe, en s’étirant vers la mer, découvrait des fenêtres.
Alignés plus en amont, les blindés, moteurs au ralenti. Oh, ce n’était pas la hauteur d’eau qui les rebutait : un filet, tout au plus, mais la berge en face était un mur. La marche à franchir dépassait leurs compétences. Alors, en attente d’un point de passage, ils tuaient le temps – au moins – soit en créant de nouvelles ouvertures dans les façades en vue de la rive gauche, soit en agrandissant celles qui préexistaient. Les Browning des tourelles s’y mettaient aussi, dès qu’un semblant de menace était aperçu. Le tout avec discernement : on devait se montrer ferme, mais sans exagérer. C’était grosso modo l’esprit des ordres du jour. Flinguer de préférence des uniformes, pas des civils. Qui avait bien pu pondre un truc comme ça ? Les étuis encore fumants tintaient sur le sol et s’amoncelaient petit à petit. On venait de toucher les dotations, fallait bien que ça serve !
De Fresnay et la poignée d’hommes qu’il entraînait, moitié bondissant, moitié rampant, avaient atteint les pins (Pinus pinaster) visés. Mais devant eux, la route à suivre, noyée par la nappe qui finissait par piquer la gorge et les faire pleurer, restait une inconnue. Oh oui, bondir de la purée et flinguer tout ! Très joli au cinéma. Sauf que le risque de sortir aveuglé par ce fichu machin et d’être accueilli par autre chose que de la mozzarella était loin d’être minime. Oui, bon… A trop gamberger, on s’endort. Yalah !
Tout le monde s’élança, en se gardant bien de crier. D’abord, ça économise le souffle, c’est pas rien. Ensuite, tomber en hurlant sur le poil de types qu’on veut surprendre, un observateur averti y trouverait comme un air de forfanterie, si pas de bizarrerie. Seul le soldat Abisbor essuya un tir – inefficace, fort heureusement pour lui – avant de se coller comme les autres au mur du bâtiment.
Reprenant son souffle, Bonestu se demanda – y’a des fois, le cerveau fait de ces trucs – d’où venait l’expression « essuyer un tir ». Essuyer une chaise, ou un tableau, comme à l’école, d’accord. Mais un tir ? On prend une éponge propre, et au passage de la balle… ? Cette pensée fulgura avant de retomber dans l’oubli, chassée par des préoccupations bien plus pressantes.
Le capitaine sur la droite, lui sur la gauche, chacun pointa prudemment son nez à l’angle pour jauger de la situation. Le premier jugea qu’on les avait repérés. D’ailleurs, une balle siffla à ses oreilles. Un tireur couché le long du tronc desquamé d’un arbre (Eucalyptus globulus) enjoignit prestement aux Italiens de devoir se montrer un tantinet prudents. Le second estima quant à lui qu’on ne les avait pas détectés, mais que vu comment ça se présentait, à savoir que ça défouraillait tous azimuts, on risquait de se faire flinguer par les copains, ce qui pourrait se révéler embarrassant pour tout le monde.
S’en suivit une espèce d’accalmie, pendant laquelle El Mardi et trois autres gars vinrent rejoindre la petite escouade du capitaine : puisque baraka il y avait, autant tenter d’en profiter. Dans la tranchée, on avait maintenant deux, ou peut-être trois, copains touchés de plus. Si on pouvait éviter d’en rajouter…
Indifférente à ces menus tracas, la brise marine s’était donné pour tâche de dissiper l’artifice. D’où cette pause, chacun attendant d’y voir plus clair. Même les blindés ne donnaient plus de la voix. Lambert était occupé à houspiller ses chargeurs, et Santini – comme les autres autour de lui – respirait un peu et transpirait beaucoup. Côté bersaglieri, on faisait aussi le point, sans doute. A l’oreille, on pouvait deviner que des officiers tentaient de mettre de l’ordre chez eux. Côté escouade, le tireur réexpédia deux ou trois dragées sans sucre sur des casques et des gus animés de mauvaises intentions, comme traverser la rue sans regarder. Pour sa part, et puisqu’il fallait battre le fer tant qu’il était chaud, Bonestu se délesta de ce qui l’encombrait, hormis les grenades dans ses poches, se mit à plat ventre et, collé à la maçonnerie, entreprit de gagner la première meurtrière en se faisant le plus discret possible.
Par souci d’humanité, le sergent n’usa pas de grenades au phosphore. Deux cadeaux. Hop ! Hop ! Noël avant l’heure ! Des cris. Une explosion. Une seconde. Des trucs et des machins vomis par l’ouverture, sur fond de fumées et de poussières. Un soldat l’enjamba pour tirer une rafale dans le tas. La compagnie régalait ! Menu complet : entrée, plat, fromage et dessert. Pendant qu’une grande variété de projectiles volait vers les étages, le reste de l’équipe, tiraillant et grenadant à tout va, se ruait à l’intérieur par la première ouverture à disposition.
Et malgré toute cette agitation, miracle ! du blanc parut à une fenêtre, noué à une hampe de fortune, et timidement agité par une main invisible. Au prix de vociférations multiples, la fusillade baissa d’intensité puis cessa dans le secteur. Dans l’immeuble envahi, après deux ou trois rafales, on entendit soudain hurler un : « Prisonniers ! ». Ça changeait de « Infirmiers ! » Remarquez, ça n’en dispensait pas. Le capitaine prit rapidement sa décision. El Mardi signalait que de l’autre côté, plus rien ne bougeait non plus. Porteur d’un mouchoir loin d’être immaculé, De Fresnay s’avança lentement et prudemment en direction du premier chiffon, qui surmontait maintenant une tête à la mine inquiète. De la tranchée, ses hommes le virent gesticuler. Dans le trou de la façade, une silhouette parut, mains sur la tête. Tout laissait deviner qu’elle trouvait sa position fort incommode. On comprenait : suffisait d’un sourd ou d’un myope, voire d’un distrait, et…
Cupidon à l’arrière
Menton – Martinez – pas encore sous-lieutenant pour quelques toutes petites minutes – finissait de boutonner sa chemise, face à la baie. La fenêtre ouverte laissait entrer des odeurs diverses, pas que celle de la mer, sur fond de bruits de moteurs – ronronnement des gros, pétarade d’une moto, plainte d’une jeep… – avec tout ce trafic, goélands et moineaux la fermaient. Il parvenait à surprendre quelque brouhaha indiquant que des humains existaient aussi, ainsi que le braiement d’un âne lointain. Entraient aussi le soleil matinal, et des mouches. Celles-là, avec tous les cadavres qui poussaient comme des champignons après la pluie, elles trouvaient encore moyen de venir enquiquiner les vivants !
– Dis, quand ça sera fini, tu m’emmèneras ?
Il se retourna en lissant son plastron.
– T’emmener ? Où ?
– Je ne sais pas. N’importe où. Loin d’ici. Dans ton pays. Ou ailleurs.
Il s’assit sur le bord du lit.
– Tu sais, bébé, te fais pas trop d’idées. Je dis pas non. Mais… Je suis pas sûr de revenir.
– Je te croyais différent des autres…
– C’est pas ça, bébé, c’est pas ça. (Il tapota la cuisse nue.) C’est sûr, je… je suis bien avec toi… J’aimerais bien… Mais… Mais c’est la guerre, bébé, hein. C’est la guerre. Il y en a tant qui… Oh, et puis, merde ! On arrête de parler de ça, hein ? Tu veux bien ? Ça porte malheur ! Je suis encore là pour deux jours. Deux jours, bébé ! Tu peux pas savoir ce que c’est ! Mais maintenant, faut que j’y aille ! Et file t’habiller, tu vas être en retard toi aussi ! A ce soir ? Et imagine que l’adju se pointe, tiens !
– Oh, tu crois que ça le choquerait ? fit-elle en disparaissant dans la pièce voisine, le laissant emporter l’image de la fossette de ses reins. Une image qui… une image que… bon, bref !
Choquer Trochu ? Maintenant que Martinez connaissait un peu mieux le bonhomme, il en doutait. Il le trouva dans la pièce du rez-de-chaussée, un ancien atelier qui leur servait de mess, si on peut dire, en grande discussion avec le gendarme Caluel, qui faisait sans doute son rapport oral sur les événements de la nuit. Les deux hommes le saluèrent tandis qu’il s’installait à leurs côtés devant un bol ébréché de véritable café. Si le bastion avait repris ses fonctions, à juste titre car disposant de cellules et de locaux aptes à recevoir gardes, “clients”, meubles, effets, paperasses et autres, sa rusticité avait rebuté l’adjudant. Et comme il existait un certain nombre de bâtiments vides, et pas que depuis hier, il avait été décidé que celui sis à deux (grands) pas de là ferait une excellente caserne – provisoire – pour les forces de l’ordre. D’autant plus que ledit bâtiment n’était pas à ciel ouvert, un truc pourtant très à la mode ces temps-ci. Lui et les quatre gendarmes formant le reste de la “brigade” se partageaient les piaules.
Dès le « retour » de Menton dans la « Mère Patrie italienne » (à présent plutôt Mère Partie), les Italiens s’étaient empressés de bouter hors beaucoup de ses habitants et d’installer à leur place des remplaçants convenables. De vrais Italiens, s’entend. Avec faisceaux, pasta et surtout cachets et tampons en tout genre. Avec plus ou moins de succès, d’ailleurs. Le retour des Africains les avait chassés, ainsi que certains autochtones trop compromis. Résultat, si Nice et les villages de l’arrière-pays étaient à la limite de saturation, Menton regorgeait de locaux vacants. Pas tous en excellent état, voire franchement en ruines pour quelques-uns, la ville ayant été aux premières loges de nombre de représentations pyrotechniques depuis 40. Et d’ici que leurs propriétaires se manifestent…
La Nature, l’Armée et surtout l’Administration ayant horreur du vide, officiers et services s’étaient installés, plus ou moins officiellement et pour des durées variables, dans ce qui était encore habitable. On n’allait pas régulariser la situation de sitôt. Evidemment, les troufions de base couchaient sous la tente (un peu partout), voire à la belle étoile. Ils ne s’en plaignaient pas, vu que chaque soir, quelques obus tombaient en compagnie de la nuit, au petit bonheur – sauf pour ceux qui se trouvaient dessous. La ville, et non les plages, était ciblée, sans plus de précision. Bombardements « de nuisance ». On connaissait.
Adoncques, c’est ainsi que Martinez avait momentanément hérité du logis et d’un lit véritable, déserté par son capitaine. Ce dernier, de fait, n’avait fait qu’y passer. A charge pour lui, Martinez, de garder la cantine de son officier. Le (sous) lieutenant avait un statut pour le moins… bâtard. Il n’arborait pas la grenade, ce qui se comprenait, mais plutôt un brassard, car il ne se cantonnait pas aux basses besognes de tri et remplissage de documents pour autant, alors qu’il en avait été décidé ainsi « plus haut ». Le temps de sa… convalescence. Ce qui expliquait que s’il n’en était pas à tracer des barres sur un des murs de son antre, il comptait quand même les jours. Aussi s’était-il risqué à harceler le Major, lequel lui avait opposé une forme de non-recevoir : cheville en vrac, quinze jours, voilà. Maintenant, s’il voulait être versé instructeur dans un camp… Une remarque qui était au minimum l’équivalent d’un 210 pour réduire un trou d’homme. Martinez se l’était tenu pour dit.
Il en allait de la maréchaussée comme du reste de l’Armée : de plus en plus de boulot, de moins en moins de monde. Trafics en tout genre, et pas que circulation, beuveries, souteneurs, bagarres, espions (!), collaborateurs, dénonciations – ah, les joies de l’anonymat ! – et autres contrôles variés… Et récemment, prétendus saboteurs. Manquaient plus qu’un hold-up et un meurtre pour compléter la panoplie. Donc, en attendant que les choses reprennent un cours, disons, plus… civilisé, les priorités s’enchaînaient et s’annulaient d’une heure à l’autre. Malgré le renfort de trois autres gendarmes « honoraires » – « honoraires » pour diverses raisons – les journées étaient bien remplies.
Et pour Martinez, les nuits n’étaient pas de reste. La première avait été, hum… agitée. Ou animée. La drôlesse, qui l’avait suivi – pisté, plutôt – en toute discrétion comme il s’en revenait, avait évité une patrouille au passage – deux mots à la patrouille, tiens, par la suite – avant de pénétrer dans sa piaule comme ça, comme si elle était chez elle, déjà. Oh oui, il avait bien essayé de… Peut-être en lui en collant une… Mais il n’était pas de bois, et une chose en appelant une autre…
Au petit matin, contemplant le plafond, il s’était dit : « Eh bien, t’es pas dans la merde, tiens ! » Une garce comme ça ! Même pas son type ! C’était vrai, quoi ! Il les préférait mieux en chair. Elle, c’était plutôt cuisse de mouche. Son type… Son type ? Son type… Tout bien réfléchi, c’était quoi « son type » ? Des horizontales interchangeables qui retombaient dans l’anonymat un fois l’affaire terminée ? Sa gamberge dérivant, il en vint à repenser à Maurice. Sa dernière carte annonçait que le mariage avait du retard. Du retard ! L’était prévue pour avril, la noce ! Entre problème de papiers pour Gina, le radis noir de la paroisse qui faisait sa tête de mule, et un témoin – cézigue – qui ne pouvait pas se libérer, la cérémonie aurait peut-être lieu pour la communion du petit. De ce côté-là, d’après ce que disait le père putatif, tout allait bien…
Or donc, tandis que le jour s’avançait, les pensées du (sous) lieutenant prenaient un tour étrange. Etrange pour lui, s’entend. Dans la matinée, sous un prétexte bidon, voire citerne, il s’en alla trouver le Major. En fait, pas si bidon, le prétexte : il sentait sa cheville guérie. Pour ce que l’entrevue donna, voir plus haut. Mais il obtint gain de cause sur l’autre motif de sa visite… Le soir-même, il annonça à Renata qu’elle allait devoir se présenter à l’antenne médicale du régiment le lendemain. La môme regimba. Il insista. Elle renâcla. Il persévéra. Elle vira mule, puis, de guerre lasse, finit par céder. Il était à deux doigts de s’énerver. Quand même ! Nourrie ! Et surtout, occupée. Et ce, sous l’œil bienveillant et protecteur du Major ! C’était surtout ce côté protection qui intéressait – déjà – Martinez. Comme quoi… Il pensait qu’elle serait ainsi à l’abri de la vindicte de ses voisins. Avouons que sa présentation succincte de la jeune femme, qui ne serait pas infirmière, mais plutôt aide-soignante (on la formerait sur le tas), avait titillé la curiosité du praticien. Tant à titre déontologique que personnel. Non qu’il espérât bénéficier des manifestations de cette curieuse pathologie, non. Ne vous méprenez pas : il n’envisageait point de pousser la conscience professionnelle jusque-là. Surtout avec Colette dans les parages. Il avait assez à faire avec les atteintes des corps. Mais pour lui qui croyait avoir tout vu, un cas comme ça, si c’était vrai, c’était nouveau. Ça le changeait du tri des candidats aux travaux de Morestin.
Ayant ainsi fait – ou cru faire – sa BA, Martinez estima être quitte (de quoi ?) et se dit que, ma fois, carpe diem, autant profiter de l’aubaine. La nuit venue, il n’espéra pas qu’elle le rejoigne, non, non. Il avait sa dignité ! Il ne la guetta pas, non, non, mille fois non ! Qui lui aurait fait remarquer son soulagement quand elle se lova contre lui se serait à juste titre attiré ses foudres ! Mais qu’il dormît sereinement, quasiment sans cauchemar, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Ce n’était pas seulement dû à l’exercice physique nocturne, quoiqu’il en pensât. En un mot, sans tambour ni trompette et à son corps pas trop défendant, Martinez était mordu. Quasiment tout le monde fut bientôt au courant, sauf lui sans doute, mais les apparences étaient sauves.
………
Et maintenant, plus que deux jours ! Ou, selon le point de vue adopté, encore deux jours ! Nul besoin de claironner que l’avance en Italie avait repris : les échos de la canonnade roulaient jusqu’ici et les petites vieilles en tenue sombre trottinaient dans les rues en rasant les murs pour s’en prémunir, les jours précédents ayant marqué les esprits. Présentement, la jeep allait bon train sur la route côtière. Rien de pressant : on se montrait, c’était tout en général, aux points de distribution, mais comme ils étaient disséminés aux quatre coins de la ville, ou presque, il ne fallait pas muser en chemin. L’adjudant Trochu conduisait. La circulation était uniquement militaire et passablement anarchique. Parfois, voire assez souvent, l’espacement réglementaire avait du mal à être respecté. Un porte-char en délicatesse, un GMC pris de tremblote, et ça coinçait. Rajoutez les citernes pas toutes pleines d’eau, les gros-culs qui ne transportaient pas que des salades, et les conducteurs avaient vite les nerfs à vif. Sans oublier, pour faire bonne mesure, les colis expédiés par ceux d’en face. Encore que, la veille au soir, on n’avait pas eu droit à leur envoi quotidien. Pas de quoi se plaindre, mais tout un chacun se demandait bien ce que cela présageait.
Pour l’heure, le petit véhicule filait désormais vers un énième embouteillage, dans la montée, un point chaud. Et voilà ! Un carrosse d’état-major, heureusement vide de ses personnalités habituelles, dont le conducteur estimait qu’un fanion lui donnait tous les droits. Pas de bobo, juste de la tôle froissée. Evidemment, la solution que préconisaient certaines grandes gueules – basculer la chose par-dessus le parapet – pouvait résoudre rapidement l’imbroglio, mais ça risquait de faire des histoires plus tard, et plus haut. Circuler en banal 4x4 tape-cul ne seyait pas à tout le monde, un monde qui se disputait Amilcar, Peugeot, Panhard et autres, faute d’accéder à un dessus du panier pour le coup intouchable. Alors avance, recule, arrête la circulation en amont, en aval, pousse d’ici, tire de là, sur fond de quolibets et d’emballement de cylindres… Rien que du normal.
29 juillet
La 3e DIM sur le terrain
Mars à l’avant
Vintimille – En rive droite, Serviac, le combiné d’une main, les jumelles de l’autre, rendait maintenant compte au colonel arrivé inopinément. En amont, toutefois, ça tiraillait toujours : si reddition ou trêve il y avait, c’était ponctuel.
Le commandant s’excusa : il avait maintenant le capitaine en ligne. On parlait effectivement de trêve pour discuter des modalités d’une reddition honorable. A ce point ? Répercussion au colonel, qui renvoya : parlait-on de la reddition de toute la garnison, ou bien des occupants de ce seul immeuble ? Réponse : on pourrait discuter raisonnablement de cette proposition. Question : et pourquoi continuait-on à se battre au nord ? Et tout ça en attente d’instructions du QG, qu’on venait juste de joindre.
L’échange radio cessa. Sous les yeux des combattants affichant des sentiments divers et précédés d’un vrai drapeau blanc – sans doute échappé d’une armoire à linge – trois hommes traversèrent, de l’eau jusqu’aux genoux, conduits par le capitaine. D’autres soldats, hagards ou ouvertement soulagés, éclopés ou valides, qui bras levés, qui mains sur la tête – quand ils le pouvaient – sortaient lentement des bâtiments dévastés et se regroupaient peu à peu sous les palmiers déplumés. Le colonel s’extirpa de sa jeep. Accompagné du commandant, il s’avança jusqu’aux premiers galets. On se salua fort courtoisement. D’un geste de la main, Serviac invita le groupe à poursuivre jusqu’aux véhicules, l’endroit étant peu propice aux discussions. Plongée, contre-plongée, gros plan : un photographe surgi de nulle part immortalisait déjà l’événement !
Côté italien, ça se compliquait : les irréductibles de la RSI refusaient de capituler. Ces derniers et les partisans de l’abandon des combats étaient loin d’échanger des fleurs. Ils n’allaient pas tarder à bientôt privilégier les pruneaux. L’heure des règlements de compte pointait son nez. Côté français, ordre fut donné d’en rester là pour le moment. Sauf pour le Génie. Profitant de l’aubaine, les hommes aménageaient un passage à grands coups d’engins ad-hoc. A peine finissaient-ils d’éventrer la berge qu’une première ambulance se risquait dans le lit de la Roya pour recueillir les blessés. Des bersaglieri pressés d’afficher leur bonne volonté s’offrirent pour en brancarder avec plus ou moins de bonheur.
Pour ce qui était de l’ouvrage ferroviaire – ou ce qu’il en restait, les piles ayant rendu leur tablier – toujours sous le feu, il attendrait qu’on y voie plus clair. Les blindés allaient donc traverser là, dès que possible, et rejoindraient ensuite la voie ferrée, comme prévu. A croire qu’ils ne connaissaient plus que ça pour circuler. En attendant, dès la digue de la rive gauche rabaissée, l’un d’eux s’en alla épauler El Mardi et son groupe, au cas où. Très importants, les “au cas où”. Ça modère les surprises, certes, mais si ça peut éviter les ennuis…
Et on attendit. Pas très longtemps. Midi n’avait pas fini de sonner aux cloches de la ville que les avant-gardes françaises filaient le long du bord de mer, sous le regard de leurs adversaires du matin. Les officiers conservaient leurs armes, ainsi qu’un nombre suffisant de soldats chargés du maintien de l’ordre. Les autres, plutôt soulagés, souriants même, se dirigeaient vers l’arrière, presqu’en colonne par deux. Par trois l’aurait faite plus courte, mais les Actualités filmaient…
Pendant ce temps-là, du côté des collines et même dans quelques rues, des soldats continuaient à faire le coup de feu contre des adversaires refusant cette reddition. On racontait même – et on raconta longtemps – que certains officiers italiens – italiens ! – s’étaient fait tirer dessus par leurs propres troupes ! La faute à des Camice Nere ! Ben tiens… Il était temps que cette guerre se termine, certains devenaient vraiment cons.
(J'attire votre attention sur la dernière phrase, que je trouve réutilisable ad libitum) |
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Etienne
Inscrit le: 18 Juil 2016 Messages: 2955 Localisation: Faches Thumesnil (59)
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Posté le: Sam Déc 28, 2024 11:45 Sujet du message: |
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Tout à fait. _________________ "Arrêtez-les: Ils sont devenus fous!" |
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Anaxagore
Inscrit le: 02 Aoû 2010 Messages: 10868
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Posté le: Sam Déc 28, 2024 12:40 Sujet du message: |
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hum... "dragées sans sucre" c'est mignon, mais c'est anachronique. Dans les années 40 le sucre n'était pas considéré comme un problème, donc les aliments n'affichaient pas de teneur en sucre. _________________ Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe. |
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Finen
Inscrit le: 17 Oct 2006 Messages: 2058
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Posté le: Sam Déc 28, 2024 15:38 Sujet du message: |
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Anaxagore a écrit: | hum... "dragées sans sucre" c'est mignon, mais c'est anachronique. Dans les années 40 le sucre n'était pas considéré comme un problème, donc les aliments n'affichaient pas de teneur en sucre. | *
De mon coté je le comprend comme une façon de transférer l'image de la dragée vers le pruneau de calibre convenable, ce qui prend alors son sens dans le contexte. |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14421 Localisation: Paris
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 19:54 Sujet du message: |
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Tout à fait exact, Finen.
Bon, avant-dernier épisode de Juillet.
30 juillet
La 3e DIM sur le terrain
Une ferme dans les collines
Vallée du Cervo (au-dessus de San Remo) – Or donc, ce jour-là, par un beau soleil – peut-être avait-il fait un orage la veille, peut-être en reviendrait-il un autre le soir – on approchait doucement d’une bâtisse à la mode du pays quand un soldat, même pas essoufflé, vint prévenir que la petite escouade menée par le lieutenant, et dont il faisait partie, avait repéré « du monde » aux abords d’icelle.
– Oui, chef. Je les ai vus aussi ! Des Alboches, j’te jure !
– Des Boches ? Ça faisait longtemps ! Bien. Rejoignez le lieutenant. Dites-lui d’agir en conséquence… De faire ce qu’il faut. Sergent ?
– Mon capitaine ?
– Le lieutenant Martinez a repéré du monde dans la ferme, là…
– Du monde ? Du… monde ?
– Des Boches.
– Ah ! On se disait aussi…
Point n’était besoin de s’user les méninges pour imaginer que les clients en question, ayant vu venir les visiteurs, plutôt que s’esbigner en douce, leur préparaient une réception des plus chaudes. Le comité d’accueil était plus porté sur l’acier que sur un “Cinque Terre”, petit cru local qu’il serait plaisant de découvrir. Restait aussi à savoir de quoi se composerait le menu de la petite sauterie.
On fut assez vite au courant, hélas pour le deuxième classe Libourel, natif de l’Hérault, où il avait joué aux gendarmes et aux voleurs avec les gars du Sonef. Une rafale au bruit teuton-pur sucre lui emporta le bras, ainsi que le buisson censé le dissimuler. En plongeant droit dans le nid de charmantes bestioles, de celles qui animent si efficacement les pique-niques, qui se trouvait pile sous les racines, son voisin immédiat en fut quitte pour entendre passer de drôles de guêpes. Il put ensuite s’estimer heureux d’arborer des bouffigues et non des trous guère plus disgracieux, mais bien plus gênants. Evidemment, il aurait pu aussi être allergique au venin des bestioles. Avouez que c’eût été un vrai manque de pot ! Pour sa part, l’intéressé, loin de s’interroger sur cette possibilité, s’estima heureux d’éviter une intoxication au plomb aussi immédiate que fatale.
Les responsables de cette entrée en matière pour le moins brutale, voire malpolie, avaient dédaigné l’abri fallacieux de la ferme. Ce genre d’endroit, murs séculaires, charpente ancestrale et couverture minérale, offrait pourtant à première vue un abri sûr et valait fortin. L’occuper, c’était afficher clairement qu’on était décidé à combattre soit jusqu’à l’arrivée de renforts, soit jusqu’à la mort : honneur, orgueil, tout ça… Les deux options n’étaient pas incompatibles, chose qui n’échappait aucunement à tous les participants de cette amicale réunion. Mais occuper ces lieux, c’était aussi courir le risque d’y être quasiment prisonniers. Surtout lorsqu’on savait qu’il était illusoire d’espérer être tiré d’affaire par des copains.
Pour de Fresnay, qui en discuta avec le colonel, puis avec ses sergents, le fait que ces salauds-là se soient postés autour de la baraque et non à l’intérieur ne signifiait qu’une chose : ils comptaient certainement jouer la fille de l’air à la première occasion. Et sans doute à la nuit. Il restait encore bon nombre d’heures avant l’obscurité, certes, mais cela paraissait évident. Donc, ils allaient temporiser. Et pensaient en avoir les moyens. Bien. D’un autre côté, sous peu, la colonne motorisée serait sur place – un contact radio lui intima d’accélérer. Il y aurait alors bien assez de monde pour boucler la zone. Et un blindé, même léger, ça donnerait à réfléchir. D’autant plus que les camions ne transportaient pas que des bidasses. Le temps jouait donc aussi en faveur des tirailleurs.
En face, qu’avait-on ? De sûr, une MG. Plusieurs fusils, ou carabines. Aux jumelles, au moins deux PM. Sans doute pas de mortier, ils s’en seraient déjà servis. Des grenades ? Ça faisait partie de la panoplie. Bon. Une autre arme automatique n’était pas à exclure, même si pour le moment, il semblait qu’une seule donnait de la bande. Tiens : se posait aussi la question de leur ravitaillement. C’est que ça mange, ces engins ! Les munitions, faut les trimballer ! Et la bouffe ! Z’ont pas de Mercedes, ou bien on a mal vu. Z’ont pas des mules, quand même ?! A approfondir plus tard. Et donc, sont combien, en tout ? Pas un bataillon, quand même ! Vingt ? Trente ? Hum… trente… On est loin de Marseille ! Une vingtaine, dira-t-on. Soit. Et qu’est-ce que ces gus foutent ici ? Et d’où viennent-ils ? En maraude, ou bien installés dans le coin, coupés des leurs ? Vrais soldats, ou vrais forbans ? Ces questions lui venaient alors qu’il tentait de placer son monde de façon à éviter que l’ennemi s’échappe, tout en faisant en sorte que les pertes soient minimes. Minimes de ce côté-ci, s’entend. On n’allait pas prendre de gants avec les criminels de l’autre bord, fallait pas exagérer ! Déjà, un blessé, c’était un de trop. Sale état, d’ailleurs, le blessé. Et… Allons bon, rectifions : deux blessés ! Ils ont aussi planqué un tireur dans la soupente !
En effet, un cri avait retenti un peu plus loin, indiquant qu’un autre des tirailleurs venait de morfler. Ses copains faisaient le nécessaire. Tout ça agita du monde, et la végétation, évidemment. Erreur de visée, erreur de jugement, nervosité ou ricochet malencontreux, un autre projectile frappa une des mules, pourtant soi-disant à l’abri. Peu portés sur une résurrection sous forme de saucisson, ses congénères en conçurent dépit et contrariété, ce qui les énerva quelque peu. On dut les reculer encore plus. Scrutant le camp d’en face, le colonel – tant qu’à être observateur, autant observer – fit remarquer que trois ou quatre uniformes italiens se trouvaient aux côtés de tenues tachetées ou plus classiquement feldgrau. Mélange curieux, mais pas franchement étonnant. Des circonstances particulières pouvaient l’expliquer. De toute façon, pour le moment, on flinguait. On chercherait à comprendre quand ce serait le moment.
Tiens, c’est là que le capitaine regretta Baraka. Lambert et sa « fifille » auraient pu déblayer le terrain, expliquer au tireur du fenil qu’il avait de mauvaises manières et à la MG qu’il ne fallait pas l’énerver outre mesure. Telles étaient les pensées de l’officier en s’en revenant de la position tenue par le lieutenant et sa poignée d’hommes. De tous, c’étaient les mieux placés. Légèrement en hauteur, ils avaient forcé certains des clients d’en face à changer de place fissa, laissant au moins l’un des leurs sur le carreau. Pour le moment, la consigne était de ne pas s’exposer outre mesure, et de leur tenir les pieds au chaud.
– Mon capitaine ?
– Sergent ?
– On vient d’avoir la colonne, mon capitaine. Le sergent Matray.
– Matray ? Pas Michalon ? Ne me dites pas que…
– Si, mon capitaine. Z’ont perdu ou cassé un chais pas quoi galet. Le Mouflon est en rade, mon capitaine. Matray dit que ça devait arriver, l’est plus tout jeune, le truc.
– Juste aujourd’hui ! Et le sergent Michalon et ses gars ?
– Z’ont continué. Du coup, vont plus vite. Une heure, et ils sont là. S’ils ne bouzillent pas encore leurs pneus, comme l’aut’ jour.
– Sergent, si jamais cette tuile leur arrive… Oh ! Laissez tomber ! Chargez-vous de les placer dès leur arrivée. Cette histoire dure. Vous ne pouvez toujours pas avoir le QG ?
– Non, mon capitaine. Vous savez ce que c’est. Ça passe mieux sur le soir. Mais comme on a eu Matray, je lui ai dit d’essayer de son côté. On ne sait jamais.
– Et évidemment, plus une Cigale ! Pff…
Pendant encore un bon moment, ce fut “pat”. Evidemment, chacun des deux bords savait à quoi s’en tenir. Les passagers des véhicules ayant augmenté sa troupe, De Fresnay les employa au mieux. Les Browning des véhicules – eh oui, c’était le règlement : une arme par camion, des fois qu’un Jabo, espèce pourtant en voie de disparition, s’invite à la fête, et une sur la jeep – une fois démontées, commencèrent à arroser abondamment les abords de la ferme. Puisqu’en face, on semblait ne pas disposer de mortier, autant ne pas se priver. Tac-tac-tac dans l’ouverture du grenier, pour faire baisser les oreilles au Guillaume Tell de service, voire plus, hein… Tac-tac-tac sur les murets, les tertres et tout ce qui pouvait abriter du monde. Et pour commencer, la dépression où s’embusquait le mitrailleur ennemi. Ah ! Ça changeait la donne, non ? Et sous couvert de ce déluge de métal, ici et là, des tirailleurs s’approchaient du but.
Et hop ! Œufs durs pour le quatre heures (un peu en retard, le goûter : on approchait plutôt des six heures). Boum ! Bang ! MG muette. Coup au but ou… ? Réponse : ou. A savoir, fenêtre du rez-de-chaussée. Aussi sec, l’arme automatique s’attira les foudres de ses congénères made in US. Contraints et forcés, les défenseurs se repliaient dans le seul abri à leur disposition, laissant des plumes dans l’histoire. Et comme l’endroit se révélait chiche en ouvertures… Le capitaine grimaça. On allait pas refaire Fort Alamo, tout de même ! Ses hommes pouvaient désormais approcher la bâtisse, déjà certains avaient atteint les abords des dépendances, avec les précautions d’usage. Pas de précipitation ! Les autres étaient coincés. On avait le temps pour nous. Pour se garder des tirs, l’officier fit un large détour afin de constater par lui-même si une partie des derniers arrivés, des bleus pour la plupart, était correctement positionnés face au quatrième côté de la construction. Pas bleus bleus, mais pas trop aguerris quand même, vu ce qu’ils avaient vécu depuis leur arrivée. Bon. De ce côté-là, il y avait une espèce d’appentis, surmonté de deux fenêtres aussi étroites que leurs consœurs, pas de quoi être inquiété. Pour passer par là, faudrait être sacrément ficelle ! Format jockey, et encore ! Des angles morts en pagaille, mais il donna comme consigne de rester là, et de ne faire que riposter si, d’aventure, un des autres se risquait à tirer. Le sergent Michalon, avec un nouveau caporal, comment s’appelait-il déjà ? Mersan ? Non, Marsan !… et cinq soldats suffisaient à la tâche. Il revint sur ses pas.
La fusillade devenait sporadique. Un des deux partis commençait à manquer de munitions. Ça rappelait beaucoup de récents souvenirs à certains. Pas forcément de bons souvenirs, mais ce coup-ci, on était de l’autre côté. Le bon. Des certains qui regrettaient qu’on n’ait pas embarqué un panzerfaust de prise ou deux, ainsi que des mortiers. Certes ! On aurait pu… On aurait dû… Mais on avait pris le parti de voyager léger. Et ce genre de matériel, pas très adapté au contrôle des chèvres, ça demandait du doigté, une certaine délicatesse dans le transport, et surtout, ça prenait de la place. Pas tant les armes que leurs munitions. De toute façon, pour ce genre d’outils, c’était râpé : question bazookas, c’était niet, vu qu’en deuxième ligne, on n’en avait pas besoin ; et pour les panzerfausts “récupérés”, y’en avait plus, vu que d’autres se les étaient appropriés. Oui, bon, on n’allait pas passer la journée là-dessus. On allait attendre, bien sagement. La nuit, dit-on, porte conseil. Le soir venait, on s’installa.
– Quand même, mon capitaine, je ne comprends pas !
– Vous ne comprenez pas quoi, lieutenant ?
– Eh bien, mon capitaine, visiblement, ils nous ont vu arriver de loin. Tout le temps qu’ils ont mis à se préparer à nous recevoir, ils n’auraient pas pu en profiter pour se barrer ?
– Le colonel et moi nous nous faisions la même réflexion, lieutenant. On peut penser qu’ils ignoraient que la colonne était en route. Sans doute misaient-ils sur le fait qu’en nous causant des pertes, nous n’irions pas leur courir après par la suite. Vous imaginez ce qui serait arrivé si vous ne les aviez pas repérés, et qu’on se soit approchés pour une banale inspection ?
– Je veux bien l’entendre, mon capitaine, mais quand même ! C’est bizarre, non ? Si ce sont des vindicatifs, équipés comme ils sont, pourquoi qu’ils n’auraient pas monté des embuscades et fait des coups de main, s’ils voulaient foutre le bazar et nous flinguer du monde ?
– Encore fallait-il qu’ils soient là, non ?
– Certes, mon capitaine. Mais m’est avis que ces types ne sont pas là d’hier.
– Ah ? Ce sont des paroles en l’air, lieutenant, ou…
– Un truc, mon capitaine. Si vous voulez bien me suivre…
(…)
– Alors, voilà.
Les deux hommes, allongés derrière un tas de pierres, s’étaient un peu éloignés de l’échauffourée, pour ouvrir leur champ de vision. Le lieutenant chuchotait, certainement par réflexe. Seules les sauterelles profitaient de cette sollicitude.
– Voilà, mon capitaine. Regardez au ras de l’espèce de cabanon. Sur la droite…
– Oui… ?
– On dirait bien que la terre a été remuée.
– Hmmm. On dirait. Et qu’en concluez-vous ?
– Mauvaise impression, mon capitaine. Où sont les civils ?
– Bah, sans doute partis depuis un moment. Si ça tombe, on les a croisés dans un des villages, auparavant. Vous ne vous seriez pas en train de vous faire tout un cinéma, là, lieutenant ?
– C’est possible, mon capitaine. Mais s’ils étaient partis, z’auraient flingué leur cabot ?
– Comment ça ?
– Leur cabot, mon capitaine. Regardez, là, sur la droite. Le truc noir.
– Lieutenant, je vois bien ce “truc noir”. De là à dire que c’est un chien, et ensuite élucubrer comme vous le faites…
– Je me monte sans doute le bourrichon, mon capitaine, mais tout ça ensemble – il pinça les lèvres – ça fait quand même bizarre.
– Mais ça n’avance pas nos affaires. Vous allez avoir toute la nuit pour réfléchir à votre feuilleton. Pour le moment, on ne bouge pas. Les hommes s’installent, et qu’ils se méfient : ces types-là sont des coriaces, pas tombés de la dernière pluie. Prenez toutes les précautions nécessaires, au cas où ils voudraient nous faire un coup fourré dans le noir. Pas trop de lune. Donc, vous comprenez…
– On fera, mon capitaine. Et les bleus ?
– A l’arrière. La baraque n’a que cette porte. Bon sang, s’ils veulent s’échapper, il n’y a que ce côté, il faudra bien qu’ils passent devant les nôtres !
– Bon, ben on va bricoler des trucs. On a des boîtes, c’est bien le diable si un des gars n’a pas un peu de ficelle…
Bref, on dormit peu, et mal, et pas à cause de l’hôtel. Plutôt par la faute de ses clients. De certains clients, même. Sentinelles, rondes… Les plus chanceux gardaient les brêles. A tour de rôle.
La lune, mince croissant, éclairait parcimonieusement la campagne. Vers les trois-quatre heures du matin, elle n’allait pas tarder à se pieuter. Mauvais moment, ça. Hasard ou pas, Santini se retrouva avec le sergent Michalon. La bâtisse était une masse sombre occultant les étoiles. Le caporal n’ignorait pas que la plupart de celles-ci portait un nom. Cependant, sorti de la Casserole, ses compétences en matière astrale étaient squelettiques. Il s’en contrefichait. On pouvait se passer d’un tel savoir pour goûter un ciel comme ça. Et puis, ce n’était pas sa préoccupation du moment. Outre qu’il en aurait bien fumé une, tiens. Si pas deux. Ça le travaillait, ça. Ça le rendait nerveux.
– Dis-moi, sergent…
– Hmm ?
– Comment que t’as fait pour être sergent ?
– J’ai l’air si con que ça ?
– Non, non… C’est pas ça. Te fais pas des idées ! C’est juste pour savoir…
L’ambiance portait aux confidences. Tous deux chuchotaient, accroupis derrière une petite restanque tiède qui abritait deux vers luisants (Lampyris noctiluca) indifférents à leur présence. A trois pas de là, on ne les aurait pas entendus (les soldats, pas les bestioles !).
– C’est que c’est un peu compliqué.
– Ben, t’as pas fauché tes galons, quand mê… Attends… Chhh… T’entends rien ?
– Non. Une chouette ?
– Nan, un hibou. C’est pas ça… Tiens, ça recommence…
En tendant l’oreille, on percevait comme des coups sourds venant du camp des assiégés.
[/i]– Qu’est-ce que c’est que ce binz ?
– Bah, tant qu’ils nous tirent pas dessus…
– Sergent, crois-moi, quand ces types font des trucs bizarres qui sont pas dans Emmanuel, faut se méfier !
– Pff ! Tu dis ça pour me faire peur ! Tiens, tu vois : on n’entend déjà plus rien…
– Chhh ! Va-t’en réveiller le Marsan et tes gars. Et en douceur. J’ai comme un presque sentiment.
– Si c’est encore un coup comme çui des mules… Tu veux me foutre les jetons ?
– File, j’te dis ![/i]
Le caporal devait avoir une voix suffisamment persuasive, car quoique lui fût caporal et l’autre sergent, ce dernier obéit après un ultime mouvement d’humeur. Marsan le remplaça presque tout de suite.
– C’est quoi ce cinéma ?
– Ecoute…
– Hein… ? Ils font quoi ? Ils creusent un tunnel ?
– Ah ! A toi aussi, ça te fait penser à des mecs qui creusent ?
– Ça s’est arrêté.
– Ouais. Déjà tt’à l’heure…
Mine de rien, automatismes aidant, le caporal se prépara. A quoi, il ne le savait pas, mais il s’en doutait : à rien de bon. Un poil de lumière de plus aurait bien aidé. Mais aurait aidé aussi “les autres”. A repérer, par exemple, le fil tendu à ras du sol. Un léger bruit métallique résonna. Oh, pas longtemps ! Juste ce qu’il fallait pour que Santini lâche sa rafale dans cette direction, tout en jetant à son voisin : « Bouge ! »
Conseil judicieux, suivi sans retard par le dénommé Marsan. Révélée par la lueur et le bruit des tirs, leur position bénéficia illico d’une grenade qui coupa la chique aux chanteurs nocturnes, mit à mal les pierres sèches du mur, les deux insectes, un muscardin (Muscardinus avellanarius) stupidement fourvoyé dans les parages, et le mollet du dit Marsan. Tandis que Santini, de son côté, toujours au jugé, doublait la dose et se carapatait ailleurs, le calme de cette belle nuit d’été, qui s’annonçait non pas romantique, mais du moins sereine et pleine de douceur, vira subito presto à la cacophonie, pour ne pas dire qu’elle se transforma en un bordel qui n’avait rien de joyeux.
Tout le monde était maintenant sur pied. Côté entrée, obéissant aux consignes, l’une des Browning arrosait copieusement la porte. On avait largement eu le temps de prendre toutes dispositions adéquates. Cela dit, on regrettait l’absence de chandelles. On tirait au petit bonheur, direction la baraque pour les uns, la campagne pour les autres, sur des choses sombres sur fond noir, chacun essayant de se repérer aux lueurs des coups de départ et aux sons. Mais là, ça devenait difficile, y’en avait de trop !
Il advint évident que plus gros du tintamarre provenait de l’arrière de la ferme. Y’avait pas à se tromper. C’était là-bas que ça se jouait. Un bref moment d’étonnement passé – mais comment ces salauds là avaient-ils fait ? – et De Fresnay, réveillé en sursaut, récupérant des hommes au passage, se lançait dans cette direction. Ce qui n’était pas évident : terrain traître et, surtout, gros problème pour distinguer qui était du “bon” côté et qui ne l’était pas. Le temps d’arriver sur les lieux, pas dix minutes, mais pas trente secondes non plus, et détonations comme explosions avaient cessé, ici comme ailleurs. Grosse poussée d’adrénaline, car on risquait tout autant de se flinguer entre collègues que de fusiller un des autres – ou d’être fusillé par eux.
On ne percevait que des gémissements, un râle et, ténu, en tendant bien l’oreille, le bruit d’une course qui s’évanouissait là-bas, ponctué du rebond d’une pierre. A proximité, une voix chuchota en arabe. El Mardi. Un peu plus loin, on lui répondit dans le même dialecte : Santini, indubitablement. Un caillou roulant dans son dos, le capitaine pivota brusquement, leva son arme en direction d’une ombre qui lui sembla encore plus sombre que ce qui l’environnait, hésita… Bien lui en prit ! Le « Mon capitaine ? » soufflé plus que murmuré le renseigna : sergent Bonestu. « Ici ! » rétorqua-t-il du même ton.
Ecoute attentive : tout donnait à penser que ceux d’en face s’étaient tirés. Barrés. Enfuis. Envolés. Ce n’était pas une raison pour faire une connerie, du genre aller voir si cette supputation s’avérait exacte. Le plus urgent, c’était de dresser le tableau de la situation actuelle. A commencer par les pertes. Et d’abord par les blessés, car il y en avait. Et va-t’en retrouver un copain touché dans ce noir, et sans une loupiote, ne serait-ce que pour pas se casser la figure ! Au bruit, on en dégotta deux, un “léger” et un autre… ben, trois bastos dans le corps, ça fait des dégâts. Ajoutez Marsan, avec un mollet esquinté, mais qui pouvait s’estimer heureux de s’en tirer à si bon compte. Un éclat avait proprement fendu la jambe du pantalon, comme un coup de ciseau, et le muscle en dessous. « Superficiel », mais chiant ! Serrant les dents, le propriétaire du tout serrait aussi sa jambe blessée, histoire de ne pas trop salir le coin, sans doute. Un pansement posé à la va-vite, en attendant mieux, et on se mit à chercher plus. Ce fut un tirailleur, un autre gars venu de l’Hérault, pt’êt’ victime de « tirs fratricides », comme on dit dans les rapports. Pas macchabée, hein ! Mais bon pour un retour au pays, précédé d’un séjour chez les Ursulines ou toute autre congrégation. Et puis encore un, la jambe brisée lors d’une chute en se mettant à couvert. Décidément…
Le plus sage était d’attendre le jour, qui n’allait pas tarder. D’ailleurs, il était en route.
(Et après ça Houps dit encore qu'il a du mal avec les scènes de combat…) |
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Anaxagore
Inscrit le: 02 Aoû 2010 Messages: 10868
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 21:01 Sujet du message: |
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"Qu'est ce que c'est que ce binz?"
C'est totalement anachronique. _________________ Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe. |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 22:21 Sujet du message: |
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Certes rare jusque vers 1960, l'utilisation du mot Binz est attestée depuis… 1800 ! _________________ Casus Frankie
"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire) |
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demolitiondan
Inscrit le: 19 Sep 2016 Messages: 10898 Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 22:29 Sujet du message: |
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Des SS de la Duce et des SS de la Polizei ? _________________ Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14421 Localisation: Paris
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 22:43 Sujet du message: |
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C'est bien possible ! _________________ Casus Frankie
"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire) |
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Anaxagore
Inscrit le: 02 Aoû 2010 Messages: 10868
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 22:58 Sujet du message: |
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Casus Frankie a écrit: | Certes rare jusque vers 1960, l'utilisation du mot Binz est attestée depuis… 1800 ! |
Ah? Alors, je suis victime de l'effet Tiffany. _________________ Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe. |
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demolitiondan
Inscrit le: 19 Sep 2016 Messages: 10898 Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 23:01 Sujet du message: |
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Aucune blague sur Clavier - ce médiocre individu - ne sera toléré. _________________ Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste |
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ChtiJef
Inscrit le: 04 Mai 2014 Messages: 3205 Localisation: Agde-sur-Hérault
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Posté le: Dim Déc 29, 2024 23:42 Sujet du message: |
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demolitiondan a écrit: | Aucune blague sur Clavier - ce médiocre individu - ne sera toléré. | Comment on fait pour poster si on peut même pas taper sur le Clavier ? _________________ "Les armes ne doivent pas être utilisées dans des guerres" - Alain Berset, président de la Confédération helvétique |
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demolitiondan
Inscrit le: 19 Sep 2016 Messages: 10898 Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris
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Posté le: Lun Déc 30, 2024 00:07 Sujet du message: |
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(JE DIS OUI !) _________________ Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste |
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Archibald
Inscrit le: 04 Aoû 2007 Messages: 10399
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Posté le: Lun Déc 30, 2024 11:36 Sujet du message: |
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ChtiJef a écrit: | demolitiondan a écrit: | Aucune blague sur Clavier - ce médiocre individu - ne sera toléré. | Comment on fait pour poster si on peut même pas taper sur le Clavier ? |
_________________ Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..." |
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