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Volkmar
Inscrit le: 12 Oct 2017 Messages: 490
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Posté le: Jeu Juil 20, 2023 23:03 Sujet du message: |
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loic a écrit: | Capitaine caverne a écrit: | Ils peuvent se contenter de s'en prendre aux familles des plus éminents déménagés (politiques, militaires,...). Ca fait moins de monde et des cibles symboliques faciles à frapper. |
Pas faux, mais du coup ça ne cadre pas ici (encore que, un petit chefaillon local qui décide de faire du zèle ou piquer les bons alimentaires pour lui...). |
Sauf qu'au fin fond de nulle part comme ça, il est possible que des déménagés, il n'y en n'ait pas tant |
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demolitiondan
Inscrit le: 19 Sep 2016 Messages: 10679 Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris
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Posté le: Ven Juil 21, 2023 09:39 Sujet du message: |
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Peut-on aussi rappeler la dose d'arbitraire propre aux régimes dictatoriaux. _________________ Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste |
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Hendryk
Inscrit le: 19 Fév 2012 Messages: 3509 Localisation: Paris
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Posté le: Ven Juil 21, 2023 10:01 Sujet du message: |
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demolitiondan a écrit: | Peut-on aussi rappeler la dose d'arbitraire propre aux régimes dictatoriaux. |
En effet, dans bien des dictatures, le port d'un uniforme est souvent vu comme une autorisation à se livrer au racket. Après tout, si vous êtes victime d'un abus de pouvoir de la part des forces de l'ordre, auprès de qui voulez-vous aller vous plaindre? _________________ With Iron and Fire disponible en livre! |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14303 Localisation: Paris
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Posté le: Lun Sep 11, 2023 16:17 Sujet du message: |
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Poursuite de l'alternance Bingen (début 41) et Léopold (fin 41). merci Houps !
Cette fois, Léopold et Cie…
Chez le Doyen
Anglards de Salers, septembre – Il ne plut pas, aucun fauve tel que belette ou petit lapin ne vint troubler la quiétude de cette prometteuse nuit, aucun oiseau nocturne ne vint les décorer, et au petit matin, bien que leurs estomacs protestassent quelque peu, enfourchant leurs fiers destriers (métalliques, modernité oblige), ils donnèrent les premiers de leurs derniers coups de pédale, une mise en route sinueuse dans une atmosphère bon enfant. L’air état encore frais, les oiseaux s’ébrouaient dans les ramures et deux oreilles ourlées de noir s’évanouirent entre des buissons chargés de rosée. Aucun son humain ne retentissant, durant de longues minutes, ils n’échangèrent aucune parole. Seul les accompagnait le cliquetis des chaînes rechignant à grignoter des pignons vierges de tout lubrifiant.
Peu à peu, le paysage s’anima, se peupla de sons, mais aussi de formes : quadrupèdes avec ou sans corne, puis bipèdes, silhouettes encore indistinctes s’en allant vaquer à d’obscures et non moins nécessaires tâches. D’un commun accord, l’improbable trio de ces enfants d’Afrique – ou d’une façon plus exacte, quoique plus restrictive, d’AEF – mit pied à terre. Dans le silence rural qui baignait le site – enfin, silence si l’on faisait abstraction d’abois de canidés en verve, de crissements d’insectes, de pépiements, de meuglements et, tiens, oui, de sons de cloches – un bouquet de toits surgi des arbres s’offrait à leurs yeux. Les trois cyclistes n’appréciaient pas là l’esthétisme et le pittoresque du spectacle, sentiments en tout point admirables quoique soumis à la subjectivité. Un spectateur inopiné – et il pouvait s’en trouver – aurait pu penser qu’ils reprenaient haleine, ignorant d’une part que cette dernière étape n’avait débuté qu’à une poignée de lieues, une broutille, d’autre part qu’ils n’étaient plus les néophytes zigzaguant sur l’asphalte de leurs débuts, leurs postérieurs pouvaient en témoigner. Non, s’il y avait bien quelque chose en eux qui demandait à faire halte, ce n’était ni le muscle ni le cœur ni, tant pis pour Molière, le poumon, mais bien le cerveau.
Depuis leur fuite de l’hôpital, ils n’avaient voyagé qu’avec l’épée de Damoclès d’une capture comme seule compagne, capture qu’aurait suivie, au mieux, un emprisonnement d’une durée incertaine dans un confort tout relatif. Certes, l’acquisition inespérée de documents, symboles indéniables de la civilisation – des faux, sans doute, mais susceptibles d’amadouer la maréchaussée – avait minoré ce risque. Minoré, mais non point dissipé. Sans doute eût-il fallu pour cela arborer casque de fer, uniforme feldgrau et indispensable teint de petit cochon rose. Surtout teint de petit cochon rose. Or, voici que se dressait maintenant devant eux le havre tant rêvé, la Jérusalem de leurs nuits ! Ils semblaient enfin au bout de leurs peines. Mais c’était justement ce qui motivait leur arrêt. Alors qu’ils touchaient au but, une question enfouie avec soin au plus profond d’eux-mêmes, si loin qu’ils n’en avaient pas conscience, une question s’était réveillée et remontait à la surface : ce but, que dissimulait-il ?
Car telle était la crainte qui supplantait maintenant brusquement celle qui avait jusqu’à cet instant assombri leurs pensées. Cette crainte avait toujours été là, tapie dans les méandres de leurs espoirs, prête à bondir au moment opportun – et ce moment était arrivé : comment allait-on les accueillir, étrangers qu’ils étaient en terre étrangère ? Ils en avaient tant vu, tout au long du chemin ! Mais ils n’étaient alors que de passage. Les commentaires que suscitait leur apparition s’évanouissaient dans leurs dos jusqu’au prochain bourg, jusqu’à la prochaine habitation, la prochaine rencontre. Hélas, s’il y avait eu des sourires, des mains tendues et des fenils ouverts, il y avait eu aussi des regards… noirs et des propos peu amènes. Alors, qu’allait-il advenir si par malheur la Terre Promise se refusait à eux ? Oh oui, il y avait bien ce sésame, ce trésor de papier que Léopold gardait précieusement, ici, dans cette poche, cette lettre plusieurs fois dépliée, repliée, qu’il était en train de caresser machinalement du pouce, comme pour conjurer le sort et se donner du courage. Ils étaient au pied du mur et la missive n’était qu’un bout de papier, sans tampon ni cachet, ces si importants ridicules petits signes qui peuvent faire des miracles. Sans eux, quelques lignes ne sont rien ; il est si facile de les ignorer ! Tant d’événements pouvaient s’être déroulés depuis leur départ de la Charité ! Le destinataire du mot avait pu décéder, être muté, se révéler peut-être moins accommodant que sa tant estimée sœur. Que celle-ci fût charitable (une prédestination, sans doute ?) n’augurait pas que son aîné le fût tout autant, les dures lois du temps avaient bien montré que la prêtrise ne dispensait pas la sainteté à l’envi. La noble dame faisait parfois preuve, hélas ! d’une naïveté touchante, voire désarmante, concernant les tréfonds de l’âme humaine. Alors, si l’huis se fermait à leur nez, où iraient-ils ? Quelle solution leur resterait-il ? Aucune !
Tout ceci était encore latent dans leurs esprits, mais n’allait pas tarder à s’affirmer, avec de bien fâcheuses conséquences… Sans doute le sentirent-ils, car d’un commun accord, sans s’être concertés, échangeant à peine un regard, ils empoignèrent leurs guidons et, d’un pas résolu, entamèrent la plus ardue partie de leur périple.
Comme ils atteignaient un carrefour d’où la chaussée semblait enserrer le village, ils furent dépassés par une grappe de garçonnets à vélo qui continuèrent sur leur lancée en braillant à tous vents « Des nègres ! Des nègres ! » Cette entrée en fanfare quasi préfectorale ne les découragea pas. Ameutés de la sorte, les gens qui étaient là, en grande majorité des femmes, les dévisageaient, incrédules, avec toutes les mimiques possibles. Ici bouche bée. Là, avec un timide sourire. L’une détournait le regard, l’autre les contemplait comme s’ils tombaient de la Lune. Dans leurs dos, une aïeule se signa. Ignorant cette palette de physionomies, Léopold s’enquit poliment de direction du presbytère. La mention de ce respectable édifice, plus que son langage et son élocution, eut un heureux effet : le diable demanderait-il le chemin de la cure ? En un clin d’œil, son interlocutrice, joignant le geste à la parole, indiqua fort civilement le moyen d’y parvenir.
Ils s’éloignèrent. Les jeunes cyclistes avaient disparu, mais les témoins de la scène s’attroupaient. C’est que des Africains – des vrais, pas ceux d’Alger ! – on en avait vus, certes, mais pour ainsi dire, pas… de visu et, pour la plupart, dans les journaux. Ou à l’école, lointain souvenir. Mais pour de bon, ici, en plein Cantal ! Et en civil ! Et à vélo ! Tant il était vrai que l’image qu’on en avait en tête, c’était, pour les plus chanceux et les plus fortunés, quelque reportage cinématographique sur les Colonies – à se demander où pouvaient bien être les lions, tiens – et, pour les autres, quelque cliché en noir pâle (!) et gris foncé dans un journal, ou, plus coloré, le fort heureusement sympathique Y’a Bon Banania ! Les rares voyageurs qui auraient pu faire part de leur expérience n’étaient tout simplement pas là. Momentanément pour certains, définitivement pour d’autres. Mais des tirailleurs sénégalais – l’intuition féminine n’est pas un vain mot – en tenue civile, c’était sans doute le plus époustouflant de l’histoire. Autant dire que l’arrivée du trio fit jaser dans les chaumières, bien plus que ne l’aurait fait l’apparition d’un éléphant, d’un Panzer – seul véhicule teuton peuplant l’imaginaire collectif – ou d’un agent d’assurance. Voire, par les temps qui couraient (un marathon), d’un représentant en engrais et semences.
Léopold, unilatéralement et à la majorité absolue promu chef, éclaireur, guide, porte-parole et, tant qu’à faire, démineur, s’en alla toquer à l’imposant panneau signalé tantôt comme étant celui cherché. Donc, il toqua. Point n’était de chevillette à tirer. Mais le chêne massif (ou le châtaignier, ou tout autre okoumé local) restait obstinément clos. C’est alors qu’il avisa premièrement une chaînette qui pendait opportunément à portée de main et, secondement, son œil ayant cheminé le long des maillons, une cloche. Mise en branle, cette dernière entraîna l’effet escompté : le battant s’ouvrit. S’entrouvrit. La face qui apparut n’appartenait pas a priori à une personne du sexe que l’on qualifie systématiquement de beau (ce qui relève parfois d’une conception biaisée de l’esthétique), non plus qu’au curé – l’accoutrement n’y était pas. Le portier – puisqu’il tenait fermement la porte, il convenait d’en convenir – petit, noiraud, plus sec qu’un tributaire du Rhir (lointaine réminiscence scolaire), balafré en sus d’une cicatrice de pirate, s’enquit dans un français non dépourvu de soleil des raisons de tout ce ramdam. Bon. Si la porte ne béait pas plus, du moins ne se refermait-elle pas. Déjà ça. Mais un refus pouvait toujours survenir, et n’en serait que plus terrible. Parvinrent alors d’au-delà du cerbère des sons indiscutablement humains, à la suite de quoi l’huissier de service s’effaça pour être remplacé, de bas en haut, par deux charentaises désappareillées, une soutane, un masque de cuir qui mangeait un demi-visage, deux yeux enfoncés sous des sourcils broussailleux et pour finir un front haut surmonté d’une calvitie en plein essor – la barrette avait ses inconvénients.
Cette nouvelle apparition, malgré son aspect dérangeant – mais nos voyageurs avaient côtoyé aussi bien, voire pire, quoique pas sur une soutane – fit montre d’une autre aménité. Elle afficha un soulagement non dénué de gaieté et Léopold put démêler, dans les sons déformés qu’elle proférait, des paroles de bienvenue. Après quelques instants d’accommodation, il comprit peu ou prou cela : « Ne seriez-vous pas les protégés de ma très chère Huguette, que Dieu l’ait en Sa Sainte Garde ? »
– Si fait, mon Père, j’ai ici la lettre de…
– Mes enfants, je ne vous espérais plus ! Entrez-donc ! Et laissez là vos… bicyclettes. Youssef va s’en occuper.
– Une lettre de sa main qui…
– Je reconnais bien là l’écriture de ma cadette et la marque de son grand cœur ! Venez. Son premier télégramme, fort succinct au demeurant, m’avait plongé dans des abîmes de perplexité. Dernièrement, un autre envoi, manuscrit celui-là, m’a plus amplement renseigné tout en me causant un brin d’inquiétude. Elle semblait tenir pour acquis que vous étiez déjà là. Comprenez mon souci !
Le susdit Youssef, s’étant enfin fendu d’un grand sourire, sortit en refermant derrière lui après avoir introduit le reste de l’équipe, saluée d’un « Holà, muchachos ! », tandis que les cyclistes s’enfonçaient dans les entrailles du bâtiment.
Et c’est ainsi qu’en ce début de septembre de l’an 41, le Doyen accrut sa maisonnée, déjà forte de deux républicains juifs espagnols, de trois ex-tirailleurs sénégalais et catholiques – précision qu’il ne tarda pas à voir confirmée. Ladite maisonnée comptait aussi une sœur Marie-Madeleine du Saint-Sépulcre, mais celle-ci, à l’exception notable des araignées, souris, repas, repassage, ravaudage, lessive, réemploi des bouts de cierges, gestion des tickets, connaissance des ragots, comptage des quêtes, rédaction des sermons et autres tracasseries quotidiennes, pas forcément dans cet ordre, ne comptait pour ainsi dire pas, vu qu’elle faisait quasiment partie des meubles.
Inquiétude
Anglards de Salers, octobre – Quelques jours plus tard, un sermon bien pensé ayant rassuré les ouailles du Doyen – dument préparées par Radio Saint-Sépulcre, laquelle pratiquait en ce domaine un œcuménisme avant-gardiste – l’homme qui croyait en Dieu et celui qui y croyait moins, mais quand même un peu, au cas où… s’entretenaient dans la grande pièce qui servait de salon de réception, de bureau et de bibliothèque. L’automne s’avançait, et tous deux voyaient l’avenir chargé de sombres nuages, que l’hiver prochain ne ferait qu’accentuer. Ils avaient momentanément mis en sourdine différends et différences pour accorder leurs vues sur la situation du pays, que ce soit à l’échelle locale ou nationale, situation qui n’allait pas en s’améliorant et dont chacun, dans sa partie, essayait d’adoucir les effets.
Une récente convocation à Aurillac avait laissé une très désagréable impression au Docteur Lajarrige. “On” – des nervis des Boches, des jean-foutre patentés, mais des jean-foutre hélas aux commandes – l’avait longuement interrogé, puis sermonné sur la mauvaise volonté qu’il affichait lorsque le prétendu maire, ce foutriquet, requérait son aide pour résoudre d’épineuses questions, cadastrales ou autres. Après de sournoises insinuations sur sa probité et sa nature de bon citoyen, on l’avait prévenu qu’on l’avait à l’œil, que ses accointances passées avec la franc-maçonnerie ainsi qu’avec tous ceux qui avait jeté notre beau pays à l’état où il se trouvait, ses louches sympathies et ses propos inappropriés, étaient connus ! Au moindre soupçon de trahison – tel avaient été les mots employés – son sort était scellé. Le docteur, pour une fois, avait fait la carpe, même s’il n’en pensait pas moins. Cette entrevue n’avait fait qu’exacerber ses sentiments “antipatriotiques”, antipatriotisme dont on se doute bien qu’il visait le NEF, et non les Institutions auxquelles il avait adhéré. Il se l’était donc tenu pour dit et choisissait désormais ses interlocuteurs avec circonspection – certains confrères avaient la langue trop bien pendue, et quelques-uns, assez rares il est vrai, s’étaient même compromis avec ce qu’il dénommait in petto la bande à Laval, au prétexte, comme l’avait lâché l’un d’eux, qu’il fallait aller « dans le sens de l’Histoire. » Bref. Le Doyen faisait partie des personnes sûres avec lesquelles il pouvait avoir des discussions sérieuses et constructives – et l’inverse était tout aussi vrai. Discussions fort appréciées, mais qui tournaient en rond.
Une chose était certaine : il fallait de la discrétion. Ils n’avaient plus l’âge ni les capacités de faire dérailler des trains, sectionner des câbles ou publier des écrits baptisés “séditieux”, tâches fort dangereuses pour lesquelles il fallait un matériel qu’ils ne possédaient point. Ils en laissaient donc l’apanage à ces groupes dont on parlait en baissant la voix et qui n’existaient officiellement pas, jusqu’au moment où une affiche, un article de journal, une réunion publique, venait à fustiger de lâches attentats commis par des « terroristes » et dévoilait au public qu’il s’agissait d’étrangers, de métèques, de youpins et autres engeances du même acabit.
Présentement les deux hommes avaient quelque souci en tête. Si les enfants de chœur du Doyen – qui n’avaient, pour plus d’une raison, d’enfants de chœur que l’appellation – ne suscitaient plus guère d’émoi dans la commune et les alentours, la présence des trois “vrais” Africains posait plus de problèmes. Il était connu que les forces de police et de gendarmerie, avec plus ou moins de bonne volonté, épaulées par de nouvelles “forces de l’ordre” autrement zélées, avaient raflé de nombreux individus qu’une couleur de peau un peu trop foncée identifiait de loin. Ces individus souffraient de deux défauts rédhibitoires aux yeux des nouveaux maîtres du pays – ou du moins de Paris – à savoir qu’ils étaient issus du continent africain et, de surcroît, noirs. Café ou ébène, on ne faisait pas de distinction. Les fervents suppôts de Doriot, Laval et consorts ne voyaient là aucun pléonasme : les « traîtres à la Nation Française » (sic) s’étant honteusement réfugiés par-delà la Mare Nostrum revendiquée par Mussolini, autre Occupant du pays, et par conséquent autre ami, tout ressortissant du continent dit noir se trouvait être ipso facto un ennemi potentiel de la race française. Il fallait donc se prémunir d’une contamination de ladite race par ces « nègres enjuivés » qui, de rampante jusqu’aux jours bénis de l’été 40, ne demandait maintenant qu’à exploser. On avait donc raflé dans les grandes villes tout ce qui affichait des traits plus ou moins négroïdes, banni le jazz, « musique d’abrutis dégénérés » et incarcéré ouvriers, petits employés, médecins (très peu), enseignants (quelques-uns), musiciens et autres artistes avant de s’apercevoir que, tout d’abord, on manquait de prisons pour accueillir tout ce beau monde, même en les entassant un peu (beaucoup) et ensuite que les autorités allemandes, à qui l’on espérait ainsi complaire, se lavaient les mains de la chose : que les Français se débrouillent entre eux !
“On” était donc en train, non de faire machine arrière – chose impensable, “on” avait raison – mais de bâtir, en sus de nouveaux camps idoines, des commissions chargées de trier le bon grain de l’ivraie et de décider au cas par cas, et par région, de ce qu’il convenait de faire de tout un chacun, une fois que l’on aurait exclu du lot tout ce qui était indubitablement juif. (Juif, Africain, et de surcroît, Noir, cela semblait beaucoup pour un seul homme !). Quelqu’un avait eu la lumineuse idée d’enrôler d’office tous ceux qui ne pouvaient être suspectés de menées antinationales dans des « brigades de travailleurs volontaires » dont le rôle consisterait à fournir des bras indispensables au bon fonctionnement des industries et de l’Agriculture (avec un grand A), au déblaiement des décombres et à la remise en état de marche des infrastructures mises à mal lors du malheureux épisode de 1940 ou par les menées machiavéliques et les bombardements terroristes des ploutocrates algéro-britanniques.
En sus des facilement identifiables Sénégalais, Congolais, Ivoiriens ou autres Gabonais, les vaillants défenseurs d’une France, sinon aryenne, du moins franque, à préserver de toute souillure avaient dans leur collimateur d’autres ressortissants d’outre-Méditerranée. Jeanne d’Arc avait fort opportunément bouté les Anglois hors du Royaume et de glorieux soldats (héritiers du Saint-Empire ?) permettaient de les en tenir éloignés, mais si le déferlement des hordes arabes entre Tours et Poitiers avait été arrêté par un certain Charles (personne n’est parfait) dit Martel, il convenait de faire en sorte que ces envahisseurs ne puissent réitérer leur tentative. Il fallait donc veiller au grain afin de mettre hors d’état de nuire tous ceux qui, venus d’au-delà de la Grande Bleue, parasitaient la Nation et préparaient sournoisement sa chute, avec la complicité non dissimulée des traîtres de la clique à Reynaud. Etaient ainsi visés de potentiels goumiers marocains, d’éventuels tirailleurs algériens, d’hypothétiques chasseurs tunisiens, qui avaient assurément bâti de solides bastions dans toutes les grandes villes – et parmi celles-ci, Marseille était la plus contaminée.
Las ! Là aussi, le bras vengeur et séculier des chevaliers blancs se heurtait à la dure réalité du manque de place et de personnel. S’y ajoutait le fait que d’aucuns, dont certains de ces Allemands que l’on prenait en exemple, fort versés dans la préservation des races – la leur en particulier – préconisaient a contrario de faire preuve de mansuétude à l’égard de ces peuples inférieurs. Ne parlait-on pas, dans les milieux bien informés, d’utiliser le juste ressentiment des autochtones opprimés par les financiers juifs pour en faire des alliés dont la révolte ferait vaciller les empires coloniaux adverses ?
Alors notes, notules, arrêts, avis – autorisés ou non, formules ampoulées, discours enflammés, slogans, articles de fond ou à l’emporte-pièce et conversations feutrées se succédaient, se contredisaient, s’infirmaient, se confirmaient, pour finir par s’annuler. Une tempête dans un verre d’eau qui suscitait une pagaille administrative du meilleur cru, se traduisant par toute une gamme de libres, libérés, emprisonnés, en détention provisoire, en résidence surveillée, voire disparus.
Ceci dit, pour Lajarrige et le Doyen, la controverse n’avait pas lieu d’être. Certes, on ne pouvait prétendre sauver tous les Africains éparpillés aux quatre coins de l’Hexagone ! Mais on ne disposait là de trois exemplaires, seulement trois ! Alors, tâchons de tirer ces trois-là d’affaire, n’est-ce pas ?
Ainsi devisaient nos deux bonshommes. Bien que d’avis fort divergents sur nombre de sujets, sur celui-là, ils s’accordaient. Averti par de charitables âmes que le presbytère abritait semblable faune, le “nouveau maire” (titre qui lui collerait aux basques jusqu’à la fin), qu’on ne voyait qu’occasionnellement, avait diligenté la force publique locale pour plus amples informations. La gendarmerie, sûrement gangrenée par le communisme rampant des financiers judéo-algériens (on en venait à manquer de qualificatifs), avait fait savoir qu’elle avait d’autres chats à fouetter. Un – là aussi – “nouveau” garde-champêtre / crieur public / facteur municipal, qui rendrait rapidement son tablier avant de s’évanouir dans la nature, était donc venu en tant que représentant du Nouvel Etat Français s’enquérir officiellement de tout ce qu’il y avait à savoir sur ces individus. Ayant dûment constaté que lesdits individus, munis de papiers en règle, étaient affectés à l’entretien des jardins du presbytère ainsi que des terres du château de feu le comte de Palmont en tant qu’ouvriers agricoles, sa curiosité ne s’était pas étendue à plus. Il s’en était donc retourné rendre compte, omettant de signaler qu’il n’avait pas rencontré les trois quidams (on se méfiait de lui), outre que présenter un manchot comme professionnel de la houe avait paru, comment dire… inapproprié. Ce manque de zèle, ignoré de l’un, fut noté par les autres, accompagné d’un gros point d’interrogation. Mais on ne pouvait espérer que cette situation perdurerait. Il fallait réfléchir à des dispositions à prendre lorsque, malheureusement, elle s’envenimerait – la chose paraissait inévitable.
Cependant, le trio incriminé s’était activé au service du Doyen en compagnie du binôme espagnol. On avait fait les regains, il fallait bichonner les deux vaches du presbytère – un trésor – récolter les tubercules de tout poil et surveiller les choux. Mais pas que, car il y avait à faire sur les dépendances de la vénérable bâtisse. L’hiver passé avait été rude, rien ne disait que celui qui approchait serait plus clément. Pour l’heure, Youssef initiait Léopold aux joies de la traite – Rosalie n’avait pas son pareil pour renverser le seau “par inadvertance” (!). Sauveur bouchonnait l’équidé, N’Diaf sciait du bois, le petit, pour la nécessaire flambée vespérale… peu à peu, ces saines occupations les faisaient entrer dans le paysage sagranier, on ne les considérait plus comme des bêtes curieuses, ils étaient là, point final, comme il en avait été des autres protégés du Père, un saint homme, un fieffé papiste, une brebis égarée en ces temps troublés, un calotin, bref, un brave type.
Dans leur repaire douillet, le duo des conspirateurs dont relevait le susdit prélat en était venu à diviser la communauté locale en trois catégories. D’abord, les opportunistes ou véritables partisans du nouvel ordre des choses, une poignée, mais qui comptait, hélas ! Venaient ensuite les indifférents, ou se disant tels – le bémol avait son importance : majoritaires, plus soucieux du moment et de leur existence que des grandes affaires du monde, on les comprenait. Restaient quelques réfractaires plus ou moins déclarés, donc à fiabilité douteuse, mais c’était parmi ceux-là qu’on découvrirait sans doute en premier des personnes de ressource. L’idée était de pouvoir faire en sorte qu’en cas d’alerte, Africains et Espagnols trouvent un refuge sûr, à savoir où et chez qui, plutôt que d’essayer de compter sur la campagne environnante pour s’y mettre à l’abri.
A cette fin, le château, abandonné depuis le décès du comte – l’absence de chauffage central devait y être pour quelque chose – paraissait une ressource valable. La bâtisse était spacieuse, glaciale, certes, mais offrait un toit, ce qui n’était pas le cas des bois en hiver, dernier recours facilement joignable depuis ses murs. Les lointains héritiers du défunt, lointains dans le temps comme dans l’espace, ne s’étaient guère manifestés depuis la cérémonie parisienne. Après des courriers restés sans réponses, sinon évasives, et une fois le notaire consulté, il s’avérait qu’on était non dans le vide, mais dans le flou. Les terres étaient louées et les baux non révoqués, mais les bras, comme ailleurs, manquaient. Alors ? Idée à creuser.
Au fil des réflexions, force fut de constater et de prendre en compte que Youssef, Léopold et compagnie n’étaient pas les seuls de leur espèce. Incidemment, chacun de son côté avait découvert ici deux jeunes enfants que le couple Simon hébergeait – et scolarisait et catéchisait – comme « de lointains cousins mis à l’abri à la campagne par des parents résidant à Nantes », là une demoiselle Léonie tombée du ciel chez les Michel qui la présentaient comme une parente, elle aussi éloignée et elle aussi préférant l’air pur à l’atmosphère délétère d’une grande ville. A ce qu’ils avaient appris en écoutant entre les lignes, cette immigration se produisait un peu partout dans le Cantal. Pour l’heure les Autorités ne s’étaient manifestées, comme pour les protégés de Dame Blachon, que par de vagues contrôles d’identité. Au reste, venu constater en personne que les petits élèves apprenaient bien leurs leçons et surtout les “bons” exemples, Monsieur le Nouveau Maire, fort satisfait, s’était étonné de leur nombre. Les enseignants lui avaient alors répondu qu’avec l’afflux de gamins mis au vert et à l’abri dans diverses familles, il leur fallait pousser les murs. Hélas, si les deux compères s’interrogeaient, il y avait fort à parier que d’autres, moins bien disposés, feraient de même, d’autant plus que le nombre d’étrangers de passage, sans atteindre à la foule des congés payés sur les plages de Normandie, croissait.
Le rescapé de 17 n’avait pas questionné le docteur sur la nature et les agissements de son visiteur du printemps précédent, mais si le praticien l’avait reçu, c’est que ce prétendu voyageur de commerce avait dû montrer patte blanche, ce qui n’était pas toujours le cas des autres. Avec la diminution des beaux jours, il en passait bien moins, et certainement pas tous les jours. Pour des raisons à éclaircir, c’en était de toutes sortes, que l’on devinait en délicatesse avec l’Occupant, qu’il fût transalpin ou transrhénan, quoiqu’ils s’en vantassent rarement. De vrais chemineaux, comme on en avait toujours vus, parfois avec des gueules de truands, qui se proposaient pour de menus travaux, qu’on épiait et dont on se méfiait. Un jeune gars, un jour, qui avait à mi-voix demandé au boulanger si les gendarmes faisaient beaucoup de rondes et s’il connaissait quelqu’un qui pouvait l’héberger, oh, pas longtemps, c’était une connaissance d’Aurillac qui lui avait conseillé de s’adresser là. « Il me faisait pitié, ce gosse, mon Père, alors j’ai pensé à vous. » Et puis il y avait eu cet autre, qui payait des coups à boire, et vantait bien trop haut le courage des “Résistants” qui se battaient, eux, et qu’il aurait bien aimé rejoindre – « Je dis ça, parce que je sais qu’ici, je risque rien ! » Ben tiens…
Et, bien évidemment, il y avait ces… groupes. Ils existaient. Personne n’en parlait ouvertement, mais il y avait des allées et venues, dès la tombée de la nuit, et le ministre du culte, frappé d’insomnie, constatait que, malgré le couvre-feu que la gendarmerie tâchait de maintenir dans ce coin perdu, il n’y avait pas que des matous en maraude ou des amants en transit à circuler sous les étoiles. Il y avait par nuit noire des lueurs furtives sur les routes soi-disant désertes. Oh, c’était assez exceptionnel. Mais, justement… Quant au docteur, il gardait pour lui que son hôte temporaire lui avait assuré qu’on ne l’oubliait pas, et que “quelqu’un” passerait sans doute ultérieurement, promesse qui n’était pas en l’air : sans qu’il y eût de lien entre les deux événements, bien sûr, peu de temps après l’installation des fuyards de la Charité, le docteur s’en était allé retirer à la Poste un colis qu’il n’attendait pas, envoyé par un expéditeur inconnu de lui. Et il avait découvert en l’ouvrant un peu de cette aspirine dont il avait tant déploré le manque, mais aussi d’autres médicaments, le tout en petite quantité, évidemment, et il en usait avec parcimonie, non seulement parce qu’il en avait peu, mais aussi et surtout pour ne pas éveiller les soupçons. Cependant, que cela ait pu ainsi circuler… Quoiqu’en y réfléchissant, si une missive écrite en son bureau pouvait atteindre Alger ! |
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Etienne
Inscrit le: 18 Juil 2016 Messages: 2940 Localisation: Faches Thumesnil (59)
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Posté le: Lun Sep 11, 2023 16:47 Sujet du message: |
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Citation: | L’air état encore frais, |
Citation: | Léopold s’enquit poliment de la direction du presbytère. |
_________________ "Arrêtez-les: Ils sont devenus fous!" |
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demolitiondan
Inscrit le: 19 Sep 2016 Messages: 10679 Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris
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Posté le: Lun Sep 11, 2023 16:54 Sujet du message: |
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Qu'il me soit permis de dire que ca fait plaisir de revoir, et Casus, et nos grands auteurs. _________________ Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste |
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John92
Inscrit le: 27 Nov 2021 Messages: 1220 Localisation: Ile de France
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Posté le: Lun Sep 11, 2023 17:15 Sujet du message: |
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Rien à signaler en plus d'Etienne. _________________ Ne pas confondre facilité et simplicité |
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marc le bayon
Inscrit le: 19 Oct 2006 Messages: 1025 Localisation: Bretagne
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Posté le: Lun Sep 11, 2023 19:06 Sujet du message: |
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C'est un plaisir à lire... _________________ Marc Le Bayon
La liberte ne s'use que si l'on ne s'en sert pas |
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loic Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 9684 Localisation: Toulouse (à peu près)
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Posté le: Mar Sep 12, 2023 10:48 Sujet du message: |
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Casus Frankie a écrit: | que les Français se débrouillent entre eux ! |
J'ai employé mot pour mot la même expression en avril 44 lors de Cobra.
En gros, voilà ce que les Allemands auront retenu de leur séjour en France _________________ On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
Dernière édition par loic le Mar Sep 12, 2023 12:40; édité 1 fois |
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houps
Inscrit le: 01 Mai 2017 Messages: 1954 Localisation: Dans le Sud, peuchère !
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Posté le: Mar Sep 12, 2023 12:33 Sujet du message: |
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Sot riz, Loïc, j'avais pas vu le copyright ... _________________ Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie. |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14303 Localisation: Paris
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Posté le: Ven Oct 13, 2023 19:13 Sujet du message: |
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Une petite suite, avant de revenir à Mai 44 - il reste 11 jours dans les Balkans, c'est tout !
Paris est-il encore Paris ?
Paris, 6 avril 1941 – Long et inconfortable, en effet, fut le voyage – mais aussi perturbé. Arrivée à Austerlitz dans la matinée avec plusieurs heures de retard, l’impondérable prévisible culminant sous forme d’une immobilisation à une poignée de kilomètres du but. On aurait dû finir à pied, ça aurait réchauffé. Et réveillé certains. Les restrictions qui frappaient à l’aveugle ne paraissaient pas avoir eu effet sur ceux-là, une poignée, fort heureusement – les mânes du Comte devaient s’en offusquer. L’on se serait cru dans un retour de conscrits fêtant la quille. Verbe haut – n’allant cependant pas jusqu’au chant – ça avait saucissonné et consommé de ces produits des vignes non pas du Seigneur mais bien du Sud-Ouest, qui te vous leur avaient fait la trogne rougeaude et l’esprit embrumé, spectacle désolant heureusement confiné à deux compartiments, le reste de la voiture n’osait trop protester et priait pour que le bas peuple en ignore l’existence à jamais. Ensuite, ventre plein et conscience apaisée, ils avaient dormi, eux ! Et pour ne pas être en reste, ils l’avaient clamé haut et fort à l’entour. Les cloisons étaient minces, on avait évité les chants, mais pas ce genre de concert. Ajouté à l’inconfort des sièges, cela avait étiré la nuit à n’en plus finir. Un épisode propre à provoquer des inimitiés durables.
Sur le quai, à Paris, un comité d’accueil battait la semelle. Ou plutôt deux comités.
Outre que le débarquement de ce troupeau engoncé dans ses manteaux ne passait pas inaperçu, l’arrivée des Provinciaux, connue et attendue, avait mobilisé d’abord un bataillon de personnes fort déplaisantes qui s’ingéniaient, certainement par pur esprit de mesquine vengeance, à contrôler minutieusement titres de transport et documents d’identité. Cette réunion sous couvert de cérémonie funéraire huppée pouvait fort opportunément abriter un complot – ou une assemblée de loges, c’était tout comme – et ce qui débarquait là, en provenance du Cantal – « Tu sais où c’est, le Cantal, toi ? Du côté de Toulouse, je crois, tu sais, Toulouse, les anarchistes espagnols, tout ça… » – c’étaient des Rouges, assurément. Mais il se trouvait dans ce lot marqué par l’âge, la respectabilité et le manque de sommeil, une bonne proportion d’anciens combattants gradés médaillés, non Rouges mais Blancs, d’un blanc parfois un peu sali, ou légèrement bleu, ou carrément immaculé, et même de personnes relevant de ces trois tribus, selon l’angle de vue de l’observateur. Aussi, après un moment de confusion et de flottement, ces formalités tatillonnes se virent-elles écourtées, à la satisfaction générale.
L’autre contingent battait la semelle à quelque distance de là, en attente de la résolution des broutilles administratives. S’y trouvaient des parents ou amis, chargés d’héberger ces visiteurs pour une ou deux nuits, car on avait pris la précaution de ne pas se présenter le jour même – arriver post mortem, oui, assurément, c’était même bien vu, mais arriver post funus l’aurait fichu mal, c’était rien de le dire. On espérait d’ailleurs à Paris que cet hébergement mettrait du beurre dans les épinards, même si ces légumes devenaient aussi confidentiels qu’un trèfle à quatre feuilles à Auteuil. Après tout, ces gens venaient de la campagne, la ruralité avait parfois de bons côtés, en personnes bien élevées on passerait sur certains fumets. Et pour ceux qui n’avaient pas cette chance, à peine une poignée, deux chasseurs d’un grand hôtel. A l’écart, se regroupaient et disparaissaient les rares membres de la famille du Comte. Valises en mains, la cohorte provinciale – provinciale, mais en terre de connaissances – commença donc à se disperser au milieu des habitués des lieux qui s’attardaient au spectacle. Pour une fois qu’on ne voyait pas un train déverser son content d’uniformes ou de réfugiés regagnant leurs pénates (la seconde espèce étant néanmoins en voie de disparition)…
Pour Lajarrige, la Capitale n’était pas terra incognita. Il y avait eu ses habitudes, et deux ou trois télégrammes lui avaient permis de trouver facilement un point de chute, dont il fit profiter “Bouillot”. Ce dernier avait accepté, conformément à son rôle mais après avoir appris dans quel fauteuil il dormirait : il eût été très gênant de se retrouver logé chez quelqu’un ayant côtoyé Bingen de près ou de loin, sa couverture aurait pu en souffrir. Pour l’heure, il avait tout du cousin marqué de ruralité découvrant la Ville Lumière pour la première fois. C’était fort simple : il ne la reconnaissait pas. De prime abord, elle lui parut… triste. Cette profusion de panneaux écorchés de gothique. Ces avenues quasiment désertées par les automobiles, hormis des engins équipés de protubérances ingénieuses. Y détonnaient véhicules officiels ou militaires et, de façon presque incongrue, ici un fourgon de livraison ou là un petit camion chargé de trucs indéfinissables. En revanche, les véhicules hippomobiles étaient plus nombreux qu’à Aurillac. On avait ressorti les fiacres des promenades d’antan, récupéré au fond de remises empoussiérées et de hangars à l’abandon tout ce qui pouvait être attelé, mais les chevaux n’étaient visiblement pas assez nombreux : si l’essence était rationnée, le picotin ne se faisait pas plus abondant. Enfin, pour les deux-roues, c’était l’invasion ! Tout Paris paraissait s’être transformé en une gigantesque préparation du Tour de France. A côté des bicyclettes classiques passaient des tandems, des tricycles, des choses improbables bien représentatives du système D, à deux, trois ou quatre roues, dont des sortes de pousse-pousse ou plutôt de tire-tire à l’asiatique qui avaient remplacé les taxis, avec de fragiles carrioles brinquebalant au ras des trottoirs et des gros culs Feldgrau. Adeptes de la gymnastique pédestre, les deux voyageurs avaient décliné les offres de ces aguichants engins, préférèrent un des rares autobus encore en service – ils arrivèrent quand même à bon port.
Et ce fourmillement d’uniformes honnis, du vert-de-gris, du noir, non, des noirs, des gris, des bleus sombre, avec des casques, mais surtout des casquettes faisant assaut de… de postures, et des bottes vernies, et des fanions, et des oriflammes. Déprimant. B. tenta alors de s’intéresser aux Français, mais on était rendu. Valise en main, il emboîta le pas de Lajarrige, qui paraissait retrouver une seconde jeunesse.
………
En fait, le docteur était passablement remonté pour plusieurs raisons : arrivée en retard, voyage en bus malcommode, envie pressante… et omniprésence de l’Occupant. Le praticien se dérida cependant lorsque son honorable correspondant, Auvergnat et chirurgien-dentiste (faute de goût qu’il lui pardonnait), qui plus est répondant au patronyme de Vidal (c’était écrit sur la plaque, avec la mention “Auvergnat” fraîchement rapportée sur une planchette), leur ouvrit. Après d’exubérantes retrouvailles, l’homme, prénommé André, les invita à le suivre dans un appartement cossu. Madame (Paulette, que l’on peinait à imaginer en bicyclette) parut, la discussion se poursuivit à bâtons rompus, on évoquait des lieux, des dates, des événements et des personnes en un tourbillon à peine interrompu par un escamotage de leurs pelures suivi d’une rapide visite de leur chambre – oui, une vraie chambre, il faudrait partager le lit, mais c’était une broutille pour qui avait redouté d’avoir à affronter un crapaud hors d’âge, et puis on se tiendrait chaud !
Bien vite, les funérailles n’étant pas un sujet de conversation passionnant, on en vint à ce qui préoccupait tout le monde : les restrictions. Passer à table ne motiva pas que l’on changeât de sujet, bien au contraire ! La maîtresse de maison s’excusait encore et encore de la chicheté du dîner, mais on manquait de tout. Par bonheur, de bonne éducation, Lajarrige avait bien évidemment prévu le coup. Il extirpa de sous son pyjama un bocal de pâté et deux saucissons aussi secs que leur auteur, un “bon vieux” qui l’avait ainsi récompensé de l’avoir guéri d’une “saloperie” – tout foutait le camp, un coup de serpe mal dirigé et on chopait une infection, d’habitude un peu de gnôle et beaucoup de mépris suffisaient. Mais pas là. Bref. La charcutaille ainsi accouchée fit saliver les présents. On fêta Noël avant l’heure, ou après, avec deux tranches de saucisson fines à révéler le décor des assiettes sur lesquelles on les avait couchées, une noix de pâté, on allait faire durer tout ça, mais là, entre amis, on n’allait pas se priver. Il y avait du pain, certes d’une couleur indéfinissable, mais presque frais, des carottes potables et demain, avec les tickets apportés par les deux campagnards, on pourrait peut-être dégotter un poulet. Monsieur pensait savoir où, sa patientèle s’étiolait, ça lui laissait du temps de libre, il se découvrait des aptitudes d’explorateur et de négociateur : une carie (banalité professionnelle en passe de devenir curiosité extraordinaire, vu la rareté des sucreries), ça pouvait par exemple se transformer en trois ou quatre kilos de charbon, la négociation dépendait de tellement de facteurs !
On passa alors au salon, pour un ersatz de café qui avait au moins le mérite d’être à bonne température.
La discussion manquait de chiffres et de précision, mais le grouillot d’Alger y trouvait du grain à moudre. André Vidal n’avait pas archivé les feuilles de choux officielles, mais comme tout le monde, il gardait la page de l’article énumérant les catégories de population et les quantités de calories qui leur étaient attribuées avant de détailler ce à quoi chacun avait droit. Et comme son comparse et ses confrères, il remarquait que l’on s’appesantissait sur la quantité de calories, mais que l’on se gardait bien de mentionner ce que cela recouvrait réellement. A savoir, un déficit criant en vitamines, par exemple. Mais pas que !
Et les chaussures ! Les chaussures ? B. avait manqué quelque chose ? Un discret coup de genou de son voisin lui fit prendre conscience qu’il avait laissé vagabonder ses pensées un quart de poil de seconde. Paulette revenait de la cuisine avec des … topinambours à la béchamel – claire, très claire, la béchamel – en demandant : « Et à Bordeaux, Monsieur Bouillot, trouve-t-on encore des chaussures convenables ? »
– Des chaussures convenables ?
– Si vous saviez ! J’avais des coupons, et on ne m’a proposé qu’un seul modèle, à semelle de… de… de fibre de verre ! Qu’on ne puisse plus avoir de vraie semelle de vrai cuir, passe encore ! Mon amie Valentine, qui a de fort jolis pieds, s’est procuré des chaussures à semelle de liège. Très confortable, le liège m’a-t-elle dit. Mais du verre ! Du verre ! Enfin, quoi ! Je ne suis pas Cendrillon ! Et puis, vous avez essayé des modèles articulés ? Une horreur !
– Madame, il en est de Bordeaux comme de toute autre coin de France, je suppose : on y manque de tout ! Vous étonnerai-je en vous apprenant que l’on manque même de ce fameux liège, non pas pour des semelles, mais pour les bouchons ?
– Pour les bouchons ?
– Eh oui, chère madame ! Le liège, ce vil produit, fait défaut même pour nos plus grands crus ! Un désastre, un véritable désastre ! Impossible de se fournir en liège portugais, le meilleur. Le français est médiocre, et convient à peine à ces mêmes semelles ou aux flotteurs. Et je me suis laissé dire que même le chêne, vous savez, le chêne des fûts, des tonneaux, si vous préférez, se raréfie !
– Vraiment ?
– Manque de personnel pour l’exploitation, réquisition des meilleurs troncs pour un tas de raisons – réparations, entre autres, et fabrication de charbon de bois. Nos tonneliers, enfin, ceux qui nous restent, sont aux abois !
– Incroyable, Monsieur Bouillot, incroyable ! Tu vois, André, tout part à vau l’eau ! Au moins reste-t-il des coins préservés, comme le Cantal, n’est-ce pas, docteur ?
– Oh, préservés… préservés… c’est à voir. Vous parliez de chaussures, Paulette. On nous recommande, pour les économiser, de préférer le sabot au brodequin, par exemple.
– Le sabot ?
– Oui. Il y a peu, on se gaussait des sujets de cartes postales présentant l’Auvergnat typique saboté de neuf, et les mêmes qui décriaient ces “esclops” hier en font l’apologie aujourd’hui. Le sabot revient à la mode. Peut-être pas dans la Capitale, ma chère Paulette, mais en Auvergne le sabotier supplante le cordonnier, tout comme en Bretagne ou en Poitou. Triste époque !
– Oui, mais au moins disposez-vous de tout !
– De tout ?
– Bien sûr ! D’où viennent les légumes ? Les pommes de terre ? La viande ? Ces restrictions, je vous le dis, c’est du pain béni pour les paysans !
– Ah…
– Et puis, ils ne souffrent pas des bombardements, eux ! Ces bombardements, c’est terrible, n’est-ce pas ? Etes-vous bombardés, à Bordeaux ?
– Certes, comme…
– Voilà bien là nos prétendus amis anglais ! Bordeaux ! Pourquoi Bordeaux ? Incapables d’atteindre leurs cibles, et ce sont les pauvres gens qui en subissent les conséquences ! Savez-vous qu’ils s’en prennent aussi à Paris ? Nous sommes descendus plusieurs fois dans l’abri ! Et pourquoi donc ? Nous sommes loin de tout “objectif”, comme ils disent ! Et ce sont eux qui nous entraînés dans cette terrible guerre ! Au moins les Allemands – je ne les excuse pas, évidemment, loin de là – au moins étaient-ils plus précis !
André, qui semblait de plus en plus mal à l’aise, dévia fort heureusement le sujet sur une voie moins dangereuse. Plus tard, il s’excusa auprès de son hôte des propos de son épouse. La faute, invoqua-t-il, à ses après-midis passés chez ses bonnes amies du quartier, où l’on tuait le temps en bavardant beaucoup tout en confectionnant des lainages pour les victimes des bombardements, ouvrages dont la matière première était fournie par la Mairie, ou un de ces Comités quelconques qui foisonnaient, qui l’obtenait on ne savait trop comment, sans doute en récupérant les tricots reçus en dons, dont les appels ne manquaient pas. Ces dames papotaient fort et se tournaient la tête mutuellement. L’oisiveté féminine était un vice, mais on pouvait se demander si pareille occup… – oups – activité n’était pas pire. Bien sûr, les queues, où les heures s’éternisaient, favorisaient ce genre de propos. Mais dans ces réunions de dames patronnesses qui n’en étaient pas, on avait le temps de décortiquer le moindre ragot, d’éplucher le moindre article des feuilles de choux encore en circulation, de gloser sur chaque nouvelle affiche. Chacune y allait de son avis, et en revenait satisfaite du devoir accompli et assurée d’avoir accédé à la Vérité. Ces dames commentaient bien évidemment les émissions de radio, enfin, émissions… Qu’est-ce que Monsieur Henriot parlait bien, n’est-ce pas ! L’une d’elle, il ne savait plus laquelle, écoutait cependant la BBC, ça mettait du piment dans la conversation à défaut d’un autre, le frisson de l’interdit parcourait ces dames, Paulette ne savait trop qu’en penser.
Lajarrige conseilla de ne pas trop insister là-dessus. Il convint, bon prince, qu’effectivement, par les temps qui couraient, on voyait et on entendait de tout, et pour donner quelque munition à son ami en cas de dispute conjugale, il lui redit combien le travail de la terre était difficile, par manque de bras, d’animaux de trait, d’engrais, combien les réquisitions s’enchaînaient, poussant le moindre producteur à dissimuler, favorisant le marché noir et le repli sur soi aux dépens de la charité et de la générosité, et combien, enfin, les restrictions touchaient aussi les campagnes où, certes, on pouvait se rabattre plus facilement sur des produits de remplacement en redécouvrant nombre de plantes comestibles oubliées – « Mais pas en ce moment André, c’est à peine le début du printemps, sais-tu ? Et sous prétexte que c’est à la campagne que tout pousse, on a vu cet automne débarquer toute une faune de citadins battant bois et guérets ! Il y a eu des empoignades pour quelques pommes, mais le pire, c’est qu’à quelques kilomètres de Palmont, vers La Coste, tu vois ? On a eu trois cas d’empoisonnement, et deux morts, à cause des champignons. »
– Des champignons ? M’étonne pas !
– Oui. Oh, c’est pas passé loin, tu vois, ils avaient fait une belle récolte. Mais dans le lot, il y avait une phalloïde, ou peut-être plus, les gendarmes disent en avoir retrouvé après.
– Ah !
– Ils avaient l’air de s’y connaître, pourtant. Une famille de Brive, il me semble, lui avait fait les foins, avant-guerre, dans le coin. Ils restaient dans une grange, ils étaient venus exprès, pour les champignons, et aussi pour se procurer du fromage, de la viande. On a sauvé la mère, mais ni le père, ni la gosse. Seize ans, qu’elle avait, la gosse. Alors, tu vois, la campagne-Cocagne… Et avec le printemps qui arrive, ça va être l’invasion !
………
Suivit pour Bingen un après-midi pleinement occupé par une sieste bienvenue sur un canapé tout aussi fatigué que lui – cette nuit en tape-cul national n’avait guère été réparatrice. Il avait envisagé une promenade digestive et instructive dans ce Paris méconnaissable, mais son corps en avait décidé autrement et il pleuvait, ce qui n’arrangeait pas le décor. Le docteur vaqua de son côté et, après un partage de quotidiens indigents, tout le monde se retrouva pour un souper presque dans le ton du repas de midi – sinon qu’on y parla moins de restrictions et de chaussures que de futilités, derniers spectacles autorisés, derniers spectacles vus, derniers spectacles en vogue. Leurs hôtes, en toute bonne foi, en faisaient trop.
Lorsque Jacques B. regagna leur chambre – ces postiches, quelle plaie ! – son compagnon avait déjà sombré. Lajarrige ronflait, étonnant comme son corps produisait ce grondement disproportionné de marmite de géant. B. grimaça – avec une telle musique, et se sentant dispos après son repos de l’après-midi, il doutait de pouvoir fermer l’œil. Eh bien, non. Ayant repoussé sans trop de ménagement son voisin de lit, qui ne manqua qu’une note de son concert, il se tourna sur le côté… et n’ouvrit l’œil qu’au matin.
Funérailles et promenade
Paris, 7 avril 1941 – La place voisine était vide, son occupant était déjà levé. Diable ! Quelle heure pouvait-il être ? « Pas si tard que ça… » lui apprit son voisin de lit en pénétrant dans la chambre. « … Je vous rappelle cependant que la cérémonie est dans… hem… une bonne heure et demie. Vous allez passer pour un sacré flemmard aux yeux de notre charmante hôtesse. Il reste un fond de lavasse et une noix de margarine. Et votre sourcil gauche fiche le camp… »
Ils sortirent de conserve mais se séparèrent à l’angle de la rue. Malgré la possibilité alléchante d’un poulet, ils avaient décliné l’offre d’un troisième repas, un peu pour soulager leurs hôtes, beaucoup pour échapper au verbe de Paulette. Bingen, lettre de recommandation en poche, allait rencontrer le Docteur Richet – le meilleur, lui avait assuré Lajarrige, pour l’entretenir des problèmes sur lesquels il enquêtait. Pendant ce temps, lui se rendrait à l’opposé, à Picpus, il était venu pour ça. Sur ce, il assujettit son feutre : la neige avait disparu des rues, mais le froid persistait. Bingen le regarda s’éloigner, lui avait opté pour le béret, enfoncé jusqu’aux oreilles : la température tuait plus sûrement que le ridicule. En parlant de ridicule, il s’interrogea en marchant : dans la faune, certes clairsemée, qui allait s’attrouper devant les dalles funéraires, il pariait qu’il se trouverait quelque gibus, pas un grand, ni un petit, mais parmi ces messieurs, il y en avait qui s’accrochaient à des idées surannées mieux qu’une moule à son rocher. Tiens, il demanderait à Lajarrige, au retour.
Rue de l’Université, Richet le fit entrer après quelque réticence, ce dont “Bouillot” ne lui tint pas rigueur. Ayant fait le choix de rester à Paris, le médecin se méfiait des provocations. Sans afficher pour autant son opposition, il ne dissimulait pas les sentiments qu’il éprouvait non seulement à l’encontre de l’Occupant – à la limite, passe encore – mais aussi et surtout de ceux qui lui faisaient des courbettes. Et sa participation à ce fameux rapport sur les effets des rationnements alimentaires n’arrangeait pas les choses. Dans le confortable appartement de l’hôtel particulier qu’il tenait de sa famille, il accueillit donc l’envoyé d’Alger avec quelque méfiance. Il avait d’ailleurs été à deux doigts de ne pas le recevoir : la recommandation d’un vague médecin de campagne qu’il avait épisodiquement côtoyé, fût-il de surcroît un élu provincial, ne lui suffisait pas. Jacques décida donc de jouer franc jeu. Evidemment, il ne possédait aucun document attestant qu’il était bien ce qu’il disait être. Alors, jouant son va-tout, il dévoila sa véritable identité. Or, pour Richet, le beau-frère d’André Citroën n’était pas inconnu. Pour d’autres non plus, hélas !… La glace ainsi brisée, l’entretien se déroula au mieux et lorsque “Bouillot” ressortit du 7, il avait en sa possession l’intégrale du rapport de la commission, à charge pour lui que ce document ne reste pas, pour une fois, lettre morte.
Richet lui avait demandé de pousser son correspondant à visiter herboristes et toute autre personne connaissant les plantes du cru, s’il ne l’avait déjà fait. Les bourgeons dont il gavait ses patients, ce n’était pas une mauvaise idée, mais il y avait plus que les pissenlits à consommer, toute source de vitamines était bonne à prendre, avec les précautions d’usage, bien entendu. Et pour terminer, il insista sur les recommandations que le docteur se devait de faire – et d’appliquer – en matière de conserves familiales : en cas de récolte suffisante, pourquoi pas : c’était un bon moyen d’engranger des provisions pour plus tard. Mais une stérilisation mal conduite pouvait avoir des suites dramatiques !
Fort de ces derniers conseils, le rapport bien au chaud dans le double fond de sa valisette, Bingen marqua un temps d’arrêt sur le trottoir. Le temps était maussade, certainement la faute aux Israélites, cause de tous les maux de la Nation, mais cela ne motiva pas le choix qu’il fit pour rejoindre Austerlitz : il avait envisagé de s’y rendre à pied, un peu de marche ne lui faisait pas peur, mais il craignait, en allongeant ainsi la durée du trajet, de multiplier les risques de contrôle. Non qu’il doutât de sa couverture, mais on n’était jamais trop prudent. Aussi héla-t-il le premier vélo-taxi en vue.
La cérémonie terminée, Lajarrige et les autres participants devaient être en train de converger vers la gare, si ce n’était déjà fait. Un en-cas frugal pris dans les environs, et si… si… Héphaïstos ? Oui, tiens, Héphaïstos, si donc Héphaïstos le voulait bien, on pourrait se mettre en route, enfin, en rail, pour le bercail de ces messieurs, de là vers Bordeaux, quand même, via Toulouse, puis retour dans la ville rose, dans cet ordre, et pour finir, l’Hérault, bon, ne tirons pas trop de plans sur la comète, il lui restait du monde à voir en route, touchons du bois.
Il s’extirpait mal commodément de son siège, tourné pour régler le cycliste, lorsqu’une voix féminine le héla dans son dos : « Jacques ! » Il réussit à l’ignorer, mais l’inconnue reprit de plus belle, et, semblait-il, en se rapprochant. « Jacques ! »
Il fit face : « Pardon, mademoiselle ? »
– Oh… Excusez-moi… de dos, j’avais cru reconnaître…
– Il n’y a pas de mal. Tout le monde peut se tromper…
– Et vous avez la même voix ! Comme c’est curieux !
– Diable ! (Oh que oui, “Diable !” Il pensait même pouvoir lui attribuer un prénom : Jeanine. Ou Lucienne ?… Où l’avait-il croisée ? Et fichues circonstances ! Plus de deux millions de Parisiens, et pan ! L’imprévu ! Et cette cruche, en plus !) « Un sosie, sans doute ? »
– Je suis confuse, vraiment ! Mais vous lui ressemblez terriblement…
– Désolé, mademoiselle. Je n’ai pas fait exprès. Et si je n’avais pas un train à prendre, j’aurais certainement poursuivi cette conversation impromptue, mais…
– Non, non… C’est moi… Excusez-moi… Monsieur…
Maintenant elle se sauvait, le rouge lui était monté aux joues, mais après quelques pas, elle se retourna une dernière fois avant de s’éloigner pour de bon. Un bref instant, il suivit le cheminement de son minuscule bibi entre les passants.
– Alors, on trouve le temps de conter fleurette aux Parisiennes ?
Lajarrige venait de se matérialiser à ses côtés. Déstabilisé par cette rencontre, B. en avait baissé sa garde. Il jeta un œil aux alentours.
– Ne m’en parlez pas ! Et encore heureux que ça se soit terminé comme ça ! Traverser Paris et se trouver nez à nez avec elle…
– Ah ? Une connaissance ?
– A peine. Et heureusement ! N’allez pas vous imaginer des choses. Mais si elle a cru me reconnaître, que se passerait-il si je venais à tomber fortuitement nez à nez avec un de mes anciens collaborateurs de la Saga ?
– Vous ne l’avez jamais envisagé ?
– Oh si ! Mais vous savez ce que c’est : “Il y a peu de chances que ça arrive”, “Vous cherchez des excuses”, etc.
– Bon. Ça ne sert à rien de se faire du mauvais sang comme ça. Ça s’est bien passé ?
– On ne peut mieux.
– Tant mieux. Vous avez déjeuné ?
– Pas encore.
– On a le temps. Venez. Vous avez de quoi nous offrir un extra ?
– Il me reste des fonds, oui. Pourquoi ?
– Vous êtes naïf ou quoi ? Tous les restaurants, brasseries, troquets et boui-boui de France et de Navarre ont deux cartes : l’officielle, qui s’affiche, et l’autre, qui se monnaye. A prix d’or. Allons-y. Une préférence ?
– Bah…
– Le métro ne vous fait pas peur ? J’ai vu que vous aviez opté pour les nouveautés.
– Le métro… S’il fonctionne ! Il est vrai que j’ai hésité à m’y engager. Les contrôles…
– Pas plus qu’à l’entrée de la gare. Venez.
– Où allons-nous ?
– Chez un authentique bougnat. » Il tira une montre de sa poche. « Nous avons largement le temps. Je doute que nous y croisions une de vos anciennes conquêtes ! »
Bingen leva les yeux au ciel et lui emboîta le pas.
Restrictions de carburant oblige, l’orgueil (!) de la grande cité était bondé. On se bousculait et se pressait dans les couloirs, une cohue des grands jours. La soldatesque teutonne, à qui l’on devait la faveur de priorité en fourniture d’électricité, en prisait aussi les commodités. Au moins y faisait-il un peu plus chaud qu’à l’extérieur, mais l’air y était lourd. En un mot, ça puait. Ça puait la sueur, la crasse, la mécanique et l’abus de topinambours et autres rutabagas n’arrangeait pas les choses.
Les Allemands, en majorité des bidasses, de rares sous-off’ et de rarissimes galonnés, s’y déplaçaient toujours en groupes, les uns avec l’assurance des habitués, les autres accrochés à un plan, cherchant de yeux une indication pour se diriger dans ce dédale, tous claquant des talons et saluant haut et fort les plus gradés, qui marchaient pleins de morgue et suffisance. Dans les rames bondées – à l’exception de la première classe, qui n’accueillait que les uniformes à sardines, Bingen remarqua que les trouffions bénéficiaient de plus d’espace que le reste des voyageurs. Ces derniers faisaient tout pour ignorer les vert-de-gris, et un vide se creusait autour de ces derniers. Aux stations, on montait ou descendait en affectant de ne pas les voir, de ne pas même les approcher, quitte à marcher sur les pieds du voisin. Quelques rares individus se détournaient ostensiblement, mais dans l’ensemble le troupeau fonctionnait en automatique, recherchant une rassurante normalité en oblitérant la réalité. Comment leur en vouloir, même si cette indifférence bovine le hérissait ?
Malgré ces désagréments et le regard noir de ceux que cognaient leurs bagages, ils arrivèrent à destination sans encombre. De la bouche de métro au restaurant il n’y avait qu’un (grand) pas et Lajarrige, à peine entré, fut salué d’un « Eh bien ça alors ! Un revenant ! Si je m’attendais à ça ! Hyacinthe ! Tu es de nouveau Parisien ? »
– Eh bien Edouard, tout arrive. Je suis de passage. Tu peux nous faire manger ? Monsieur est avec moi.
– Manger ? Euh… oui, certes, mais tu sais ce que c’est…
– Nous avons des tickets…
– Oui, des tickets… Bon… je vais vous trouver une table. Aujourd’hui, c’est jour sans viande. Ni poisson. Œuf au plat, haricots secs, et des navets. Si vous saviez comme c’est difficile de s’approvisionner ! Y’en a qui raflent tout. Et c’est pas forcément des Boches. » Il disait ça en jetant des coups d’œil à la ronde. « Tenez, je vais vous mettre là, vous serez tranquilles, avec vos valoches. Je prendrai vos tickets… »
Bingen joignit une coupure à ses coupons. La main resta tendue. Il en rajouta une autre. Puis une troisième. L’homme soupira et lâcha : [/i]« Je vais voir ce que je peux faire.».[/i]
Dos au mur, Jacques suivait des yeux l’animation de la rue. Sans compter la leur, seules trois tables étaient occupées, sans doute des habitués, on sentait le petit employé ou le commerçant de quartier. A gauche était un trio, dans l’angle de la vitrine, deux couples, et dans leur dos un autre trio, il ne voyait que la nuque de deux des convives, un plutôt jeune et un grisonnant, face à un quadragénaire à moustaches dont les joues s’affaissaient et qui parlait beaucoup. Aucun convive ne s’était défait de son paletot, manteau ou pelisse. Tout juste si l’eau des carafes ne gelait pas. Sur le trottoir passaient parfois des touristes d’Outre-Rhin qui ne jetaient pas un regard dans la salle, non plus que tous ceux que la bouche de métro vomissait à l’air libre juste en face et qui se dispersaient, affairés, fouettés par l’air glacial, hommes, femmes, jeunes, vieux, civils et militaires, dans les rues adjacentes.
Un serveur parut, porteur de deux assiettes. « Plat du jour ! » annonça-t-il. Les assiettes fumaient d’appétissante façon, ils se découvraient soudain affamés. C’étaient des œufs au plat, avec deux feuilles de salade, mais le tout se tenait bizarrement, et pour cause, en dessous ils découvrirent une mince tranche de viande, qui devait presque – presque – faire ses cent grammes, un mets royal.
– Alors, la cuisine vous convient ?
Le restaurateur était revenu, il avait quitté son tablier et s’installait à califourchon à côté d’eux, entamant avec le docteur une longue discussion, que Bingen écoutait distraitement. La viande était un peu sèche, mais on n’allait pas faire de chichis, ni de remarques. Ils buvaient de l’eau teintée d’un rouge clairet et acide et savouraient chaque bouchée, mastiquant longuement. Au mur, l’horloge tournait.
Le tenancier les abandonna quand le trio du moustachu se leva pour quitter les lieux, et B. découvrit avec stupeur le visage du plus jeune. Sa surprise brève, mais non dissimulée, n’échappa pas à son vis-à-vis qui en retour se démonta le cou pour en découvrir la cause. N’apercevant rien de curieux dans son champ de vision, Lajarrige lui dit à voix basse, pensant sans doute que la raison de cette passagère stupeur appartenait au spectacle de la rue : « Encore une de vos conquêtes ? »
– Non, non ! Mais le gars, là, le jeune…
– Un de vos anciens collaborateurs ? Fichtre !
– Même pas ! Ce que c’est que des coïncidences et des ressemblances ! Un moment j’ai cru reconnaître un jeune Américain, que j’avais rencontré à Barcelone, justement. Mais non. L’âge ne correspond pas. Ni la taille. Ni l’allure. Et que ficherait-il ici ? Comme quoi…
– A Barcelone ? Diable ! Que faisiez-vous donc chez Franco ?
– Oh, c’était avant. Mais ce n’est qu’un vague air. L’Américain en question doit être bien à l’abri, chez lui… voyons… c’est que ça ne date pas d’hier, tout ça… D’où était ce gosse ?
– Si jeune ?
– Il devait à peine avoir vingt ans. Quelque chose comme Fin… Fine… Curieux comme la mémoire peut se jouer de nous, dans un sens ou dans l’autre ! Ah ! Son prénom me revient : Paul. Et si je m’en souviens, c’est parce qu’il était bizarre…
– Bizarre ? Pour un Américain, c’est banal.
– Oh non, bizarre parce que… parce que… » Il haussa les épaules. « Bon, enfin, aucune importance. »
– Vous m’avez fait peur ! Un moment, j’ai cru que vous aviez revu la gamine de tout à l’heure, voilà qui aurait été bizarre, ça oui !
– Hum. Ça c’est une bizarrerie dont je me passerai volontiers !
………
Ce n’est que plus tard, dans la patache qui les ramenait vers le pays des volcans, et alors qu’il était accoudé aux fenêtres du couloir, savourant une cochonnerie nationale baptisée cigarette, qu’il s’exclama soudain : « Finnegan ! Paul je ne sais plus quoi Finnegan ! » Alors, satisfait du devoir accompli, l’esprit enfin libéré de ce menu caillou dans la chaussure de son cerveau, il retourna s’asseoir en face du docteur. Lajarrige avait fait ce que tout bon voyageur se devait d’essayer : le feutre enfoncé sur les yeux, le col du manteau remonté jusqu’aux oreilles et les mains gantées à plat sur les cuisses, le cou tordu pour se caler tant bien que mal contre la vitre du compartiment, il dormait, ou du moins essayait.
Deux voitures de queue étaient occupées par des permissionnaires teutons de retour de goguette dans la Capitale. La machine qui tractait tout cela s’essoufflait à la moindre côte, et finit par déclarer forfait en rase campagne, ce qui entraîna un sacré chambard. Derrière les vitres embuées, les occupants du convoi tentaient de se faire une idée du quoi, du où et même du pourquoi. Les Allemands criaient au sabotage, les cheminots tentaient vainement d’expliquer que la mécanique n’en pouvait plus. Heureusement pour eux, leur tuteur germain les secourut. Il fallut attendre une machine de remplacement, on se gelait dans les wagons, mais défense de sortir se dégourdir les pattes et profiter des avantages de la campagne, les prostates se rebellaient, des mioches bramaient, on avait épuisé les provisions, une horreur ! |
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John92
Inscrit le: 27 Nov 2021 Messages: 1220 Localisation: Ile de France
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Posté le: Sam Oct 14, 2023 11:46 Sujet du message: |
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Et réveillé (réveillés?? ) certains.
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Y détonnaient véhicules officiels ou militaires et, de façon presque incongrue, ici un fourgon de livraison ou là un petit camion chargé de trucs indéfinissables. En revanche, les véhicules hippomobiles étaient plus nombreux qu’à Aurillac.
...
Mon amie Valentine, qui a de fort jolis pieds, s’est procuré (procurée? ) des chaussures à semelle de liège.
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Et ce sont eux qui nous ont (à ajouter ) entraînés dans cette terrible guerre !
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..., Bingen remarqua que les trouffions bénéficiaient de plus d’espace que le reste des voyageurs. Ces derniers faisaient tout pour ignorer les vert-de-gris, et un vide se creusait autour de ces derniers (premiers? ).
... _________________ Ne pas confondre facilité et simplicité |
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houps
Inscrit le: 01 Mai 2017 Messages: 1954 Localisation: Dans le Sud, peuchère !
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Posté le: Sam Oct 14, 2023 12:19 Sujet du message: |
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Bonjour John.
réveillé, oui, puisque e COD est après.
véhicules : répétition assumée.
non non, elle s'est procuré des chaussures, elle ne s'est pas procuré(e) elle-même.
ont : oups, merci.
derniers : bis. Ont peut remplacer le ... dernier par "ceux-ci" qui renvoie à vert-de-gris _________________ Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie. |
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Casus Frankie Administrateur - Site Admin
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 14303 Localisation: Paris
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Posté le: Jeu Nov 02, 2023 10:27 Sujet du message: |
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Repassons à l'automne 1941… (si si, Houps va finir par boucher le trou)
Urgence nocturne
Anglards de Salers, fin octobre 1941 – En voulant remettre une bûche dans son poêle, Lajarrige ne dut qu’à l’accoudoir de son fauteuil de ne pas s’étaler le nez contre le plancher de son salon. Certes, il en aurait profité pour découvrir par là le troupeau de moutons qui paissaient benoîtement sous ce fort utile produit de la sidérurgie nationale, mais cela n’aurait guère atténué le ridicule de la chose. S’il n’y avait eu que le ridicule…
Il se rassit en pestant et, quoique certain d’être seul, vu l’heure avancée, il jeta un œil à l’entour, fort heureux cependant qu’il n’y ait eu aucun témoin de ce malheureux incident. Le témoin en question aurait pu être la Madeleine, une veuve récente qu’il employait à diverses tâches ménagères pour lesquelles il n’avait foncièrement – pour ne pas dire naturellement ou, mieux, virilement – ni goût, ni aptitude, et qui profitait de cette position hautement stratégique pour s’ériger de plus en plus souvent en chaperon. Déjà qu’il s’attirait régulièrement les foudres de Sœur Machin des Choses, là, lors de ses rencontres avec le Doyen…
Malheureux incident, au demeurant, que l’on pouvait mettre au compte de trois ou quatre causes, à commencer par l’âge. Il n’avait plus vingt ans, ne montait ni ne descendait plus les marches quatre à quatre, et prenait garde à ne pas se relever brusquement. Orthostatisme ! Le mot lui chagrina l’esprit. Il se rassit donc en rageant contre lui-même, contre les frimas, contre le poêle qui n’allait pas aussi bien qu’il le voulait, contre les coupures d’électricité, qui se rajoutaient à ce f… couvre-feu – le couvre-feu ! Ici, en plein Cantal ! – et l’obligeaient à lire à la chandelle. Avec ça que, pour tout arranger, sa vue baissait. En un mot, ou plutôt quinze, il valait mieux pour tout le monde que personne d’autre ne se trouvât présent.
S’étant réinstallé, il se réconforta du petit doigt de fine qu’il s’était servi auparavant, rajusta ses lunettes, qui avaient glissé sur son nez mais n’avaient point chu, se cala dans le siège, ramena à lui la couverture et s’empara du livre qui l’attendait. Le cocon putatif mit un malin plaisir à faire du sien. Il le rajusta, rapprocha une des chandelles et, enfin ! entreprit de s’adonner à un peu de lecture. Un chapitre, puis il irait s’allonger entre les draps, la brique aurait tiédi le lit, la seconde, là, sur la fonte, prendrait le relais, et Hypnos l’accueillerait. Il devait quand même reconnaître que pour le moment, les insomnies qui frappaient les personnes de son âge ne l’avaient toujours pas atteint.
Il avait bien avancé dans sa lecture. Eugène le troublait, il sentait là un beau salaud qui lui faisait penser à certaines connaissances, décidément, pas grand-chose n’avait changé depuis cette époque – ce Zola, quand même ! Un peu verbeux, mais quel travail ! Quelle puissance ! Depuis le temps qu’il s’était promis de se lancer à l’assaut de ce géant ! – quand, un malheur n’arrivant jamais seul, on frappa au volet. Tout d’abord, il n’en perçut le son qu’à travers la brume des préoccupations de son confort. Il n’en était qu’aux premiers mots du menu de ce soir, son postérieur s’accommodait laborieusement d’un ressort fatigué, il allait replacer le signet plus avant entre les pages, et se laissait donc aller à quelque satisfaction prématurée. Cahin-caha, l’installation arrivait à son terme, le confort – relatif – pointait son petit nez mutin… On réitéra, un poil plus fort !
Hélas, oui, il avait bien entendu ! Résigné, et pour tout dire, fort contrarié, il remisa le marque-page, se leva, la couvrante s’échappa, il se prit les pieds dedans, bis repetita non placent, se rattrapa in extremis à l’accoudoir en voie de devenir le boy-scout de la soirée, et se rassura en passant une avoinée maison sotto voce au tissu rebelle. On insistait. Bougeoir en main – comme de juste, mais bien évidemment, de la cire en profita sournoisement pour maculer le dessus du poêle, fumerolle à l’appui – il gagna la fenêtre. Qui et que pouvait-ce être ? Sûrement pas la maréchaussée, il ne devait pas filtrer grand-chose à travers les interstices des battants, et puis, la frappe n’avait rien de martial. Couvre-feu aidant, c’était sans équivoque un habitué, au courant de ses petites manies. Mais, quand même ! A cette heure ! Et de cette façon… Il atteignit au but en tentant d’imaginer chez laquelle des parturientes de sa connaissance une pisseuse – son expérience lui soufflait que ce ne pouvait être un loustic – avait décidé de faire des siennes, mais ne trouvait point de réponse. Il ouvrit la fenêtre, mais nullement les volets : sa lumière vacillait. Il s’enquit :
– Oui ?… Qu’est-ce que c’est ?
Une voix étouffée par le bois, mais où perçait du soulagement, répondit sans trop forcer : « Docteur ? C’est pour une urgence… »
– Une urgence ? (Encore heureux ! On dérangeait rarement un médecin en pleine nuit pour faire le quatrième au bridge !) Et qui tu es, toi, d’abord ?
– C’est moi, Justin, docteur…
– Justin ? Justin… Ah ! Je te remets…
– C’est pour un accident, docteur.
– Un accident ? A cette heure ?
– Faut que vous veniez, docteur.
– Oui, bon… Le temps de me préparer. Attends-moi à la porte.
Tout en fourrant dans sa trousse ce qu’il pensait nécessaire, à savoir un désinfectant, force charpie et de quoi coudre – il n’avait jamais trop aimé suturer, déjà, et maintenant que sa vue baissait… – il tentait de se faire une idée de la situation. Justin. Justin habitait un des écarts. Un accident ? Sûrement survenu dans l’après-midi, ou en début de soirée. Un coup de sabot en traître lors de la traite ? Ou l’un des vieux qui avait raté une marche ? Et bien sûr, on avait attendu, des fois qu’il ne se fût agi que d’un banal gnon. Bon, alors, la charpie, des bandes… Ce pouvait être une fracture, aussi… Ah ! Et puis aussi, quand même… au cas où…
Il ruminait toujours ces pensées lorsqu’il ouvrit la porte, habillé de circonstance. Et là, il réalisa et se demanda comment ils allaient rejoindre la ferme, car, enfin, il faisait nuit noire ! Pas noire, noire – Séléné pointait un bout de son nez entre des nuages, mais on n’en était pas encore à la pleine lune ! Et la ferme du Justin, ce n’était pas la porte à côté !
Le Justin en question le prit par le bras et, sans trop élever la voix, et pas plus d’explications, l’entraîna dans les rues désertes et silencieuses, balayant leur chemin du halo jaunâtre d’une petite lampe électrique, tout juste suffisante pour ne pas se casser la figure – pour le coup ter repetita n’aurait pas placent du tout, du tout ! Et le garçon extirpa une motocyclette à la fois de l’ombre et du fourré où elle était dissimulée, invitant à prendre place le Docteur, qui eut à peine le temps de reconnaître l’occupante de la dépendance du presbytère. L’objet de ces attentions en fut si médusé qu’il en oublia de protester. Manquait plus que ça ! Il n’était pas un adepte, c’était rien de le dire, de ce genre de monture. Cependant, il ne put émettre la moindre réserve sur l’expédition en devenir, son esprit était comme paralysé, et de surcroît, il se trouvait fort occupé à tenter de rester en place tout en essayant tant bien que mal, primo, de ne pas perdre sa sacoche, deuxio, de se prémunir du froid, même si le conducteur de l’engin couperait le vent de la course.
De son côté, par la force des choses, percevant dans son dos que son passager montrait quelque appréhension et n’étant lui-même pas si familier du domptage du deux-roues, le Justin se sentait de moins en moins en confiance. L’équipée promettait d’être, sinon périlleuse, du moins pleine de péripéties. Mais le garçon, par fierté – c’était quand même à lui que l’on avait confié cette mission ! – fit tout pour ne rien laisser paraître, sinon qu’au lieu de filer cheveux au vent, il partit tout d’abord en roue libre, choix judicieux pour ne pas ameuter la campagne et possiblement des personnes peu disposées à être conciliantes sur ce point, mais choix malencontreux en ce sens que les mystérieuses lois de la mécanique céleste tout autant que terrestre font qu’un deux roues se doit d’acquérir une certaine vitesse pour afficher un équilibre certain. Bref, quater etc… non ! Heureusement ! Pour autant l’équipage, tanguant de ci, de là, manqua plusieurs fois d’aller embrasser l’herbe mouillée et les fossés gorgés de feuilles dégoulinantes. Sans grenouilles, toutefois, vu la saison. A bien y réfléchir, les batraciens y gagnaient. Bref, au bout d’une centaine de mètres, ou deux, ou trois, on démonta par humaine volonté avant que cela ne fût par volonté mécanique.
Après quelques instants à reprendre contenance et remettre en place idées et individus, Justin tenta deux coups de kick. Le moteur y répondit favorablement. Alors il cala la sacoche sur le réservoir, bien au chaud devant lui, tandis qu’à l’arrière, nanti d’une appréhension de plus – fruit non pas la mise en marche de la machine, mais de l’abandon du bagage – on se préparait à affronter l’inconnu à une vitesse folle.
Vitesse folle… vitesse folle… Justin se serait largement contenté d’une vitesse raisonnable. Las, il devait se contenter d’une vitesse adéquate. En cause, non pas sa méconnaissance de la route, mais l’obscurité. Pour ne rien arranger, et non pour se conformer aux us et coutumes du moment, son fidèle coursier était bel et bien aveugle. Le couvre-feu, si profitable aux chiroptères et aux adeptes des expéditions sous couvert d’anonymat, n’en était pas exactement la cause. On l’a compris, le motocycliste était novice et ce, sans être passé par la case pensionnat des Frères (pas ceux de la Côte, les autres). Nous dirons donc que dans ses tentatives de maîtriser cet assemblage de pièces amoureusement réalisées par de diligents ouvriers, toutes, et notamment les premières, ne furent pas couronnées de succès. La lumière du jour révélerait que si ledit Justin souffrait de quelques contusions et hématomes, la “National” affichait en regard des bobos affectant garde-boue, réservoir et, donc, optique. Que les jantes en fussent exemptes était fort remarquable. Mais l’essentiel des deux parties ayant été préservé, l’équipage roulait donc plutôt bruyamment dans le mutisme d’une ombre bienfaisante pour les petits lapins – sauf que l’un d’eux manqua de voir de trop près une pédale assassine – ombre cependant non dépourvue d’angoisse pour au moins une de ses composantes.
La lune chiche toisait le tout et permettait à peine de discerner le ruban plus clair de l’asphalte entre les masses sombres des haies et taillis. De temps à autre, un coup de guidon fort à propos ramenait in extremis la fourche dans le mitan de la route. A l’arrière, le praticien ne pipait mot, trop occupé à rester en selle, frigorifié (mais pas autant que l’hiver dernier), et trouvait le temps diablement long. Tout soudain, l’engin ralentit encore, si c’était possible, s’inclina au risque de décharger le passager et abandonna la marque de la civilisation pour un chemin plus rural, marqué de cahots et d’ornières. Le péril croissait. Le docteur resserra sa prise – aussi impossible que cela parut – sur la gabardine du garçon, lequel, bien qu’accaparé par sa tâche, ne pouvait que regretter que les serres qui l’agrippaient ne fussent point celles d’une délicieuse jouvencelle. A son corps défendant, son esprit s’adonnait au vagabondage et gagnait subrepticement des eaux dangereuses. Il en était au chapitre « rassurer la propriétaire de ces jolis petits doigts forcément fuselés ». Elle aurait évidemment le souffle court, les joues toutes roses, mais le regard admiratif. Il faudrait la réconforter, l’aider à défroisser sa jupe, qui sait, et… C’est alors que le terrain, garant de sa vertu, le rappela à la réalité. Et m… ! Pas vu cette s…ie de caillasse !
Bref, après ce qui parut être une éternité à Lajarrige, son possible Charon, équilibrant au mieux son coursier, coupa le contact et annonça au grand soulagement du passager qu’on irait désormais à pied. C’était la sagesse même. Evidemment, les embûches ne s’étaient pas évanouies pour autant, entre ornières et racines révélées par la lampe de poche, mais au bout de quelque temps, ils virent venir à eux l’oscillante lueur d’une lampe-tempête, signe que cette situation incongrue et frisant le ridicule allait trouver sinon sa clé, du moins une explication.
Dans son halo, Lajarrige reconnut la figure de Constant, ce qui ne cadrait pas du tout avec la ferme de Justin, et d’ailleurs, le chemin qui menait à celle-ci était en bien meilleur état. Cette sortie nocturne prenait une drôle de tournure.
– Merci d’être venu, Docteur.
En retour, Lajarrige bougonna qu’on aurait pu faire appel à un autre de ses confrères, plus jeune et plus à même de survivre à une telle équipée.
– Je sais bien, docteur, mais c’est que c’est un peu délicat, et avec vous, on a confiance.
– Ah…
Escorté à bon escient, Lajarrige pénétra dans ce qui était non pas une ferme – et aucun indice tel qu’odeurs, arômes, remugles ou bruits, n’indiquait qu’il en existât une à proximité – mais une grange. Il eût été bien en peine de situer l’endroit, et Esculape savait combien la géographie locale lui était pourtant familière ! Il y avait là une demi-douzaine de personnes, mal éclairées par une seconde lampe-tempête posée au ras des fétus, ce qui, en termes de sécurité, était à peine mieux qu’une bougie, nota-t-il. Ces silhouettes, qu’il ne reconnut pas toutes, mais l’heure ne semblait pas aux présentations, faisaient cercle autour d’un parfait inconnu, un gamin d’à peine vingt ans au jugé, étendu sur un tas de foin. On avait disposé une mauvaise couverture sous lui et une veste sur son torse. En grimaçant, non pas au vu de ce qu’il découvrait, mais à l’appel de son genou droit, le praticien s’agenouilla auprès du blessé : les bandages entortillés autour d’une jambe ne laissaient place à aucune équivoque. L’autre était conscient, et ne cachait pas qu’il avait mal. Lajarrige lui prit le pouls, le trouva un bon poil accéléré, comme il s’en doutait. Il entreprit de mettre la blessure à nu, ce qui ne fut ni long, ni compliqué, mais se garda de s’attaquer à la chaussure.
– Fichtre ! Comment diable avez-vous fait ? s’enquit-il.
– Ça, docteur, vous ne le croirez pas ! répondit la voix de Constant, un peu en arrière de son épaule droite. « Monsieur a voulu faire le malin. » Il y eut des remous dans le petit cercle mais l’autre continua, et ce n’était pas que pour un seul auditeur : « On avait posé des collets, pour les lapins, mais aussi pour les cochons… Bref… Quand on sait y faire… C’est qu’un ou deux lapins pour tous… Alors, bon, alors, lui, là, il décide comme ça d’y aller voir tout seul. Voir. Après tout, rien de bien méchant. Ça avait réussi, mais au lieu d’un marcassin de l’année, ce qu’il a trouvé la patte prise dans le fil de fer, c’en était un d’au moins deux ans. Peut s’estimer heureux que c’était pas une vraie vieille bête, j’avais fait solide. Et Monsieur s’est dit que s’il ramenait le bestiau, il ferait son petit effet ! »
Lajarrige s’aperçut que dans le cercle de pantalons mâles qui l’entourait étaient présentes deux gambettes fort féminines d’aspect, ayant troqué la toile de coton pure campagne ou le velours de saison pour un brou de noix assez incongru, quoiqu’en passe d’être décoloré, mais l’heure n’était pas aux divagations…
– Sûr qu’il avait ça dans l’idée depuis le début, Monsieur je-n’en- fais-qu’à-ma-tête. Alors l’a voulu le servir avec son opinel, et l’autre s’est pas laissé faire, et voilà. Quand sait pas, on fait pas, voilà ! Et qui c’est qu’est bien emm…erdé maintenant, hein ? Ben tout le monde !
– Si je pouvais avoir un peu plus de lumière…
– Ecartez-vous, vous autres ! Pas toi, Damien, éclaire le docteur !
– Fichtre !
– C’est un peu ce que j’ai pensé, Docteur. Remarquez, s’est déjà pas fait ouvrir la machine, là… Quand j’lui ai dit qu’il avait du pot…
– Tttt… Je vais recoudre ce que je peux… mais pour la cheville… Il faudrait que je voie ça de plus près. Bon, pas de grosse hémorragie… Vous avez raison, de ce côté, on va dire que c’est un veinard. » Personne ne releva la blague. « Un peu de fièvre… Vous avez désinfecté ? »
– C’est que… On n’avait que de la gnôle…
– Et vous croyez que j’ai mieux ? Bon, ça va piquer un peu… Tétanos ?
– Heu, il a pas fait son Service…
– D’accord… Et comment s’appelle ce grand chasseur ?
– On l’appelle Lucien…
– Bien. Va pour Lucien… Alors, va falloir serrer les dents, Lucien, je n’ai pas d’éther…
– Va tourner de l’œil…
– Ça ne sera pas une si mauvaise idée…
Donnant raison à l’improvisé Nostradamus local, le blessé mollit. Coup de bol, il était allongé, donc il n’alla pas loin. L’assistance clairsemée murmura, on ne savait si c’était pour apprécier la prévision à sa juste valeur, ou pour compatir. La jeune femme s’agenouilla et posa la main sur le front du garçon. « Il est brûlant ! L’accent sentait les brumes du nord. Pour diverses raisons, certainement autres que linguistiques, Lajarrige se redressa – péniblement ! Une main secourable et masculine l’aida mais ça ne le rendit pas plus aimable, au contraire – et déclara : « Non, ce n’est pas possible ! Pas dans ces conditions ! Il faut le transporter ! » Et on sentit qu’il valait mieux opiner.
– Chez vous ?
– Bien sûr, chez moi ! Vous ne voulez pas l’amener directement à la gendarmerie ? Et m’est idée que l’hôpital, ça ne vous tente pas !
– Ben…
– Hélas, je me vois mal accueillir discrètement ce monsieur…
– Lucien ! (“Elle”)
– … ce Lucien chez moi. Vous n’avez pas mieux que ça ?
Il écarta les deux mains pour désigner le décor puis les porta à ses tempes, la fatigue le gagnait. Tout ça commençait à faire beaucoup pour une fin de soirée.
– Le château ! s’exclama Constant après une pause de réflexion intense.
– Le château ? dit quelqu’un.
– C’est pas la place qui manque, non ? Et pour y aller sans se faire remarquer…
[i]– Et le chantier ? dit quelqu’autre.
– M’étonnerait qu’ils aillent claironner avoir un blessé sous le toit. Qu’en pensez-vous, Docteur ?
– Oui, le château… Pourquoi pas…
– Euh… Tout de suite ? C’est que…
– Ça serait souhaitable, les chairs se sont déjà rétractées…
– Ça peut pas attendre demain ?
– Il faut au moins refaire les bandages convenablement… Demain ?
Il souffla, prit le temps de peser ses mots. « Ce n’est pas gravissime… Si on ne peut pas faire autrement… »
– Ha ! Alors, on va vous ramener…
– Non, non !
L’idée de refaire le même trajet ! Il se radoucit : « Je vais rester, au cas où… »
– Vous croyez ? (“Elle”, bis.)
– Bah… Il est jeune, il a l’air robuste, mais on ne sait jamais… Par contre, il faudrait l’installer mieux que ça.
– Mieux que ça ?
– Une couverture ou deux. Vous voulez qu’il attrape une pneumonie ?
– On va trouver ça. Et pour vous aussi, docteur. Je savais qu’on pouvait compter sur vous. Mais désolé, à part de la flotte, on n’a même pas un coup à boire.
– Si je peux fermer l’œil ! Demain, il faudra le transporter là-bas, et je pourrai peut-être faire quelque chose. Je ne garantis pas l’esthétique du résultat. Le pied m’inquiète bien plus…
– Je vais voir ce qu’on peut faire.
………
Lajarrige passa donc la nuit dans le foin, avec des souris, certaines chauves et d’autres point, et trois compagnons. Lui dormit, mais “elle” sans doute moins, occupée à veiller “son” Lucien. Il garda de cette expérience un souvenir mitigé : stimulé par l’odeur du foin, son cerveau avait retrouvé de fugaces images d’un temps où il était plus fringant, ce qui induisait donc, hélas ! qu’il ne l’était plus. Là aussi, bis repetita… Son corps n’avait d’ailleurs pas tardé à le lui rappeler : au réveil, il eut du mal à passer de l’horizontale à la verticale. Se déplier fut laborieux. Puis il lui fallut convaincre ses articulations de lui permettre de rejoindre la petite bétaillère – dont il se garda de demander la provenance – qui l’embarqua avant l’aube avec le blessé, guère gaillard lui aussi, épaulé par Justin, à la grande joie du deux-roues.
Constant tenait le volant et l’homme de l’art s’installa péniblement à ses côtés. Evidemment, comme ambulance, on aurait pu trouver mieux. D’autant plus que la bétaillère transportait deux moutons – toujours mieux qu’un verrat, le Lucien aurait pu se méprendre – mais à cheval donné… Et puis l’état du blessé permettait ce transport. On l’avait calé là sans trop lui avoir laissé le choix. Pas plus qu’aux deux ovins, d’ailleurs. Entravés au plus juste comme ils l’étaient, ils protestaient avec véhémence contre ce traitement indigne. Le conducteur donna une bribe d’explication : « Si on a un contrôle, on ne sait jamais, il est encore tôt, même si on ne va pas loin, on est en règle : c’est la réquisition du mois. Faut que je livre. Les salauds ! Je ne pense pas qu’ils y aillent regarder de près. Jetteront peut-être un œil par le fenestron, s’ils font du zèle. Cherchent personne en particulier, à ce qu’on sait. Et puis comme ça, la Juliette, sa soi-disant frangine, elle a pas pu venir. » Lajarrige ne releva pas.
Château, chantier et infirmerie
Anglards de Salers, fin octobre 1941 – Le ci-devant ex-tirailleur, ex-ouvrier agricole et présentement tout nouveau charbonnier Léopold s’assit sur le bord du lit et entreprit de gratter sa cicatrice. C’était devenu presque un rituel matinal, mais ça s’apparentait de plus en plus à un tic. Il alla ensuite se planter devant la fenêtre de ce qui avait été une chambre et prenait désormais des allures de chambrée. Derrière lui, ses deux compagnons s’ébrouaient.
Prévoyants, les murs se gorgeaient de fraîcheur en vue de l’hiver à venir, ce qui justifiait l’installation d’un petit poêle à sciure, éteint pour le moment. Une planchette judicieusement percée permettait le passage de l’indispensable tuyau et remplaçait pour ce faire l’un des carreaux, tout en préservant les occupants d’une possible asphyxie, aussi n’ouvrit-il que l’un des battants, et dans le jour naissant, les odeurs de l’automne lui parvinrent. Celle de l’humidité dominait. Il tendit le cou, mais ne put distinguer les meules, fruit de leur labeur, noyées dans l’ombre. Aujourd’hui, on allait les finir et les allumer. Quoique cela signât une flopée d’heures de veille, il était curieux et impatient d’assister à la scène, ça changerait des occupations des jours précédents.
Son attention fut attirée par l’arrivée d’un petit utilitaire qui délaissait maintenant la route pour se diriger vers le château. Diable ! Aussi tôt, qui pouvait-ce être ? De prime abord, il ne pouvait s’agir de membres des Autorités et autres polices diverses qui fleurissaient mieux que des tulipes à Amsterdam, le véhicule n’y ressemblait pas. Il descendit accueillir les arrivants. Il s’avéra qu’il en connaissait trois. Une bouffée de production ovine chassa les relents de fumée qui flottaient dans l’air, on se salua vite fait, le dernier occupant ne pétait pas la grande forme, il était évident qu’il allait falloir lui trouver une place. Discrète, cela allait de soi. Oh ! pour la discrétion, on pouvait compter sur les actuels locataires de l’édifice : outre Léopold et ses compagnons de bordée renforcés des deux protégés du curé, les travailleurs du récent “chantier national” totalisaient deux Asiatiques échoués là par le plus grand des hasards et cinq supposés volontaires venus de Béziers, Alès ou Mont-de Marsan. Un sixième les avait abandonnés l’avant-veille, préférant rejoindre Bordeaux à couler du béton avec l’assurance d’y être mieux nourri et mieux payé. On comprenait. De là à l’envier… A défaut d’y être bombardé contremaître, il avait de grandes chances d’y être bombardé tout court.
On installa le blessé tout en haut, sous les toits, pas au grand air, mais pas loin – les rares visiteurs ne se risquaient pas jusque-là, c’était une terra incognita, il n’y manquait que les Sauvages – et on laissa le praticien pratiquer. Il était ronchon, personne ne s’attarda. Constant, Justin et les deux brebis s’en repartirent aussitôt : le patron du chantier n’allait pas tarder, surtout aujourd’hui, où l’on allait mettre la touche finale au harassant labeur des jours précédents. Pour la discrétion, ç’aurait été compliqué. Les piles de bûches et bûchettes avaient quasiment disparu, il ne restait que ce qu’on utilisait pour la cuisine et le poêle du “réfectoire”. A leur place s’érigeaient trois énormes buttes de terre, d’où dépassaient par endroits les extrémités de rameaux feuillus. Léopold s’en alla prendre le petit-déjeuner – vraiment petit. Autant qu’il l’ait compris, la suite des opérations les occuperait au minimum deux jours, ou trois, peut-être aurait-il ensuite le temps de mieux explorer la bibliothèque de feu le Comte.
Arrivé l’un des premiers, il avait parcouru les pièces, nombreuses mais pas autant qu’à Versailles, plus grandes que celles qu’il occupait autrefois, avec le sentiment d’être un intrus et un explorateur ou un cambrioleur, intimidé et excité à la fois, un rien exaspéré par l’attitude des autres futurs occupants des lieux, qui en commentaient bruyamment les aspects. Il les avait abandonnés à leur appropriation de la bâtisse, s’attardant ici et là, puis il avait découvert la bibliothèque. Oh, là non plus, ce n’était pas exceptionnel, mais à côté des rayons du Père ou du Docteur, c’était l’abondance ! Ou ça pouvait y ressembler. Il était sevré de littérature depuis tant de temps que ce mur bosselé de reliures de peau l’avait fait quasiment saliver ! Il avait déchiffré les dos d’ouvrages poussiéreux et d’autres plus récents, exhumé un recueil de Chénier. Chénier ! Hum… Et un Pantagruel – tentant, quand même. Oui, il avait revu ses ambitions à la baisse, mais le bonhomme ne devait guère ouvrir ces volumes : son chevet abritait des titres plus prometteurs et plus récents. Le dernier Goncourt du temps de paix, un Colette… il n’avait pas tout examiné. Mais surtout il y avait un petit secrétaire contenant un trésor inestimable de papier à lettre et de tout un nécessaire d’écriture ! Une furieuse envie de couvrir (d’aucuns auraient dit “noircir”) des pages l’avait saisi, les mots et les idées, longtemps contenus, ne demandaient qu’à sortir. L’endroit était devenu sa retraite, il s’y enfouissait les dimanches après-midi, c’était devenu son antre, son cocon, et – qui sait ? – la matrice de son œuvre. Il y échappait aux tête-à-tête un peu répétitifs avec le bon prêtre et les conversations pleines de vide des autres occupants du château. Ceux-ci s’étaient résignés à cet ermitage avec quelques commentaires plus ou moins appropriés, puis avaient cessé de l’importuner, chacun avait sa croix à porter.
En tant qu’ancien de la pharmacie, ou plus précisément de l’arrière-boutique où l’on réalisait d’étranges mixtures, Jean-Christophe s’était trouvé volontaire désigné d’office, terme fort à propos, pour tenir la popote, affectation moins discutable que la précédente. Et comme il était aussi supposé être habitué des pesées au milligramme, on lui accordait d’être rigoureux lors de la répartition des parts. En attente d’un instrument idoine, qui viendrait peut-être un jour, il œuvrait sans trébuchet, ni même une romaine, mais jusqu’à présent, aucun des convives, même le plus sourcilleux, n’avait contesté ses partages. Léopold le trouva en train de trancher minutieusement le pain qu’on leur allouait, catégorie “A”, sans balance, 350 gr par jour par tête de pipe, un poil de plus par faveur spéciale du “Chef”… « Coupez le pain en tranches minces et gardez les miettes pour une soupe » proclamait une affiche toute pimpante placardée à l’entrée des lieux. Aux côtés du donc – hum – chef cuistot, Jacques, un des Annamites, plus familier des rives de la Seine et de l’Aube que de celles du Tonkin, versait de grandes louches de liquide – pas de terme plus précis – dans les bols. La salle se remplissait peu à peu, le “Chef” n’allait pas tarder, c’était le grand jour, tout le monde sur le pont, réveillé, presque briqué, et presque enthousiaste ! Très important, ça, l’enthousiasme ! Et si on n’avait plus de pétrole, on avait du bois !
Vers les neuf heures, toujours pas de Chef. C’était étonnant. Cette absence nourrissait l’inquiétude de quelques-uns, non pas pour lui, hein – “Lui”, s’il pouvait se casser la g… – mais pour ce que ça pouvait bien cacher, tandis que d’autres en profitaient pour se la couler douce, tuer le temps à ne rien faire, tailler un bout de bois, rêvasser ou repriser un vêtement avec plus ou moins de bonheur. Léopold cogitait, hésitant à regagner son antre. Yosef, Sauveur et Petit Jacquot (pour ne pas le confondre avec le précédent Jacques) s’étaient mis en tête de dresser un abri pour protéger les fendeurs de bois des intempéries, initiative qui n’était ni désintéressée ni anodine.
Vers les dix heures, on vit enfin brinquebaler le Renault, chargé, en sus, d’une dizaine de gars. Fichtre ! Comme l’engin approchait, ses passagers se révélèrent portant l’uniforme en vigueur : tenue d’été, toujours, avec short long et béret, mais pull et capote exhumée d’une caserne. C’était très martial dans l’idée, moins dans l’effet, quel que fût le sens du terme. En lieu et place des armes que d’aucuns leur imaginaient et redoutaient, ils étreignaient des pelles et des pioches. Aussi sec, tout le monde, anciens et nouveaux, se rangea bien comme il faut, garde-à-vous et manche sur l’épaule, en attente de la suite. Le Chef, comme tout Chef, était très à cheval là-dessus. On allait hisser des couleurs, dans « chantier national », il y avait « national », hein, et puis on saurait sans doute enfin de quoi il retournait.
« Changement de programme ! On n’allume pas les meules aujourd’hui, mais demain ! Bande de petits veinards, le Préfet, le responsable régional du Comité des Charbons et le patron du GFSE régional vont venir y assister ! Et il y aura même les Actualités ! Alors, vous allez me nettoyer tout ça, je veux que ça soit nickel ! L’équipe qui est là va vous aider. Et puis vous prendrez les planches dans le camion, on veut une belle entrée, avec une arche, il faut que ça ait de la gueule ! Et foutez pas de la peinture partout ! Demain, je veux pas voir de tronche comme ça ! Tu t’es rasé quand ? La semaine passée ? Et cette chemise ? T’as nettoyé les chiottes avec ou quoi ? Et puis, les deux moricauds, les Jaunes et les trois Nègres, là, demain, vous restez dans vos piaules ! Je veux voir que des Français. C’est un chantier exemplaire, ici ! Pas question qu’on voit vos gueules de métèques aux Actualités ! Et puis non, vous allez pas tirer au flanc, vous irez à la clairière, la coupe prendra de l’avance, pas question de flemmarder ! Les cuistots, là, on va vous amener de la bouffe ce soir, vous aiderez Mauriac et Chaniard à la préparer, c’est eux qui serviront demain. Compris ? Des questions ? »
Dans sa soupente, le Docteur craignit un moment que tout ce chambard ne lui portât tort. Bien au contraire ! Chaperonné par Yosef, il put quitter les lieux sans susciter la moindre curiosité, tout un chacun étant très occupé, ça sciait, clouait, peignait, râtelait, briquait dans tous les coins. Il regagna donc pedibus jambisque ses pénates par des chemins détournés. La forme revenait peu à peu, le trajet ne lui était pas insurmontable, mais il aurait bien grignoté un petit quelque chose. Un panier chapardé dans le galetas lui donnait l’aval d’une sortie matinale aux champignons. D’ailleurs, il en trouva suffisamment pour que l’excuse fût plus que plausible. Hélas, pas d’Agaricus rusticus, communément appelé rosé des prés, qui aurait pu constituer un petit en-cas à croquer en route. Et s’il avait dans l’autre main son bagage professionnel, le tout ne surprendrait personne : joignant l’utile à l’utile, le Docteur s’était permis de renter d’une visite par le chemin des écoliers, qui donc y trouverait à redire ? Personne. Et ni la patrouille de pandores ni les commères croisées sur le chemin du retour ne s’en étonnèrent.
La Madeleine lui ôta prestement la vannerie des mains, ravie de son à-propos, et s’éclipsa derechef en cuisine. Les poules du Docteur – eh oui, le Docteur avait quelques poules, et un trio de lapines, en sus d’un carré de salades ou plutôt de choux, au regard de la saison, à quatre pas de là, ça lui donnait du souci : avec la conjoncture actuelle, ce petit bien tournait au trésor – les gallines, donc, quoiqu’on touchât à l’hiver, pondaient encore un peu, on allait faire dimanche avant l’heure et se régaler d’une omelette, qui irait y regarder ?
Ayant franchi depuis quelque temps l’étape de la culpabilité suite à de telles agapes – jadis, quand il se permettait un extra grâce à son cheptel ou au remerciement d’un patient, il se sentait ensuite quelque peu fautif, mais ce sentiment lui avait passé : « Spiritus quidem promptus est, caro vero infirma »… « Spiritus quidem promptus est » n’était guère assuré, alors que « caro vero infirma de plus en plus, oh que oui ! – le Docteur traversa quelques rues pour rendre visite à son meilleur opposant. Foin d’une sieste réparatrice ! Il avait besoin de faire le point sur son aventure nocturne. Non pas un examen de conscience, n’exagérons rien, mais un examen de la situation. Il avait mis – on lui avait mis – le doigt dans un drôle d’engrenage. Comme s’il n’en avait pas mis un de son propre chef dans un autre mécanisme ! Savoir comment le prendrait le curé ! Et pour arranger le tout, un de ses protégés, délaissant les offices pour ce qu’il croyait être d’obligatoires et fort nationalement utiles tâches, fricotait avec des clandestins ! Et s’il y en avait un, c’était bien que l’autre faisait de même, pas besoin de faire un dessin au peut-être futur prélat.
Mais ce dernier ne récrimina guère contre l’écart de conduite des enfants de Saül, et questionna plus longuement le médecin sur la santé du blessé. Craignait-il qu’on en vînt à le quérir lui aussi nuitamment ? Lajarrige lui assura qu’à son avis, on n’aurait pas besoin de ce genre de service-là. On ne pouvait bien sûr écarter une septicémie ou un tétanos, mais il en doutait. L’homme était jeune, en bonne santé, les blessures spectaculaires, mais pas si profondes que ça. L’animal ne portait pas les armes d’un solitaire, et entravé par le collet, n’avait pas pu remonter vers l’aine. Evidemment, il aurait fallu recoudre au plus vite, n’est-ce pas ? Mais là n’était pas ce qui tracassait le plus le praticien : recoudre ou réduire une fracture, simple, il savait faire et faisait. Mais le cochon, sans doute frustré de ne pas pouvoir labourer plus avant, et un tantinet énervé par les coups de talon que lui assénait sa victime, avait saisi la cheville entre ses mâchoires et l’avait profondément esquintée.
– Et même à travers le cuir du godillot – j’ai eu du mal à le retirer, il a fallu que je l’entaille – le bestiau a salement amoché l’articulation. Ça avait bleui, pas étonnant, et ça ne demandait qu’à enfler. Pas de sang, mais ce n’est pas une simple entorse non plus. Je crains une fracture du calcanéum et sans doute aussi de l’astragale, mais là, ça dépasse mes compétences. Il lui faudrait une radio et un chirurgien, et tout ça, ça veut dire hôpital, identification…
– Et il n’en veut pas, n’est-ce pas ?
– Pas plus lui que ses compagnons.
– Et voilà donc que ces… groupes, dont nous parlions tantôt, prennent forme ?
– C’est possible…
– Est-il Français, au moins, votre « Lucien » ?
– Oui. Enfin, je pense. Mais je ne vois pas le rapport. Ce n’est pas ça qui résoudra son problème. A quoi pensez-vous ?
– Oh, rien de précis. Ma pensée divaguait. Mais vous savez bien comme moi, mon fils, qui a des raisons de se cacher aujourd’hui…
– Je me suis fait la même réflexion, répondit Lajarrige, avant d’ajouter avec une légère crispation : « … mon Père. ». Il se reprit : « Où cela nous mène-t-il ? »
Dernière édition par Casus Frankie le Jeu Nov 02, 2023 19:58; édité 1 fois |
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John92
Inscrit le: 27 Nov 2021 Messages: 1220 Localisation: Ile de France
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Posté le: Jeu Nov 02, 2023 18:38 Sujet du message: |
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…
Le Justin en question le prit par le bras et, sans trop élever la voix, et pas plus d’explications, l’entraîna dans les rues désertes et silencieuses, balayant leur chemin du halo jaunâtre d’une petite lampe électrique, tout juste suffisante pour ne pas se casser la figure – pour le coup ter repetita n’aurait pas placent (place??) du tout, du tout ! Et le garçon extirpa une motocyclette à la fois de l’ombre et du fourré où elle était dissimulée, invitant à prendre place le Docteur, qui eut à peine le temps de reconnaître l’occupante de la dépendance du presbytère.
...
Alors il cala la sacoche sur le réservoir, bien au chaud devant lui, tandis qu’à l’arrière, nanti d’une appréhension de plus – fruit non pas de (à ajouter? )la mise en marche de la machine, mais de l’abandon du bagage – ...
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Il y avait là une demi-douzaine de personnes, mal éclairées par une seconde lampe-tempête posée au ras des fétus (????), ce qui, en termes de sécurité, était à peine mieux qu’une bougie, nota-t-il.
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[i]– Sûr qu’il avait ça dans l’idée depuis le début, Monsieur je-n’en- fais-qu’à-ma-tête. Alors l’a voulu le servir avec son opinel (l’opinel c’est dans les Alpes; dans le Cantal c’est plutôt Laguiole, non? ), et l’autre s’est pas laissé faire, et voilà. Quand on (à ajouter? )sait pas, on fait pas, voilà !
... _________________ Ne pas confondre facilité et simplicité |
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