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Une famille Nordinaire, par Etienne
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FREGATON



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MessagePosté le: Ven Fév 10, 2017 12:47    Sujet du message: Répondre en citant

Etienne a écrit:
.... N'oublions pas que le Bloch 174 jouissait d'une excellente réputation à tous les niveaux (sauf les mécanos moteur à cause des Gnome-Rhône).


Cette réputation n'a pas du tout (mais pas du tout...) été la même pour les Bloch 175-T (fabriqués dans l'immédiat après-guerre et destinés à la Marine) qui ont laissé un très mauvais souvenir...
Il faut dire qu'ils ont eu la lourde tâche de remplacer les regrettés PV-1 Ventura de la 6F... alors évidemment Crying or Very sad
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La guerre virtuelle est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux civils.
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Etienne



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MessagePosté le: Ven Fév 10, 2017 13:08    Sujet du message: Répondre en citant

Et ils étaient toujours équipés des Gnome-Rhône dont beaucoup venaient de stocks fabriqués pendant l'occupation, donc à moitié sabotés, sinon finis légèrement... Ceci explique cela.
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Archibald



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MessagePosté le: Ven Fév 10, 2017 16:10    Sujet du message: Répondre en citant

Par ailleurs, pourquoi n'a t on jamais réussi a faire tourner le 14R correctement après-guerre ?
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Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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Etienne



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Messages: 2839
Localisation: Faches Thumesnil (59)

MessagePosté le: Ven Fév 10, 2017 16:19    Sujet du message: Répondre en citant

Pour les mêmes raisons au départ, puis un manque cruel de métaux ad hoc à tous les niveaux.
Sans oublier qu'il fallait reconstruire les équipes de travail, du BE jusqu'à la chaîne. Beaucoup étaient partis combattre, ou partis tout court, et ceux qui étaient restés étaient un peu à la ramasse sur le plan technique vis à vis de progrès internationaux
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loic
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MessagePosté le: Sam Fév 11, 2017 14:39    Sujet du message: Répondre en citant

Etienne a écrit:
Alors certes, ça va prendre du temps, ne serait-ce que pour l'infrastructure à mettre ne place, mais c'est faisable à moyen terme.

Et c'est bien tout le problème, car une fois la filière des bombardiers légers/chasseurs lourds américains mise en place (dès l'été 40), il est fort probable que les autorités ne sacrifient une reprise de la production en AFN, n'autorisant que l'achèvement de d'avions quasi-terminés et privilégiant les pièces.
Plutôt qu'un groupe de bombardement ou de reconnaissance, on peut imaginer une escadrille de reconnaissance ou de missions spéciales ou le versement aux unités de transport d'un nombre d'appareils restant à préciser (une vingtaine ?).
_________________
On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...


Dernière édition par loic le Jeu Mar 23, 2017 18:12; édité 1 fois
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 11:15    Sujet du message: Répondre en citant

Oui je sais, la FTL vous fait naviguer un peu partout et zigzague sans arrêt dans le temps… Désolé, la "faute" aux auteurs.

15 juillet 1940
Larguez les amarres
Port de Bordeaux
– Quand il arrive dans la file des personnes qui attendent d’embarquer sous une pluie fine, Stefan se fait immédiatement remarquer. Pas par sa tenue : vareuse et pantalon noirs, casquette plate sur la tête, un gros sac que l’on pourrait qualifier de marin par la taille et la forme… Mais il porte sur l’autre épaule son vélo ! Il n’a nulle envie de se priver de son moyen de transport préféré et si des sourires s’esquissent, les quelques plaisanteries qui fusent sont vite éteintes sous le regard de fer du descendant de Flamands. Stefan peut alors contempler à loisir le bateau auquel il va confier sa vie. C’est un beau cargo, qu’il trouve énorme, alors qu’il n’est que de taille moyenne. Sa coque grise (jadis noire et blanche, elle a été repeinte au début de la guerre, comme celle de la plupart des autres bâtiments touchant les ports de Métropole) porte un nom d’allure exotique : Karaboudjan (1).
Il ressent une certaine anxiété… Non qu’il ait peur de se noyer : il sait nager et il a même fait du canot à rames sur la Deûle dans sa prime jeunesse, avec le fils d’un copain d’école plus fortuné. Mais la mer… Gamin, dans le Nord, il n’avait jamais pu aller à la côte, par manque de moyens. Pour ses premiers congés payés, il était allé jusqu’au bassin d’Arcachon pour la voir de près, et il se souvient avoir dû faire des bornes pour ça, ces imbéciles ne lui montraient que la baie ! Alors qu’il voulait voir les fameuses vagues dont on lui avait rebattu les oreilles. Il y était retourné chaque année – plutôt que de prendre le train jusqu’au bout avec cette foule de gens, il préférait prendre son vélo à partir de Mérignac et aller tranquille jusqu’au Cap-Ferret, où il avait fini par lier connaissance avec des gars du coin qui ne voyaient pas en lui un vacancier. Levé tôt, il venait donner un coup de main aux ostréiculteurs. Il embarquait fréquemment avec eux sur leurs barques – leurs pinasses, et avait rapidement adopté la tradition du casse-croûte d’huîtres fraîchement prélevées et de vin blanc.
Mais là, c’est autre chose. Une autre dimension. Il pense naïvement qu’une telle masse ne doit pas bouger sur la mer, qu’elle doit fendre les flots imperturbablement. Avec tous ces marins ! Il contemple la superstructure, les mâts de charge et toute une foule de choses sur lesquelles il ne pige que pouic. Son côté technicien le fait grimacer quand il aperçoit ça et là des taches de rouille, comme sur tout bâtiment marin. Pas propre, ça ! Absorbé par sa revue de détail, il ne se rend pas compte que la file s’écoule, jusqu’à ce qu’un « Avancez ! » prononcé par derrière lui le fasse revenir sur terre. « Hein ? » dit-il en se retournant. Et paf ! le vélo cogne son voisin, qui rigole moins… « Oh pardon ! Mais faut faire attention, avec mon vélo et mon sac, je vois pas tout ce qui se passe ! » Puis Stefan emprunte la passerelle qui mène au navire, sans écouter les récriminations.
En haut de la coupée, il donne son papelard à un type en uniforme qui, après l’avoir jaugé d’un œil inquisiteur et quelque peu étonné, étudie attentivement le sauf-conduit. « Monsieur Vanbrugge Stefan, de la SNCASO… Parfait, vous allez au premier entrepont, poste numéro 1. Mais sans votre vélo, il est trop encombrant. Le Guen, vous mettez le vélo en cale et vous montrez son poste à Monsieur. »
Stefan suit donc le matelot Le Guen afin de mettre son précieux engin en cale, sur une impressionnante quantité de caisses. Le matelot arrime solidement le vélo, à la grande surprise de son propriétaire, auquel il doit expliquer que c’est préférable, vu les mouvements du navire en plein mer, même sans tempête.
– Ça bouge à ce point malgré la taille du bateau ?
– Ah oui, les vagues de l’océan font ressembler notre navire à une coquille de noix dans une rivière de montagne, ha ha. C’est votre premier voyage en mer ?
– Oui, je connais que les petites barques d’Arcachon.

Le matelot l’emmène alors au poste n°1, où Stefan retrouve quelques collègues, avec des sous-officiers des trois armes, qu’il salue un par un d’une franche poignée de mains en se présentant. Des couchettes (provisoires ?) sont superposées sur trois étages, avec une barre empêchant la chute accidentelle. Il en trouve une de libre tout en haut, ce qui lui convient – en fait il s’en fout royalement. Une petite armoire sert à entreposer son sac. Au milieu de la pièce, une table, quelques chaises, le tout déjà occupé par quelques militaires qui tapent le carton. Quant à lui, il sort une bouffarde de sa poche et se prépare calmement une pipée. Puis il sort du poste et remonte sur le pont, impatient de découvrir son nouvel univers.
Pas facile d’allumer une pipe avec des allumettes sur un pont de navire, le vent est là – encore faible par rapport à une brise de mer, mais suffisant pour enquiquiner un fumeur. Il doit s’y reprendre à plusieurs fois, finissant par se mettre dans un coin et s’aider de sa vareuse comme coupe-vent. Puis, ayant réussi le délicat exercice, il tire quelques bouffées et, satisfait, il s’accoude au bastingage malgré un crachin plus normand qu’aquitain. Il regarde à présent d’en haut le manège des cornes de charge qui achèvent d’embarquer les dernières caisses dans les cales.
Sa rêverie est interrompue par une voix : « Commandant ! » Surpris, il se retourne : « Pardon ? »
– Oh excusez-moi, de dos et avec votre tenue, je vous avais pris pour le commandant !
– Ah non, désolé…

Il retourne à sa contemplation, en songeant à ce qu’il pourra trouver comme tabac au Maroc… Il a bien fait une petite provision avant d’embarquer, mais ça ne lui tiendra guère que deux-trois mois, et encore, en se rationnant. Les derniers passagers finissent d’embarquer et les marins rentrent l’échelle de coupée. Le chargement est terminé et d’autres matelots ferment les cales et saisissent les cornes de charge dans leurs berceaux (lui, il aurait dit qu’ils rangeaient les grues, mais le vocabulaire viendrait plus tard). La fumée sortant de la cheminée indique que tout est prêt pour le départ. Il s’agit d’une course contre la montre pour ne pas se faire couler par les Allemands, qui ont recommencé leurs attaques sur le port bordelais. Pour aujourd’hui, ce serait bien le diable, vu le temps pourri ! Il regarde avec attention larguer les amarres. Un choc – il manque lâcher sa pipe ! L’avant du bateau s’éloigne lentement du quai, mais de quelle manière ? Il y a bien des vibrations indiquant que le moteur tourne et l’hélice également, mais ça n’explique rien. En contournant le château, il aperçoit des passagers de l’autre côté et les rejoint. Ah voilà l’explication, c’est un remorqueur qui hale le navire et le place dans la bonne direction au milieu d’un tourbillon d’écume, en crachant la noire fumée de ses machines à vapeur.
Le remorqueur les tire encore un peu jusqu’à ce que le cargo puisse avancer par ses propres moyens et il largue l’aussière qui les relie. Autonome, mais guidé par un pilote du cru, le navire descend à présent la Garonne à faible vitesse. Stefan observe les rives et cette ville de Bordeaux qui s’éloigne et sera bientôt à la merci des Frisés… Autour de lui, des gens ont le cœur serré, certains s’essuient les yeux discrètement. Lui songe à sa bonne ville de Lille, les parents, oncles, tantes et neveux qu’il a laissés là-bas. Bordeaux, c’était loin, mais toujours en France ! Là, il part pour l’inconnu, sans même savoir ce que deviennent ses proches.
Bientôt le confluent de la Dordogne. Derrière les rives, on aperçoit les vignes de part et d’autre, avec ça et là ces grandes bâtisses qu’on nomme Château par ici. A son arrivée, il pensait voir de vrais châteaux, avec des tours et des donjons, et il avait été déçu de voir qu’il s’agissait bien souvent de maisons de maître analogues à celles qu’il voyait à Roubaix, hormis qu’elles étaient en pierre et non en briques comme chez lui.
Mais pourquoi donc faut-il que tout ce qu’il voit aujourd’hui le ramène irrésistiblement aux souvenirs de son pays ?
Laissant St-Estèphe sur la gauche, le cargo entre maintenant dans l’estuaire de la Gironde, toujours mené par le pilote qui laissera bientôt la barre aux marins après Royan et repartira sur un petit canot. C’est à présent l’océan, et le navire tangue et roule quelque peu avant de prendre sa route au sud-ouest. Stefan comprend vite l’utilité des arrimages et de toutes ces rambardes qui l’avaient un peu surpris au début. Le spectacle sans cesse renouvelé des vagues le fascine, et sans se soucier des embruns ni de la pluie, il part se placer à la proue du navire, pipe au bec. Celle-ci s’éteint cependant assez vite, le tabac se consumant rapidement sous l’effet du vent.
A la passerelle, le commandant Sorais, capitaine au long cours, aperçoit l’homme en figure de proue. Il se tourne vers l’enseigne de vaisseau que la Royale lui a collé dans les pattes, comme dans tout navire de commerce en ces temps de guerre.
– Qui est ce type?
– Un contremaître de la SNCASO, commandant, il s’appelle Vanbrugge. Quand il est arrivé à la coupée, j’ai presque cru vous voir ! Une barbe noire comme la vôtre, la casquette, la vareuse… Bon, il n’a pas de galons sur la manche.
– Mais il fume aussi la pipe, saperlipopette !
– Ah, c’est vrai, mais il ne l’avait pas au bec quand il a embarqué. Par contre il avait un vélo sur l’épaule !
– Un vélo ?!
– Eh oui, je l’ai fait mettre en cale.
– Vous avez bien fait. Corne de bouc! Un vélo dans un poste, les autres passagers auraient fait une tête…

Quelques minutes plus tard, Stefan, quelque peu humide, revient au poste. En rigolant, un militaire lui demande : « Fait beau dehors ? »
– Un peu vivifiant… Pas pire qu’en Bretagne ou chez moi.

Rires. Il ôte sa vareuse dégoulinante et l’accroche à la patère sur la porte, y ajoute sa casquette et range sa pipe dans la petite armoire. Il en profite pour ranger quelques affaires hors du sac, c’est plus pratique. Une cloche retentit, sans que personne s’en préoccupe. Un matelot tambourine à la porte, puis entre : « Bonsoir messieurs, pour le repas, c’est à côté que ça se passe ! » Tout le monde le suit. La pièce à côté se révèle être un petit réfectoire (terme non-marin), déjà occupé par quelques autres personnes, des sous-officiers pour la plupart. Rapidement, l’atmosphère se réchauffe, quelques bouteilles circulent. Des places sont vides. Aux regards interrogatifs, des réponses évasives : « L’avait pas l’air dans son assiette… Avait la panse qui remuait… Une p’tite nature… » Bref, pas de quoi gêner le solide appétit des présents, qui se délectent du rab ainsi pourvu.
On retourne au poste, Stefan se joint à d’autres pour un tarot, une bouteille d’une gnôle improbable surgit d’un placard. Ceux qui veulent dormir geignent un peu, vite rabroués par les amateurs du jeu. Un tarot à cinq, ça se suit, tonnerre de Brest!


16 juillet
En avant toute
En mer
– La météo est meilleure, aujourd’hui. Stefan laisse sa place à la table de jeu, d’autant plus facilement qu’il a dévalisé ses partenaires de la veille, ah ces jeunes ! Il préfère arpenter le pont, s’enivrant d’air iodé, observant minutieusement tous les appareils qu’il ne connaît guère et discutant le coup avec chaque matelot rencontré, lui posant des tas de questions techniques. Amusé par le manège, le capitaine Sorais résiste à la tentation d’aller le voir, jusqu’au moment où Stefan sort sa pipe et sa blague. Ayant épuisé sa propre réserve, le capitaine n’y tient plus et descend de la passerelle, laissant le commandement à son second, qui avait eu la malencontreuse bonne idée d’être présent à ce moment-là.
– Bonjour Monsieur.
– Oh, bonjour… euh… Commandant ?
– C’est cela, je suis le capitaine Sorais, commandant ce navire.
– Enchanté, Stefan Vanbrugge. Ah, c’est extraordinaire, je comprends pourquoi un de vos marins m’a appelé
« commandant » hier !
– Oui, je me suis fait la même remarque hier, quand vous étiez à la proue sous la pluie…
– La proue ?
– L’avant du navire. Malgré la tenue, vous n’êtes pas marin ?
– Ah non, pas du tout. Excusez-moi, je viens de l’aviation et je ne suis pas au courant des termes de marine.
– Mais la casquette ?
– Un cadeau d’un oncle batelier sur une péniche dans les Flandres… Marin, mais d’eau douce !
– Haha, je vois… Dites-moi, je sais que ça ne se fait pas, mais auriez-vous un peu de tabac pour ma pipe ? Avec la guerre, je n’ai pas eu le temps de m’en procurer, nous ne faisons que des allers-retours en continu…
– Ma foi… Je n’en ai pas de trop, mais plus que vous, donc entre bouffardeurs, l’entraide est de mise. Allez-y, servez-vous.
– Merci ! Mmm, belle odeur, on dirait du gris, mais en plus profond… ?
– C’est du belge, pas du gris ! De la vallée de la Semois, en Ardenne. Je le fais venir d’un parent de par-là, à Monthermé. Enfin, je le faisais venir, car maintenant, il faudra du temps pour en ravoir, je pense…
– C’est sûr, saloperie de guerre… Eh, mais dites donc, c’est fort agréable, cette chose-là… Je ne connaissais pas.
– C’est du tabac du Kentucky, introduit là-bas au siècle dernier. Qu’est ce que vous fumez d’habitude ?
– Un peu de tout, en fonction du port où on fait escale ! J’ai une préférence pour les tabacs anglais, mais on n’en trouve pas partout.
– Les Dunhill ? Jamais essayé leur tabac. Leurs pipes ne sont pas données.
– Oui, mais belle qualité. J’en ai une, je ne la prends pas à bord, trop peur de la casser ou la perdre !
– Ah ça je comprends… Je n’ai pas non plus sorti ma plus belle bouffarde pour monter sur le pont.

La discussion se poursuit, passant de la technique pipière à celle de la marine et de la mécanique des navires, quand elle est interrompue par l’ingénieur Brignon, qui s’approche des deux hommes.
– Bonjour Messieurs… Enfin, Vanbrugge, n’importunez pas le commandant, voyons !
– Bonjour Monsieur Brignon, mais vous faites erreur: C’est moi qui suis venu embêter Monsieur Vanbrugge pour du tabac à pipe, et depuis nous discutons fort agréablement.
– Ah ? Excusez-moi, en ce cas.
– Vous ne m’aviez pas dit que votre contremaître était aussi féru de mécanique en tout genre.
– Ah ça, curieux de tout et toujours curieux ! Mais extrêmement compétent.
– Merci, Monsieur l’ingénieur.
– Cela dit, vous avez fort bien fait de nous interrompre, Monsieur Brignon, mon second doit s’impatienter en passerelle, je vais y retourner. Par contre, j’aimerais poursuivre cette discussion, venez donc nous accompagner à ma table ce midi, monsieur Vanbrugge.
– Ah… Avec plaisir, commandant.

Surpris, l’ingénieur n’ajoute rien. Il est vrai qu’en dehors du travail, les contacts sont rares entre classes différentes, d’autant plus que le contremaître ne fait rien pour sortir de la sienne, au contraire : il est même affilié « au syndicat », dit-on. Un Rouge, quoi !
Quand sonne la cloche du déjeuner, Stefan doit demander son chemin à un matelot. S’il a parcouru quelques coursives, il n’est pas encore passé aux étages supérieurs. Le marin l’amène au carré, au moment où le commandant y arrive. Les deux hommes entrent donc l’un derrière l’autre et leur ressemblance provoque un peu de confusion dans la pièce.
Peu de monde à la table du commandant. Côté civils, outre Brignon et Stefan, il y a un cadre production de chez Ratier, Monsieur Lecat. Tout comme l’ingénieur de la SNCASO, il a été chargé des dernières opérations d’évacuation et de destruction du matériel resté sur place. Les autres cadres des deux sociétés ont levé le camp depuis longtemps, avec armes et bagages – ou plutôt, en ce qui les concerne, avec plans et outillages. Trois officiers complètent les invités : un capitaine du Génie chargé du minage, un autre d’artillerie et un lieutenant d’aviation du GC II/8, qu’une blessure empêche de poursuivre le combat. L’enseigne de vaisseau de la Royale et un lieutenant du bord représentent l’équipage.
Si tout ce petit monde a déjà fait connaissance la veille, Stefan est le nouveau venu et, à ce titre, est au centre de la conversation. Malgré son faible niveau scolaire, il possède une certaine érudition dans les domaines techniques qui étonne les autres convives, mais vu les questions précises qu’il pose sur le navire, on comprend rapidement comment il s’est construit ses connaissances. Qui plus est, l’ingénieur remarque vite la bonne tenue à table du contremaître, élevé à la dure, mais dans le respect des traditions et des bonnes manières. Se serait-il trompé sur son compte ?
Dans l’après-midi, afin de répondre à ses questions, le lieutenant fait visiter à Stefan le reste du navire, y compris (et pour finir) la salle des machines, où le Lillois discute longuement avec le chef-mécanicien, qui est de Dunkerque. La taille des machines et de l’arbre de transmission impressionne le rampant, lui qui trouvait déjà énorme le diamètre des pistons du Gnome-Rhône 14N !
Au soir, Stefan retourne à son carré retrouver les sous-offs après l’appel de la cloche du bord. Mais un matelot vient le chercher : le commandant l’attend à nouveau à sa table ! Surpris, il reprend sa veste et sa casquette…
– Dis donc, Stefan, tu as la cote, on dirait !
– Ouais, il doit bien aimer mon tabac à pipe, je crois !
– Ou alors, c’est votre ressemblance ! En fait, vous êtes jumeaux ! Ha ha !
– Bande de jaloux !
– Ça c’est sûr ! Profites-en bien !
– Merci les gars !

En arrivant au carré des officiers, c’est un Stefan confus qui s’excuse auprès du commandant, il n’avait pas compris…
– Mais ne vous excusez pas, Monsieur Vanbrugge, c’est moi qui ai oublié de vous prévenir ce midi. Mais vous pouvez désormais vous considérer comme convive attitré à cette table.
Stefan sort alors un paquet de sa vareuse un petit parallélépipède de papier doré et le remet à son hôte.
– Tenez Commandant, mais il vaudra mieux le mettre dans une blague ou une tabatière.
– Ah… Mais Monsieur Vanbrugge, il ne fallait pas. Comment vous remercier ?
– Vous me faites un honneur, commandant, je peux bien vous faire un modeste plaisir, d’autant plus que je sais ce que c’est d’être en manque !
– Le Bihan ! Apéritif pour tous ces messieurs !
lance le capitaine au maître-coq, qui s’apprêtait à faire le service. Avec une légère grimace, le cuistot disparaît dans la cambuse avoisinante, puis revient avec une bouteille de porto, une de pastis et une de whisky, qu’il dépose sur la table avec des olives avant de commencer à servir les convives. Arrivé à Stefan, celui-ci l’interroge sur le whisky, breuvage qu’il ne connaît pas. C’est le capitaine qui lui répond : « Ah le whisky ! J’adore, mais un peu trop, donc je n’en prends jamais en service, ça pourrait me jouer des tours. Essayez-donc, c’est du bon : un Loch Lomond, pur écossais. »
Stefan hume, goûte, claque la langue sur son palais… « Ah oui, c’est excellent cette chose… Pas un truc de gamin, mais j’ai connu pire en degrés… Ecossais, hum ? On aura du mal à en avoir au Maroc… D’ailleurs, que va-t-on trouver là-bas ?"
– Très peu d’alcool, les musulmans n’en boivent pas.
– Ah mince, j’ai fait des provisions de tabac, mais j’ignorais qu’il fallait aussi emmener le liquide !
– Rassurez-vous, ils produisent du vin pour l’exportation, donc vous en trouverez.
– Je sais qu’on en fait en Algérie, il y en a au Maroc aussi ?
– Je pense qu’on peut faire venir celui d’Algérie. Si je fais du cabotage de Casablanca à Tunis et retour, je me ferai un plaisir de faire vos courses!
– Ah ça c’est gentil Commandant ! Faudra garder le contact.
– Mais je ne peux rien vous promettre : le
Karaboudjan est plus taillé pour l’Atlantique, cela dépendra des trajets qu’on m’imposera.
– Bah, d’Amérique vous pourrez rapporter leur whisky…
– Du bourbon ? Bah, faut aimer, c’est sucré… enfin, ça a un goût plus sucré que l’écossais.
– Paraît qu’ils ont aussi du tabac à pipe… C’est le gars de la Semois qui me l’a dit, leurs plants viennent de là-bas.
– Ah, voilà une piste à étudier !

On aura compris que la discussion tourne plus facilement autour des projets de ravitaillement de toutes sortes, façon d’oublier la raison de ces besoins. Y remédier d’une façon nouvelle devient un défi intéressant, plus que de s’appesantir sur les raisons de la défaite, et les suggestions vont bon train, même si elles sont beaucoup plus terre à terre (ou mer à mer ?) que les tactiques reconsidérées par les autorités supérieures. Comme dit la sagesse populaire, « C’est bien joli la politique, mais faut penser à bouffer ! »


17 au 19 juillet
A bon port
En mer
– La glace est définitivement brisée, et les trois jours qui suivent se passent agréablement. Les militaires aident l’équipage pour les quarts de veille aux sous-marins. Aucun ne se manifeste, au grand soulagement de tous, mais sait-on jamais ? Le canon installé par la Royale est révisé par l’artilleur, qui forme plusieurs équipes de tir en postes, y incluant à chaque fois un matelot de l’équipage afin de l’instruire pour la suite. Forcément, l’enseigne de vaisseau n’est pas d’accord avec le capitaine sur la façon d’opérer la visée, mais les échanges se font dans la bonne humeur, et se poursuivent jusqu’au carré ! Brignon et Lecat se plaisent à discuter avec Stefan, à la grande surprise de celui-ci, qui découvre un ingénieur moins grognon qu’à son habitude. En prime, le temps est superbe. S’il n’y avait pas cette foutue guerre, on irait bien jusqu’au Cap !
Le 19 au soir, le Karaboudjan fait son entrée dans le port de Casablanca…


Note
1- NDE – Il s’agit bien sûr d’un hommage de l’auteur à Hergé… En fait, ce navire ressemble fort au Sontay, des Messageries Maritimes, qui desservait en temps de paix la ligne Dunkerque – Marseille – Saigon – Haiphong.
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FREGATON



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 12:24    Sujet du message: Répondre en citant

Petite anecdote pour Tintinophiles:
Pour dessiner le Karaboudjan Hergé s'est inspiré du MV Glengarry, un cargo construit chez Harland & Wolff à Belfast en 1920 (OP. Cit "Tintin, Haddock et les bateaux", Ed Moulinsart 1999).

Nota Vieux Sage: Le Sontay de 1940, est l'ex-Bayern construit en 1921 chez Bremer-Vulkan et racheté en 1936 par les MesMar pour assurer entre autres le transport de légionnaires vers l'Indochine. L'ex-Bayern fut renommé Sontay en souvenir du paquebot mixte du même nom torpillé en Méditerranée par le U33 le 16 avril 1917.
Il a effectivement un air de famille... http://www.messageries-maritimes.org/sontay23.jpg ... avec le Karaboudjan Wink
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Hendryk



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 12:33    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Il retourne à sa contemplation, en songeant à ce qu’il pourra trouver comme tabac au Maroc… Il a bien fait une petite provision avant d’embarquer, mais ça ne lui tiendra guère que deux-trois mois, et encore, en se rationnant.

Oh, il trouvera sans problème des plantes qui se fument. Avec un effet un peu différent de celui du tabac, bien sûr...
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delta force



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 13:12    Sujet du message: Répondre en citant

petit souci pour le loch lamond la distillerie n’existe que depuis...1964...
cf page wiki https://fr.wikipedia.org/wiki/Loch_Lomond_%28distillerie%29

mais comme la FTL est une dimension parallèle....

en fait le véritable POD de la FTL est là : le loch lamond existe en 1940


Laughing


Dernière édition par delta force le Jeu Mar 23, 2017 17:58; édité 2 fois
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FREGATON



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 14:01    Sujet du message: Répondre en citant

delta force a écrit:
petit souci pour le loch lamond la distillerie n’existe que depuis...1964...

Depuis 1966 dans les albums d'Hergé avec la réédition de "l'île noire"... Twisted Evil
Dans la première édition du même album c'était du "Johnnie Walker" une marque créée au 19éme siècle Laughing
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Archibald



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 17:28    Sujet du message: Répondre en citant

Cet alcool qui ravale la bete au rang d'homme Shocked
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Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
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"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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Merlock



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 17:31    Sujet du message: Répondre en citant

Archibald a écrit:
Cet alcool qui ravale la bete au rang d'homme Shocked


"Et pourquoi pas ? C'est bon, l'alcool, ça donne du cœur au ventre! Tiens, regarde d'où il coule, le whisky..."
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Archibald



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 17:34    Sujet du message: Répondre en citant

Oh, pauvre Milou.. le mal des montagnes, sans doute ! (mais bien sur !)
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Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
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FREGATON



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 17:56    Sujet du message: Répondre en citant

Archibald a écrit:
Oh, pauvre Milou.. le mal des montagnes, sans doute ! (mais bien sur !)


Dog, tipsy-tipsy! Ha! ha!
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La guerre virtuelle est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux civils.
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patzekiller



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MessagePosté le: Jeu Mar 23, 2017 18:20    Sujet du message: Répondre en citant

pour le loch Lomond, la distillerie n'existe peut etre pas encore, mais rien n'empeche que ce soit une production artisanale, un cousin éloigné peut etre... Wink
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