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Février 44 - Balkans et Hongrie
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 09:47    Sujet du message: Février 44 - Balkans et Hongrie Répondre en citant

1er février
La campagne des Balkans
Météo

La journée n’est marquée par aucune action majeure. Une pluie froide s’abat de nouveau sur le théâtre des opérations, transformant les chemins en fondrières et la belle neige blanche en une boue épaisse et collante.

Pèlerinage païen
Wolfsschanze (Rastenburg)
– Après les négociations qu’il a si brillamment conduites, le Poglavnik Pavelic reprend son train en direction de Zagreb. Son départ s’effectue devant les caméras, avec force sourires et gestes de triomphe à destination de son peuple. Derrière lui, les membres de sa délégation paraissent plus effacés – est-ce parce qu’ils laissent la première place à leur chef… ou parce qu’ils sont saisis de quelques doutes ?

De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Repos forcé
Aranđelovac
« Comme il fallait s’y attendre, ma petite scène de la veille avait causé un peu de remous. Pas assez pour se débarrasser de moi, évidemment – les torts entre Lazović et ma personne semblaient plus que partagés. De surcroît, personne n’avait intérêt à ce que l’on évoque les méthodes des milices serbes – pas même mon commandement !
La conclusion vint, logiquement, par un coup de fil personnel du commandant Dumaire : « Capitaine Percay, vous êtes visiblement surmené. La situation sur le front est calme… Prenez du champ, allez faire un tour, quittez Belgrade. C’est un ordre, au cas où vous ne l’auriez pas compris ! » On avait certainement peur que je me “grille” tout seul.
Je laissai donc mes lépreux sous le commandement d’Augagneur pour prendre ma Jeep et partir rouler un peu au hasard vers le sud – espérant ainsi m’éloigner de Vranješević, Lazović et plus globalement de toute la misère de cette fichue ville. C’est ainsi que j’ai finalement atterri à Aranđelovac (la ville de l’Archange), une petite cité au pied de la montagne de Venčac et désormais sur les arrières de la 6th Armoured.
La ville n’était pas énorme, mais pittoresque – on la disait habitée depuis l’époque romaine. Mais cela ne faisait guère mes affaires, je n’allais tout de même pas dormir dans les tombes des patriciens. J’errai donc un long moment au hasard des rues, traînant ma mine fatiguée et mon uniforme exotique sous la pluie, offert au regard d’une population curieuse et qui devait sans doute me trouver pitoyable.
Une main sur mon épaule, puis le visage souriant d’une femme dans la cinquantaine, qui s’exprimait dans un français parfait : « Vous, vous avez faim et vous ne savez pas où loger, je me trompe ? » Il n’y avait donc pas que des barbares dans ce pays ! Avant même que j’accepte de m’installer pour la nuit, elle m’avait déjà offert de partager sa modeste pitance. Un peu de vin rouge, un reste de rôti de porcelet et un poivron farci… Un vrai festin, que je lui paierais bien sûr dès le lendemain.
Oui, le lendemain… Car le lit de sa chambre d’ami était bien trop confortable pour que je reste éveillé après le repas – j’étais plus que las de mes aventures. »



2 février
La campagne des Balkans
Triomphe
Zagreb
– Ante Pavelic rentre dans la capitale de son pays – lequel est désormais très officiellement l’un des plus fidèles et des plus appréciés alliés du Reich. Il est vrai que ce dernier n’en a plus guère… Mais cela ne saurait en rien entamer la bonne humeur du Poglavnik, qui triomphe devant les caméras de la Hrvastsi Slikopis, l’air parfaitement confiant. Hitler et l’Allemagne ont honoré la vieille promesse de Mussolini ; la Croatie va retrouver ses frontières historiques !
Sitôt la nouvelle annoncée, le vice-ministre de la Guerre Vilko Begić et le nouveau chef de la Kroatia-Armee, Slavko Štancer, tous deux dûment talonnés par leur maître, ont pris langue avec Maximilian von Weichs et la SS pour programmer une réunion de travail – elle est prévue dès demain. Il s’agit d’entériner aussi vite que possible les modifications nécessaires dans l’organisation du Heeresgruppe E.

Intérêts convergents
Kaposvár (Hongrie)
– Le général von Weichs en question, toujours aussi contrarié, enchaîne les mauvaises nuits – et l’arrivée annoncée de la 181. ID n’y peut rien. Car cette unité ne pourra régler seule le problème hongrois, pas plus que les Croates ne pourront tenir seuls face aux Alliés. Son groupe d’armées a désormais deux flancs ouverts : le droit, sous la responsabilité de troupes réputées loyales mais médiocrement équipées, et le gauche, où des unités peu sûres font désormais face à des divisions ennemies qui pourraient sous peu devenir leurs amies ! Et que devient le Heeresgruppe E, au milieu ?
Il faut donc sécuriser au moins une des deux ailes du GA E, pour que ce dernier ait une vague chance de survivre au printemps 1944. Lequel ? la réponse est évidente, car imposée par la géographie : il faut que la Voïvodie soit tenue par le Reich, et non plus par la 2e Armée de ce Jany. Certes… mais cela représente 180 kilomètres de front supplémentaires, sur un terrain très favorable à l’offensive ! Et ce n’est pas avec une malheureuse division d’infanterie en plus que Fehn va s’en sortir.
Un verre d’Unicum plus tard, le général appelle l’OKW pour solliciter des instructions. Au bout du fil, l’Oberst von Freyend – évidemment. Ce dernier n’a pas perdu son arrogance coutumière… mais elle semble cette fois-ci déguisée sous des propos plus subtils. « Le Führer a tranché pour vous avec sagesse, Herr General. En offrant la Bosnie aux Croates, il vous en a de toute évidence déchargé. A vous de vous coordonner avec ces derniers – et avec la SS ! – pour mettre en place un dispositif cohérent. »
Dans son bureau, von Weichs doute toujours autant que son groupe d’armées ait été un jour une priorité d’Hitler. Mais il entend clairement le message – ainsi que la bénédiction de l’OKW pour ce qu’il s’apprête à faire.

Manœuvres obscures
Zagreb (Etat indépendant de Croatie)
– De cafés en ministères, de bureaux discrets en maisons isolées, les conspirateurs croates continuent d’échafauder leurs plans délicats pour sauver la Croatie de la défaite de l’Axe, et ce malgré des premiers contacts bien décevants. De leur point de vue et selon leur expérience, il parait désormais évident que les Britanniques ne viendront vers eux que contraints et forcés. Quant aux Français, ils semblent plus compréhensifs… mais ne sauraient faire le premier pas.
Tirant les conclusions logiques de ce qui leur semble être la réalité, Mladen Lorkovic et ses complices ont décidé de préparer désormais franchement (mais dans la discrétion) un coup d’état contre Pavelic, afin d’épargner à la Croatie une occupation étrangère. Dans cette optique, Lorkovic vient d’obtenir une belle promotion pour Ante Vokić : ce dernier a été nommé Krilnik (1), grade qui n’a été attribué qu’à Slavko Kvaternik (2). Or, celui-ci est désormais en disgrâce en Slovaquie, suite à des… excès dans la répression anti-juive et anti-serbe (3). Cette nomination, qui déplaît beaucoup à l’ambassadeur Siegfried Kasche comme au général von Horstenau (lesquels désespèrent désormais de parvenir à un équilibre dans le gouvernement croate !), donne donc à Vokić le commandement de fait de la garde nationale oustachie… Elle complètera fort utilement les nombreux contacts que Lorkovic entretient aujourd’hui au sein de la haute société de Zagreb, en compagnie de Ljudevit Tomašić et avec l’aide du carnet d’adresses d’August Košutić.
Mais tout cela, Pavelic ne le voit pas… pour l’instant. Son aveuglement semble d’ailleurs partagé par les conjurés. Ainsi, face aux craintes exprimées par l’aristocratie croate quant aux “dégâts” infligés aux Serbes et aux Bosniaques par la politique oustachie, August Košutić aura cette réponse sidérante : « Je ne pense pas que cette question devrait nous inquiéter autant. Je me souviens très bien de la situation dans laquelle se trouvait l'Europe durant la guerre précédente, ou même juste après. Les pays engagés dans cette dernière étaient tellement occupés par leurs propres affaires internes que personne, pour ainsi dire, ne tenait compte de ce que les autres faisaient à l’intérieur de leurs propres frontières. En 1919, sur les côtes de la Méditerranée, une bonne partie de la “population non désirée” pouvait tout simplement être éradiquée et personne ne tournait la tête. Donc, si nous sommes intelligents, cette question de… nettoyage – disons plutôt de restructuration et de changement de la population – ne devrait pas être particulièrement difficile à défendre pour nous. » Pas sûr qu’on partage cet avis à Belgrade…

Naissance d’une nation
Jajce (Bosnie)
– Il neige une fois encore dans les montagnes de Yougoslavie et sur la capitale séculaire des rois de Bosnie. Mais cela n’empêche pas l’AVNOJ (Antifašističko vijeće narodnog Oslobodjenja Jugoslavije) de se réunir en congrès pour la seconde fois de son existence, dans cette région contrôlée depuis plusieurs mois par les Partisans. Les représentants s’étaient réunis pour la dernière fois en juillet 1942 – les circonstances « complexes » de l’été 1943 ayant depuis empêché la tenue d’un second congrès. Ce dernier a donc été reporté à l’hiver 1944, ce qui ne gêne d’ailleurs pas grand monde, car la situation a beaucoup évolué depuis l’année dernière. En effet, face aux royalistes serbes, il n’est plus question d’une politique mesurée, comme le souhaitait le Croate Ivan Ibar du temps de la “République de Tito” – et les 142 délégués ont bien conscience de vivre une occasion historique, la dernière même, avant que les réactionnaires ne puissent enfermer de nouveau la Yougoslavie sous la chape de plomb de la royauté.
L’ordre du jour est donc chargé – Ibar a bien du mal à présider la séance tenue dans le “Centre culturel” du Sokol (le mouvement gymnaste tchèque), en attendant l’arrivée du “Vieux”, qui prépare son entrée en scène. Le chagrin, sans doute – il vient d’apprendre que son fils Ivo “Lola” Ribar est mort la veille, à Glamočko Polje, aux commandes d’un avion qui s’apprêtait à décoller pour Athènes avec, à son bord, une « mission militaire de coordination » chargée de rencontrer le haut commandement allié. Avant que ses camarades Vladimir Velebit et Miloje Milojević (les autres membres de la mission) montent à bord, un appareil non identifié a attaqué le terrain de fortune et lâché une bombe qui a tué Ribar sur le coup… Un curieux hasard en vérité, qui ne fait absolument pas les affaires de Josip Broz, pour qui l’envoi du chef partisan était un geste destiné à montrer aux alliés sa stature d’homme d’état (4) – « Ils nous envoient une mission, nous leur en envoyons une. »
Mais personne n’ira poser de questions sur ce triste événement, en temps de guerre et sous le regard des portraits de Staline, Roosevelt, Churchill et De Gaulle – peints par le Serbe Đorđe Andrejević Kun et encadrant le buste de Tito (en plâtre, par le Croate Antun Augustincic). De plus, le portrait de Josip Broz (par le Slovène Bozidar Jakac) veille derrière l’estrade, sous le tout nouveau blason de la Yougoslavie : six torches représentant les six nations yougoslaves, entourées des épis d’abondance drapés de bleu brodé de la date du jour et surmontées par l’étoile rouge communiste – une création conjointe de Kun et Augustincic, faite dans l’urgence (5).
La présence du portait de Staline n’est d’ailleurs pas aussi naturelle qu’on pourrait le croire, car les relations entre les Partisans et Moscou montrent des signes d’incompréhensions – sans aller jusqu’à parler de divergences, évidemment ! Déjà, en septembre dernier, “Walter” (une des multiples identités de Tito) avait envoyé un télégramme au ministre Molotov, exprimant ses inquiétudes quant à la future conférence d’Athènes et spécifiant clairement que « Pierre II et son gouvernement de traîtres ne pourraient jamais rentrer au pays. » A l’évidence, le chef des Partisans s’inquiétait que l’on puisse prendre en son absence des décisions allant contre ses vœux. Mais aucune réponse n’était venue du Kremlin, malgré les assurances que Staline lui avait pourtant données lors de leur entrevue de l’été 1943.
Pire encore : se sentant soutenu par le cours des événements et les correspondants militaires occidentaux (dont le fameux colonel Fitzroy MacLean et Laurent Ravix, du Troisième Bureau – d’ailleurs présents dans la salle à Jajce !), Tito s’était proposé auprès de Moscou pour devenir le dirigeant de la Yougoslavie avant le retour du Roi, sous la forme d’une minauderie assez subtile. Il avait en effet envoyé à Georgui Dimitrov Mikhaylov, le secrétaire général du Kominterm, un télégramme faussement préoccupé dans lequel il indiquait : « En Slovénie, en Croatie et même au sein de l’AVNOJ, on propose mon nom pour devenir président du futur Comité National de Libération de la Yougoslavie. Ceci, en plus de ma fonction de commandement militaire. Pourriez-vous m’aider à convaincre mes camarades que cela ne serait pas bon, et même très certainement pas accepté à l’étranger ? » Evidemment, Josip Broz espérait une réponse fraternelle l’assurant qu’au contraire, ce serait excellent et l’invitant à se porter aux responsabilités avec la bénédiction de Moscou. La réponse n’en fut que plus proche de la douche froide : « Effectivement, cela n’est pas opportun. »
Depuis ce pénible épisode et alors que Pierre II est désormais installé à Belgrade, Tito reste un bon soldat du communisme – mais il craint fort que son mouvement serve de monnaie d’échange dans une forme de grand marchandage avec les Occidentaux. C’est pourquoi personne n’a informé Moscou de la tenue du congrès de l’AVNOJ – en effet, on murmure qu’elle aurait pu être sabotée en guise de rétorsion contre la politique « indépendantiste » de la Ligue des Communistes de Yougoslavie.
La séance démarre finalement. Parmi les délégués, une majorité de communistes bien sûr, mais pas seulement : le Parti paysan croate, la communauté musulmane, le Parti des socialistes chrétiens, le Parti des démocrates indépendants, le Parti radical, le Parti agraire serbe et bien d’autres encore sont également présents, en plus de personnalités hautes en couleur comme le prêtre orthodoxe Valda Zecevic ou le nationaliste Slovène Josip Vidmar. Bref, tout ce qu’il faut pour prétendre représenter la Nation – ou presque : on ne trouve évidemment aucun royaliste et nul Macédonien dans la salle.
Et voici que le “Vieux” monte sur l’estrade au milieu des applaudissements, pour un long discours introductif dans la plus pure tradition communiste. Il y est question de l’unité de la Yougoslavie, unité dans la lutte et en tant que Nation. Tito insiste lourdement sur le fait que le combat national n’est pas « une affaire strictement communiste, une bolchévisation du pays, ou une tentative pour les communistes de prendre le pouvoir. » Pas plus, d’ailleurs, qu’il ne devrait permettre à un peuple d’assurer son hégémonie sur les autres ethnies. Dire le contraire est un mensonge de propagande, sorti tout droit des cuisines de Herr Goebbels lui-même !
Ces éclaircissements effectués, on passe à la présentation des six motions principales, rédigées à l’avance par le Politburo – c’est à dire essentiellement par Edvard Kardelj, Moša Pijade et le sagace Boris Kidrič (6) . Elles ont des buts ambitieux. D’abord, nommer un Comité national de libération de la Yougoslavie (Nacionalni komitet oslobođenja Jugoslavije ou NKOJ) qui, sous l’autorité d’un Premier ministre dont tout le monde devine l’identité, devra agir comme pouvoir exécutif temporaire dans les zones libérées par les Partisans, ôtant ainsi toute compétence aux fonctionnaires royaux. Ensuite, nier la légitimité des Karađorđević et du gouvernement royal jusqu’à la tenue d’un référendum sur le sujet. Enfin, proclamer une nouvelle Yougoslavie fédérale avec six républiques ayant des droits égaux – jetant de ce fait aux orties la dictature d’Alexandre Ier et la constitution de 1931. Il n’est pas prévu de vote secret – pourtant, la nuit sera longue…

De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Une forme de tourisme
Aranđelovac
« Au matin, je me sentis reposé – pour la première fois depuis longtemps en vérité. L’odeur du pogaca me fit descendre instinctivement vers la cuisine, où mon hôtesse préparait déjà le déjeuner. Apparemment, j’avais dormi tout mon soûl.
Une assiette de pain et de fromage frais plus tard, je liais enfin conversation avec ma bienfaitrice. « Il n’est pas fréquent d’avoir des chambres d’amis en Yougoslavie, ou peut-être me trompé-je ? » La réponse fut douce et amère à la fois : « C’est celle de mon fils, il est mort il y a six mois à peine, tué par ces chiens d’Allemands. »
– Navré, je ne voulais pas…
– Ce n’est rien, je suis loin d’être la seule ici à avoir perdu un fils, et il voulait suivre l’exemple de son père. Mon époux était Français, il avait également fait la guerre – l’Autre, comme on dit. C’était dans une unité de l’Armée d’Orient, sous les ordres d’un capitaine dont il parlait souvent avec émotion, en disant qu’il était devenu fou et qu’il était parti en Crimée pour continuer à se battre – parce qu’il ne savait plus rien faire d’autre et ne pourrait jamais retrouver une vie normale… Bref, c’est le passé tout cela.

Je me voulus réconfortant : « Votre fils et votre mari étaient très courageux, Madame. »
Elle eut un sourire doux : « Si vous le dites. Je ne sais pas si mon mari aurait aimé voir ce que le Royaume devient, de toute façon. A l’époque, on jasait déjà – pensez donc, un Français qui épouse une Croate ! »
Ainsi donc cette dame n’était pas Serbe. Je commençais à comprendre mon invitation de la veille – était-ce de la bienveillance… ou la recherche d’une protection par les temps difficiles qui couraient ? Un instant plus tard, la réponse me vint : c’était sans importance. La maîtresse de maison n’était certainement pas une espionne oustachie, et je n’étais pas là pour arbitrer les différends entre les ethnies yougoslaves.
– Vous regrettez le temps d’avant la guerre ?
– Pas exactement, mais je suis un peu lasse, capitaine – c’est bien votre grade ? On a tué tant de monde ici : les Turcs, les Macédoniens, les Serbes… Et toute l’Europe s’en moque. Le sang cessera-t-il un jour d’inonder cette terre ? Avez-vous vu où va le Roi ?

Je m’empressai de préciser que je n'aurais su juger de la politique intérieure d’un pays que je ne connaissais – dans le fond – que fort peu. Mais j’ajoutai : « Il est vrai que les derniers événements sont dramatiques et ne sont pas fait pour calmer des esprits simples comme certains que je côtoie tous les matins, à mon poste. Mais la haine cessera inévitablement un jour, c’est certain. »
– Je comprends. Les forces du Roi ont certainement leur vision des choses, notamment sur les Croates. Vous, vous ne risquez rien – du moins tant que vous restez à l’écart.

Je me gardai bien de répondre…
Dans l’après-midi, je sortis faire quelques courses à mes frais pour Madame Horvat – il était convenu que je resterais autant que je le souhaiterais, moyennant quelques services. Un peu de simplicité dans ma vie me ferait du bien. Et j’avais envie de découvrir la région – on parlait d’une grotte avec des peintures rupestres située non loin d’ici (7), de sources thermales à Bukovik, du parc de Bukovička Banja avec l’hôtel Staro Zdanje et le pavillon du Prince Miloš (que j’espérais pouvoir observer de l’extérieur), du mémorial du soulèvement serbe à Orašac… En me débrouillant bien, je pourrais peut-être même trouver une canne et pêcher du poisson au lac Garaši – qui sait ?
J’allais avec ces pensées simples et réconfortantes sous la neige – quand la lumière intérieure qui m’égayait vacilla et s’éteignit. Je passai devant un rassemblement de miliciens et d’autres bruyants patriotes. Ils écoutaient, indifférents au climat et aux circonstances, la harangue d’un idéologue. Deux mots ressortaient, repris par la foule, le poing levé : « Slava ! Slovenski ! »



Notes
1- Terme croate signifiant “Couronne” – grade correspondant à peu près à brigadier-général dans d’autres armées.
2- Ainsi qu’à Stjepan Duić, Jure Francetić et Blaž Kraljević… mais à titre posthume.
3- Lesquels ont choqué jusqu’aux Allemands et ont poussé sa propre femme, d’origine juive, au suicide.
4- Tito fut très touché par la mort de son camarade : le télégramme annonçant la nouvelle lui aurait échappé des mains et il se serait agrippé à la table en s’écriant : « On a démoli l’un de mes piliers ! » Il tint à annoncer lui-même cette perte à Ibar père, dont la femme avait été massacrée par les Oustachis et dont le fils aîné, Jurica, était lui-même tombé au combat quelques jours plus tôt ! Prenant Tito dans ses bras, le vieux Croate murmura simplement « Notre lutte est vraiment terrible… »
5- Les deux artistes ont été appelés au dernier moment par Aleksandar Rankovic pour produire quelque chose de « marquant pour les esprits » dans le contexte du congrès – Augustinčić devait initialement aller à Biokovo, sur l’Adriatique, pour construire une statue monumentale de Tito ! Les six torches seraient issues d’une idée de Rankovic et de Tito lui-même. Le modèle sera rapidement reproduit en noir et blanc et intégré aux documents officiels de l’AVNOJ. Les billets de banque, les armoiries du comité central et tout le décorum nécessaire à un état suivront dans la foulée.
6- Kardelj dira de lui dans ses Mémoires : « D’un côté, c’était un homme d’action infatigable et très perspicace ainsi qu’un excellent organisateur. De l’autre côté, c’était un penseur assidu, un analyste de talent, qui ne se contentait pas d’un rôle d’exécutant, mais était aussi un innovateur. »
7- La grotte Risovača, qui fut hélas gravement endommagée par l’exploitation d’une carrière.
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loic
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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 10:57    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Oberst von Freyend

Notons que l'on reparle de ce dernier (qui est l'adjoint de Keitel) en mars 1944 à Paris puis à Rastenburg lors de l'attentat.
_________________
On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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Hardric62



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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 11:40    Sujet du message: Re: Février 44 - Balkans et Hongrie Répondre en citant

Retour aux Balkans... J'ai peur de la suite. Aussi:

Casus Frankie a écrit:


Il faut donc sécuriser au moins une des deux ailes du GA E, pour que ce dernier ait une vague chance de survivre au printemps 1944. Lequel ?


Je suppose que le terme 'flanc' était initialement utilisé, mais il semble que tous les accords n'ont pas été faits dans la transition.
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Hendryk



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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 12:18    Sujet du message: Re: Février 44 - Balkans et Hongrie Répondre en citant

Evidemment, Mme Horvat est croate, c'est dans son nom...

Casus Frankie a écrit:
« – Ce n’est rien, je suis loin d’être la seule ici à avoir perdu un fils, et il voulait suivre l’exemple de son père. Mon époux était Français, il avait également fait la guerre – l’Autre, comme on dit. C’était dans une unité de l’Armée d’Orient, sous les ordres d’un capitaine dont il parlait souvent avec émotion, en disant qu’il était devenu fou et qu’il était parti en Crimée pour continuer à se battre – parce qu’il ne savait plus rien faire d’autre et ne pourrait jamais retrouver une vie normale… Bref, c’est le passé tout cela.
Je me voulus réconfortant : « Votre fils et votre mari étaient très courageux, Madame. »

Un certain Capitaine Conan, j'imagine?
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 15:02    Sujet du message: Répondre en citant

@ Loic - bien noté !
@Hardric : bien vu et non n'ayez pas peur - tout s'arrange ... un jour !
@ Hendryk : Bien vu mon cher !
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C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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requesens



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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 16:18    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
!
@ Hendryk : Bien vu mon cher !


Mais sauf erreur de ma part, ce cher capitaine est en mauvais etat dans un village de Bretagne. La paix lui aura ete mortelle.
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"- Tous les allemands ne sont pas nazis, monsieur !
- Oui, je connais cette théorie, oui."
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Mai 19, 2019 17:25    Sujet du message: Répondre en citant

Six pieds sous terre oui Confused
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Anaxagore



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:20    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:

@Hardric : bien vu et non n'ayez pas peur - tout s'arrange ... un jour !


Oh oui... ils finiront tous par se tenir bras dessous, bras dessus, Croates, Serbes, Bosniaques, Monténégrins, Kosovars... tous ensemble, en paix... dans une grande fosse commune ! La paix dans ce pays n'est possible que par la dictature ou dans la mort. Crying or Very sad

C'est pour ça que j'ai une certaine sympathie pour Tito. Vu à l'aune de nos occidentales démocraties, on peut le qualifier de "dictateur communiste"... certes, c'est juste. Mais moi, ce que je vois... c'est qu'il a amené la plus longue période de paix, de fédéralisme, de prospérité, d'égalité entre les ethnies que cette région n'ait jamais connu. Tout cela avec un coût humain... dérisoire... du moins comparé aux méthodes de ses prédécesseurs et successeurs.

Comprenez bien, je ne fais un panégyrique de Tito. Je fais juste un constat simple. Tant qu'il a vécu, la Yougoslavie a été un pays en paix, prospère et où il faisait bon vivre. Il y avait sans doute de "menus" inconvénients (police politique, opposants qui disparaissent) mais ce fut la seule période de l'histoire de cette région où un dictateur de l'ethnie X n'a pas imposé des revendications sanguinaires aux ethnies Y et Z, en utilisant le "nettoyage ethnique". C'est en comprenant ça que je me suis dit.. "Tiens, finalement, la dictature communiste par un un leader charismatique avec culte de la personnalité, c'est pas si mal enfin de compte !"... c'est l'effet que la Yougoslavie a sur moi...
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Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:33    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai coutume de dire que Tito était la solution violente à un problème violent. Mais je me garderait bien de faire son éloge pour autant. Ses somptueuses villas et ses gouts de roi des pirates ... ses iles de l'Adriatique qui n'avaient rien à envier à Dachau ... Son échec économique total (on a coutume de dire que la RFY était le seul pays communiste qui marchait .. on oublie juste de préciser qu'en 1980 elle avait 19 Milliards de $ de dette - de l'époque ! - envers les USA) ... Ses purges incessantes sur la fin de sa vie avec ses allers-retours entre serbes et croates ... Bref pas la joie. On va en parler ne vous inquiétez pas !
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Jubilé



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:39    Sujet du message: Répondre en citant

Avec toutes les limites et failles, l'ancienne yougoslavie n'est-elle pas en paix depuis 20 ans ?
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demolitiondan



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:41    Sujet du message: Répondre en citant

Ah ben c'est sûr maintenant qu'elle n'existe plus et qu'ils ont soldé dans le sang leurs différents. Et encore, parce que je suis sûr que si on laisse parler les serbes et croates les plus à droite ...
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Jubilé



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:47    Sujet du message: Répondre en citant

C'est bien pour cela que je parle de limites au raisonnement, mais on tend quand même à oublier que la région ne connait plus aujourd'hui de conflits ouverts, même si beaucoup restent encore latents.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 09:50    Sujet du message: Répondre en citant

3 février
La campagne des Balkans
Migrations contraintes
Užice (Serbie occupée)
– Après une semaine de marche au milieu de la neige et de l’hostilité, la 100. Jäger (Willibald Utz) arrive finalement dans l’ancienne capitale de la défunte “République de Tito”, accompagnés des engins du 914. StuG Abt (major Friedrich Domeyer). Chasseurs de montagne et Sturmgeschutz rejoignent ainsi la 114. Jäger (Karl Eglseer), qu’ils entreprennent de relever. Cependant, cette dernière ne doit pas quitter le secteur immédiatement – il convient d’attendre que les trois autres divisions du XV. GAK soit elles aussi prêtes à partir avant de faire mouvement vers le nord et la Save.

Condamnation à mort d’une nation
Kaposvár (Hongrie)
– Pendant ce temps, au QG du HeeresGruppe E, un drame se joue. Autour de la table, affichant des mines contraintes, siège l’état-major militaire de l’Axe dans les Balkans : Vilko Begić et le général Slavko Štancer pour le NDH (les Croates), le SS-Obergruppenführer Artur Phleps pour les hommes en noir et bien sûr Maximilian von Weichs pour la Heer. Manque les Hongrois – mais ces derniers semblent être devenus soudainement indésirables…
Rassemblé par la volonté de leurs chefs politiques, tous ces personnages se détestent cordialement. « Comme des Yougoslaves ! » se dit l’aide de camp de von Weichs.
Les Croates, et tout particulièrement Slavko Štancer, en veulent évidemment à la Heer pour le mépris dans lequel elle les a tenus durant deux ans – ils en savourent d’autant plus leur revanche. Au point même de venir à cette réunion sans s’y être vraiment préparés.
Le général von Weichs – et toute la Heer à travers lui – enrage contre ces Oustachis qui, après avoir causé tant de difficultés, lui forcent à nouveau la main pour obliger les militaires professionnels à mettre le nez dans leurs affaires. Hélas ! Dès avant la récente visite de Pavelic à Hitler, l’OKW a bien dû revenir de ses illusions serbophiles du mois d’août : ses seuls partenaires fiables – mais encombrants – sont à présent les Croates. L’offensive alliée de décembre a donc contraint l’Allemagne à s’appuyer encore plus sur ces derniers, et peut-être davantage que si la Yougoslavie n’avait été secouée que par les actions des Partisans. C’est donc en vain, désormais, que Glaise von Horstenau et Hermann Neubacher tentent de limiter l’influence de Pavelic – la Heer, elle, a fait son deuil.
Quant à Phleps, tout vêtu de noir luisant, il observe avec un certain plaisir mais beaucoup d’impatience ces dégénérés slaves et autres vestiges de l’ancienne Allemagne s’enliser dans leurs propres turpitudes. Même si, évidemment, l’Obergruppenführer aimerait autant être ailleurs : son temps est précieux !
Mais il est précieux pour tout le monde, en vérité.
Von Weichs veut faire vite : il propose d’emblée aux Croates de leur attribuer un front de 250 kilomètres allant du lac Scutari – déjà sous le contrôle du Kroatia-Armee-Korps (les trois divisions croates de la Heer) – jusqu’aux monts au sud de Valjevo, qui ne sont pour l’instant tenus que par le KG Braun – pardon, par la 4. GebirgsJäger Division ! Toutefois, le général allemand souhaiterait que le 3. SS-GAK se positionne entre ses futures lignes et celles des Croates, « afin de faciliter la coordination de nos forces ».
Les Oustachis sont ravis … mais cela ne fait pas les affaires de Phleps, qui se voyait déjà se tailler un fief dans le sud du pays. Il imagine avec déplaisir tout son monde (deux divisions et un StuG Abteilung quand même, sans compter la 4. SS-Polizei-Panzergrenadier, qu’il espère bien annexer) traverser la Bosnie en plein hiver pour servir de bouche-trou entre la Heer et les Croates !
Il faut pourtant bien trouver une solution. Le Kroatia-Armee-Korps ne pourrait-il pas remonter pour… C’est non pour la Heer et les Croates réunis : un voyage beaucoup trop long pour des unités qui seront de toute façon bien plus utiles en plaine qu’en montagne. Vilko Begić en profite pour demander la date de transfert officiel de ces unités à la Croatie… La réponse de von Weichs est simple : « Aussitôt que nous nous serons mis d’accord et que l’organisation du commandement sera effective ! » Il ne va pas jusqu’à préciser que, pour deux de ces divisions au moins, il faudra aussi que les Croates trouvent de quoi constituer un état-major correct !
Finalement, la solution viendra de Štancer, qui propose que la jonction avec les forces de la Heer soit assurée par le 1er Corps d’Armée croate : ses meilleures unités, dont les soldats sont si expérimentés qu’ils ont auparavant servis dans d’autres armées ! Tous acceptent, sans excès d’enthousiasme.
Ces contingences réglées, il est convenu que les 3e et 4e CA oustachis quitteront les régions de Gospić et de Daruvar pour se porter sur les positions du LXVIII. Armee-Korps, le 2e CA oustachi prenant le relais du XV. GAK au côté du 1er CA. La 20. Armee tout entière sera alors libre de se redéployer plus au nord – par exemple dans la vallée de la Save (ce que von Weichs ne précise pas, cela ne regarde que lui). Ces mouvements de troupes seront longs et fastidieux, surtout pour qui connaît le contexte local, mais le nettoyage résultant de l’opération Brzo ainsi que le travail de la Légion Noire ou de la Garde nationale oustachie devraient limiter ces difficultés. « Et bien sûr, nous comptons sur le soutien fraternel de nos amis de la SS, n’est-ce-pas, Herr Obergruppenführer ? » ajoute un von Weichs très pressé d’en finir. L’homme en noir prend son temps pour répondre. D’un côté, il n’est guère satisfait de se faire donner des ordres par « cette p… de Heer » (selon ses propres termes). De l’autre, l’idée de rester maître de chez lui et, de surcroît, derrière les lignes de front lui plaît bien. Il aura ainsi tout loisir de poursuivre sa chasse aux Résistants, Communistes, Royalistes, Serbes et autres Juifs qui infestent la région.
L’accord est donc scellé – dans le sang d’autrui. Les ordres partiront dès demain. La minorité serbe de Bosnie et de Croatie, qui avait déjà perdu trois cent mille de ses membres (morts, déportés ou en exode), ne tardera pas en à en subir les conséquences, tout comme les Slovènes, Bosniaques et autres Monténégrins qui ont la malchance de vivre (plus pour longtemps…) au mauvais endroit. En effet, par une conjonction de facteurs fortuits unique dans l’histoire du second conflit mondial (souhait d’indépendance du NDH, besoin désespéré d’effectifs de la Heer, désir forcené d’autonomie de la SS…), une nation de 51 000 km² et (surtout) 3 millions d’habitants vient de se trouver officiellement livrée à une armée de soldats prédateurs politiques. Le résultat sera hélas tout aussi unique – effroyablement unique.

A l’est, du nouveau
Drobeta-Turnu Severin (frontière roumano-yougoslave)
– Les travaux se poursuivent avec assiduité sur les bords du Danube. Sous la surveillance attentive du NKVD, les Royal Engineers cheminent entre les épaves pour mettre en place le fameux pont-ponton entre Est et Ouest. La tâche, rendue complexe par les premières gelées et la présence de blocs de glace dans le beau fleuve bleu, devrait être achevée vers le 20 février – la ligne de chemin de fer vers Zaječar, elle, sera rouverte dès le 16 février. Le pont des Portes de fer sera donc le premier ouvrage neuf opérationnel de la toute nouvelle “Red Line” de Sa Majesté britannique.

Reprise de contact
Tirana (Albanie)
– Il neige dru, encore une fois, sur les Balkans – mais cela n’apaise pas les inquiétudes du général Władysław Anders, qui fait partir en urgence vers Sylvestre Audet un rapport alertant sur « l’extrême dispersion de ses forces le long de la côte adriatique ». En effet, entre la 3e DI (Bohusk-Szusko), qui tient péniblement Tirana et sa région, et la 5e DI (Bronisław-Duch), dans la plaine de Shkodër, il n’y a pas moins de 80 kilomètres. Dans cet intervalle, la 1ère Brigade blindée (Maczek) peut tout juste maintenir un lien fragile.
Les unités polonaises seraient donc incapables de se soutenir entre elles en cas de contre-attaque déterminée des Croates, qui pourraient bien les vaincre en détail. Sans même évoquer les risques d’une prise de flanc venant des montagnes à l’est… Instruit par son expérience avec l’ELAS durant l’été précédent, le général polonais répugne toujours autant à s’appuyer sur les éléments du PCA.
Il faut donc trouver une solution – et vite. Audet en convient bien volontiers. Mais les subtilités politiques des Balkans ne dépendent plus de lui, à son grand soulagement. Le 2e CA polonais devra donc patienter et rester très vigilant jusqu’à ce que Churchill rende ses arbitrages et que l’évolution des opérations lui permette enfin de quitter l’Albanie.

Naissance d’une nation fédérée
Jajce (Bosnie)
– Il est minuit dans la froideur de l’hiver et le congrès de l’AVNOJ touche à sa fin. Voilà cinq heures que l’on parle, cinq heures que se prolongent les tractations – ou plus exactement l’exposé des motions. En effet, une fois longuement détaillées par Ibar, Tito et les autres vice-présidents [A savoir Antun Avgustinčić, Dimitar Vlahov, Marko Vujačić, Moša Pijade et Josip Rus. Les secrétaires étaient Rodoljub Čolaković et Radonja Golubović. Notons que toutes les ethnies yougoslaves étaient représentées.], celles-ci ont été adoptées par applaudissements et à l’unanimité, sans qu’il y ait véritablement de débat sur le fond. Le projet de la Ligue des Communistes de Yougoslavie est donc accepté en l’état – et la Nation que cette ligue prétend créer naît ainsi, fort paradoxalement, de la même manière que le royaume des Karađorđević vingt-cinq ans plus tôt.
Une longue déclaration destinée à être proclamée à la face du monde résume tous ces “échanges”. Dans un premier temps, elle insiste lourdement sur les succès du mouvement des Partisans et le rassemblement de tous les patriotes de toutes les ethnies « autour du quartier général suprême et du célèbre chef national Tito », dont l’autorité est désormais incontestable et qui dirige un territoire libéré en extension constante. Puis, elle met en balance « le grand succès de notre Lutte de Libération Nationale, y compris à l’étranger » avec « la pleine révélation de l’attitude ambiguë du prétendu gouvernement récemment installé sur le territoire national grâce à l’appui de forces étrangères quoique alliées. »
Sur cette base, la déclaration annonce qu’une nouvelle ère politique s’est ouverte en Yougoslavie – une ère qui doit se traduire par un changement nécessaire et non par un retour à l’ordre ancien, « qui serait obtenu par la trahison, la fraude ou la spéculation ». En effet, la situation actuelle offre légitimement à toutes les ethnies yougoslaves (y compris aux Croates), unies contre l’envahisseur, « le droit de décider librement et en toute indépendance de leur avenir, ce qui inclus le droit de faire sécession ou de s’unir à d'autres nations », attendu que « les vestiges de la politique hégémonique de la Grande Serbie [c’est-à-dire du royaume] ont été brisés pour toujours ». La nouvelle Yougoslavie, « communauté fraternelle, démocratique et fédérale », voulue par tous les congressistes et forgée non pas sous la contrainte mais dans la lutte commune des peuples qui la composent, doit être bâtie sur le principe d’égalité entre ses composantes… et contre le principe de « séparatisme réactionnaire ».
Cette Nation naissante, qui se présente déjà comme la seule expression légitime du peuple yougoslave tout entier, « demande à juste titre aux Nations-Unies et à tous les pays amis d’être reconnue, non seulement dans sa lutte contre l’Occupant, mais également dans sa libre volonté démocratique ». Cette reconnaissance implique très clairement « la redistribution aux forces démocratiques du pays de l’aide accordée au prétendu gouvernement qui se trouvait encore récemment en exil », ainsi que l’exigence « que les organes d’autorité nationale dudit gouvernement, privés de légitimité, cessent leurs luttes actuelles [sans qu’il soit d’ailleurs précisé lesquelles] ».
Ce même gouvernement royal est par ailleurs qualifié plus loin de « clique d’exilés réactionnaires au destin incertain et de zélateurs obstinés de la Grande Serbie [Petar Živković est nommément cité plus loin…] opposés à toute négociation avec les forces démocratiques ». Ladite clique a « réussi à tromper une partie de nos alliés, tenté de cacher la véritable volonté du peuple yougoslave et détourné toute l’aide envoyée vers le cœur libéré de nos nations », puis elle « a organisé, et organise peut-être encore en ce moment même, une guerre fratricide avec l’aide de ses agents, dont feu Draža Mihailović fut l’un des plus actifs ». Elle est donc « responsable, au moins moralement, des massacres et des crimes perpétrés par les gangs tchetniks ayant usurpé le nom “Armée yougoslave dans le pays” » et qui furent, toujours selon l’AVNOJ, « le plus solide appui des envahisseurs fascistes ».
En résumé, le gouvernement royal est désormais « un organisme de terreur chauvine, guerrier, évidemment anti-démocratique et comprenant d’anciens complices des occupants fascistes travaillant à briser et à diviser la Yougoslavie. » Le coup de grâce est adressé à Pierre II lui-même : « Pendant deux ans et demi, le roi Pierre a défendu de toute son autorité le traître criminel Mihailović. Il est désormais devenu un exemple unique dans l’Histoire d’aveuglement, ou tout au moins d’inconséquence : il est en effet le chef suprême des perfides gangs tchetniks, qui firent partie intégrante de l’armée d’Occupation contre laquelle notre peuple livre encore une lutte à mort, et qui font aujourd’hui partie de ses propres troupes ! Le roi est aujourd’hui le dernier refuge, le cœur de toutes les forces antinationales. Sous son drapeau et celui de la monarchie, les pires trahisons et les crimes les plus terribles furent perpétrés contre notre peuple, et le seront peut-être à nouveau demain. »
La conclusion vient – logique, explicite mais en même temps curieusement ouverte : « Il est donc nécessaire que le peuple de Yougoslavie cherche à prendre vis-à-vis du roi et de la monarchie des mesures qui correspondent à son attitude dans la lutte de libération nationale. »
Enfin, après un court hommage à l’appui offert par les Alliés occidentaux et par l’Union soviétique, et tout en faisant expressément référence à la conférence d’Athènes et « au droit [des Nations] à résoudre librement leurs questions internes », l’AVNOJ réaffirme sa volonté de combattre et conclut de façon péremptoire…
« Compte tenu de tous ces faits, le Conseil antifasciste de libération populaire de Yougoslavie est la représentation la plus juste et la plus claire de la volonté de tous les peuples de la Yougoslavie. Il prend aujourd’hui les décisions ci-après.
1. Le Conseil antifasciste de libération populaire de Yougoslavie, constitué comme organe suprême de représentation législative et exécutive de la Yougoslavie, est, en tant que représentant suprême de la souveraineté de l’ensemble du peuple et de l’État de Yougoslavie, fondé à établir le Comité national de libération de la Yougoslavie (NKOJ) en tant qu’organe comportant toutes les caractéristiques du gouvernement national. Le Conseil antifasciste de libération populaire de la Yougoslavie exerce ainsi sa fonction exécutive.
2. Le Conseil antifasciste de libération populaire de la Yougoslavie décide de suspendre le droit du “gouvernement yougoslave” anciennement réfugié à l’étranger à gouverner la Yougoslavie de façon légitime, et en particulier le droit de représenter les peuples de Yougoslavie en toutes circonstances.
3. Le Conseil antifasciste de libération populaire de la Yougoslavie décide d’examiner tous les traités et obligations internationaux conclus par le “gouvernement” anciennement réfugié à l’étranger au nom de la Yougoslavie, afin d’annuler, de re-conclure, ou d’approuver ceux-ci, et de ne pas reconnaître les futurs traités et obligations internationaux qui seraient éventuellement conclus à compter de ce jour par ledit “gouvernement”.
4. Le Conseil antifasciste de libération populaire de la Yougoslavie affirme que la Yougoslavie est bâtie sur un principe fédéral démocratique en tant qu’union d’États à peuples égaux.
5. Le Conseil antifasciste de libération populaire de la Yougoslavie indique que toutes ces décisions figureront dans le relevé des décisions spéciales de l’AVNOJ. »

Ces cinq décisions historiques engageront pour longtemps le pays – sans parler de Tito lui-même, qui vient de franchir le Rubicon en se posant fermement comme un rival du gouvernement royal. Tout juste garde-t-il encore, sur le conseil de Fitzroy MacLean, la porte ouverte à une négociation – en l’absence du retour d’une Armée royale non négligeable sur le territoire, il est probable que le texte aurait été encore plus dur et n’aurait pas accordé le bénéfice du doute à Pierre Karađorđević. Le Britannique aurait voulu quelque chose de plus… mesuré. Mais la crainte d’un pourrissement de la situation en de stériles négociations, puis d’un étouffement comme celui que viennent de subir les camarades grecs, aura été trop forte pour Broz – au moins autant que son appétit pour le pouvoir et la révolution. Mais le redoutable chef croate ne tient pas pour autant rigueur de ce désaccord à son honorable correspondant – au contraire : avec le temps, Tito a appris à apprécier son sens politique [En 1974, le (désormais) Premier ministre et maréchal Josip Broz fera lire à MacLean – en toute confidentialité – le projet de constitution établi par Kardelj afin de savoir si son estimé ami pensait que « cela fonctionnerait ». La réponse fut… britannique : « Je ne vois pas pourquoi cela ne fonctionnerait pas. » Et Tito d’espérer que ce serait effectivement le cas – la suite devait gravement le décevoir !].
Il est désormais bien tard, l’assemblée est fatiguée – surtout la délégation monténégrine, qui a tout de même dû faire un voyage de presque 300 kilomètres à pied avec la crainte permanente d’une mauvaise rencontre. Elle ne bénéficiait pas, comme la croate, des services de la 13e Brigade prolétarienne…
Il reste pourtant encore une sixième et dernière décision – prévue de longue date mais théâtralement préparée. Alors qu’on procède à la nomination du Comité national de libération de la Yougoslavie (NKOJ) selon les propositions du Serbe (mais juif !) Moše Pijade, avec bien évidemment Tito comme président, le Docteur Josip Vidmar – chef de la délégation slovène – se lève avec fracas pour proposer d’attribuer au président Tito le titre de “Maréchal de Yougoslavie” ! Une tartufferie évidemment – l’intéressé avait proposé la chose à son correspondant Dimitrov dans son dernier télégramme, trois jours plus tôt ! Et déjà, quand il validait les diplômes de la nouvelle école d’officiers d’état-major des Partisans, Broz signait “Maréchal de Yougoslavie”. Il n’empêche… ce grade est inconnu dans les Balkans. Et Tito, bien que très flatté, se demande encore si ce n’est pas aller un peu vite en besogne et annoncer beaucoup de choses en même temps à la face du globe. Mais Kardelj se veut rassurant : « Allons, Camarade ! Les Russes ont leurs maréchaux ! Pourquoi les Yougoslaves ne pourraient-ils pas avoir les leurs ? »
Une atmosphère « d’unanimité tumultueuse et enivrante » envahit alors la salle, racontera Milovan Đilas. On s’embrasse, on applaudit, on se congratule… Finalement, après quelques minauderies, le chef cède, bien sûr. Il se fera très rapidement faire un uniforme brun “à la soviétique”, chez un tailleur slovène. « Un uniforme étincelant, des applaudissements, des cris d’enthousiasme, le faste, la familiarisation avec son rôle de monarque » dira plus tard Lado Kozak. Et Đilas de conclure : « Il devint le chef total ! »
La séance avait commencé sur le fameux appel à l’union slovaque « Hey Sloveni » interprété par le chœur du théâtre de l’Armée de Libération Nationale. Elle finira finalement à 5 heures du matin, dans l’allégresse et sur un kozarački kolom – une dance folklorique bosniaque bien plus gaie… Mais pas avant que Tito ait pris la parole une dernière fois, pour signifier : « Nous sommes convaincus que nos alliés ne comprendront pas mal cette étape historique franchie par notre peuple, mais qu’ils feront tout leur possible pour apporter à ce dernier leur aide et leur soutien moral et matériel, par l’intermédiaire des représentants élus par le peuple lui-même. »« Mort au fascisme, liberté pour le peuple ! » répond la salle. Puis chacun s’en retourne de son côté, ivre d’avenir et de fatigue.
Et alors que les délégués se dispersent enfin dans les villages alentours pour un repos bien mérité, ils laissent dans la salle, seul mais aux commandes, un petit groupe qui vient tout simplement, sur la seule base de sa puissance militaire, d’exprimer sa volonté puis de former un état et un gouvernement sans même demander la bénédiction de Moscou ! Car même si le NKOJ ne se prononce pas sur les relations d’après-guerre et l’avenir de la Yougoslavie, il est déjà acquis qu’il disposera de tous les pouvoirs d’un organe d’Etat pour les influencer le moment venu – sans beaucoup plus de démocratie que la monarchie des Karađorđević, en vérité… Edvard Kardelj avait affirmé que « Le NKOJ serait l’organe de la Révolution et du pouvoir, qui indiquerait la direction dans laquelle le pays se développerait dans les domaines politiques et sociaux. »
Et Milovan Đilas devait reconnaître plus tard que : « Le nouveau pouvoir ne se caractérisait ni par une séparation totale d’avec l’ancien régime [du point de vue de la démocratie…] ni par sa non-fidélité envers nos pères spirituels [entendre, Staline et l’URSS – deux négations valant une affirmation]. »
………..
« Nommé dans la nuit du 3 au 4 février, le tout nouveau Comité national de libération de la Yougoslavie n’attendit même pas la journée du 4 pour commencer à prendre des décisions. Sa composition donnait une idée de la teneur de son projet. On retrouvait notamment :
• Président du NKOJ et commissaire à la défense nationale - Maréchal Josip Broz Tito (Croate – communiste),
• Premier vice-président du NKOJ - Edvard Kardelj (Slovène – communiste)
• Deuxième vice-président du NKOJ - Vladislav Ribnikar (Serbe – communiste)
• Troisième vice-président du NKOJ - Bozidar Magovac (Croate – Parti paysan croate)
• Commissaire aux affaires étrangères - Dr Josip Smodlaka (Croate – fédéraliste)
• Commissaire aux affaires intérieures - Vlada Zecevic (Serbe – ancien prêtre devenu communiste),
• Commissaire à l’éducation - Edward Kocbek (Slovène – socialiste chrétien),
• Commissaire à l’économie nationale - Dr Ivan Milutinović (Monténégrin – communiste),
• Commissaire aux finances - Dusan Sernec (Slovène – communiste),
• Commissaire à la circulation - Sreten Zujovic (Serbe – communiste),
• Commissaire national à la santé - Dr Milivoj Jambrišak (Croate – médecin et ancien combattant)
• Commissaire chargé de la politique sociale - Dr Anton Kržišnik (Slovène – magistrat),
• Commissaire à la magistrature - Frane Frol (Croate – Parti paysan croate),
• Commissaire à l’alimentation - Mile Perunicic (Monténégrin – parti démocrate),
• Commissaire aux bâtiments - Dr Rade Pribićević (Serbe de Bosnie – opposant à la royauté),
• Commissaire aux forêts et aux minerais - Dr Sulejman Filipović (Bosniaque – ancien colonel oustachi ayant fait défection !).
………
On le voit, malgré la volonté affichée de rassembler, il était pour le moins naïf d’imaginer une orientation non-collectiviste du NKOJ. Le tout dans un paysage politique prenant la forme d’un rééquilibrage Serbie/Croatie, et dont les républiques du Monténégro et de Slovénie seraient les moyens de régulation… mais pas davantage. De même, nous passerons sur l’absence de tout représentant du Kosovo, de la Voïvodine ou même de la Macédoine (ce qui peut s’expliquer par les prétentions bulgares sur cette dernière), ainsi que sur la faiblesse insigne de la représentation de la communauté musulmane de Bosnie – Filipović se payant même le luxe d’être tout à la fois une caution pour celle-ci et pour d’éventuels Oustachis repentants !
Parmi les premières ordonnances du NKOJ, et malgré ce que retient le commun de l’Histoire, le plus important n’était pas la très violente critique du gouvernement royal de Belgrade, ou la nomination de Tito au grade de Maréchal « dans le but de décerner une récompense mérité au camarade Josip Broz, commandant suprême, pour sa conduite géniale des opérations de l’Armée de Libération Nationale et des Partisans de Yougoslavie, ainsi que pour la capacité et la persévérance dont il a fait preuve pour élaborer et élever cette armée dans les domaines militaire et politique jusqu’au niveau qu’elle a atteint aujourd’hui ». Non, c’était en réalité sa seconde décision, qui affirmait la future nature fédérale de la Yougoslavie :
« Sur la base du droit de chaque peuple à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession ou à la réunion avec d’autres nations, et conformément à la volonté réelle de tous les peuples de Yougoslavie, qui l’ont affirmée au cours de la lutte de libération nationale menée conjointement depuis trois ans dans une nouvelle et indéfectible fraternité des peuples, le NKOJ décide et atteste que :
• Les peuples de Yougoslavie n’ont jamais accepté, ni reconnu le démembrement de la Yougoslavie par les impérialistes fascistes et ont prouvé par leur lutte armée et commune leur ferme volonté de rester unis en une Yougoslavie ;
• Afin d’appliquer le principe de la souveraineté des peuples de Yougoslavie et de faire que cette dernière représente la véritable patrie de tous ses habitants et non plus le domaine de cliques hégémoniques, la Yougoslavie est reconstruite sur le principe fédéral, qui assurera l’égalité complète des peuples de Serbie, de Croatie, de Slovénie, de Macédoine, du Monténégro et de Bosnie-Herzégovine ;
• Conformément à cette construction fédérale, la Yougoslavie repose sur les principes les plus démocratiques, ce que démontre le fait que, dès maintenant, en pleine guerre de libération nationale, les organes de base du pouvoir populaire sont les comités de libération nationaux (le Comité national de libération populaire de Serbie, le Conseil national antifasciste de libération du peuple de Croatie, le Comité de libération nationale slovène, le Conseil national de libération populaire de Bosnie-Herzégovine , les autorités de libération antifascistes du Monténégro, du Boka, du Sandzak et de Macédoine) ;
• Les minorités nationales en Yougoslavie disposeront de tous les droits nationaux.
Cette décision entrera en vigueur immédiatement. »

On voit, derrière ces affirmations, deux préoccupations majeures : la fin du concept hégémonique de Grande Serbie, qui vouait les peuples yougoslaves à l’intégration dans l’ethnie serbe, et la mise en place d’un communisme certes fédéral… mais éminemment national. En ce sens, elle préfigurait le futur Royaume Fédéral Socialiste de Yougoslavie, dont la nature même allait à l’encontre des pensées centralisatrices de Moscou. Pour un observateur avisé, il était d’ores et déjà évident en 1944 que la conception du pouvoir que se faisait Tito ne pouvait qu’entrer en confrontation avec celle prônée par le Kremlin. De ces divergences idéologiques réelles – mais dont les considérations d’indépendance effective n’étaient jamais très éloignées – naitra la valse des alignements yougoslaves, l’amitié du pays oscillant tel un pendule entre Washington et Moscou, au rythme des évolutions de la politique soviétique envers les “titistes”, mais sans jamais que Belgrade oublie pour autant d’affirmer son appartenance première au mouvement des “non-alignés” dès la création de celui-ci.
Plus grave encore pour l’avenir du pays : en faisant de la lutte contre l’Axe (donc de sa propre personne, qui en était le symbole comme Pierre II l’exilé ne pourrait jamais l’être !) le ciment de la Fédération, Tito donnait à cette dernière un caractère éminemment temporel – ou même circonstanciel. Que se passerait-il, la paix revenue, si le gouvernement n’arrivait pas à transformer son essai et à donner un second souffle à son action, et qu’il devait un jour ou l’autre affronter, par exemple, des difficultés économiques majeures et un regain du nationalisme croate ? Nous savons hélas ce qu’il advint – mais peu importait à Jajce à l’aube du 3 février. Pour Tito, dans cette vaste salle d’une ancienne caserne allemande (!) vouée à devenir un lieu de pèlerinage, une seule chose importait : la consolidation de son pouvoir et sa crédibilisation personnelle avant son entrevue avec Winston Churchill. »
(Yougoslavie, le pari impossible, par Robert Stan Pratsky – L’Harmattan, 1996)
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Wil the Coyote



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 13:12    Sujet du message: Répondre en citant

je suis assez curieux d'imaginer la réunion qui signifiera (ordonnera) à Pierre II et à Tito de collaborer….cela vaudra son pesant de Pop Corn….
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Lun Mai 20, 2019 13:22    Sujet du message: Répondre en citant

Wil the Coyote a écrit:
je suis assez curieux d'imaginer la réunion qui signifiera (ordonnera) à Pierre II et à Tito de collaborer….cela vaudra son pesant de Pop Corn….


Je crains fort qu'une seule réunion ne suffise pas! Rien que lire ce que Pierre va faire après entendu les quatre vérités de Tito risque de valoir le détour.
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