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Italie, Juillet 44
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Etienne



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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 11:44    Sujet du message: Répondre en citant

loic a écrit:
Pour les noms des petites unités, je penche aussi pour un surnom pas officiel.
Par ailleurs, il faut penser aux alliés anglo-saxons qui risquent de ne pas comprendre certains noms.


Ah? Parce que les Français de 1944 sont sensés comprendre les noms anglais, voire russes, grecs ou yougoslaves?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 12:35    Sujet du message: Répondre en citant

Menton (Alpes-Maritimes), au matin – Dans la lumière de l’aube, le paysage se modifiait et se colorait. Les verts se libéraient des bleus. Un jaune délavé tenta sa chance sur une façade amputée de son bâtiment. Une réclame colorée répondait aux cris véhéments de volatiles chassés de leurs perchoirs. Des masses ténébreuses s’éparpillaient en buissons, constructions rébarbatives, troncs décapités et épaves diverses, révélant par endroit une pièce d’équipement abandonnée, le Taureau foudroyé la veille et toujours fumant, un casque, la tache blanche d’un visage, le canon d’une arme. Un imposant édifice dominait les pentes encore sauvages, fournissant pléthore de cachettes. L’assaut pouvait venir de n’importe où.
Mais ce qu’ils guettaient tous, c’était les Boches qui se tenaient cachés là, derrière ce muret, cette carcasse, ces cactées, plus près que ceux que l’on savait maintenant embusqués dans le bâtiment voisin. Ou derrière celui que Bonestu et ses comparses avaient quittée peu avant, juste à temps sans aucun doute. Parfois on saluait d’une balle un mouvement furtif plus prononcé qu’un autre, là-bas, une forme qui surgissait du creux que l’on surveillait, mais sans savoir ce qu’il en advenait … Ah, si l’on avait eu du pruneau en abondance ! Une grappe de projectiles accourait en retour et l’on baissait la tête aussitôt, traversé d’un bizarre mélange de trouille bleue et de soulagement.
Le jour croissait, et soudain le Trévier signala que sa présence n’avait rien de débonnaire, malgré son ronronnement sourd de géant assoupi. Une longue rafale de 20 s’en alla arroser une cible invisible, du côté de la colline. On vit filer les traçantes, ça devait leur faire baisser les oreilles et les rendre circonspects dans leurs déplacements. On espérait des dégâts, des corps déchiquetés, des tôles traversées, des abris martelés. Ça soulageait ! Découvrant sans doute matière à cela, le navire fit donner ses pièces de 138, positionnées à l’horizontale, et plusieurs explosions firent jaillir poussières, fumées et débris en retour. Diable, c’est que c’était pas si loin que ça !
La chose tarabustait le capitaine : si leur existence était ignorée, ils risquaient fort de subir les foudres de leur propre artillerie, alignant au jugé tout ce qui bougeait ! Certes, le navire semblait à porter de main : aux jumelles, on voyait les marins s’affairer. Mais de là-bas, que verrait-on si on jetait un regard dans cette direction ? Des baraques, et autour de ces baraques, des soldats. Plus ou moins dissimulés, de surcroît. Alors…
Au second, Santini, jugeant qu’il attirait trop l’attention sur lui, se replia dans la chambre suivante. De son étroit balcon, Farid l’entendait qui fulminait à voix basse à chaque tir qu’il s’autorisait – soit rarement, car il attendait d’être sûr de son fait…
– Salopard ! Fumier ! Porca putana ! Faccia di merda ! Va dire à Adolf qu’on l’enc… !
Dans ce registre, son vocabulaire était d’une richesse confondante, empruntant à l’envi au parler natal, voire à celui de la Botte.
Deux nouveaux geysers crachèrent vers le ciel à quelques mètres de l’entrée, et la marche autrefois immaculée se trouva amputée d’une arête. Protégé par ses déblais, Bonestu en avait encore les oreilles qui bourdonnaient quand un autre projectile détona dans la chambre voisine et l’étourdit momentanément. La cloison s’écroula dans le corridor, et tout un pan recouvert d’un papier peint à petites fleurs dégringola dans la pièce du dessous.
Depuis sa pose, une ou deux décennies auparavant, le plafond du rez-de-chaussée éprouvait une attirance irrésistible et sans appel pour les volutes du carrelage du couloir. Le jour, il les mangeait des yeux, la nuit, il rêvait de les embrasser. L’occasion était trop belle ! Il la saisit sur le champ. Bien décidé à profiter de l’aubaine malgré son état, le lustre disloqué se laissa aller. Un épais voile de poussière masqua pudiquement la scène torride qui s’ensuivit aux occupants des lieux. De son côté, le plancher du second voulut en faire autant (en fait, il n’avait pas le choix), entraînant au passage avec lui quelques solives joueuses, mais il se heurta en route, et rudement, à son homologue du premier. Une grande partie des débris qui le couvraient déjà céda à l’envie irrésistible de le suivre, fortement motivée par un nouvel arrivant tout aussi explosif.
Un Bonestu suffoquant et blanc de plâtras émergea prudemment des décombres de la chambre. Cette dernière bénéficiait maintenant d’une large vue sur la campagne. Ainsi que sur le ciel. L’endroit devenait fort malsain. L’escalier étant inaccessible, il sauta sans attendre dans le trou, et de là gagna péniblement le rez-de-chaussée à la recherche du capitaine. Dans le hall d’entrée, Ahmed et Sofiane s’affairaient à tirer et pousser sur les pièces de bois hérissant un enchevêtrement de maçonneries variées : Ashraf et Ayoub étaient là-dessous ! De Fresnay s’était porté à la brèche ouverte dans le mur et faisait le coup de feu avec les assaillants, leur montrant que rien n’était joué. Ailleurs, ça flinguait aussi, sur un rythme plus ou moins soutenu, en réponse à l’assaut. Plusieurs grenades volèrent vers l’extérieur, non sans succès : la fusillade baissa d’intensité, puis cessa. Pour le moment. Sur ordre, Santini descendit relever son capitaine, et ce dernier se mit en devoir de faire le point.
Bravant le danger d’une nouvelle salve de mortier, ou d’une rafale, les sauveteurs reprirent leurs efforts pour tenter d’extirper leurs camarades des décombres. On arriva enfin à dégager Ibrahim, qui ne respirait plus, parce qu’on respire difficilement avec la face broyée. Puis vint le tour de son frangin, coincé, mais vivant, sous le même fragment de mur. Son bras était doté d’une articulation supplémentaire, et sa main n’était qu’une masse sanglante. Livide et hagard, s’il ne répondait pas aux sollicitations de ses frères d’arme, du moins respirait-il.
On le porta vaille que vaille jusqu’à un endroit que l’on pensait moins dangereux, tandis que, lentement, la poussière retombait. Chacun se dépêcha de trouver un emplacement approprié. On n’allait pas en rester là ! Arrivant sur ces entrefaites, Bonestu se secoua. Il fit trois découvertes : un, il saignait. Oh, rien, une profonde estafilade à l’arcade, dont le sang dégoulinait sur sa joue. Aucun souvenir du quand ni du comment. C’était plus impressionnant que grave. Deux : un mal de chien à l’épaule, mais rien de cassé. Trois : le PM oublié. Il le dégagea des débris, et entreprit de l’inspecter. Un ronronnement familier lui fit leva les yeux et par la façade éventrée, il entrevit une ombre les survoler : une Cigale !
Pas fous, ceux d’en face se gardèrent bien de la saluer ! Mais le bruit de ce moteur avait pour les assiégés un petit relent d’espoir. Sauf qu’ils ne savaient toujours pas si, du côté français, on était au courant de leur existence ! De Fresnay, contemplait la mer tout en méditant là-dessus. Il essuya son front maquillé de crasse. Un signal ? Avec quoi ? On n’avait pas de drapeau, pas même un fanion ! Une chemise ? Un drapeau blanc ? On courait à la méprise ! Sans compter que se montrer serait s’exposer. Il se retourna en entendant un pas.
– Ah ! Sergent !
– Mon capitaine ?
– Z’êtes remis de vos émotions ?
– Affirmatif, mon capitaine !
– Bien. Trouvez-moi un miroir. Ou à défaut un bout de verre ! Ça ne manque pas !
– Un miroir ?
– Dépêchez-vous, sergent ! Les autres vont remettre ça !
« Un miroir… un miroir… »
soliloquait in petto le sergent en allant d’un tireur à l’autre. Sa demande suscitait des levers de sourcils étonnés. C’était bien le moment, tiens ! Evidemment, déjà qu’un paquet de sèches se faisait rare, ce genre de denrée…
– T’as un rencard, testa di cazzu ? s’entendit-il répliquer par un Santini sarcastique.
– T’es con ! C’est pour Tisane !
– Il a besoin d’un miroir maintenant ? Il veut pas se raser, quand même ?
– T’en as un, ou pas ?
– Bien sûr que j’en ai un ! Ange est toujours prêt à se faire beau pour ces dames. On se fout de moi, mais quand on a besoin, on sait me trouver !

Il farfouillait ostensiblement dans ses poches. « Ah, non… doit être resté dans mon paquetage. Non, je déconne… Mais va voir en haut, dans une chambre, y’avait une armoire, il me semble. Peut-être que tu y trouveras ton bonheur ! »
Au premier, la salle de bain n’avait plus que ses faïences. Et une baignoire. Mais d’indélicats visiteurs avaient emporté jusqu’aux tuyauteries ! Cela lui remémora cette histoire de flotte. Il passa la tête dans la pièce suivante. Bingo ! Si le local n’avait pas encore souffert du siège, son mobilier portait les stigmates de visites inopportunes. Mais il y avait bel et bien là une armoire ! Qui plus est, nantie d’une glace ! Certes, le tout n’était pas intact. Faute d’avoir pu être emporté, le miroir était fracassé, ses morceaux gisant au milieu de choses diverses. Remuant tout ceci avec prudence, le sergent mit à jour plusieurs numéros défraîchis de l’alléchante revue Séduction. Il les écarta du pied. C’était pas le moment. Il porta son choix sur un éclat grand deux fois comme sa main et, muni de ce trésor, s’en repartit. Il ne s’attendait pas à des effusions en ramenant la chose tant convoitée. A juste raison. Il fut gratifié d’un simple : « Ah, excellent ! Savez le morse, sergent ? »
– Le morse, mon capitaine ? Euh… Non. Des traits, des points, mais sorti de là…
– Mouais… J’avoue que je suis dans votre cas. Bien. On va quand même tenter le coup. Venez voir : pour commencer, vous allez remonter à un des balcons du second. J’ai entendu tirer le lieutenant : dites-lui de me rejoindre. Faites aussi descendre Mimoun. Attention à la villa : c’est étonnant qu’ils n’y aient pas déjà collé une MG. Doit donc y avoir un tireur. Je doute fort qu’ils reviennent par la côte, mais on ne sait jamais. Restez du côté est, donc. Selon ce qui se passera, tenez votre position au mieux. Mais surtout, de là, vous allez essayer d’envoyer des signaux au gros truc qui flotte, en face, avec ça, histoire qu’ils sachent qu’il y a quelqu’un ici, et que ce quelqu’un est du même bord. Sinon on risque de prendre des pruneaux aussi de ce côté !
– Ben… A vos ordres, mon capitaine, mais quel signal ? Parce que si c’est juste pour les éblouir… sauf vot’respect, c’est pas terrible…
– Effectivement. Il faudrait autre chose que de vagues reflets. Un truc construit. Répétitif, et qui indiquerait la présence de Français… Voyons…
– Un SOS ?
– Vous venez de me dire que vous ne connaissiez pas le morse !
– Ben oui, mon capitaine, sauf que ça, c’est facile : court, court, court, long, long, long, cou…
– Ce n’est plutôt le contraire ? Trois longs, trois courts, trois longs ?
– Ah ? Ah !… Vrai, je sais plus.
– Moi non plus. Hmm…
– Et le truc de la radio, mon capitaine ?
– Le truc de la radio ?
– Vous savez bien, mon capitaine… « Pom pom pom poomm… » Çui-là, on l’a assez entendu seriner ! Croyez que les Chleus feraient de même ?
– Autant que “SOS” ! « Pom pom pom poomm… » « Pom pom pom poomm… » Après tout…Va pour « Pom pom pom poomm… » ! Tenez…

Il lui tendait une chemise, sur laquelle il venait de tracer un grand “F” noir. Le plus grand “F” possible. Les chemises blanches ne manquaient pas, mais que la lettre fût en noir soulagea inexplicablement le sergent. « A défaut d’autre chose. Faites au mieux ! Et faites attention à vous ! »
Bonestu gagna l’étage supérieur par un escalier maintenant très fatigué. Le moment ne justifiant plus les chuchotements, il accueillit avec soulagement la réponse de Martinez à son appel, puis rampa derrière les piliers de la balustrade pour se faire une idée de la situation. Côté chemin… côtier, ça avait l’air calme. Côté “villa”, on avait ôté plusieurs tuiles du toit pour se donner un poste d’observation et de tir dans sa direction. Comme si les fenêtres ne suffisaient pas ! D’ailleurs, il y entrevit du monde. Raison de plus pour ne pas s’exposer de trop !
Il passa dans la chambre jumelle, et recommença son manège. Une petite brise marine faisait onduler divers fanions colorés au-dessus des trois bâtiments. Ensuite, il épia les environs. Après quelques tâtonnements, estimant avoir trouvé l’angle et l’inclinaison adéquats de son miroir, il se mit laborieusement à envoyer son message. Le soleil qui cognait dur, la sueur qui lui dégoulinait dans les yeux et qui attirait des insectes, et le manque de sommeil s’ajoutant à la soif lui compliquaient la tâche. De plus, il n’avait aucune idée de la réussite de son entreprise. Autant il était facile d’envoyer le reflet dans l’œil d’une gamine sur le trottoir d’en face, autant pratiquer la chose sur cette masse à bonne distance relevait de la gageure. La main droite tenant le petit miroir, la gauche l’occultait mécaniquement. Rien.
La Cigale revenait de son périple dans les collines. Etait-ce lié ? Les tourelles du monitor se mirent à pivoter lourdement, et les volées se relevèrent. Il cligna instinctivement des yeux quand une longue flamme orangée en jaillit, puis vint le bruit, et la mise en branle de vagues envoyées mourir sur le cordon de galets de la plage. Il lui sembla même percevoir le froufrou des obus filant vers leur cible.
– M… !
Il en avait perdu et le rythme de ses envois et, pire, le délicat ajustement de sa visée. Nouveau coup d’œil aux alentours avant de reprendre la méthodique installation du miroir. RAS. Même pas du côté de la villa. Plutôt le calme av…
Là-bas, sur la passerelle du navire, une lumière se mit à clignoter frénétiquement. Fébrile, il se dépêcha de répondre… si c’était bien à lui que s’adresser le clignotement, et si c’était bien une question. Auquel cas… Il déplia la chemise, essayant de la fixer par les manches aux piliers de pierre. La deuxième salve ne le détourna pas de son occupation. Conscient de l’indigence de son signal, il se demandait comment il pouvait faire comprendre en quel péril étaient les occupants de la résidence, lorsque les Allemands fournirent la solution, en reprenant leur assaut. Délaissant le miroir, il attira son arme à lui et risqua un œil entre les barreaux.
Quelque chose d’oblong et de sombre pénétra soudain dans la villa par la toiture éventrée et termina sa course dans les décombres du couloir, à l’insu de tous. Ce n’était qu’un bête obus de mortier, taquin, qui resta planté là, tout con, les fesses à l’air, ayant décidé de remettre son explosion à plus tard en discutant le bout de gras avec un fragment de brique. Un observateur aurait pu s’attendre à ce que se ramène son sosie. Mais celui-ci tardait. Tardait. Tardait… Chose dont personne ne se plaignit.
[Pour la petite histoire, ledit projectile fut retrouvé en 2006 lors des travaux de restauration d’une maison du centre-ville de Menton, sise à plusieurs centaines de mètres de la villa Marie-Louis, restaurée sinon rebâtie. Le mystère de cette téléportation ne put être éclairci. En compagnie d’un masque à gaz dans son étui métallique et d’une paire de brodequins très fatigués, l’engin était rangé bien soigneusement dans les combles de la bâtisse. Avec moult précautions, les démineurs l’envoyèrent rejoindre une collection hétéroclite d’objets du même type allant d’un obus du Trévier à des grenades de provenances diverses. Le lot trouva une belle fin en pulvérisant du calcaire, permettant de laisser passer un nouveau ruban de bitume, bien plus utile que ces caillasses, thym, lavande, santoline et autre chênes-lièges qui gâchaient les collines et dont on n’avait que faire.]
Santini, qui n’avait rien vu de la scène, puisqu’il était présentement embusqué dans une autre pièce du rez-de-chaussée, vit par contre parfaitement l’ennemi se ruer à l’assaut, bien décidé à en finir. Le temps de tirer deux coups sans trop en vérifier l’effet, et il se carapata fissa ailleurs, parce que la grenade suivante lui était destinée. Comme il s’affalait dans l’ancienne cuisine, l’Aral d’Ayoub parla au-dessus de lui, trois fois, puis une autre grenade passa l’ouverture, une française celle-ci, et dans l’autre sens. Aux cris qui suivirent, elle avait attiré l’attention.
Ayoub s’affaissa, d’autres uniformes vert-de-gris se pressaient dans la brèche nord. Ayant délaissé sa carabine pour son pistolet, De Fresnay fit feu dans cette direction. Dans son dos, Martinez était aux prises avec un grand escogriffe qui tentait de le poignarder, surgi il ne savait d’où. Et pour l’instant, il s’en fichait éperdument. Ça criait, ça hurlait, ça geignait, ça haletait, ça ahanait, ça cognait, ça fusillait dans tous les sens, dans la poussière et la fumée qui vous prenaient à la gorge. Toujours à terre, le caporal fracassa de sa dernière balle une jambe à portée, avant de saisir son arme par le fût.
Au second, embusqué sur son balcon, le sergent expédiait la poignée de balles qui lui restait sur les cibles qui se présentaient. On n’entendait plus rien du côté de la villa voisine. Et puis le staccato caractéristique des “pom-pom” de la Marine prit le dessus, marquant l’arrivée d’un copain du Trévier (1). Les traçantes de 40 semblaient flotter dans l’air avant de s’abattre aux abords du fortin français, trouvant parfois une cible sur leur chemin, preuve qu’on avait identifié le problème. Bonestu en profita pour redescendre, troquant en chemin son MAS pour le PM. Il ne prêta pas attention à la Cigale qui survolait les lieux, inclinée sur une aile. Le petit appareil poursuivit son vol au-dessus du paquet de toits voisin, puis revint dans l’autre sens, un peu plus à l’intérieur, salué de quelques coups de feu sans grande conséquence, avant de disparaître en direction de Nice.
Se glissant prudemment sur les marches passablement ébranlées, Bonestu progressa en tendant l’oreille, car l’étage inférieur semblait soudain bien silencieux. Arrivé à hauteur du premier, il passa prudemment la tête pour savoir de quoi il retournait. L’intervention de la Royale ayant quelque peu perturbé l’assaut, il y avait comme une accalmie. Côté assaillants, on tentait de se regrouper. Plaqué contre le mur près de la porte principale, un officier, ou un sous-officier – difficile à déterminer, les deux parties s’étant mises à la mode de l’insigne absent – appelait du monde en renfort d’un geste péremptoire. Comme on était côté mer, un seul homme le rejoignit en une course rapide, plié en deux. Un autre soldat se tenait à l’opposé. Mis à part des râles de provenance indéterminée, c’était presque le silence. De part et d’autre des murs, on tentait de deviner où se situait le danger.
En toile de fond montait maintenant le zonzonnement d’une Cigale venant relever la précédente. Tiens, non, ce n’était pas le même bruit. Et comme ça se rapprochait, ça prenait de l’ampleur. C’était plus fort, plus rauque, plus méchant. A l’entrée principale, l’Allemand jeta un coup d’œil furtif à l’intérieur du couloir désert. Le mouvement n’échappa cependant point au sergent qui releva son arme. Il appuya fort opportunément sur la détente au moment où deux appareils sautaient le cap dans le hurlement de leurs Merlin. Le déchaînement des armes de l’avion de tête couvrit le bruit de la rafale envoyant ad patres le premier intrus et ad horto les suivants. A peine entamée, la pluie de plomb cessait déjà tandis que les P-51 reprenaient de la hauteur en virant au-dessus de la mer.
Santini passa prudemment le nez au chambranle de la porte. Il inspecta tout d’abord la portion du couloir qui échappait à la vue du sergent, reporta son regard vers le corps étendu devant lui et interrogea ensuite du regard le tireur toujours tapi en haut des marches. Sa main parut, tenant une grenade. Nouvel échange d’œil à œil. La main disparut. Le nez du caporal aussi. Puis la grenade atterrit dans le jardinet. Eclata. Projeta poussière et débris dans un passage qui n’en demandait pas tant. Laissa la place au silence. Enfin, pas vraiment le silence. Disons un volume sonore bien moindre. Plus de fusillade. De crépitement d’armes automatiques d’un bord ou de l’autre. De cris. Plus que des râles, une respiration sifflante, une toux, puis le pas de quelqu’un se déplaçant dans l’une des pièces.
Tandis que petit à petit, et très précautionneusement, les occupants de la villa comptaient leurs abattis et leurs munitions, on entendit revenir les avions en sens inverse. Mais seul retentissait le grondement de leurs moteurs. De sa fenêtre, le soldat M’Barek les vit arriver, plus haut que la fois précédente. Quasiment en face de lui, le second sembla perdre au passage deux trucs sombres qui piquèrent du nez vers le sol. L’une des deux bombes éventra l’édifice qui l’avait abrité la veille. L’autre explosa plus loin, de l’autre côté de cette damnée voie ferrée.
Dans la villa, fébrilement, on faisait le point. Côté dégâts, on avait perdu le soldat Alaoui, décédé raide mort, et les soldats Cherkaoui (deux balles – si on retrouvait le bataillon rapidement, il pouvait s’en sortir. Si…) et Alaoui (le frérot, choqué, pas en état de combattre de sitôt). Les autres ne prirent même pas le temps de s’appesantir sur leur bonne fortune, qui faisait d’eux des rescapés, hormis quelques bosses et blessures légères. Dans le lot, Martinez avait une longueur d’avance, avec une cheville titillée par l’envie de folâtrer et une belle estafilade à l’épaule. Il était redevable au caporal qui lui avait permis de prendre le dessus sur son agresseur, malgré son handicap. Baraka.
On s’inquiétait des décisions de l’ennemi. Vu l’état du mur nord et le manque de munitions, une nouvelle tentative de sa part aurait des conséquences plus fâcheuses ! Seuls deux des assaillants avaient pu pénétrer dans la villa. A l’aide de son miroir, le sergent distingua un corps supplémentaire dans ce qui avait été autrefois le jardinet. Réitérer la même chose à l’une des fenêtres ouest lui valut de sentir vrombir une drôle d’abeille à son oreille. Il se le tint pour dit. On récupéra ce qu’on put sur les deux cadavres accessibles. L’un était quasiment un gamin. Pas le grand, l’autre. C’était pas la première fois, on en avait déjà vu, là-haut, cet hiver, mais à chaque fois, ça vous mettait quand même vaguement mal à l’aise. Un “presse-purée”, une grenade italienne, un P.38 et deux chargeurs changèrent de camp, en sus d’armes blanches pas forcément réglementaires. Il y avait bien un MP à l’extérieur, fort tentant, mais ce n’était qu’à la nuit qu’on pourrait essayer de se l’approprier. Et dans la sérénité hypocrite qui régnait de nouveau alentour, on attendit le round suivant avec anxiété.
S’il y avait un calme relatif autour d’eux, cette quiétude ne s’était pas généralisée au reste du pays. Ça tiraillait beaucoup du côté du Cap, mortiers et armes automatiques s’en donnaient à cœur joie. Une nouvelle Cigale avait remplacé la paire de P-51, repartis non sans avoir fait de nouveau parler la poudre, et sa réapparition précéda le retour de l’artillerie. Les monitors se taisaient : on reconnaissait la voix des tubes de la division. Bref, côté feux d’artifice, c’était le jour, on était servis. Le temps s’étirait, interminable. Parfois, à l’apparition d’un casque (et quoique le truc fût éculé) on entendait voler autre chose que des mouches. Ces dernières s’agglutinaient aux flaques sombres maculant le sol, tenaient meeting aux blessures et, pire, avaient l’outrecuidance de s’abreuver à la sueur de tout un chacun. Elles semblaient se multiplier par génération spontanée. On pouvait être assurés d’une chose : radio-diptère fonctionnait, elle !
Profitant de ce répit, Bonestu s’en était allé fureter ici et là. La salle de bain de l’étage était nase. Les toilettes – il y avait même des toilettes à l’étage ! – itou. Dans la cuisine, mieux préservée, on ne savait trop pourquoi, le robinet se refusait à couler. Mais en suivant les tuyauteries, il finit par en dénicher un autre, après avoir remué force briques et plâtras. Et là, miracle ! un filet d’eau se risqua dans l’évier. Un goût de ferraille, un débit laborieux, mais ce fut suffisant pour étancher la soif de tout le monde, et même bassiner les tempes des blessés, avant que le liquide ne se tarisse. Lors de ses investigations, le sergent découvrit en outre l’obus de mortier non explosé. C’était pas le premier qu’il voyait. De là à le bouger… C’est que c’était chatouilleux, ces engins. On allait devoir faire avec.
De Fresnay se résolut à escalader briques, poutres et tuiles. Ayant trouvé un poste de guet propice (casse-gueule, mais il n’allait pas faire la fine bouche), il tenta de se faire une idée de la situation. Il semblait bien qu’on n’était pas oubliés. Ni oubliés des copains, les navires l’avaient signalé, ni de ceux d’en face, puisqu’à chaque mouvement, on prenait une giclée. Sans doute était-on réservés pour le dessert. A savoir si ce serait dans une heure, la nuit prochaine, ou bien le lendemain…
Côté Roquebrune, ça n’était pas une escarmouche. L’artillerie frappait avec une régularité de métronome et foutait en l’air méthodiquement les flancs de la colline, avec leur décor de verdure et de constructions. La Cigale faisait des ronds dans le ciel, et alors qu’on attaquait la fin de l’après-midi, une seconde paire d’avions vint se joindre au concert, lâchant ses œufs hors de vue du capitaine.
La “villa” voisine était une plaie qui vous pourrissait la vie, arrosant les fenêtres de ce côté au moindre signe d’activité. Ces salauds y avaient finalement installé une MG ! C’est que ça faisait des dégâts, ces trucs-là ! S’approcher d’une ouverture devenait risqué ! S’il avait eu suffisamment de matos, De Fresnay serait volontiers allé leur expliquer, dès la tombée de la nuit, que ça le mettait en rogne. Juste retour des choses. Seulement voilà, on en était au point où le combat suivant se ferait essentiellement avec de l’artisanal, du basique, du naturel. Du primitif, quoi. Déloger on ne savait combien de gus avec ça, il ne fallait pas y songer. C’est que la construction était d’importance ! Elle pouvait bien abriter un bataillon ! Ce pourquoi, d’ailleurs, le capitaine l’avait dédaignée, au vu de son effectif.
Autre point important : en procédant à un examen détaillé des environs, l’officier avait repéré plusieurs positions sises notamment de l’autre côté de la voie ferrée, mais en continuant son balayage méthodique, il avait constaté qu’un certain nombre de soldats semblaient captivés par un point situé au-delà de son champ de vision, sur sa gauche. Captivés au point de faire feu sporadiquement dans cette direction, et de circuler en rasant les murs. La cause de ces agissements se trouvait cachée par ce foutu machin. Etait-ce à dire qu’il y avait quelque part par là d’autres Français, coincés comme eux dos à la mer ? Les rejoindre était illusoire. Savoir leur existence était réconfortant. Cependant, il garda l’information pour lui. Au vu de la situation dans laquelle ils se trouvaient, eux, on pouvait douter que cette poignée d’hommes – ils ne pouvaient être qu’une poignée – fût en meilleure posture.
Côté mer, le projecteur du Trévier avait repris à plusieurs reprises ses clignotements, clignotements auxquels le sergent avait répondu vaille que vaille, secouant la chemise (trouée, dorénavant) à l’appui de ses envois, tout en se disant qu’il faudrait un jour qu’il se renseigne sur la signification du nom du bâtiment. Puis l’ombre était tombée sur le balcon. Le soleil déclinait. La journée tirait à sa fin, et la nervosité ambiante allait croissant.
Ne voulant pas attendre la nuit, Santini avait bricolé une espèce de grappin (la ferraille ne manquait pas) et un semblant de corde avec des lambeaux d’étoffe. Après trois ou quatre tentatives – décidément, il allait falloir songer à valider cette spécialisation – il put haler le cadavre jusqu’à lui, enrichissant leur dotation d’un MP en état de fonctionner, de chargeurs ad-hoc, d’une grenade “de chez nous” et de la photo d’une jeune personne artistiquement dénudée, blonde, un peu maigre à son goût, et qui devait relever du domaine de la guerre psychologique (la photo, pas les goûts du caporal en matière d’Art). En revanche, il était illusoire de réitérer le truc sur les trois zigs clamsés devant la brèche nord : c’était se transformer en cible de foire. On tenterait le coup à la nuit. Si on n’avait pas, d’ici là, reçu de nouveaux visiteurs !
On put même partager quelques provisions, ce qui fit réaliser à plusieurs qu’ils n’avaient rien avalé depuis la veille. Un bout à grignoter, un fond de récipient à boire, un abri potable et un calme relatif : c’était royal ! Qu’ils y viennent ! On força la note, on fit semblant d’être gais, pour masquer cette angoisse qui vous nouait les tripes. Et on attendit. Presque on regrettait cette accalmie qui vous foutait les nerfs en pelote. Car, enfin, quoi ? Eux, qu’attendaient-ils ?

Note
1- Le M 183 “Mataf”, doté en effet de 40 mm théoriquement destinés à la DCA, mais bien utiles aussi contre d’autres cibles. Les monitors de classe M 180 (180 à 187) sont armés d’une tourelle double de 4 pouces Mk XVI et de deux jumelages de 40 mm. Les M 180 à M 183 sont officieusement surnommés Bidel (capitaine d’armes), Chouff (quartier-maître de 1ère classe), Mille-pattes (fusilier marin) et Mataf (marin en général).

(A suivre)


Dernière édition par Casus Frankie le Dim Déc 08, 2024 12:39; édité 1 fois
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patzekiller



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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 12:38    Sujet du message: Répondre en citant

je vous vois en train de peigner la girafe ... Laughing

je épète que je ne vois aucun inconvénient à changer le nom mais finalement, vu la tournure des choses, tonnelier c'était bien aussi Laughing Wink
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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 12:44    Sujet du message: Répondre en citant

patzekiller a écrit:
je épète que je ne vois aucun inconvénient à changer le nom mais finalement, vu la tournure des choses, tonnelier c'était bien aussi Laughing Wink

Tout à fait d'accord, mais les autres noms sont plus marins.
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John92



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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 14:25    Sujet du message: Répondre en citant


Menton (Alpes-Maritimes), au matin
...
... plus près que ceux que l’on savait maintenant embusqués dans le bâtiment voisin. Ou derrière celui que Bonestu et ses comparses avaient quittée (quitté ?) peu avant, juste à temps sans aucun doute.
...
Certes, le navire semblait à porter (portée) de main : aux jumelles, on voyait les marins s’affairer.
...
Fébrile, il se dépêcha de répondre… si c’était bien à lui que s’adresser (s’adressait ?) le clignotement, et si c’était bien une question.
...
Il y avait bien un MP (PM ? Je doute qu’un policier militaire Us soit dans le coin^^ ) à l’extérieur, fort tentant, mais ce n’était qu’à la nuit qu’on pourrait essayer de se l’approprier.
...
Une nouvelle Cigale avait remplacé la paire de P-51, repartis (repartie - à cause de la réapparition, il me parait plus opportun d’accorder sur la paire) non sans avoir fait de nouveau parler la poudre, et sa réapparition précéda le retour de l’artillerie.
...
Après trois ou quatre tentatives – décidément, il allait falloir songer à valider cette spécialisation – il put haler le cadavre jusqu’à lui, enrichissant leur dotation d’un MP ( PM , bis) en état de fonctionner, de chargeurs ad-hoc, d’une grenade “de chez nous” ...
...
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houps



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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 14:48    Sujet du message: Répondre en citant

oh là là, j'étais fatigué !
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John92



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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 16:08    Sujet du message: Répondre en citant

houps a écrit:
oh là là, j'étais fatigué !

Tu parles des MP ?
Si oui, alors pas forcément: les Allemands parlent de MP (MP38, MP40).
Mais dans ce texte, ce sont des Français.
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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 16:39    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Depuis sa pose, une ou deux décennies auparavant, le plafond du rez-de-chaussée éprouvait une attirance irrésistible et sans appel pour les volutes du carrelage du couloir. Le jour, il les mangeait des yeux, la nuit, il rêvait de les embrasser. L’occasion était trop belle ! Il la saisit sur le champ. Bien décidé à profiter de l’aubaine malgré son état, le lustre disloqué se laissa aller. Un épais voile de poussière masqua pudiquement la scène torride qui s’ensuivit aux occupants des lieux. De son côté, le plancher du second voulut en faire autant (en fait, il n’avait pas le choix), entraînant au passage avec lui quelques solives joueuses, mais il se heurta en route, et rudement, à son homologue du premier. Une grande partie des débris qui le couvraient déjà céda à l’envie irrésistible de le suivre, fortement motivée par un nouvel arrivant tout aussi explosif.


Les conséquences d'un bombardement le 14 juillet 1944, colorisé :

https://youtu.be/ILYMuu9lxLo
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MessagePosté le: Dim Déc 08, 2024 17:52    Sujet du message: Répondre en citant

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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 12:32    Sujet du message: Répondre en citant

Menton (Alpes-Maritimes), 18h00 (environ) – De Fresnay consulta sa montre. La belle mécanique lui fit clairement savoir, cadran explosé, qu’elle en avait ras le képi de prendre des coups. Décidément, entre la radio la veille et la montre aujourd’hui, il les collectionnait ! Ou bien était-ce déjà la radio avant-hier, et la montre hier ? Il se perdait dans le compte du temps passé. Mauvais, ça. En tout état de cause, cela allait de pair avec l’endolorissement de tout son avant-bras. Du coup, il fit jouer prudemment le poignet, tâta les os à travers le treillis. Rien de cassé, apparemment. Il ne se rappelait pas avoir si violemment heurté quoi que ce fût, mais dans le feu de l’action, allez savoir !
Il regarda autour de lui. D’après les ombres, l’après-midi touchait à sa fin. La brise marine se levait, ravie de jouer aux quatre coins dans la villa récemment promue hôtel des courants d’air. On entendait de nouveau des échanges de tirs, du côté de Roquebrune. L’artillerie donnait le tempo, toujours du côté du ravin. L’idée d’essayer de rejoindre les lignes amies effleura le capitaine. Effectivement, par nuit noire, la chose eût été jouable. Mais les rares nuages qui traversaient paresseusement le ciel ne parviendraient pas à cacher la lune. Même si celle-ci entamait son déclin, elle continuerait à éclairer la campagne, pas a giorno, oh non, mais bien trop ! Et avec des éclopés, de surcroît… L’officier pinça les lèvres. Décision difficile à prendre. Enfin… non.
Ce qui le préoccupait le plus, pour le moment, c’était cette inertie de la part des Landsers d’en face. Bon sang, ils devaient bien se douter – rectification : savoir ! – que les assiégés n’étaient pas en nombre, ni leurs munitions inépuisables ! Les réduire n’était plus qu’une formalité ! Or, plus de grenadage, et à part quelques tirs de temps en temps, histoire de maintenir la pression, rien. Etait-ce dû à l’omniprésence des Cigale d’observation qui se succédaient au-dessus d’eux, paralysant toute action d’envergure ? Etait-ce le fruit d’un plan méthodique qui les mettait à un rang bien déterminé d’endroits “à sécuriser” ? Pour ce qui était du méthodique, les Teutons étaient des maîtres ! Que diable mijotaient-ils ?
Ses hommes partageaient la même interrogation, à divers degrés. Profitant de ce répit inespéré, Martinez avait supervisé l’érection d’une barricade improvisée en arrière des déblais qui marquaient dorénavant la place de l’infortunée porte nord. Enfin, une barricade… le petit corridor dévasté n’avait rien d’une artère parisienne. On n’allait pas y rejouer juillet 1830. Disons que quelques fragments de charpente encombraient le passage, plus aptes à gêner quelques instants un assaillant déterminé qu’à l’empêcher de passer. Tout le monde était maintenant rassemblé au premier. A l’exception des guetteurs qui surveillaient les abords comme ils pouvaient, les hommes soufflaient, affalés dos aux cloisons étoilées d’impacts. On se gardait des ouvertures ouest. Une volée de pruneaux y saluait le moindre mouvement, au point qu’on se demandait comment le mur pouvait encore tenir.
– Mon capitaine ?
L’interpellation fit tressaillir De Fresnay, soudain conscient qu’il avait été… absent un moment. Il reprit ses esprits avec un « Sergent ? » passe-partout.
– Vous entendez ?
– Entendre quoi ?
– On dirait pas l’équipement de Baraka, cette chanson ?

L’officier se redressa pour de bon et tendit l’oreille tout en fronçant les sourcils.
– Je n’entends rien… Vous êtes sûr ?
– Mon capitaine, à moins qu’il y ait un raid de jabos dans les collines, je vous assure que c’est un quadruple de 20 pas loin d’ici qui a parlé.
– C’est vrai, chef, [i]renchérit Sofiane en se retournant. C’était pas les pom-pom des bateaux, et ça venait de là-bas.
– Tenez… ça reprend !
– … Effectivement… Ça y ressemble… Mais vous savez comme moi que ce n’est pas le seul quadruple de la division, non ? Ne nous emballons pas ! Ce ne serait pas la première fois que nos camarades flinguent autre chose que des corbeaux, ce me semble. Et rien ne dit que ce n’est pas du matériel retourné contre nous, non ? Nous ne sommes pas les seuls
[Il désigna le Bergmann appuyé à des rayures autrefois grenat.] à utiliser… du matériel d’en face [Il n’osait pas dire Baraka.], non ?
Douchés par cette remarque empreinte de bon sens, les deux hommes restèrent muets.
Puisqu’il était debout et, croyait-il, réveillé, l’officier s’empara de ses jumelles et gagna à nouveau l’étage supérieur. De cette position dominante, il entreprit d’observer les alentours en prenant moult précautions. Il lui fallait se garder de tirs éventuels de la part d’un collectionneur de cartons mal intentionné, tout en veillant à ce que le plancher ne déclare pas forfait à son passage. Du côté de la Grande Bleue, elle était toujours aussi bleue, avec des… des oiseaux, blancs, volant au ras des deux monitors, lesquels étaient toujours au même endroit. On avait l’air d’y vaquer à d’obscures tâches en toute sérénité. Bon, ce genre de bateau (de navire ?) ne devait pas s’ébranler aussi facilement qu’une jeep, autant qu’il s’en souvienne. Il cessa la contemplation de cette étendue hypnotique.
A la suite d’acrobatiques contorsions, le chemin côtier tremblota dans l’oculaire. Le ruban de bitume lui parut aussi désert qu’auparavant, du moins tant que dura son examen. Du côté de la petite villa occupée par l’ennemi, autant qu’il pût voir, il en était de même. Mais il ne fallait pas s’attendre à y découvrir une agitation par trop ostentatoire. Traversant les pièces, il se rendit à l’opposé, sans s’approcher du vide. Le soleil rasant rosissait le relief. En avant des collines panachées de fumées, tout comme entre les bâtisses au-delà des rails, il distingua des mouvements, de préférence lorsque le petit mouchard de service avait le dos tourné. Entre deux marmites, on sautait d’une ruine à un trou d’obus, du trou à un buisson, du buisson à une autre cache. Oui, on avait appris à se montrer furtif. D’ailleurs, leur fortin de fortune ne subissait plus de tirs de mortier. Pas de quoi se plaindre… Bien. Et ça voulait dire quoi, tout ça ? Qu’on se mettait en place pour le dernier round ?
Il s’attarda à scruter la façade éventrée de ce qui avait dû être un grand hôtel, qui le toisait et dont la villa n’était jamais qu’une réplique à une échelle moindre. Ses murs étaient constellés d’impacts de tout calibre, jusqu’au toit. Plusieurs projectiles – peut-être pas tous par erreur – avaient sacrément agrandi diverses ouvertures, laissant apercevoir des intérieurs dévastés. Il est vrai que de là-haut, on embrassait toute la côte, jusqu’à Roquebrune, et il essaya durant un bon moment de repérer un de ses homologues appliqué à la même tâche. C’était idiot, évidemment, vu que le Herr Offizier devait bien se garder, lui aussi, de parader au vu et au su de tout le monde. Et dans tout ce fatras, il devait y avoir, planqués dans les décombres, quelques tireurs d’élite prêts à faire des cartons sur la moindre caboche tricolore. Raser tout le bâtiment n’y aurait rien changé, évidemment.
L’horizon se teintait maintenant de violet. Il redescendit. Martinez, auprès du soldat Alaoui, qui commençait à délirer, était bougon. A bien le connaître, sommairement pansé, il ruminait sur son tête-à-tête avec le Boche et le souvenir cuisant quoique superficiel que ce dernier lui avait laissé. Rien qu’un peu de couture ne puisse réparer, semblait-il. Encore que pour le treillis, un échange serait une meilleure idée. Un peu plus loin, le caporal Santini arrivait à dormir (!) et le sergent Bonestu, tout comme les soldats Mimoun et M’Barek, recroquevillés ici et là, observaient les abords à l’aide d’autres fragments de miroir. Il revint au soldat Alaoui… Hem… Voyons le bon côté des choses… Il avait l’air de se remettre. On pouvait dire ça. L’officier s’accroupit et tenta d’engager la conversation. Rectification : ça ne s’améliorait pas, ça n’empirait pas. C’était déjà ça, mais on était loin de le voir se rendre seul, mettons, sur le rivage, alors, lui confier ne serait-ce qu’une garde…
Son regard dériva vers l’écharpe. Mademoiselle de Bonnefont ne s’offusquerait sans doute pas de l’usage qui en était fait, si jamais elle l’apprenait un jour. Tiens, au fait… entre routine du casernement, installation en ligne, et reprise des combats, il n’avait pas encore trouvé l’occasion de lui écrire. Alors que dans les Alpes, il avait toujours trouvé un moment, du papier et un crayon… Et, à bien y réfléchir… De quand diable datait sa dernière lettre, à elle ? Le courrier fonctionnait, et plutôt bien : Martinez avait reçu des nouvelles relativement fraîches de son compère Albertini. Censure oblige, le tiré d’affaire faisait comprendre à demi-mots qu’il se morfondait dans un endroit riche en sable, mais qui n’avait rien de la plage. Un endroit quelque part dans le Sud. Le Sud lointain. A croire qu’il était passé de sergent à général trois étoiles !
– Mon capitaine ?
– Ah, lieutenant ! Qu’y a-t-il ?
– Ben, vous devriez prendre un peu de repos, mon capitaine, vous avez une vraie mine de papier mâché ! Sauf votre respect. Autant être en forme pour la dernière manche, non ?
– Et vous-même, lieutenant ?
– Eh bien, franchement, mon capitaine, j’ai piqué du nez un moment. Ça me suffit. Je dormirai après vous. De toute façon, je vous parie qu’ils ne vont rien tenter avant le petit matin. C’est assez dans leurs habitudes.
– Je ne tiendrai pas le pari, lieutenant. Mais au moindre truc qui cloche, réveillez-moi !
– Sûr, mon capitaine !
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 13:03    Sujet du message: Répondre en citant


Menton (Alpes-Maritimes), 18h00 (environ)
...
On entendait de nouveau des échanges de tirs, du côté de (vers/aux alentours de ?) Roquebrune. L’artillerie donnait le tempo, toujours du côté du ravin.
...
Tiens, au fait… entre routine du casernement, installation en ligne, et reprise des combats, il n’avait pas encore trouvé l’occasion de lui écrire. Alors que dans les Alpes, il avait toujours trouvé un moment, du papier et un crayon…
...
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 18:29    Sujet du message: Répondre en citant

L’horizon se teintait maintenant de violet. ...



même si on apprécie la licence poétique façon daudet dans la chèvre de M seguin (la montagne devint violette...), à 18h, en plein juillet, le soleil est encore bien haut et le ciel bien bleu

on peut changer l'heure, ou introduire une ellipse temporelle du type "Deux heure plus tard, l'horizon...."
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 18:48    Sujet du message: Répondre en citant

Le chapitre n'est-il pas assez long pour qu'on comprenne que du temps a passé depuis le début du texte ?
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 18:58    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Le chapitre n'est-il pas assez long pour qu'on comprenne que du temps a passé depuis le début du texte ?


je dirais à mon sens que la continuité du récit implique plutôt qq dizaine de minutes... mais ça reste mon avis Wink
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MessagePosté le: Lun Déc 09, 2024 19:04    Sujet du message: Répondre en citant

Ben, justement, plutôt que dire "deux heures plus tard" dire que le ciel se teinte de violet indique que du temps a passé. Ellipse chronologique.
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