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Le Milieu et les Allemands
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 10:15    Sujet du message: Répondre en citant

Désolé pour l'entr'acte un peu long.
Voici le 5e épisode (sur six).


Patrick Pesnot
– De nouveau sur le plateau de Témoins d’époque, sur cette question angoissée – ça a vraiment existé ? Et il semble bien que la réponse soit hélas oui, du moins si l’on parle de la Carlingue. De terribles jours et une sombre époque, que nous narraient encore avant la coupure nos invités les historiens Philippe Robert et Robert Stan Pratsky, ainsi que notre témoin Monsieur Raymond. Reprenons – nous en étions donc fin 1942, début 1943 alors que, avec l’appui de la SS et tout en négociant quasiment d’égal à égal avec ses maîtres allemands, Pierre Bonny régnait pratiquement sur Paris. Y a-t-il encore quelque chose à dire de cette période, Messieurs ?
Monsieur Raymond – Je ne vais pas revenir sur tous les trafics déjà évoqués : Cazauba et ses faux tickets de rationnement, Sartore le faux-monnayeur, Maillebuau, Gourari et Villaplana les vendeurs d’or, Moura et ses filles… Il faudrait des heures rien que pour parler des lieutenants, sans même descendre au niveau des demi-sels ou, plus bas encore, des caves.
Philippe Robert – Par contre, nous pouvons sans problème élargir le sujet à la collusion – j’allais dire la corruption ! – que la Carlingue entretint avec le Tout-Paris durant l’Occupation. Une Occupation qui, je dois le dire, ne gêna pas tout le monde : « Que la fête continue ! » semblait être devenu la devise de certains.
Bien que lui-même peu porté sur les mondanités, Bonny appréciait de toute évidence les honneurs et la bonne compagnie. Et comme l’argent et le pouvoir lui amenaient sans cesse du monde, tout à la fois heureux d’être en vie et de pouvoir encore en profiter…
Robert Stan Pratsky – Il est bien connu que, si Maurice Chevalier pouvait aussi aisément passer ses vacances dans sa propriété de Cannes La Bocca – c’est-à-dire tout de même à la fois en zone côtière interdite et dans le secteur italien – c’est parce que la Carlingue lui avait obtenu un laisser-passer par-dessus les autorités du NEF. Lesquelles étaient bien en peine de satisfaire à cette demande d’un de leurs anciens ministres, d’ailleurs officiellement toujours ambassadeur en exercice !
M. Raymond – De même pour la chanteuse du cabaret Bel-Ami, Corman Palma dite Esméralda, qui avait commis l’imprudence d’épouser un Américain – lequel avait été tout aussi imprudent en restant vivre à Paris fin 1941 ! Bonny n’a eu qu’un coup de fil à passer pour le sortir de son camp d’internement.
A ce propos… Vous vous en doutez, mais les services rendus aux dames supposaient des services rendus… par les dames. Je ne saurais évidemment pas parler de Bonny – et d’ailleurs ce n’est pas le sujet. Mais bon, il y avait les “comtesses de la Gestapo” : la marquise d’Abrantès, qui courra longtemps après le chef, la “demi-folle” de Cazauba – Anny Jean-Claude, une artiste dramatique qui tenta un temps de trafiquer de l’or pour monter ses pièces – ou encore la comtesse de Tchernitcheff. Il faut avouer que celle-ci sortait de l’ordinaire : fille de la princesse Scherbatoff, c’était une Russe blanche exilée, charmant mannequin pour Chanel, actrice (médiocre cependant), et sans jamais le moindre sou. Elle fut un temps l’amie de Max Stocklin puis la maîtresse d’un lieutenant SS – elle lia grâce à eux de très fructueuses relations commerciales avec le bureau Otto puis avec la Carlingue, qui s’assura qu’on ne lui nuise jamais malgré les multiples escroqueries dont elle se rendit coupable. Parmi elle, un important trafic de chaussettes, oui, de chaussettes, depuis Biarritz, avec l’aide de la contrebande espagnole…
PP – Pas de trop de cancans à l’antenne, cher ami ! [Rires.]
M. Raymond – Bon. Sachez juste que la fille Luchaire était souvent rue Lauriston avec toutes ses amies. Bonny fréquentait volontiers les actrices. Mais pas forcément pour s’encanailler – je me rappelle qu’il traîna longtemps avec Dita Parlo, l’Elsa de La Grande Illusion de Jean Renoir. Quant à Pierrot le Fou, il sortait régulièrement dans les cabarets avec Milly Mathis et Ginette Leclerc – des cabarets d’ailleurs souvent financés par la Carlingue. A ce propos, Ricord et Roger Duchesnes s’associèrent justement ainsi pour exploiter L’Heure Bleue, un établissement qui fit les beaux jours de bien des permissionnaires allemands. Vous parliez de collusion, vous avez raison – de tout temps, la vie nocturne et la vie criminelle ont fait bon ménage. Et l’on se sourit, et l’on se touche du bout des doigts. Et l’on se dit qu’on irait bien au cinéma…
Ph. R. – Cette proximité fut également utile à d’autres pointures bien connues du Milieu : Tino Rossi, dit Tonio. Grand ami de Dominique Carlotti, un associé de Cazauba. Tonio étant lui-même italien, et étant aussi en affaires avec la bande des Corso-Marseillais des Léandri, Palmieri ou encore avec le duo Carbone-Spirito, j’imagine sans peine que ses amitiés douteuses servaient à autre chose qu’à exploiter des restaurants.
M. Raymond – Vous mettez le doigt sur l’un des plus graves problèmes de la Carlingue, qui ne deviendra aigu qu’à partir de 1943. Ivre de puissance, ayant pris le pli des gangsters, mais restant malgré tout un ancien flic aux manières administratives, Pierre Bonny commençait à perdre dangereusement le contrôle de ses troupes : que celles-ci soient par nature incontrôlables, ou bien que l’ampleur de la tâche dépasse simplement ses moyens. Il n’avait pas la carrure, les épaules pour prétendre régenter seul la masse des voyous qu’il avait rassemblés. Ces derniers, s’accoutumant à une liberté inhabituelle, commencèrent donc à envisager de se tailler leurs propres domaines et leurs propres patrimoines, dans la plus pure des logiques féodales.
Je reviens sur le cas Abel Danos. Le Danois, le Mammouth, le Bel Abel… Buffalo Bill… Comme vous savez – ou comme vous l’avez compris – c’était une célébrité, d’une force herculéenne et ayant toujours un pistolet ou deux sur lui…
Ph. R. – Sa fiche de recherche, rédigée en 1945, disait : « Toujours armé. Individu extrêmement dangereux. »
M. Raymond – Il était associé avec des gens aussi dangereux que lui…
Ph. R. – Ultraviolents même.
M. Raymond – Dans certaines circonstances, oui. Dès 1942, il commence à prendre ses aises, en se lançant dans des attaques à main armée. Notamment celle du Crédit Industriel et Commercial de la rue de la Victoire, le 24 février de cette année.
Ph. R. – Il avait sûrement l’habitude, ayant déjà participé à l’attaque du train d’or de Marseille, en 1936… Mais pour un professionnel, Danos se laissa aller : face à trois encaisseurs qui prétendaient résister, le malfrat et ses complices s’affolèrent avant de tirer dans le tas. L’équipe s’enfuit avec 4 millions de francs en liquide, oubliant dans la panique 21 millions de francs en bon du trésor ! On releva un mort et un blessé grave.
M. Raymond – La Police Judiciaire identifia rapidement les responsables. Danos passera quelques mois au frais – sous la pression de Laval et de Darnand, le temps que Bonny réussisse à plaider son dossier auprès des Allemands. Mais ça, encore, ce n’était pas trop trop grave. Sauf pour les victimes bien sûr. L’affaire Sartore, c’était autre chose.
PP – Qu’on s’y retrouve… Jean Sartore, c’est bien de lui dont nous parlons ?
Ph. R. – Oui. Jean Sartore, dit Le Chauve. L’un des premiers libérés de 1940. Un individu incontrôlable, ayant connu dès son adolescence d’innombrables démêlés avec la Justice. Proxénète connu pour sa violence…
M. Raymond – “Bidochard” !
Ph. R. – Si vous voulez. Receleur, voleur et trafiquant d’or. On l’appelait le Saigneur de la Carlingue. Au sens de saigner ceux qui le contrariaient, évidemment.
M. Raymond – Et aussi au sens où il comptait se tailler un empire avec les dépouilles d’autrui. Le Chauve ouvrit très vite ses propres activités : maisons closes, ateliers de faux tickets de ravitaillement, attaques à main armée. Il devint riche : début 1943, il invita tout le monde à une grande fête destinée à célébrer “son” centième million, obtenu après avoir pillé “son” millième appartement.
Mais tout comme son chef, il était atteint par la folie des grandeurs. Avec l’aval d’une partie de la SS, et peut-être de Bonny, il entreprit de liquider tous ses concurrents dans son secteur d’activité, et de prendre sous sa “protection” tous les lieux de plaisir de la capitale. Il se heurta alors directement avec les Marseillais Carbone et Spirito, qui disposaient de leurs propres contacts auprès de la SS.
PP – Comment réagirent les Allemands ? Et Bonny ?
M. Raymond – Monsieur Pierre soutint ses troupes – peut-être un peu à contrecœur, mais par principe. Quant aux Allemands, ils arbitrèrent en considérant que la Carlingue leur était plus utile à Paris que le camp d’en face. Carbone et Spirito durent donc quitter la capitale : il en résultera un affaiblissement durable de leur prestige, qui n’est pas pour rien dans l’ascension des groupes actuellement aux affaires sur la Côte. Ça et les petits événements à venir en septembre 1943. Mais nous n’en sommes pas encore là – et vous savez ce qu’on dit des Méridionaux : ils ont la mémoire longue et la rancune tenace.
Un jour du mois de février 1943, Sartore et Jeunet sortent ensemble d’un bar de Montmartre. Ils sont alors attaqués au couteau par un jeune homme, inconnu de nos services comme de ceux de la Police. C’est clairement Le Chauve qui est visé : un coup de bas en haut l’éventre. Quant à Cajac, qui tente de s’interposer, il se prend un coup de surin qui lui perce le poumon.
RSP – Ce sont des choses qui arrivent dans le métier. Je suppose que l’enquête n’a rien donné ?
Ph. R. – En tout cas, pas celle de la Police Judiciaire.
M. Raymond – Evidemment. Par principe, on ne balance pas de noms à la maréchaussée – pas même ceux de ses ennemis. Monsieur Pierre passa les voir à l’hôpital, ils ne furent pas plus loquaces. Or, pour Bonny, au-delà des considérations de sécurité qu’elle impliquait, cette affaire avait de graves conséquences sur son prestige. Deux de ses lieutenants avait été attaqués, et il devait les venger pour ne pas paraitre faible.
Le mot circula dans le Milieu – la Carlingue avait émis un arrêt de mort sur l’agresseur. A cette époque, vu sa réputation et ses moyens, le pauvre n’avait aucune chance d’échapper à la traque. Il s’avéra vite qu’il s’agissait d’un certain Tanguy dit “Phono”, propriétaire d’un… d’une maison à Etampes, et connu pour jouer volontiers du couteau. Oh, il réussit à faire profil bas une semaine ou deux… Mais dès qu’il réapparut à Paris, Michel Chaves et ses gars le repérèrent. Sans même passer par les Allemands, Bonny décida de descendre dans le bouge où il buvait, rue d’Aboukir, avec toute l’équipe D. Il voulut la jouer civil : une arrestation toute simple. Sauf que “Phono”, ben – il ne se laissa pas faire. Il savait trop bien ce qui l’attendait rue Lauriston. Le ton monte, les pistolets sortent… Tanguy tente un coup de couteau sur Bonny, qui le blesse avec son revolver. Il fuit alors vers la bouche du métro Strasbourg-Saint-Denis, poursuivi par le groupe. Nouvelle fusillade au milieu des badauds – Tanguy s’écroule, mort. La police arrive et chacun sort sa carte de gestapiste, en affirmant que le cadavre est celui d’un dangereux terroriste. Après un rapport adressé aux services de l’avenue Foch, l’affaire était classée… mais pas oubliée.
Ph. R. – On le comprend sans peine. Même si le coupable avait été puni, la Carlingue n’était plus intouchable. Et l’image que Bonny voulait se donner – celle du chef d’un simple service officiel – en avait pris un coup. Car enfin – c’était un crime crapuleux, une vendetta, qui venait de se produire en pleine rue ! Il semble d’ailleurs en avoir eu immédiatement conscience, et entreprit aussitôt de réorganiser son service pour lui donner un air vaguement plus vertueux, tout en réprimant les opérations les plus voyantes. Au risque sans nul doute de mécontenter ses propres troupes.
RSP – C’est d’ailleurs à partir de cette date que des “Gestapos françaises” concurrentes commencèrent à fleurir. Un effet d’aubaine, une hémorragie de troupes ?
M. Raymond – Plutôt la prise de conscience d’une faiblesse plus grande qu’estimée. Monsieur Pierre dépensa beaucoup d’énergie pour tenter de faire radier ses concurrents du SD, ou pour les faire au moins chasser de Paris. Il y parvint souvent, mais pas toujours… Quant aux “transferts” – inutile de vous dire qu’après la bagarre Sartore-Carbone, la plus grande partie des Corses du service étaient partis vers d’autres horizons. Mais pour l’instant, l’édifice tenait encore, entre serviteurs dévoués, débiteurs et puissance de l’argent.
PP – Ainsi donc, cher Monsieur Raymond, à partir de quand cet édifice patiemment construit par Pierre Bonny commença-t-il à véritablement tanguer ?
M. Raymond – A partir de juin 1943 et de la prise de pouvoir par Doriot, selon moi. A cette époque, la Carlingue fait déjà feu de tout bois pour se créer toujours plus d’obligés. Elle travaille pour l’Einsatzstab Reichleiters Rosenberg de l’Oberfeldführer von Behr…
RSP – Pour nos auditeurs : il s’agit de l’organisme dit “culturel” des nazis, chargé entre autres du pillage des bibliothèques et autres lieux fréquentés par des intellectuels déplaisant au régime. Une partie des saisies fut transféré rue de Richelieu, dans les locaux de la Bibliothèque Nationale de Bernard Faÿ, qui avait semble-t-il projet d’en faire un musée. On a perdu la trace du reste.
M. Raymond – Inutile de dire qu’il n’y avait pas que les manuscrits qui intéressait les nazis : les meubles précieux, tableaux de maîtres et autres œuvres d’art aussi ! Jusqu’aux instruments de musique qui avaient leur unité de récupération spécifique : le Sonderstab Musik, dirigé par Herbert Gerigk. Von Behr était un autre grand ami de Bonny, qui n’hésitait pas à venir se servir dans les réserves de l’Oberfeldführer, idéalement situées dans un entrepôt au 40 rue Lauriston, appartenant au pseudo-baron de Wiet. Des réserves si précieuses que Bonny préférait d’ailleurs payer des hommes de Déat pour les surveiller !
A cette époque, les pillages d’appartement et autres arnaques aux faux policiers sont pratiquement éteints – c’est le chantage à la Libération qui rapporte le plus.
Ph. R. – Une activité lucrative, que ceux qui s’en rendirent coupables osèrent qualifier de « faits de Résistance » lors de leurs procès ! Ce fut par exemple l’activité du Dr Eugène Lapiné, lui-même ancien trafiquant de métaux, qui avait autrefois tenté d’escroquer le DSK et qui était à ce titre débiteur de Bonny.
M. Raymond – Tout en servant de toubib de service de temps à autre. Mais vous savez, il n’était pas rare que Bousquet, Bussière ou même Laval passent par nous pour aider un ami un peu encombrant qui s’était retrouvé à l’ombre. Ce qui nous ramène d’ailleurs au sujet !
PP – Pourriez-vous d’abord nous donner un petit éclairage sur le “coup d’état” survenu à la tête du Nouvel Etat Français ? Je sais que ce n’est pas le bon terme, mais bon – à défaut d’en trouver un autre !
RSP – Sans trop entrer dans les pathétiques détails des convulsions intestines du Nouvel Etat Français, disons qu’à la suite d’une succession de ratages effroyables – au premier rang desquels on trouve le fameux raid sur la prison d’Eysses mené conjointement par des commandos et des résistants français – les autorités d’Occupation décident finalement qu’à un homme impopulaire et inefficace, voire parfois gênant – Pierre Laval, elles préfèrent un homme impopulaire et peut-être efficace, mais en tout cas fort prévenant – Jacques Doriot. Il avait au moins pour lui l’avantage d’une base dévouée sinon solide, ainsi qu’un passé de soldat au sein de la LVF. Bref ! Berlin impose Doriot comme chef du gouvernement en remplacement de Laval, lequel se retrouve à un poste de président-potiche qui n’est pas sans rappeler les pires heures de la Troisième République d’avant-guerre. Cette manœuvre fut parfaitement transparente.
PP – On se souvient notamment du fameux « Nous ne voudrions pas interférer dans une affaire exclusivement française ! » lancé par le général Oberg, que nous avons présenté tout à l’heure.
RSP – Voilà ! A la pseudo-France de Laval – société anarchique vaguement corporatiste s’efforçant de complaire à ses maîtres allemands, succède l’anti-France de Doriot – d’inspiration ouvertement nazie et attachée à lutter de toutes ses forces contre ses propres citoyens au bénéfice de l’Allemagne, en mobilisant tous les moyens en sa possession.
Ph. R. – La pire période de l’Occupation s’ouvre. Les Occupants ne connaissaient déjà guère de limites – mais à présent, ils ont avec eux un groupuscule de factieux prêts à tous les crimes. Je ne saurais dire si la Carlingue fut très impliquée dans ce bouleversement. Par contre, il me semble acquis – les échanges que nous avons eus aujourd’hui le démontrent – que Bonny finança le PPF, et sans doute son journal Le Petit Parisien, bien plus efficacement que tout autre. Pas précisément par conviction – notre invité spécial a été clair, Monsieur Pierre arrosait abondamment tous ses interlocuteurs – mais néanmoins, le résultat était là.
RSP – Pierre Bonny sera assez mal récompensé de ses subsides et de sa compréhension. Lui qui se voyait déjà secrétaire général de la Police, voire ministre de l’Intérieur, doit laisser ces deux places à Bousquet et Barthélemy. Il hérite pour tout lot de consolation d’un obscur poste de patron de la Police du Rail – un organisme médiocre sans financement propre, dont le champ de compétence fondait d’un jour à l’autre sous les coups des avions alliés.
PP – Monsieur Raymond, j’imagine que cela a fait jaser à la Carlingue, dirait-on ?
M. Raymond – Evidemment. Bonny avait beaucoup investi sur Doriot, sitôt que – grâce à son talent inné – il avait senti le vent tourner. Hélas pour lui, son goût pour manger à tous les râteliers ainsi que son absence de véritable engagement politique se sont retournés contre lui. Il en fut fort marri. Des jours entiers, on l’entendit tonner au téléphone, appelant ici un général allemand, là Matignon… Ça n’a pas échappé à ses lieutenants, ni aux hommes du rang.
Le patron si puissant, qui avait autrefois l’oreille des Allemands, paraissait soudain incapable d’imposer ses vues. Pire, il semblait même perdre de l’influence – les carnets de Jean Martin en donnent la preuve, car il dut faire libérer lui-même son frère. Bonny était désormais pris au piège : pour regagner du prestige, il devait complaire aux nouveaux maitres. Or, ceux-ci réclamaient bien plus que de l’argent ou des prisonniers. Ils voulaient de la chair fraîche, des soldats ! Et ça, la Carlingue n’était pas capable de le fournir.
Ph. R. – Il tenta donc de fonder une Brigade ou une Légion Nord-Africaine, composée d’un groupe de Maghrébins volontaires – des mercenaires en fait, plus proche des routiers médiévaux que des miliciens. L’expérience n’alla pas très loin. La prétendue brigade ne fut même pas envoyée au Vercors.
RSP – Mais les mercenaires se paient. Or, à cette période, les finances de la Carlingue souffrent, comme celles du NEF et de la France occupée en général. Les frais imposés par l’Occupant augmentent et il n’y a plus grand-chose à piller. Les bureaux d’achat de l’Abwehr ferment en août 1943 – faute de clients et du fait que, par leur structure même, ils étaient facteurs de corruption, de détournements, de gabegie et d’inflation. Avec l’arrivée de Doriot, ce n’étaient plus que des intermédiaires coûteux et superflus, qui empêchaient en outre le NEF d’honorer ses traites. Seule la SS continuera d’opérer à Paris jusqu’à la fin.
M. Raymond – La Rue Lauriston voit donc arriver dans ses locaux une foule de personnalités bien connues, à la recherche d’un nouveau travail rémunérateur : le renseignement et la délation, sans plus aucune devanture commerciale.
PP – La Carlingue doit donc suivre le mouvement, si je puis dire : basculer dans le tout-répressif pour ne pas disparaitre. Mais on ne fait pas du jour au lendemain des soldats avec des bandits de grand chemin…
RSP – Monsieur Raymond, pourriez-vous nous donner votre éclairage sur ce fiasco nord-africain ?
M. Raymond – Un double fiasco ! Vous ne pensez tout de même pas que la grosse Violette Morris et son équipe de bras cassés sont arrivés à la nage en Algérie ?
PP – Euh… Je dois avouer n’avoir jamais eu un véritable avis sur la question !
M. Raymond – Bon. Bonny espérait vraiment beaucoup de la filière nord-africaine – un tropisme exotique sans doute. Avec Jean Luchaire et d’autres – tous des obligés à qui la Carlingue avait donné de l’argent, mais qui avaient le bon goût d’avoir l’oreille d’Otto Abetz… – il tenta de monter un vague projet destiné à mobiliser 50 000 hommes, pas moins, parmi les prisonniers de guerre détenus en Allemagne. Evidemment, ça ne donna rien. Comme Doriot avant lui, Bonny finançait une fois encore les acteurs de sa chute.
RSP – Je rappelle en passant que Suzanne de Bruyker, la secrétaire de Luchaire, avait elle-même convolé en justes noces avec Abetz !
M. Raymond – Faute de résultats, Bonny alla finalement voir Marcel Déat – à présent ministre de l’Economie et du Travail. Ils se connaissaient déjà par l’intermédiaire de Levillain et ils s’appréciaient, malgré des premiers rapports tendus. Déat finit par lui prêter 40 hommes pour contribuer à la chasse aux résistants.
Ph. R. – Pardon, mais à cette époque, pourquoi le RNP avait-il le moindre besoin de s’allier avec la Carlingue ?
M. Raymond – Les nécessiteux se serrent les coudes. A l’été 1943, les membres du parti de Déat se sentent en perte de vitesse par rapport aux autres mouvements de Collaboration. Ils sont démoralisés par l’évolution du conflit, et de plus visés par des agressions violentes de la part des Résistants comme de leurs supposés alliés – lesquels leur reprochent notamment leurs origines communistes et leurs liens passés avec le PSF de La Rocque.
Quant à Bonny, le tour que prend son affaire ne plaît guère – je l’ai déjà dit. Les bons jours semblent passés, l’étau allié se resserre. On dit le chef distant, revenu à ses mauvaises habitudes de policier prêt à tout pour briller, y compris à verser le sang d’autrui. On murmure qu’il se rapproche de Darnand, soldat fanatique que l’on n’apprécie guère et qui se trouve lui-même bien esseulé. La rumeur court d’ailleurs que l’on va bientôt récupérer des anciens des GMR – Monsieur Pierre n’a-t-il pas fait autrefois libérer les banquiers du vieux grigou ?
RSP – Le tout sans doute sous les auspices d’un Laval qui promettait comme d’habitude beaucoup sans rien pouvoir tenir.
M. Raymond – Vous m’ôtez les mots de la bouche. Bref, sous la pression des événements, la Carlingue paraît se déliter petit à petit. A la fin, seuls resteront les loups les plus affamés ou les caves les plus compromis. En attendant, tous agissent dorénavant bien davantage en mercenaires qu’en entrepreneurs. Et parmi eux, un petit nombre espèrent encore retourner leur veste, craignant de disparaître en laissant une trop mauvaise image de leur personne ...
PP – En résumé, la direction et le personnel se font de moins en moins confiance !
M. Raymond – Oui. La situation s’aggrave encore quand Bonny se met en rapport – toujours pour son projet de Légion Nord-Africaine de mes… Excusez-moi… Il prend contact avec un certain Mohamed El-Maadi, fils du caïd Mahfou El-Maadi et président du Comité franco-musulman.
PP – Présentons l’homme, je vous prie.
Ph. R. – Alors… [Bruits de feuilles froissées.] Mohamed El-Maadi. Date de naissance incertaine : 2 janvier ou 7 juillet 1902 à Sfahli, commune de Séfia, Constantine. Ou bien en 1903 à Tlemcen. Sous-officier, il quitte l’armée en 1936 et fonde l’année suivante l’association politique L’Algérie française en région parisienne. Celle-ci consacre l’essentiel de son énergie à dénoncer Juifs et francs-maçons comme responsables des malheurs des musulmans en AFN – un discours qui pouvait plaire. Il collabore ensuite avec l’hebdomadaire Révolution nationale, prend quelques responsabilités en rapport avec l’AFN puis devient un membre du CSAR de la Cagoule, avant d’être arrêté à ce titre. Jugé en juillet 1939 pour « complot ayant pour but de changer la forme du gouvernement et d’exciter à la guerre civile », il est néanmoins mobilisé en 1939 comme sous-officier de réserve ! Il était alors adjudant-chef à la retraite. Démobilisé à la fin de l’été 1940, comme tant d’autres, il rentre à Paris et rejoint le MSR tout en se rapprochant des dirigeants de la Mosquée de Paris. Il passe plus tard au RNP de Déat, où il anime un Comité nord-africain (CNA) supposé exciter la population originaire de cette zone contre, je cite, « le gouvernement colonialiste d’Alger, prodigue du sang des Croyants et esclave des Juifs ».
PP – Au vu de la politique extrêmement favorable aux Indigènes musulmans adoptée en juin 40 par une République désespérée, je doute que ce discours ait eu des chances de porter.
Ph. R. – Sans parler de la subtile incohérence qu’il y avait à dénoncer Alger alors que Déat exigeait quotidiennement « la défense de l’empire colonial français contre les menées anglo-saxonnes. » Bref, son CNA ne dépassa jamais le demi-millier d’adhérents. Il était dirigé par quatre personnes, hormis El-Maadi : Saïd Adjou, délégué général à la propagande, et trois orateurs indépendantistes dévoyés, Radjef, Graïeb et Laroubi.
A partir de juin 1943 et de l’assassinat de Deloncle, le mouvement se disperse presque totalement. Finalement, il semble que toute cette affaire ait été surtout un moyen d’obtenir des fonds de la part du NEF, tout en fréquentant à l’œil le Cercle européen – le restaurant de “marché noir fermé” de la capitale. Bien que membre de la LVF – il était bien obligé – El-Maadi s’ennuie à présent. Il édite une feuille de choux, Er Rachid, à parution très irrégulière, et se prétend bien plus important qu’il n’est.
M. Raymond – Bonny entre donc en rapport avec lui par l’intermédiaire du RNP et de la Mosquée de Paris. Et il se laisse embobiner ! Je n’y croyais pas ! Cent mille francs et le parrainage de Paris-Soir pour tirer son canard à 50 000 exemplaires, contre la vague promesse de trouver des volontaires !
Et sur ce, Monsieur Pierre part voir le Standartenführer Helmut Knochen pour lui soumettre ce projet, qui bénéficiait après tout de l’appui d’une foule de gens. Le SS hésite un peu, on le comprend. Mais nécessité faisant loi, il autorise finalement l’enrôlement de 500 hommes, pas plus. Un coup pour voir. El-Maadi promet de les fournir. En fait, ils seront 300, puis 200… non, 150. Essentiellement des Algériens et quelques Marocains attirés par la solde : 5 000 francs pour chaque homme de troupe. Il y avait quelques assassins dans le lot, parmi ceux qui venaient pour la soupe…
Ph. R. – D’après la cinquantaine de dossiers retrouvés, 15 % de l’effectif était fiché aux Sommiers judiciaires pour voies de fait ou vols caractérisés !
M. Raymond – Monsieur, moi-même en tant, disons, en tant que professionnel, j’en étais dégoûté, c’est dire ! Tout ce médiocre ramassis était directement payé par la Sipo – Schmidt remettait mensuellement 1 200 000 francs à Bonny pour cela. Chaque engagé avait droit à la carte verte des SS, à un permis de port d’arme et à un uniforme.
RSP – Je ne sais pas si Monsieur Pierre avait espéré un jour imiter la Handschar, mais c’était d’emblée mal parti…
M. Raymond – L’unité fut logée 74 rue Lauriston, dans un immeuble appartenant à un ami – Monsieur Allard, ancien escroc contre le bureau Otto pour une affaire de papiers à 8 millions de francs. Il devait quelques services… Bref – sitôt installés, ça tangue fort entre Bonny et El-Maadi. Je pense que le chef ne s’est rendu compte de la situation qu’une fois sa prétendue brigade rassemblée dans la cour. Il a immédiatement viré le recruteur !
Ph. R. – Mohamed El-Maadi réussit à s’échapper vers la Tunisie en 1944, puis vers l’Egypte par la Lybie. Il serait mort au Caire dans les années 50…
M. Raymond – Restait donc les 150 brigadistes – devenus 140 en cours de route. Bonny décida de les transférer au 21 avenue de Madrid, à Neuilly. Dans un château réquisitionné par la Kommandantur, puis mis à la disposition de Masuy, le chef de la “Gestapo de l’avenue Henri-Martin” – lequel l’avait surtout vidé de tout ce qui avait de la valeur.
Bonny décida de diviser la Brigade Nord-africaine, ou BNA, en quatre sections de 35 hommes dont quatre sous-officiers, plus un officier. Tant qu’à faire, il prit comme chefs de section des hommes de confiance : Cazauba, Maillebuau, Villaplana et Lucien Prévost. Non pas que le poste les passionnât beaucoup ! Mais il permettait de devenir Untersturmführer sous la direction de l’Hauptsturmführer Bonny, chef de la brigade en titre. Ce fut à peu près tout, hormis les éléments de soutien mis en place rue Lauriston : un médecin, un sous-officier allemand et Edmond Delehaye, qui servait de secrétaire.
RSP – Pour mon information – quel était l’équipement de ces… brigadistes ?
M. Raymond – Une canadienne, un uniforme bleu marine, un béret basque, un ceinturon allemand et un couteau. On ne leur donnait fusils et grenades qu’une fois sortis de Paris. Et puis – ça me fait encore rire quand j’y pense – c’est Joseph Joinovici qui avait obtenu le marché pour fournir le nécessaire de cantine. Un million de francs !
La BNA n’a fait que deux véritables expéditions : une en Limousin et l’autre en Franche-Comté. Pour la première région, c’était les sections de Cazauba et Maillebuau. Pour l’est, Villaplana et Prévost.
RSP – [Raclement de gorge.] La Corrèze, région rurale et isolée, de surcroît relativement épargnée par les combats de 1940 sinon par la répression allemande, était un foyer de Résistance particulièrement actif, sous le commandement unifié du capitaine Raymond Faro, du réseau Combat. Des maquis de plusieurs centaines d’hommes s’étaient ainsi constitués, comme sur le plateau de Millevaches, bien ravitaillés par l’aviation et encadrés par les forces spéciales françaises ou par des vétérans de l’Armée d’avant-guerre.
Ph. R. – C’est sans doute pour cela que la BNA se comporta, non comme une brigade, mais comme une “grande compagnie” du XIVe siècle.
M. Raymond – Il y a beaucoup à dire sur Tulle et sur Maillebuau… Par contre, je n’ai que peu de… renseignements sur Montbéliard ou Sochaux. Bon, je peux néanmoins indiquer deux ou trois choses : la mission initiale des deux sections constituait à garder les usines Peugeot – notoirement infiltrées par la Résistance et constamment sabotées quand par hasard elles n’étaient pas bombardées. Le groupe s’installe à l’hôtel La Balance (ça ne s’invente pas !) – du moins les gradés, car la troupe loge à l’usine, au milieu des ouvriers.
La cohabitation se passe très mal : perquisitions impromptues, détentions plus ou moins arbitraires, tentatives de viol des prisonnières détenues dans les locaux – interrompues par les Allemands eux-mêmes ! Les Maghrébins repartiront très vite, remplacés par les hommes prêtés par Déat début septembre 1943. Sur la route de Limoges, le groupe sera littéralement ravagé par des désertions – une quinzaine d’hommes seulement arriveront à destination, sur soixante-dix ! Très médiocre histoire, et je n’ai pas plus de détails.
PP – Je vois. Le Limousin, à présent – sans excès de précisions sanglantes, je vous prie.
M. Raymond – Passé un court séjour à Limoges, Prévost et Villaplana se séparèrent pour aller respectivement à Périgueux et à Tulle. Bonny passera plusieurs fois à Tulle, à l’hôtel Saint-Martin – j’ignore ce qu’il comptait y faire, mais il ne se déplaçait jamais sans son garde du corps Miloudi Ben Salah, “Le Boxeur”. Les postes de commandement établis, les deux sections commencèrent à sillonner les villages environnants. Leur action se limita cependant à une longue suite de pillages et d’abus de pouvoir.
PP – Peut-être bien que Pierre Bonny descendait simplement pour tenter de rétablir l’ordre dans les rangs.
M. Raymond – Il n’y parvint pas – même en ayant viré un quart des effectifs. Par contre, il se coupait toujours un peu plus de l’équipe parisienne.
Ph. R. – Quelques éléments sur les événements de Tulle – enfin, ceux de 1943. La ville devint une sorte d’otage, victime de multiples razzias en quête d’or, de victuailles ou de tout ce qui pouvait avoir de la valeur. Le préambule d’enquête de la section spéciale nous apprend ainsi que « à Tulle et dans les environs, les brigadistes et leurs chefs ont régné en maîtres : ils faisaient la police des rues et des chemins de fer, interpellaient les passants pour leur demander leurs papiers et les rudoyaient. Il faut entendre les confidences des habitants pour mieux comprendre la terreur dans laquelle ils ont vécu. Il faut encore ajouter les arrestations et perquisitions, toujours arbitraires, aux cours desquelles ils pillaient et volaient. »
A l’évidence, les intéressés savaient que ça ne durerait pas – raison de plus pour se saisir d’un maximum de ressources avant de disparaitre.
RSP – Des procédés pas très éloignés de ceux de la Carlingue.
M. Raymond – Avec beaucoup plus de violence, aveugle de surcroît, et sur une population déjà souffrante.
Ph. R. – Et il n’y avait pas que les trente-cinq Maghrébins à Tulle. Paul Victor, en particulier, laissa forte impression à ses victimes – un individu aux incisives supérieures recouvertes d’or et aux dents inférieures blindées d’un métal blanc, ça ne s’oublie pas. Et j’ai aussi le dossier d’Armand B. – forain à Tulle, sauvagement frappé pour le forcer à révéler la cachette de ses économies, alors même qu’il était déjà invalide à 100 %.
M. Raymond – Je me souviens de Paul Victor comme tout le monde. Mais vous savez comme moi que la majorité de la BNA n’était pas de la Carlingue au sens où je l’entends.
Ph. R. – Les archives bancaires ont effectivement gardé trace des pillages – l’argent remontait vers la capitale. Ainsi, le 14 juillet, Abdelkader Ben H. faisait parvenir par mandat 4 000 francs à une amie à Paris ; le 17 juillet, il lui envoyait 6 000 francs. Mohamed K. : 10 000 francs le 20 juillet ; 10 000 francs le 30 juillet. Et que dire de Saïd A. qui, en l’espace d’un mois, fit parvenir à diverses personnes plus de 70 000 francs !
M. Raymond – Bonny avait créé une meute, dont il orientait la fureur bien plus qu’il ne la dirigeait.
Ph. R. – Un cas reste dans ma mémoire : Georges B., un jeune homme de 24 ans sans histoire interpellé pour un contrôle de routine en face de la gare. Voici la déposition de son père – vous comprendrez pourquoi il n’a pu la faire en personne. « Mon fils fut sommé de montrer ses papiers. Au moment où il s’apprêtait à les présenter, il fut saisi à la gorge par l’un des gestapistes tandis qu’un autre voulait lui passer les menottes. Mon fils chercha alors à se protéger. Il fut aussitôt frappé violemment à la tête par l’un de ces hommes, se servant des menottes comme d’un poing américain. Un autre, qui était armé d’une mitraillette, lui tira dans les jambes. Mon fils s’écroula. Bien que blessé et à terre, il reçut une nouvelle décharge. Puis, malgré ses blessures, ils voulurent l’obliger à se relever. Mais mon fils avait été atteint par cinq balles, dont deux dans une jambe et trois dans l’autre. Il avait les tibias brisés. Il ne pouvait évidemment pas se relever. Les gestapistes le rouèrent alors de coups de pied, de poing, de crosse. »
PP – Je m’excuse une fois encore de vous rappeler que…
Ph. R. – Pardon… Juste pour vous dire que le père fut présenté à Bonny, qui reconnut qu’il y avait eu « méprise » – selon ses termes, et sans plus. Le jeune Georges fut mené à l’hôpital, où il arriva à moitié nu et sans chaussures. Et si son père dut finalement déposer pour lui, c’est en raison de séquelles neurologiques irréversibles. Il fut établi plus tard que les responsables de cette lamentable histoire étaient les dénommés Monange et Moura – lesquels avaient commis leur forfait dans un état d’ébriété visible.
M. Raymond – Vous savez bien qu’ils ne l’ont pas emporté au paradis, ni en enfer d’ailleurs. Passé quelques succès initiaux – un poste émetteur saisi à Tulle, une attaque de camp ou deux, l’arrestation d’un lieutenant de Faro… les brigadistes de Prévost tombèrent dans une embuscade très bien préparée par des maquisards. Ils y laissèrent trois morts et six blessés graves – ivres de rage, ils assaillirent le village de Cornil. Un village que la Résistance avait pris la précaution de faire évacuer – il n’y trouvèrent que dix personnes, qu’ils prirent en otages et libérèrent six jours plus tard… après avoir pillé Cornil de fond en comble. La mésaventure les calma – par la suite, les brigadistes se firent plus discrets. A Eymet, Villaplana négocia d’ailleurs ostensiblement avec la SS qu’aucun otage ne soit fusillé, malgré la présence de Résistants dans le secteur. Eymet n’échappa toutefois pas non plus au saccage.
Ph. R. – Le 18 août, Pierre Bonny est à Paris, espérant négocier l’appui des autres organisations du NEF – il se heurte alors à Paul Touvier, qui lorgne sur son réseau et ses contacts. Ecœuré, semble-t-il, par ses échecs comme par ceux de sa troupe, il lâche l’affaire. La BNA remonte à Paris à la fin du mois – seule la section de Villaplana reste encore un temps à Limoges, peut-être sous la direction du nouveau lieutenant SS Raymond Monange. Elle participe à des exécutions d’otages à Mussidan – en tout, 350 morts désignés au hasard.
M. Raymond – Je vais peut-être vous choquer – mais à cette époque, Bonny n’a plus de prise sur la BNA. Il laisse faire, et envoie des hommes quand les Allemands le lui demandent. Mais plus aucun “vieux” de la bande ne s’en occupe ou ne les commande. Finalement, la direction des dernières expéditions fut assurée par un lieutenant SS – Monange ou un autre.
Ph. R. – Ce groupe ne semble pas avoir eu de fin officielle. On le voit apparaître encore un peu dans les archives allemandes jusqu’au début du mois de septembre 1943, avant de tout simplement disparaitre – sans aucun doute comme ses propres membres, dont les destins n’intéresseront plus que la Justice.
RSP – Oui, car comme chacun sait, le 6 septembre 1943 a lieu Dragon – le Débarquement en Provence !
PP – Lequel mérite bien une ultime coupure, chers invités !


Y tombe
Des bombes,
Ça boume,
Surboum,
Sublime !
Des plombes
Qu’ça tombe,
Un monde
Immonde
S'abîme !

Rock around the bunker !
Rock around rock around !

C’est l’hé-
Catombe,
Ça r’tombe
En trombe,
Ça fume !
Tout flambe,
Les tombes,
Les temples,
Exemple
Sublime !

Rock around the bunker !
Rock around rock around !

Infâme
Napalm,
Les flammes
Surplombent
L'abîme.
Goddam !
Tout crame,
Tout tremble,
Et tombe
En ruine.

Rock around the bunker !
Rock around rock around !



Rock Around the Bunker
(Serge Gainsbourg, 1975)


Dernière édition par Casus Frankie le Sam Fév 01, 2020 00:46; édité 1 fois
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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 11:08    Sujet du message: Répondre en citant

Encore quelques formattages manquants:

RSP – C’est d’ailleurs à partir de cette date…
PP – On se souvient notamment du fameux…
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Etienne



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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 11:52    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Ph. R. – Et il n’y avait pas que les trente-cinq Maghrébins à Tulle. Paul Victor, en particulier, laissa forte impression à ses victimes – un individu aux incisives supérieures recouvertes d’or et aux dents inférieures blindées d’un métal blanc, ça ne s’oublie pas. Et j’ai aussi le dossier d’Armand B. – forain à Tulle, sauvagement frappé pour le forcer à révéler la cachette de ses économies, alors même qu’il était déjà restera invalide à 100 %.

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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 12:04    Sujet du message: Répondre en citant

Et j’ai aussi le dossier d’Armand B. – forain à Tulle, sauvagement frappé pour le forcer à révéler la cachette de ses économies, alors même qu’il était déjà restera invalide à 100 %.

Shocked

Euh ? Le Lucky-Luke de l'Azerty a encore frappé ?
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 12:09    Sujet du message: Répondre en citant

Vous aurez compris que Monsieur Armand était déjà invalide à 100% avant d'être maltraité. En me relisant, Casus ne l'a pas cru !
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C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 12:28    Sujet du message: Répondre en citant

J’ai juste oublié le « et » entre « déjà » et « restera ».
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Casus Frankie

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Archibald



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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 20:13    Sujet du message: Répondre en citant

La marquise d'Abrantès ? Mince alors, donc la nymphomane inventée par Frank et Vautrin - Albina d'Abrantès - avait donc une soeur, bien réelle celle-ci ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_de_Berlin
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Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 21:14    Sujet du message: Répondre en citant

En meme temps, dans le résumé, il me semble entrevoir beaucoup de têtes connues... Comme toujours, la fiction se nourrit du réel.
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loic
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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 22:12    Sujet du message: Répondre en citant

Sommes-nous si sûrs que Maurice Chevalier aura le même destin FTL ?
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On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Jan 31, 2020 23:25    Sujet du message: Répondre en citant

Il est mentionné dans la chrono comme ambassadeur en Croatie du NEF
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Tyler



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MessagePosté le: Sam Fév 01, 2020 00:30    Sujet du message: Répondre en citant

@loic et demodan : Je crois qu'il y a confusion Maurice et Jacques Chevalier.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Sam Fév 01, 2020 00:38    Sujet du message: Répondre en citant

Oups c'est vrai - ceci étant Maurice Chevalier était bien intégré dans le milieu des casinos. Je sais pas s'il est parti vers Alger ... OTL, il était farouchement pro-pétain, pacifiste et c'était planqué en Dordogne en attendant mieux et faute de rejoindre Cannes.
Ces relations avec le milieu réactionnaire et malfaiteur sont bien connus. Il est ensuite allé à Cannes dès que possible pour refuser de remonter sur Paris suite à des problèmes de santé de sa mère et du souci de ses fils. Pas sur du tout que la traversée le tente !
En vérité, je le vois bien faire des tournées dans la France pour le NEF, sans trop genre y toucher.
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Archibald



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MessagePosté le: Sam Fév 01, 2020 08:37    Sujet du message: Répondre en citant

Ah ouais donc Maurice Chevalier est un peu comme Frank Sinatra, chanteur d'exception sans aucun doute, mais aussi un rien lâche et pourri sur les bords...
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Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
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MessagePosté le: Sam Fév 01, 2020 10:31    Sujet du message: Répondre en citant

Pas si simple !
Lisez sa page Wikipedia, elle est assez détaillée.
Les parents de sa compagne (Nita Raya) sont juifs et ils les envoient dans le sud fin mai 40, puis les rejoignent.
Pendant l'occupation, il reste très longtemps en zone libre et n'hésite pas à s'afficher avec des artistes juifs, au grand dam de certains.
FTL, en l'absence de Pétain et le pays étant occupé entièrement dès le départ, je le vois bien partir à Alger, certes pas forcément pendant le GD, mais assez rapidement (d'ici la fin 1940, début 1941 au plus tard).
En ensuite faire la tournée des unités dans tout l'empire français comme il l'a fait pendant la drôle de guerre.
C'est un symbole qu'Alger pourrait vouloir exploiter (Paris aussi bien sûr).
Ah oui, il a aussi travaillé avec Josephine Baker, c'est à ne pas négliger. Il a également beaucoup voyagé et connaît du monde, il peut aussi aller plaider aux USA, en Argentine, ... la cause de la France.

Non, plus j'y pense, plus je me dis que son destin sera fort différent.
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MessagePosté le: Sam Fév 01, 2020 11:39    Sujet du message: Répondre en citant

Bon bon on supprime.
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