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1940 - La France continue la guerre
 
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Unité d'Elite (par Carthage)
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 15:56    Sujet du message: Unité d'Elite (par Carthage) Répondre en citant

Carthage est un p'tit nouveau qui m'a proposé ce début de ce que je n'hésiterai pas à appeler une SAGA.
Oui, je sais, Loïc, on essaye de mettre du sérieux dans la FTL. Mais tout ça parle d'un sujet très sérieux et même de plusieurs : les prisons militaires, les honneurs dus aux morts ennemis...
C'est juste que le ton employé n'est pas... heu....
Bon, qu'est-ce que vous en dites ?
(signé) Casus Frankie


Les désarrois d’une armée en exil (par pdubois)

Chapitre 1 – Le dépôt de BILA du colonel Brécargue

Février 1941 – Sud tunisien
Le colonel Brécargue (Charles, Louis, Chrétien) se lamentait, seul dans son bureau et son désœuvrement. Comme tous les jours de cet hiver 1941, il pourrissait lentement avec ses trois mille hommes à Tataouine, en plein milieu du Sud tunisien, autant dire en plein nulle part. Pourtant, depuis sa malheureuse affectation en ce lieu oublié des dieux et des hommes – et même de la hiérarchie ! – il avait tout essayé, envoyé courrier sur courrier, mais rien à faire. Une stupide blessure subie pendant la drôle de guerre lui avait laissé une cheville droite presque bloquée et l’avait envoyé dans ce succédané d’enfer avec, pour toute consolation, son unité, mais pouvait-on appeler ça une unité ?
Au départ, l’affectation devait être provisoire. Le 1er Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique, ou 1er BILA, ou simplement BILA (puisqu’il n’y en avait qu’un), devait disparaître au 30 Juin 1940 des rôles de l’Armée, avec tous ses bataillonnaires, dont le nombre justifiait que ce bataillon fût commandé par un colonel. Mais l’été 40 était passé par là, le Grand Déménagement, l’Opération Scipion et ouiche, je t’en f…ais, il n’avait pas disparu mais viré du dépôt de Gabès, le bataillon, viré manu militari par le 2e RTT et depuis, pas une décision de commandement, pas un courrier, juste le vaguemestre à la quinzaine et l’intendance tous les mois, qui en plus se fichaient de lui en l’intitulant « Monsieur le Colonel BRECARGUE, commandant le dépôt du BILA » – décidément, aucune avanie, fût-elle en langage comptable, ne lui serait épargnée !
On toqua à l’huis et la face familière de l’adjudant-chef M’Ehmsidi, faisant fonction d’officier des détails et qui boitait, lui, de la jambe gauche, s’encadra dans la porte.
« Y en a un capitaine de tirailleurs pour toi, m’colonel ! »
Une visite ? Ce devait être une erreur.
« Fais-le tout de même entrer » soupira Brécargue, sur le ton du père Hugo (enfin, du père de Victor) articulant « Donne-lui tout de même à boire. »
Le capitaine Granelon (Georges, Louis, Melchior), officier opérations du 2e RTT, présentement (re)basé à Gabès après la folle excitation de la campagne de Libye, fit une entrée remarquée autant que poussiéreuse.
« Mes respects, mon colonel, j’ai des ordres pour vous » dit-il, tendant une enveloppe brune, cachetée de cire, portant fièrement l’intitulé suivant : “Le Ministre de la Guerre”.
Brécargue, stupéfait,le cœur battant la chamade, ouvrit la missive, la lut, la relut puis en fit lecture à haute voix à son visiteur pour se convaincre qu’il ne rêvait point :
« Le dépôt du BILA fera mouvement, sous huit jours francs de la réception de ce courrier, à hauteur de 2 500 de ses personnels déclarés aptes et réglementairement équipés, vers le port de Gabès, aux fins d’embarquement à destination d’Oran, où il devra parvenir au plus tard pour le 1er avril 1941.
Le train des équipages, le service de santé, le grand prévôt et l’intendance de l’armée d’Afrique, la Marine Nationale et le colonel BRECARGUE, commandant le dépôt du BILA, à Foum-Tataouine, sont responsables de l’exécution de cet ordre, IPS n°445/02/02/41, devant le ministre de la Guerre. »
S’ensuivait une brève mention manuscrite, d’une haute écriture penchée, que le colonel ne crut pas devoir porter à la connaissance du capitaine : « Bien à toi, mon cher Brécargue, ton cothurne d’Ingolstadt, Charles de Gaulle, Ministre de la Guerre. »
Les deux officiers, après un moment d’étonnement bien compréhensible, commencèrent à réagir en professionnels consommés.
« Nom de D… de nom de D… » s’exclama Brécargue. « Comme vous dites, mon colonel ! » répliqua Granelon.
Ces pieuses considérations exprimées, le colonel fit sonner « Aux Capitaines ».



Chapitre 2 – Les cadavres exquis du Général

Janvier 1941 – Alger, Présidence du Conseil, 12h30
Pour comprendre l’origine du bouleversement de la morne existence du colonel Brécargue et de son BILA, il nous faut transporter le lecteur trois semaines plus tôt, à Alger, peu après la fin d’un Conseil des ministres. Alors que chacun retournait à ses affaire, le président du conseil, Paul Reynaud, avait retenu le ministre de la Guerre, Charles de Gaulle, avec la mine faussement apitoyée de qui s’apprête à asséner une vacherie dont il ne peut être tenu pour responsable.
– Monsieur le ministre, je me dois de vous entretenir d’une affaire bien délicate mais qui, je le crains, relève de vos attributions… En bref, j’ai été destinataire, via le ministre de Suisse, de représentations des gouvernements allemands et italiens qui se plaignent du traitement réservé par nos soins – ou nos… manques de soins… aux dépouilles de leur nationaux tombés au combat. C’est une situation diplomatique des plus gênante pour le gouvernement, n’est-ce pas. Je vous serai reconnaissant de bien vouloir, par une prompte réaction, en limiter les effets.
– Croyez-bien, Monsieur le Président du Conseil, répondit le Général sur un ton monocorde qui cachait admirablement son irritation, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour mettre un terme à cette douloureuse situation. Les folliculaires sont-ils au courant ?
– Grâce au ciel, il n’en est rien ! Hélas, les deux gouvernements ennemis se réservent l’opportunité de saisir la Croix-Rouge, ce qui ne manquerait pas de donner à cette triste affaire un retentissement international plus que déplacé. Voici copie de la note que j’ai reçue. Je vous laisse juge, Monsieur le ministre, du caractère hautement prioritaire et de la nature des mesures à prendre. Vous me rendrez compte, bien évidemment, de vos succès !
Paul Reynaud, qui avait du métier, aimait, de temps en temps, à prendre de petites revanches innocentes sur des ministres trop indépendants – et dans le genre, De Gaulle était le pire – en leur infligeant de petits coups de caveçon. Le Connétable, pour une fois, en faisait les frais.

Le Général, la pointe des oreilles légèrement colorée, remit son képi et monta en voiture avant de se laisser aller à exprimer son sentiment de façon détaillée quoique peu précise.
« Nom de D… de nom de D… de nom de D… ! »
Geoffroy de Courcel, aide de camp du ministre de la Guerre et fervent chrétien, soupira. C’était rare, mais il arrivait, de temps en temps, que le ministre s’égarât – toujours, D… merci, en petit comité – jusqu’à prononcer des formules que n’aurait pas renié un adjudant instructeur dans une cour de quartier, face à de jeunes recrues.
– Sahucquet, à l’état-major et tout de suite ! grogna le Général.
Lucien Sahucquet, chauffeur rappelé du ministre, soupira. L’après-midi n’allait pas être bonne, on allait sûrement finir tard, il lui faudrait prévenir sa Georgette, les femmes, même parlant pataouète, restant – toutes choses étant par ailleurs égales – ce qu’elles étaient, c’est-à-dire des femmes.



Chapitre 3 – Les cartes révélatrices du major-général Bineau

Même jour – Même ville, Etat-major général des Armées, 13h00
Les sentinelles de la Légion, corps de compagnie de quartier en ce jour, rendirent les honneurs avec l’élégance un peu compassée des vieilles troupes professionnelles. Cela ne suffit pas au ministre qui, de sa voiture découverte, héla le chef de poste.
– Scandaleux, tenue débraillée des sentinelles, armement sûrement sale, vous ferai muter au Sahara, partirez en permission sur mes bottes, gronda le Général.
Le chef de poste, l’aide de camp et le chauffeur rappelé soupirèrent de concert (mais discrètement) pendant que le caporal de relève se ruait sur le téléphone pour avertir l’officier de permanence, le sous-lieutenant Brèze (Jacques, Lorrain). Ce dernier, jeune officier fraîchement affecté à la Légion, commença par ne rien comprendre à la narration picaresque de son correspondant, le caporal-chef Poutileff (Igor Vladimirovitch).
– Barine, barine, grand barine en voiture pour toi, y gueule le grand barine !
Renseigné au-delà de tout espoir par ces formulations elliptiques, le sous-lieutenant rajusta sa cravate, sa chemise et sa vareuse, coiffa son képi et sortit sur le perron voir de quoi il retournait – c’est alors que la foudre lui fendit l’oreille.
– Armée de Bourbaki, vous ferai casser mon petit ami, troupe aux allures molles, pas d’allant, au Sahara et vite !
Pendant ce temps, l’adjudant Leméheu (Gwenn, Marie), natif du Guilvinec, appelait fébrilement au téléphone, à quatre pattes sous le petit bureau du secrétariat, le lieutenant-colonel de Guermantes (Michel, Isidore, Polyphème), officier supérieur de service ce jour malheureux : « Le ministre, mon colonel c’est le ministre, j’ai reconnu sa Panhard blanche, la sans soupape décapotable, il est dans la cour et hurle après la Légion ! »
– Bigre, le ministre à cette heure, et le C/C qui est en tournée d’inspection, reste plus que le major-général qu’il ne fait jamais bon déranger pendant sa collation, je vais encore ramasser ! gémit le Lt-col. de Guermantes.
Même pas le temps de passer un coup de fil, le Ministre était là, devant lui, l’écrasant de toute sa morgue et très, très en colère.
– Et bien sûr, pour couronner le tout, Guermantes, responsable de la pétaudière, j’aurais dû m’en douter, le pompon, oui, le pompon, vous trouverai une affectation, mon cher ami, une belle et bonne, où vous pourrez faire étalage de vos qualités de commandement, en attendant, trouvez-moi un officier général, et vite, verstandt !
Ces effusions touchantes furent interrompues par l’arrivée, en impeccable petite tenue mais le chef découvert, du major général Bineau, l’homme des effectifs donc du possible, garde-mite en chef et fourrier de génie de l’Armée de terre, ce qui eut pour effet immédiat de calmer le Général.
– Monsieur le ministre, que nous vaut l’honneur ?
– Bineau, je veux voir Huntziger, toutes affaires cessantes.
– Impossible, Monsieur le ministre, il est parti avant hier, et à votre demande, en tournée d’inspection en Tunisie ! Il est bien arrivé à Tunis, j’ai reçu un sans-fil.
– C’est très fâcheux, mon cher Bineau, nous avons un gros problème ! De plus, j’aimerais vous entretenir des aptitudes au service de certains de vos subordonnés.
– Bien entendu, Monsieur le ministre, j’attends vos ordres, mais dans le même temps, si vos n’y voyez pas d’inconvénient, je vous invite à partager ma collation.
Ce qui s’échangea au cours de ce repas est mal connu des chroniqueurs, mais Bineau avait quelques avantages, dont celui d’une table considérée comme exquise bien que congrue. Nécessité faisant loi sur la terre d’Afrique, il suivait depuis le Déménagement un régime draconien et s’en portait fort bien. Une fois passés les œufs mimosas, les noix de côtes d’agneau, les pommes pont-neuf en persillade, le Gris de Boulaouane (juste un verre ou deux) et un excellent moka (le ministre les ayant, au passage, privés de fromage et de dessert), les deux hommes se mirent à deviser sur la base de la note du Président du Conseil.
Le ministre, tirant sur une Player’s sans filtre, demanda quelle était la pratique constante des armées en matière de dépouilles, ainsi que celle retenue par nos alliés et nos adversaires. Le major-général avoua que c’était là plutôt affaire de circonstance et que l’arme du Génie avait généralement été chargée, au cours de la période moderne de l’histoire de nos armées, du suivi de cette problématique mais que cela pouvait souffrir de notables exceptions dues à l’absence de théâtres d’opérations stables dans le temps et dans l’espace, que nos alliés avaient les mêmes préoccupations et que nos adversaires utilisaient plutôt des unités à caractère disciplinaire à cet effet ; pour finir, il souligna que les écoles britanniques et américaines faisaient accompagner ces mesures funéraires d’études systématiques, tant en matière médicolégale qu’en matière de renseignement militaire.
Le ministre demanda alors si des unités du Génie pourraient être affectées à cet emploi, le major-général répondit que non, toutes étant mobilisées par les exigences des opérations ; de plus, tous les bataillons de travailleurs ayant disparus depuis juin 40, il ne pouvait décidément distraire aucun effectif à cet effet ; le Corps de Santé, s’occupant des vivants, n’en voudrait pas et il était hors de question de se retourner vers la Prévôté qui, requise par ses missions de justice, refuserait tout de go – il restait, peut être, l’Aumônerie aux armées qui pourrait remplir ce rôle.
Charles de Gaulle, bien qu’ayant reçu une excellente éducation religieuse et allant fort régulièrement à vêpres, souffrait d’un vieux fond radical mal maîtrisé – « Des ratichons, s’exclama-t-il, manquerait plus que ça, pourquoi pas des chaisières ou des dames patronnesses, allons, Bineau, réfléchissez un peu, nous sommes saisis par la Présidence du Conseil ! »
Le major-général se dirigea vers des panneaux muraux qu’il déplia. Des carte de tous les théâtres d’opérations apparurent alors, avec toutes les unités française dûment figurées par des symboles convenus. Les deux généraux regardèrent longuement les cartes, semblant s’en imprégner jusqu’à ce que le ministre, poussant un rugissement, pointât un doigt qui semblait accusateur sur le Sud tunisien : « Et ça, Bineau, c’est quoi, des nèfles peut-être ? »
Le major-général, chaussant ses doubles foyers, vit alors, perdu dans une immensité lacunaire, un point noir quasi cyclopéen étiqueté TATAOUINE avec une mention discrète, de toute petite taille et visiblement manuscrite : « 1er BILA ».
– Bon sang, mais c’est bien sur, les Joyeux, je n’y avais pas pensé Monsieur le ministre, heureusement que vous êtes là !
Comme mû par un ressort, Bineau ouvrit la porte et beugla « Guermantes ! » Peu après, le lieutenant Brèze, d’un pas fort peu assuré, pénétra dans la pièce et annonça que le colonel de Guermantes, victime d’une subite indisposition, avait été évacué et qu’il attendait seul la relève.
Le Major et le Ministre s’entre-regardèrent d’un air entendu et Bineau demanda doucement qu’on aille lui chercher Colson, ce que Brèze s’empressa de faire.
Colson, sanglé dans un uniforme impeccable, fit son entrée dans le bureau et deux saluts datant du Premier Empire furent tour à tour adressés au ministre et au major-général. Ce garçon, par sa connaissance encyclopédique des arcanes de l’Armée, constituait une énigme vivante, une sorte de monstre forain que l’on sortait autant que de besoin, puis que l’on rangeait en de poussiéreux bureaux. Le Général était fort curieux de la suite des événements, il avait signé lui même en janvier dernier l’élévation du personnage au grade de chef de bataillon sur recommandation expresse de Charles Delestrant – c’était fort rare pour un “X” de sept ans d’ancienneté.
Le major-général demanda à Colson s’il connaissait Tataouine.
« Oui, mon général. Tataouine, dit aussi Foum-Tataouine. Caïdat des territoires du sud tunisien, division de Sousse, un bureau des affaires indigènes et une garnison française. »
– Quelle garnison, demanda le ministre qui se prenait au jeu, il ne devrait plus y avoir grand monde dans le secteur depuis l’été dernier !
– En effet, toutes les unités ont depuis longtemps fait mouvement vers la côte, répondit Colson, seule reste une unité qui n’existe pas tout en existant !
– Soyez simple, mon jeune ami, dit paternellement Bineau, éclairez-nous !
Colson prit une profonde inspiration et déroula son histoire.
Voilà, quelque temps après son affectation en ces lieux, il avait été rendu destinataire, par voie hiérarchique, d’une lettre du colonel Brécargue, commandant le 1er BILA ou plus exactement le dépôt de cette unité ; il avait reçu onze de ces missives qui toutes suppliaient de trouver une mission de combat à la dite unité ; la hiérarchie, malgré tous ses rappels, ayant d’autres priorités, n’avait pas cru devoir donner de réponse à ces appels au secours d’un loyal serviteur des armées.
– Brécargue, dit le ministre, ça me dit quelque chose !
– Chambrée 5, Monsieur le ministre, répondit Colson, chambrée 5 à Ingolstadt, dite chambrée des capitaines.
Le ministre en demeura béant. Bien sûr qu’il se souvenait, sacré Brécargue, mais qu’avait-il pu faire pour être exilé là-bas !
– Rien de spécial, Monsieur le ministre, il a été victime d’un inspecteur qui ne lui voulait pas que du bien et d’un malheureux concours de circonstances. Voilà, il devait prendre le commandement du 2e RTT à Gabès lorsque qu’on l’envoya en France, sur la Ligne Maginot, préparer l’engagement de troupes indigènes de l’Armée d’Afrique en avant de la Ligne. Il fut blessé par des tirs d’ALVF en novembre 39 et passa six mois en soins et convalescence, quand il fut déclaré apte, on le renvoya à Gabès ou son commandement était déjà pris, on lui donna le 1er BILA et son dépôt, tous les jeunes bataillonnaires avaient réintégré depuis bien longtemps la régulière mais les armées continuaient à se débarrasser de leurs, heu, problèmes sur ce bataillon.
– Combien sont-ils là-bas, demanda le ministre.
– 3 185 au dernier état rationnaire, répondit le chef de bataillon, à peine 2 500 d’utilisables, beaucoup d’anciens, devenus inaptes.
De Gaulle et Bineau se regardèrent, effarés. Plus de 3 000 bonshommes laissés à pourrir sous le soleil en pleine guerre et pas un mot, l’omerta militaire gardait ses droits.
Le ministre se leva d’un bond : « Colson, prenez note de l’arrêté suivant ! »
« Au moment où la Nation toute entière, luttant pour sa survie et celle de ses institutions, est engagée dans le combat suprême, il importe que les Armées de la République, concourant à l’effort national, ne distraient aucune énergie, même considérée comme dévoyée, qui puissent les aider à obtenir la victoire totale. En conséquence et sous réserve de la conformité à la Loi et aux Règlements, le Ministre de la Guerre arrête :
A compter de ce jour, toutes les unités à caractère disciplinaire, constituées, provisoires ou de circonstance, qui se trouveraient ou viendraient à se trouver sur le territoire national ou tout théâtre d’opérations, sont déclarées dissoutes, le dépôt du 1er BILA de Tataouine se voyant, seul, rendu destinataire de tous les personnels militaires d’active ou de réserve, qui, à divers titre, auraient pu être dirigés sur les dites unités.
Le ministre de la Guerre, ses services et le major-général des Armées sont chargés de l’exécution du présent arrêté.
Fait ce jour à Alger,
Charles de GAULLE, Ministre de la Guerre. »
Bineau était, certes, venu d’une autre époque des Armées, mais cette cervelle bien faite savait obéir. Le soir même, des ordres partaient pour exécution vers toute l’Afrique du Nord et jusqu’en Extrême-Orient, dont une IPS (instruction personnelle et secrète) pour Huntziger à Tunis et l’Arrêté du Ministre pour ampliation à toutes les unités. Les transmissions et la navette courrier de l’Armée de l’Air n’allaient pas chômer.
A l’issue de l’entrevue, le major-général congédia Colson, qui eut même droit à un signe de tête du Général ! Chacun rentra dans ses appartements, le ministre, lors de son départ, se voyant présenter les honneurs par un peloton entier de spahis à la présentation impeccable autant que moustachue – joie ineffable, s’il en est, pour tout ministre et Général qui se respecte.

La Panhard ronronnait rue d’Isly, le Général réfléchissait intensément, qu’allait-il faire maintenant ?
Des unités disciplinaires… Ces façons anglo-saxonnes lui semblaient, pour une fois, des plus pertinentes, n’avaient pas que de mauvaises idées les Rosbifs, mais, quant à transposer cela chez nous, la “vieille mule” allait s’avérer des plus rétives, pour des disciplinaires en outre, tous les commandements de théâtre allaient hurler, non, il fallait agir en souplesse, avec doigté et de toute façon se faire conseiller… Il avait, certes, prononcé la dissolution de toutes les unités à vocation disciplinaire, sauf une, par arrêté et en avait le droit mais il connaissait la musique, on allait sans doute monter de petits Biribi clandestins que l’on gèrerait en toute illégalité, il faudrait pour éviter cela réformer profondément le code de procédure ou adopter une loi ad hoc, ce qui n’était pas des plus simples, peut être en souffler un mot à Mandel qui le soutiendrait devant le Conseil, de toutes façons, il y aurait des oppositions, ne serait-ce que celle du Garde des Sceaux qui détestait, oh conservatisme sacré des juristes, que l’on modifie les textes, voir Capitant, oui voir Capitant avec ce jeunot, comment s’appelle-t-il déjà, Debré, c’est ça… Bien se border, surtout quand il y avait des pékins dans la manip, des méchants les “bœufs tigres”, faire attention dans tous les cas, féroces qu’ils pouvaient être, ses nouveaux collègues, il en avait fait l’amère expérience à plusieurs reprises, les militaires ont parfois de ces naïvetés… Il décida alors de commencer par se rendre au ministère pour se donner plus de temps, oui, du temps, c’est bien ce qu’il fallait.
– Sahucquet, au ministère, et vite !
Sahucquet, la mort dans l’âme, fit un appel de phares aux motards de la Sûreté générale qui les précédaient, freina doucement, fit un demi-tour laborieux et fila vers le ministère de la Guerre. Sa fin de journée était foutue…
Le pauvre Guermantes, juste avant son “indisposition”, avait cru bon de faire échanger les dispositifs de garde de l’Etat-Major Général et du ministère. Les mêmes légionnaires rendirent donc les mêmes honneurs au même ministre avec la même élégance compassée, générant par là une identique explosion de colère de Charles de Gaulle – la fin de journée n’allait pas être triste, songea sombrement Sahucquet. Mais cette fois ci, un tout autre officier de permanence était à la manœuvre. Le ministère étant un milieu libéral, l’aéronautique navale était à l’honneur avec un enseigne de vaisseau de 1ère classe pilote, casquette au vent (relatif bien sûr).
Pendant que l’EV1, encaissait, stoïque, l’algarade du Général ministre, les légionnaires étaient subrepticement remplacés par les fusiliers marins de relève, ce qui fait que le ministre Général, ré-inspectant minutieusement le dispositif, ne put relever aucun élément discordant et se crut à moitié victime de la berlue, maladie fort répandue en ces temps troublés. Se souvenant de ses jeunes années, De Gaulle dit simplement à l’EV1 : « Bien joué, l’enseigne, fines allures, vous m’avez eu ! Je m’en souviendrai, rappelez-moi votre nom ! »
– Lagadec, mon Général, Yvon Lagadec.




Chapitre 4 – Les en-avant-marche de l’adjudant-chef Roblin

Février 1941 – Sud tunisien
Le Vieux était devenu fou, assurément. Les sous-off’ étaient venus, avec tout l’encadrement, à la sonnerie « Aux Capitaines » et le Vieux leur avait fait en bégayant lecture d’un étrange courrier, signé du ministre, ce général Gaule – pourquoi pas Vercingétorix ! se disait l’adjudant-chef Roblin, qui se piquait d’avoir été jusqu’au Certif’ (ou presque).
Roblin avait finement manœuvré pour se retrouver avec les indigènes, derrière le Vieux, celui-ci, tout à son excitation, ne l’avait pas remarqué, et il avait lu la mention manuscrite par dessus son épaule. Ingolstadt, ça lui disait quelque chose, mais, présentement, le Colonel avait perdu tout sens commun, il leur avait ordonné d’être prêts, le lendemain à neuf heures, à faire mouvement sur Gabès via Médenine, en armes et tout le toutim, on laisserait une compagnie avec un capitaine pour garder le bouclard et tout le reste ferait mouvement, en rang par quatre, pour la mer, il rêvait le vieux, on allait laisser au moins cinq cents gaziers sur le bas-côté ! Pas mes oignons finalement, conclut Roblin, bien se graisser les pieds, avec de la couenne ou ce que l’on trouverait, du gras quoi, il importait d’arriver tout entier à Gabès pour prendre le bateau.
Il soupira en maudissant sa mauvaise chance et ce sous-officier de la prévôté qu’il avait passé par la fenêtre chez Louise, un rade bien tranquille à Alger, en plus par la fenêtre du rez-de-chaussée, c’est vrai que ce cogne avait été plus qu’insistant, méchant à pas pouvoir, insupportable quoi, mais les copains s’étaient évaporés avant l’arrivée de la patrouille, il était resté seul, il les avait bien démolis à leur arrivée, mais que voulez vous, le nombre, et pas de chance, on l’avait expédié là discrètement, l’accueil avait été des plus simples, il avait eu bien de la chance de pas être passé au falot, de pas avoir été cassé, le comble à vingt-cinq ans de carrière, en plus presque tout dans la Colo, enfin, il s’en était sorti !
L’adjudant-chef avait trouvé de la couenne, d’âne aux dires du mercanti, tout le monde, à la compagnie hors rang, s’était oint les panards avec empressement, sauf les indigènes qui avaient d’abord rechigné, comme de bien entendu, les menaces de l’adjudant-chef n’ayant pas été jugées suffisantes, seul le commerçant, un juif de Sousse, avait pu les convaincre – « Si moi je vous en vends, c’est que c’est pas du porc, mais de l’âne, vous pouvez me croire ! » – ils s’étaient finalement tartiné les pieds comme les autres, si c’était pas vrai le péché serait pour le juif.
Il était neuf heures, le Vieux était fou et la musique des chasseurs légers du 1er BILA était déchaînée, il y avait même des sons aigrelets, des instruments locaux, le dépôt s’ébranla dès ouverture des portes, la ville entière formant une haie d’honneur – des maîtresses, des épouses et même un ou deux mignons étreignaient leurs hommes, le grand soleil tapait, féroce, le Sud tunisien ne trahissait pas sa réputation, en avant ’arche bataillonnaire, marche ou crève, de toute façon, pas de différence à l’arrivée…
Quatre heures plus tard, une halte bienvenue fut octroyée, l’adjudant-chef fit former les faisceaux, interdisant aux hommes de s’endormir ou de quitter leurs brodequins, les gaziers tendirent leurs gamelles à la roulante, seulement deux types de perdus et pas les meilleurs en plus, jusque-là, tout allait bien !

(à suivre...)


Dernière édition par Casus Frankie le Dim Mai 24, 2009 13:12; édité 2 fois
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patzekiller



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MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 18:03    Sujet du message: Répondre en citant

lagadec en janvier 41 est en attente d'affectation?, je ne me souvenais pas de celle là...
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Finen



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MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 18:47    Sujet du message: Répondre en citant

Pas besoin d'être en attente d'affectation pour prendre un tour de relève de 24h!

Il avait qu'a pas se faire remarquer comme ça!
Je suppose que le rédacteur a vérifié que le breton errait dans le nord de l'afrique à ce moment la.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 19:28    Sujet du message: Répondre en citant

Finen a écrit:
Pas besoin d'être en attente d'affectation pour prendre un tour de relève de 24h!


Ben... oui. Pas besoin.

Il est à cette époque sur le Béarn. On peut même penser qu'il passe quelque temps à terre au moment de l'échange Buffalo-Wildcat.
(et dans cette histoire, il n'a qu'un tout petit rôle secondaire !! Wink )
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MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 21:32    Sujet du message: Répondre en citant

Ma foi, je suis curieux de voir où ceci va nous mener ...
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On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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MessagePosté le: Sam Mai 23, 2009 22:55    Sujet du message: Répondre en citant

Mention spéciale pour le passage où De Gaulle pique une rogne de tous les diables Very Happy

J'ai quand meme de la peine pour les malheureux qui se sont pris un sacré " coup de douze" ( vont-ils avoir droit à un méchant "Saharage"?)

Et notre brave Malouin qui arrive encore à se retrouver dans des situations pas possibles ( je commence à croire qu'il a des tendances masochistes... Shocked )
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 08:00    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai la méchante impréssion que le Colonel Brécargue s'apprète à être privé de ses rèves d'action et à échanger Tataouine et le 1er BILA contre un travail de croque-mort et le commandement de la 1ère BMFA (Brigade Militaire Funéraire de l'Armée). Néttoyeur des champs de bataille et fossoyeur officiel de l'armée, bonjour l'empreinte dans la carrière du bonhomme.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 13:16    Sujet du message: Chapitre 4 (suite et fin), Chapitre 5 Répondre en citant

Comme souvent dans la FTL, nous découvrons des personnages étonnants qui ne sont PAS de l'invention des auteurs...
Merci Carthage, j'avoue que j'ignorais la vie et l'oeuvre du Dr Locard.



Ce qui n’allait pas, par contre, c’était l’armement. La République, fort prévoyante, avait doté ces troupes de rebut de l’armement idoine. Une lubie d’intendant, comme tous les cadres, Roblin s’était vu remettre un superbe revolver 1892, dans son jambon et flambant neuf encore, de quoi jouer à Buffalo Bill avec les Boches ou les Macaronis ! les troupiers quand à eux recevant des fusils Gras que le vieux, comme par magie, avait fait sortir de l’armurerie, armes impeccables mais consternantes de désuétude, il y avait aussi des montagnes de munitions que les brêles transbahutaient dans des caisses qui, portées en cacolets, émettaient un joyeux tintement de ferraille maltraitée… Le pire c’était les FM, un RSCG Chauchat par section, cochonnerie immonde ne supportant pas l’étui des 8 mm Lebel et s’enrayant généralement vers le troisième coup tiré, sans compter les deux mitrailleuses Saint-Etienne affectées à chaque compagnie, qui avaient connu des jours meilleurs à la bataille de la Marne pour sûr ! Quant aux 37 TR, il y en avait six pour tout le détachement, bien proprement bâtés sur les brêles, heureusement qu’elles étaient là, les brêles, pour tout porter et tout tracter, les seules intelligences du dépôt.
Roblin qui en avait vu d’autres ne pouvait s’empêcher de rager, tous pareils ces connards, pas de mémoire, l’expérience pourtant durement acquise ne servant généralement à rien, il aurait bien voulu les voir en France, quelques mois auparavant, devant Valence, tiens, pauvres Sénégambouilles, salauds de Boches, ça le réveillait encore la nuit, au delà du Vercors qu’ils auraient finis et bien contents d’être entiers, non décidément tout cela ne lui plaisait pas, ah, on serait beau face aux Panzerdivisionen, bonne la riflette, macache, foi de Roblin, il allait parler au Vieux, lui dire ses quatre vérités, quitte, cette foi, à passer au falot.
Justement, il arrivait Brécargue, au petit trop sur son alezan, il venait aux nouvelles, il était remonté sur son cheval qu’il avait d’abord ménagé, cheminant à pied comme tout le monde, mais accroché à la crinière du bidet, Roblin qui le suivait avec la compagnie hors rang avait bien vu qu’il boitait, sa blessure sans doute.
Brécargue était heureux, on faisait enfin quelque chose, on bougeait quoi ! on sortait de ce pourrissement qui touchait tout et tous, les corps comme les âmes. Il aperçut Roblin, le Colonial qui passait les gendarmes par la fenêtre des claques, œuvre de salubrité publique s’il en était, intéressant profil ce garçon, pas trop aviné et expérimenté, il faisait l’intérim de son capitaine à la tête de la CHR, on manquait de cadres officiers, il faudrait qu’il lui parle, que l’autre lui raconte sa campagne de France, l’avait l’air d’avoir été passablement secoué, un sale souvenir, sans doute – il le héla.
– Ça va Roblin, vous suivez et vos hommes, ils tiennent ?
– Seulement deux de perdus, mon colonel, mais on est pas arrivé à Médenine et il va être midi, ça va taper encore plus fort, j’ai peur qu’il y ait des coups de chaleur, il nous faudrait du sel.
– Du sel, pour quoi faire ?
– Pour saler très légèrement l’eau de boisson, mon colonel, un truc de méhariste que l’on m’a appris autrefois, imparable.
– Et le Major qui n’a pas suivi, je lui aurais demandé conseil, vous êtes sûr de ce que vous avancez !
Roblin, pour toute réponse, tendit sa gourde au colonel qui avala une gorgée, c’était salé mais supportable, et Roblin qui avait obligé ses hommes à s’abreuver de la sorte n’en avait perdu que deux, il était le champion du dépôt, décidément, plus qu’intéressant ce garçon.




Chapitre 5 – La montée en grade du Docteur Locard

Février 1941 – Alger
Edmond Locard avait relu avec attention la lettre du ministre reçue vers les midi, bigre, un rendez-vous chez Georges Mandel, et le soir même en plus, que pouvait bien vouloir l’ex directeur de cabinet de Clemenceau, devenu ministre de l’Intérieur, à un petit médecin lyonnais égaré à Alger !
Il est vrai qu’ils se connaissaient déjà, indirectement du moins, depuis fin juin Quarante. Sur ordre du ministre, déjà, Locard avait mis ses archives les plus sensibles (pour ne pas dire les plus saignantes) à l’abri en Ardèche centrale, puis était revenu sur Lyon pour détruire le seul laboratoire français de police scientifique, toujours sur ordre express du ministre et avec le concours de l’arme du Génie ! Après avoir dévasté les combles du palais de justice, il avait dispersé son équipe, recasée dans d’innocentes affectations administratives – il avait reçu pour instructions de ne laisser aucune preuve utilisable derrière lui, ce qui, pour cet expert en criminalistique, n’avait posé aucun problème – puis, toujours sur ordre, il avait suivi le Grand Déménagement.
La suite avait été moins favorable. Suivi d’un seul adjoint récemment affecté, l’inspecteur Perrache, et en compagnie d’une toute petite valise, il avait rejoint Alger en moins de cinq jours, mais l’accueil qui lui avait été réservé dans la Ville Blanche avait été des plus tièdes. La Sûreté générale algéroise, au savoir-faire expéditif autant que limité, donnait l’impression d’obtenir des aveux avant même que crimes et délits soient commis, sans doute avait-elle rétabli la question – cette seule idée révoltait Edmond ! Quant à ses confrères de la Faculté d’Alger, ils n’avaient que mépris pour celui qu’ils considéraient, au pire, comme un flic de bas étage, au mieux, comme un médecin défroqué. Seul un jeune et talentueux hospitalier en cours d’agrégation, le Docteur Leriche, qui venait de Métropole, lui avait prêté une sympathique attention, ayant eu lui-même à jouer les légistes – mais il n’avait eu que de petites affaires à se mettre sous la dent, devinettes infantiles résolues en un tour de main.
Son cher laboratoire lui manquait. Le matériel n’ayant pu suivre, il en était réduit à utiliser des produits culinaires ou d’entretien, ce qui limitait fort ses performances et suscitait les lazzis des ignorants. Il avait pourtant obtenu de monter un cours pour des élèves volontaires, inspecteurs ou brigadiers, suivi par une dizaine de courageux étudiants, Français et Indigènes. C’était là son seul bonheur du moment, bien ténu mais bonheur quand même. Pour sortir de son inaction, il en avait référé au ministre dans le style et le ton convenu et avait reçu une réponse courtoise autant que distraite, une sorte de fin de non recevoir très polie avec une mention manuscrite de Mandel, fort sympathique autant qu’elliptique – « Bien à vous, à très bientôt » – c’était maigre et datait d’une quinzaine. Ce soir, on allait bien voir.
Il en était là de ses réflexions quand l’inspecteur Perrache montra sa tête ébouriffée. Bien que Lyonnais, Edmond avait fini par l’apprécier car c’était un vrai flic, tenace et endurant. Lui s’était fort bien acclimaté à Alger et, faut il le dire, aux Algéroises – c’était ce qu’il est convenu d’appeler un bel homme, qui ne laissait jamais les femmes indifférentes, d’autant qu’il était célibataire. Il n’en abusait pas, Edmond lui ayant fait les paternelles admonestations de rigueur sur le respect dû au sexe dit faible et la bienséance à observer par un fonctionnaire de la République.
Le légiste annonça avec quelque mystère à son jeune collaborateur, sur un ton faussement officiel, son prochain départ pour un rendez-vous d’extrême importance. « La voiture du ministère vous attend déjà en bas, Docteur » répliqua Perrache, ajoutant qu’il lui fallait revêtir d’urgence les signes de la puissance, à savoir sa cravate sombre et son melon, que pour la cravate, Madame Georgette Sahucquet, sa dévouée secrétaire, la lui nouerait de façon correcte et qu’il se chargeait lui, son assistant, de brosser le melon pour lui redonner un lustre digne d’époques bien plus glorieuses. Edmond soupira, se soumettant par avance aux reproches quasi maternels de sa secrétaire quand à son absence totale (à plus de soixante ans !) du respect des convenances et conventions en matière d’élégance masculine en milieu ministériel. Elle apparut triomphante, une chemise immaculée fraîchement repassée sur un cintre dans une main et la fameuse cravate dans l’autre. Cependant, Perrache s’activait avec la brosse en produisant un petit bruit soyeux plus qu’énervant. Edmond déplia sa grande carcasse et frissonna en passant la chemise qui fleurait l’eau de Cologne. Ces hivers algérois étaient plus humides que ceux du Val de Saône – et en bon Couramiaud , il s’y connaissait en hivers humides. Il céda bien volontiers au babil coloré de son exubérante et dévouée assistante, refusant simplement le gardénia dont elle voulait orner sa boutonnière et qu’il trouvait presque inconvenant, pourquoi pas des guêtres pendant qu’elle y était, ou des fixe-chaussettes ! Il mit cependant un bœuf sur sa langue et un frein à ses commentaires, se souvenant à temps que les crimes féminins qu’il avait étudiés étaient toujours plus raffinés que les masculins, il ne faut jamais tenter le diable et primum non nocere. Suivi de sa garde rapprochée, Edmond descendit l’escalier et découvrit sur le trottoir les courageux étudiants de criminalistique qui, en grande tenue et rigolards, protégèrent son entrée dans la somptueuse 15/6 Citroën du ministère. Il ôta son melon et s’enfonça dans la banquette moelleuse. Tout cela était fort mystérieux : comment Perrache avait-il su ? Et Madame Sahucquet ? Et les stagiaires ? Il faudrait tirer tout cela au clair. Qu’aurait dit de ces énigmes son illustre confrère Sir Arthur Conan-Doyle ? Edmond avait la déplaisante impression que tout le monde savait, sauf lui, scénario habituel du théâtre de boulevard, en bref, le syndrome du cocu.
La Traction glissa en un petit quart d’heure jusqu’au ministère de l’Intérieur, mais fit le tour du bâtiment pour entrer par l’arrière. Edmond fut pris en charge dès la sortie du véhicule par deux inspecteurs de la Sûreté générale qui le saluèrent fort courtoisement et le livrèrent à un affable huissier à chaîne qui frappa à une porte matelassée du premier étage, laquelle s’ouvrit sans grincer et Edmond se trouva propulsé, le melon à la main, au milieu d’un vaste bureau dont le balcon dégageait une vue magnifique sur la baie d’Alger. Il était apparemment très attendu !
« Bonjour, Docteur, dit le ministre de l’Intérieur, nous vous sommes fort reconnaissants d’avoir délaissé vos éminents travaux pour nous aider à résoudre un problème qui nécessite vos lumières. Ce problème tient à la politique étrangère et militaire de la République. Vous voudrez bien nous faire l’amabilité d’y consacrer désormais tous vos efforts, considérant qu’il s’agit, non certes d’un ordre, mais d’une obligation. »
Edmond, aveuglé par le grand soleil couchant, voyait fort mal ses interlocuteurs placés à contre-jour. Il se déplaça vers la droite et put alors distinguer l’assistance. Outre son ministre, il y en avait un autre, celui de la Guerre s’il vous plait, qui tirait nerveusement sur une Player’s, il était accompagné d’un autre officier, un commandant, le nez chaussé de petites lunettes rondes ; le chef de la Sûreté générale était debout derrière son ministre avec le chef de cabinet ; deux civils à la mine grave complétaient l’assemblée sur la gauche, avec le procureur général d’Alger.
« Docteur, reprit Mandel, le commandant Colson ici présent va vous résumer les faits et vous présenter les solutions et les moyens que nous avons dégagés pour obvier les inconvénients occasionnés par cette situation préoccupante – mais asseyez-vous, Docteur, je vous en prie. »
Après dix bonne minutes d’exposé, le bon docteur comprit avec stupéfaction ce que l’on attendait de lui : à la tête de milliers de soudards au passé disciplinaire chargé, plus quelques autres, jouer les experts en pompes funèbres militaires – devenir morticole en chef des Armées, quoi !
Le ministre de la Guerre prit alors la suite de Colson. Il rappela les états de service de Locard au service du Chiffre pendant l’Autre guerre (comme beaucoup de médecins, Locard avait des violons d’Ingres) et loua ses réussites policières d’avant celle-ci, insistant sur le caractère fondamental et novateur de ses travaux. « La France vous confie aujourd’hui une mission d’importance stratégique, proclama enfin le Général. C’est pourquoi le ministre de la Guerre (Locard mit un instant avant de réaliser que De Gaulle parlait de lui-même) a décidé votre réintégration dans le cadre d’active, dont vous aviez été malencontreusement rayé en 1939, par décision ministérielle en date de ce matin à 00h00. Vous avez rang de médecin général et vous êtes affecté à mon cabinet militaire. »
Edmond comprit tout de suite qu’il était fait aux pattes, point de solution pour faire RIP, auraient dit les anciens, seul le service de la Patrie devait compter, perinde ac cadaver.
Un grand silence se fit, puis le ministre de l’Intérieur demanda à Edmond s’il désirait des moyens supplémentaires. Ce dernier se racla la gorge et demanda cinq médecins, dix aides d’anatomie, quelques hommes d’église de diverses confessions et une dizaine de spécialistes des armements, matière où il n’était point suffisamment versé. Les deux ministres se regardèrent avant de lui accorder le tout sans barguigner, Colson et le directeur de cabinet de Mandel se chargeant des logistiques civiles et militaires.
Restait entier le problème du statut judiciaire des bataillonnaires, lesquels étaient peut-être sous le coup de décisions de la justice militaire. Après un coup d’œil vers le procureur, Charles de Gaulle répliqua que le vent de l’histoire, son souffle eût dit Michelet, emportait tout et que le ciel et l’oubli (et peut-être une petite amnistie bien ciblée) pourvoiraient au règlement de cette question très secondaire.
L’assistance militaire prit congé, non sans prodiguer quelque encouragement au bon docteur et en formant moult vœux pour son succès. Le Général donna à Locard du « Monsieur le médecin général » en lui fixant rendez-vous le lendemain, huit heures tapantes, à l’Etat-Major Général et sortit d’un pas rapide, suivi de son factotum aux lunettes rondes.
Edmond resta seul avec les civils, son melon à la main. « Désirez-vous autre chose, Docteur ? » fit Mandel. Edmond demanda alors l’affectation de son équipe et de ses stagiaires à cette délicate opération. Y compris votre secrétaire ? demanda le ministre, surtout elle et il en faudra d’autres, répliqua Locard, il n’y aurait pas eu d’affaire Dreyfus s’il y avait eu des secrétaires, Monsieur le Ministre.
Mandel se renfrogna, diable de médecin, toujours le mot qui fâche, mais peut-être n’avait il pas tort après tout, accordé dit le ministre, vous me rendrez compte demain à dix heures de votre entrevue avec mon collègue de la Guerre, je vous fais raccompagner, bon courage avec vos Joyeux et tous mes vœux vous accompagnent.
Edmond, tout en ayant la sensation d’être ce que les militaires désignaient par la locution “pékin de prestige”, regagna la 15/6, coiffé de son melon.
Mandel tint ensuite une petite conférence où il apparut que :
- L’Intérieur se devait de considérer avec une extrême attention le rôle apparemment bénin mais hautement stratégique de l’unité à naître.
- Que de multiples complications étaient à prévoir quand au caractère légal et réglementaire de l’activité de la dite unité.
- Qu’en conséquence, tout devrait être mis en œuvre pour faciliter la réussite du bon docteur, tant chez les militaires que chez les civils.
- Que lui, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, se portait personnellement garant de la loyauté d’Edmond Locard envers le gouvernement de la République, ses états de service pendant l’Autre guerre, au “cabinet noir” avec Painvin, illustrant, s’il en était besoin, ses grandes et diverses capacités, dont la criminalistique n’était que le plus récent fleuron.
- Que le dit Edmond Locard serait une source utile, car implanté au cabinet du ministre de la Guerre.
- Qu’un “traitant” choisi parmi les présents serait prochainement désigné pour lui signifier les volontés de l’Intérieur.
- Qu’il faudrait lui trouver d’urgence un bon tailleur pour son uniforme de médecin général et que le port du chapeau melon devrait, dans une société civilisée, faire l’objet d’un oukase le proscrivant sous peine de mort. Par bonheur, les médecins généraux portaient képi.
La conférence fut alors levée, chacun regagnant sa chacunière.
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patzekiller



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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 14:55    Sujet du message: Répondre en citant

excellent
coquille : au petit troT
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FREGATON



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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 14:59    Sujet du message: Répondre en citant

Hummm, un petit régal d'authenticité militaire à déguster sans faim Wink

Citation:
C'est juste que le ton employé n'est pas... heu....


Pas très académique certes, on dirait que c'est mijoté à la sauce... voyons..., un soupçon de tontons flingueurs peut-être... en tout cas cela excite la papille et reste malgré tout très digeste Applause
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 15:09    Sujet du message: Répondre en citant

Avec de futurs assistants étant autant en délicatesse avec les lois de la république et les règlements des armés, il y a un grand potentiel d'activirés plus ou moins louches. Détroussage de cadavres, trafics de corps à destination de la faculté de médecine, contrebande, trafic d'arme, marché noir,...le potentiel est vaste. J'attend avec impatience la suite, ca promet.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 15:21    Sujet du message: Répondre en citant

Petit trot : merci de ta vigilance, Pat.
Et puis, un détail :

Couramiaud : Natif de Saint-Chamond (Loire), pour le lecteur parisien, marseillais ou (horresco referens) lyonnais.
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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 15:38    Sujet du message: Répondre en citant

Une peccadille :

ordre express = ordre exprès


Mais excellent !
Tontons flingueurs et un poil de Céline ??
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Martel



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MessagePosté le: Dim Mai 24, 2009 19:54    Sujet du message: et ça déménage... Répondre en citant

En l'honneur du melon ... chapeau bas

Audiard doit bien en "rire" ...

Un seul mot ou plutôt deux : la suite !
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"Enfin le cardinal a terminé son sort.
Français, que dirons nous de ce grand personnage ?
Il a fait la paix, il est mort :
Il ne pouvait pour nous rien faire davantage. "
Epithaphe anonyme du Cardinal de Mazarin.
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Jeu Mai 28, 2009 14:39    Sujet du message: Répondre en citant

La suite, la suite, la suite Dancing !
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