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La Grande Pitié (par Carthage… puis Houps)
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John92



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MessagePosté le: Jeu Avr 27, 2023 10:56    Sujet du message: Répondre en citant

...
Sans doute d’en était-il ( ???) pas à broyer du noir (Ah ah…), mais tout dérivatif avait son intérêt, la Lune, la Lune… Il ferma les yeux, plissa le front… « La lune ) … la lune se dégagea… la lune (Pourquoi pas de majuscule ?) se dégagea aussi des vapeurs qui la couvraient et commença à semer des diamants sur la mousse humide. »
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 27, 2023 10:59    Sujet du message: Répondre en citant

Majuscule à lune : Sand n'en met pas, nous oui.
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Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Avr 27, 2023 18:31    Sujet du message: Répondre en citant

Woh l'autre hé ! Tu m'a dit que je tirais au flanc !
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Avr 27, 2023 19:50    Sujet du message: Répondre en citant

(Sans commentaires…) Grrrr
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Avr 27, 2023 20:04    Sujet du message: Répondre en citant

Second degré !
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Mai 04, 2023 09:19    Sujet du message: Répondre en citant

Et nous revenons (récit choral j'avais dit !) aux aventures de Bingen, l'envoyé spécial d'Alger !

Potin regagna son bureau en réfléchissant au meilleur moyen de se débarrasser d’un uniforme teuton et qu’il n’en réapparaisse même pas un bouton, c’était un truc à se retrouver a minima otage du Grand Reich, pas vraiment une sinécure. Il tapa du pied pour faire tomber la neige qui encroûtait ses godillots, sortit son mouchoir, s’épongea le front une nouvelle fois avec l’effet inverse de celui recherché, c’était terrible, on se gelait malgré tout le charbon dont on pouvait encore disposer, le bureau était glacial et lui transpirait comme un bœuf. Sur ces pensées, il se retourna et donna un tour de clé, il avait besoin de s’assurer quelques minutes de tranquille quiétude, mais auparavant appeler Toulouse.

………
Bingen mit pied à terre. Si la rame soupirait d’aise, ses accompagnateurs maugréaient, voilà-t-y pas qu’on n’était même pas à quai, tout se perdait, sous prétexte qu’un prioritaire, qui ne pouvait être que teuton, faisait le plein sous les verrières. Toute une gare pour un seul et unique convoi ! Sous ses caténaires, la BB “Midi” réservée pour l’occasion toisait les transhumants du haut de sa modernité.
Pour qui aurait eu un accès de fièvre entomologique, Matabiau bruissait non pas comme une ruche, mais comme une fourmilière, car oui, les fourmis sont bruyantes ! Tout individu qui s’est adonné à l’innocente contemplation de feuilles à l’envers peut vous l’affirmer, la fourmi s’exprime et tonitrue – à son échelle, certes, mais justement, ce n’est pas un murmure, ça s’apparente plutôt aux vociférations de la populace agglutinée au bord des routes. L’ennemie jurée du farniente tonitrue donc bel et bien, il suffit pour cela de l’écouter, tout est dit. En revanche, lorsqu’on parle de ruche, on est dans l’agreste et le bucolique, Virgile pointe son nez, qui dit ruche dit abeille, qui dit abeille dit labeur, mais aussi miel, douceurs et petites fleurs, pensait l’Inspecteur Principal – ou aurait pu penser, parce que pour l’heure il en était réduit comme n’importe quel pékin à se cogner les orteils dans le ballast maquillé de reliquats de neige sale. Le quai était au diable vauvert, cette idée aussi de se trouver en queue de convoi, mais quand on est Inspecteur Principal, on n’est pas machiniste, chacun chez soi, les barrières seront bien gardées, à preuve, il y a des préposés pour ça. On n’est pas non plus usager, catégorie éminemment respectable et respectée, même si parfois passablement agaçante, et dont l’agacement présent croissait à mesure que leur objectif s’approchait, a contrario d’un kakemphaton cornélien bien connu. Tout compte fait, à l’impromptu, ce rôle d’Inspecteur Principal avait un petit côté pas déplaisant du tout, il ne l’aurait pas endossé à demeure, évidemment, mais l’uniforme avait du charme et du charisme, quoiqu’il y ait uniforme et uniforme… Tiens, formula-t-il in petto, Inspecteur Général des Postes, est-ce que ça aurait le même effet sur la foule ?
Celle-ci s’ouvrait devant eux, mais n’en déplaise aux pensées momentanément extraordinaires de l’envoyé tout aussi extraordinaire du Gouvernement, cette ouverture procédait plus de la détermination des trois hommes que du respect dû à leurs tenues réglementaires, hélas bien fatiguées et tire-bouchonnées par les heures précédentes. Alors que ses comparses bénéficiaient d’une longue expérience des abords de voies encombrés de morceaux de charbon – de plus en plus rares et minuscules – d’extrémités de traverses en bon chêne patriotique et de cailloux fortement teintés de substances diverses – Barbarous se faisait réflexion que oui, un passage de Standard ne ferait pas de mal, mais ce n’était pas de son ressort – le trébuchant envoyé extraordinaire (bis) et secret du Gouvernement assimilait quelque peu son but, qu’il atteignait enfin malgré les sollicitations pas toujours respectueuses de mémères diversement encombrées et d’autres catégories de voyageurs qui allaient rater leur correspondance, à une fourmilière. Cette comparaison naturaliste d’un Fabre potentiel était inspirée par l’observation fugitive mais perspicace que chez les fourmis, plus que chez les abeilles, on distingue aisément l’ouvrière du soldat. Or cette dernière catégorie était ici omniprésente, casquée et godillotée, ou bottée et casquettée, c’était selon. On pouvait même repérer deux ou trois tire-au-flanc à l’écart, bien décidés à en griller une, tout le reste s’agitait fiévreusement.
Mais non mon bon monsieur, n’ayez crainte, la Compagnie ne fera pas partir votre train sans vous, vous voyez bien qu’il y a un imprévu, que voulez-vous, nous faisons notre possible, mais là, je vous avoue que c’est un sacré bazar, nous ne sommes plus maîtres chez nous. Cela dit, le sieur Bingen ne pensait pas (ou plus) aux fourmis ni aux abeilles : malgré (ou à cause de, allez savoir) ses brodequins réglementaires, il venait de se tordre une cheville entre deux traverses – un trou dans le ballast, et du ballast ferroviaire son esprit s’aiguilla – restons dans le même domaine – vers les ballasts de l’unité qui l’avait déposé sur la côte, là-bas, autrefois déjà. C’est curieux, se surprit-il à argumenter, comme le même mot peut désigner des choses si différentes, ainsi, pour les cailloux de la voie ferrée, certains disaient graviers mais pour lui, le gravier c’était de la taille de ce que les légionnaires de César, Jules, appelaient « scrupules ». Ça, c’était des « cailloux » ! Qui irait se fracasser une cheville sur des graviers, hein ? Or donc, un membre fort poli de la Marine Nationale lui avait gracieusement expliqué que le submersible (et non pas sous-marin, terme fort impropre, tout juste tolérable de la part, disons, d’aviateurs) s’enfonçait dans l’élément liquide en emplissant des réservoirs nommés « ballasts ». Le renseignement l’avait inquiété un petit peu : le submersible se mouvait sous les eaux, domaine réservé aux poissons, et fort brièvement aux bipèdes, artilleurs ou pas. Inquiétude d’animal terrestre : si en plus, on le remplissait d’eau volontairement… Conforté par les explications de son mentor, son esprit rationnel lui susurrait bien, en regard, que remplissage et submersion étaient liés et de ce fait parfaitement contrôlés. N’empêche. D’autant plus que les lieux n’étaient pas particulièrement secs. Les mines non plus, enfin, certaines, les siennes, pas la catégorie sous-marine, justement, mais les mines, c’est sous de la bonne roche, l’eau ne fait qu’y passer, on s’en accommode, il y en a souvent de trop, c’est certain, mais au moins est-on sur terre, puisqu’on est dessous. Enfin… Encore heureux qu’il ne fût pas claustrophobe !
Jouant des coudes et d’autorité, la triplette fendit le troupeau ainsi qu’un cordon de gardes, agents de police et agents de la Compagnie mêlés dans le but de canaliser et contrôler cette cohue déboussolée. Ici, on avait égaré le titre de transport, là, perdu mamie, les deux mains occupées d’un côté par la valise sanglée à la va-comme-je-te-pousse et de l’autre la petite Mauricette agrippée au sien, de pouce ; « Attention ma petite, pardon monsieur, Jean, prépare les papiers ! », dépose de bagage, bousculades, discussions voire engueulades : un sacré bazar, vous dis-je.
Position justifiée par son grade, Bingen suivit en tierce ses deux acolytes dans un dédale de couloirs jusqu’à un petit réduit. Il y entra en Inspecteur Principal, il en sortit plus tard en dénommé Bouillot Alain, commerçant en vins et spiritueux. Son épopée ferroviaire sous les couleurs du fleuron mécanique du Nouvel Etat Français s’achevait momentanément ici et maintenant, difficile de faire admettre au plus borné des représentants du NEF ou du Troisième Reich que les vaches salersoises requéraient la présence d’un Inspecteur des Chemins de Fer. Certes, bien qu’on vécût une drôle d’époque, les bovidés cantalais ne produisaient pas de succédané du jus de la treille, mais les Allemands ou leurs affidés passaient pour rafler tout ce qui y ressemblait, du grand cru à la piquette, et les alcools forts tout autant. D’aucuns transformant un presqu’honnête Minervois en Clos Machin, il ne fallait pas s’étonner que d’autres travestissent une petite goutte locale distillée dans une arrière-cour, bouilleur de cru ou pas, en un trois étoiles de derrière les fagots. Rien de patriotique là-dedans, tout simplement, la Nature ayant horreur du vide, la demande faisait l’offre. Entre le carafon de gnôle et le flacon de nectar, il fallait des intermédiaires, des petits malins s’en chargeaient, juteux trafic auquel l’Autorité du cru (terme approprié) n’était pas étrangère, et même et surtout en graissant quelques pattes au passage, le jeu en valait la chandelle. L’ennui était qu’il fallait s’enfoncer chaque jour plus loin dans la cambrousse afin d’y dénicher des clients pas encore au courant de la combine, mais ça occasionnait des frais supplémentaires.
………
Bingen – ou plutôt Bouillot – méditait là-dessus dans sa chambre d’hôtel. Sa nuit fut conforme au standard des lieux où primait la médiocrité : souper médiocre, chambre vétuste, quoique propre, mais au chauffage inexistant, sous prétexte (hum !) d’hiver agonisant. Certes, il aurait pu descendre dans un établissement de meilleur standing, si tant est qu’un voyageur de commerce ait pu y prétendre. Pour la nuit, il avait gardé ses sous-vêtements ainsi que ses chaussettes, et ajouté par-dessus les deux maigres couvertures le lourd paletot qui complétait sa panoplie. Au matin, il ne lambina pas et gagna à pied la gare pour la seconde étape de ce périple.
Il avait en poche des papiers plus vrais que nature ainsi que deux ou trois factures chiffonnées à en-tête d’une respectable maison bordelaise, un billet troisième classe pour Aurillac – pour un représentant en vins et spiritueux de ce prestigieux établissement, c’était carrément une pingrerie, quoiqu’à y bien réfléchir, une pingrerie tout en accord avec l’esprit de cette respectable entreprise : qui joue les grands seigneurs en public se garde de trop de libéralités en privé, à preuve le portefeuille plutôt rebondi, garni de piastres locales (pas des francs d’Alger !) collant à son personnage. Il se renseignerait plus tard sur l’opportunité de louer une automobile. Il possédait de surcroît un petit carnet bourré d’annotations variées, dont une adresse dite « sûre », toujours ce sentiment que le Déménagement n’avait pas été source d’improvisation pour certains. Barbarous et Salagoux avaient disparu, il les regrettait déjà, il leur avait généreusement abandonné son arme, bien encombrante et d’une utilité discutable, plutôt propre à vous coller dos à un mur manu militari, les Allemands ne plaisantaient pas du tout avec ça, tout juste si les gendarmes pouvaient encore s’équiper des leurs.
Sa correspondance était en retard, une heure ou deux, trois fois rien, avec tout le respect dû à la Compagnie, pas de quoi s’étonner. Non loin de là, une locomotive émit un sifflement plaintif, la vapeur se densifia, les colombidés perchés entre les croisillons des poutrelles s’élevèrent d’un commun accord, les plus anciens se reposant un peu plus loin. La fourniture du courant étant soumise à des aléas, les Pacific semblaient plus fiables que les BB Midi, aussi quelques autres volatiles, sans doute de la bleusaille pas encore suffisamment au fait des coutumes ferroviaires, refoulés par un panache impromptu, s’égaillèrent par les verrières crevées. Ici aussi, tous les souvenirs de l’été 40 n’avaient pas totalement disparu. Déjà bien aise que la gare ait recouvré un fonctionnement normal ! Enfin, grossièrement normal. Mais pour qui cherchait la petite bête, en sus des abeilles et des fourmis, sa découverte ne prendrait guère de temps.
Une fois installé tant bien que mal dans un miraculé, un des rares ADP ayant, tiens, justement échappé et à la Luftwaffe de 40, et aux sabotages du Déménagement, ce qui le frappa d’emblée fut la constatation qu’un bon nombre de voyageurs, seuls ou en couple, semblaient encombrés de bagages disproportionnés. L’autorail était bondé, places assises, places debout, ce n’était pas si mal : en écho aux courants d’air, le système de chauffage était en panne, la chaleur animale y suppléerait. Malgré le froid glacial – il y avait encore des festons de stalactites, petites, certes, mais bien réelles, accrochés un peu partout dans les coins ombrés de la gare, mais aussi à l’entrée de la voiture, la faute à d’aléatoires étanchéités de portières – c’était ahurissant le nombre de personnes qui se dirigeaient ainsi vers les monts du Cantal. Enfin, Aurillac et ses alentours, ce n’était pas, voyons… Hossegor, Font-Romeu ou Megève ! La plupart des passagers agrippaient des valises énormes, des paniers monstrueux, des sacs monumentaux, dont tout indiquait qu’ils étaient vides, ou presque. Avec son petit bagage, il en était presque ridicule. Heureusement, chacun s’appliquait à ne s’occuper que de soi. Bingen constatait ainsi de visu qu’à Toulouse (tout comme à Lyon, à Marseille, dans la capitale et un peu partout), une quantité ahurissante de citadins se redécouvraient soudain une parentèle campagnarde qu’on avait jusqu’ici eu tendance à négliger et avec qui on allait renouer directement, plutôt qu’à s’en remettre aux bons soins des Postes.
Il faut dire que l’acheminement des missives était aléatoire. C’est que suite à la disparition pour diverses raisons d’une quantité non négligeable de préposés pour la plupart moustachus, on confiait dorénavant sacoches, bicyclettes et même automobiles à des femmes – que des demoiselles des postes si respectables derrière leurs bureaux s’en aillent battre la campagne, comment était-ce possible ? – et le bruit courait aussi, de plus en plus tenace, que d’autres lecteurs que leurs destinataires, curieux et surtout inquisiteurs, pouvaient avoir connaissance de ces messages. Aussi rien ne valait une prise de contact franche et directe, entre quat’zyeux, avec tonton Jules, célibataire endurci et bougonnant n’ayant que ses moutons pour compagnons, ou tante Amélie, dure d’oreille mais attentionnée à son cochon. Tiens, des souvenirs revenaient, ça venait d’être sa fête, au cochon, non ? Pas à la tante, dont on ne savait plus la date de naissance, mais bien au cochon. Le cri du goret qui s’interrompt soudain. Les bassines d’eau bouillante. La cuvette pour le sang. L’homme de l’art (de lard ?) et ses couteaux. La chaîne (pour ceux qui ne flambaient pas le bestiau). La machine à saucisses. Et tout ce monde ! Les voisins. Les voisines, les parents, les parentes, les commensaux, les commères. Et surtout, les ripailles. La fête. La viande. La bidoche. La charcutaille. Les jailles. Le boudin. Les tourtes. Les tartes… Et brutalement happé par cette marée de souvenirs, une marée initiée par une assiettée depuis déjà trop longtemps trop chiche, on trouvait tout à coup le temps de rendre visite à Jules, à Amélie, voire à une mère aimante, veuve et rustique, dont on se rappelait soudain la cuisine et les confitures, que des années d’exil citadin avaient semblé occulter à jamais.
Et puis, le printemps arrivait, avec toutes ses promesses. Enfin, arrivait… était censé arriver, si l’on se fiait aux coutumes et au calendrier des Postes, mais plus on remontait vers les terres auvergnates, moins il y mettait d’ardeur. Au départ de la gare, les fruitiers jetaient çà et là des taches de couleur, et chacun redoutait un retour du gel, à présent, ils s’étaient effacés pour laisser place à des grands pans de grisaille et de brun, lacérés de déchirures blêmes.
« Aurrrillaque ! Inque minuuuteux d’arrêt… » Eh bien, voilà, on y était. Ou presque.
La cohue ovinière s’ébranla. Bingen suivit le mouvement.
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Anaxagore



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MessagePosté le: Jeu Mai 04, 2023 11:57    Sujet du message: Répondre en citant

On s'y croirait.
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Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Mai 04, 2023 22:26    Sujet du message: Répondre en citant

Joli exercice de style.
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Finen



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MessagePosté le: Ven Mai 05, 2023 11:59    Sujet du message: Répondre en citant

De l'art, je prend toujours un grand moment de calme pour lire ces textes.
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John92



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MessagePosté le: Mer Mai 10, 2023 09:04    Sujet du message: Répondre en citant

...
Pour la nuit, il avait gardé ses sous-vêtements ainsi que ses chaussettes, et ajouté par-dessus les deux maigres couvertures ainsi que (à ajouter ?? ) le lourd paletot qui complétait sa panoplie.
...
... une pingrerie tout en accord avec l’esprit de cette respectable entreprise : qui joue les grands seigneurs en public mais qui (à ajouter ??) se garde de trop de libéralités en privé, à preuve le portefeuille ...
...
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houps



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MessagePosté le: Mer Mai 10, 2023 10:09    Sujet du message: Répondre en citant

Désolé John, mais le paletot est en plus des couvertures, à défaut d'édredon, et (celui) qui joue les grands seigneurs se garde .....
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Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Juin 13, 2023 08:33    Sujet du message: Répondre en citant

Suite des aventures de Bingen, l'envoyé d'Alger dans le Sud-Ouest……


Aurillac
– Entrevue des quais, des siens bien sûr, la gare d’Aurillac ressemblait… à une gare. Acier, verre, pierre, maçonnerie, bois, bipèdes. Et surtout, ce petit vent coulis qui ne manque jamais de charme et faisait, ce jour-là, remonter les cols et renfoncer les chapeaux.
Vue de l’extérieur, la gare d’Aurillac ressemblait… toujours à une gare. De par ce type d’architecture, impossible de la confondre avec, par exemple, un hôtel de ville : moins de perron (quoiqu’en ce domaine Saint-Charles, en tant que phocéenne, fût portée à une taille frisant la démesure, sans doute par galéjade…) et encore moins de balcon. En ayant ainsi contemplé la façade, allez savoir pourquoi, car il n’avait nulle velléité d’en refranchir les portes – enfin, pas illico, pas là, tout de suite, comme qui dirait sous l’effet d’une sorte de trac, mais dans la semaine, sans doute – Bingen se retourna pour affronter sinon l’ennemi, du moins l’inconnu. Le presqu’inconnu : quelques lectures antérieures, bien que judicieuses, nécessitaient des compléments d’information in situ. Et pour ainsi dire, de visu de audituque. Un peu partout autour de lui, ses compagnons de voyage s’affairaient : ici on retrouvait oncle Jules ou tante Amélie, là, bras ballants, il semblait bien qu’on ait plutôt trouvé un lapin. De rares véhicules, pour certains hippomobiles, attendaient leur heure et, éventuellement, des passagers. Il passa outre.
Concernée ni par les uns ni par les autres, une poignée de voyageurs se dispersait dans les rues voisines, affectant de ne pas voir certaines affiches bilingues, en noir et blanc, placardées bien en vue. Valise en main, il emboîta le pas de deux quidams qui allaient peut-être à l’adresse qu’on lui avait indiquée, mais il préféra se renseigner auprès d’un gamin en vélo tandis que traversait bruyamment une patrouille allemande.
Il mit ainsi le cap sur le superbe panneau d’un célèbre chocolat dont les bleu et blanc, ayant à peine souffert des intempéries, narguaient les passants. Mais ils s’en fichaient bien, les passants, du chocolat ! Des patates et du lard, oui, voilà ce qui préoccupait le monde, mais du chocolat ! Bref, plus personne n’y faisait attention, au fronton, lequel n’en pouvait mais et se résignait à n’être qu’un banal repère pour voyageur en perdition. Comme le dénommé “Bouillot”-Bingen, par exemple.
L’envoyé, ni secrètement extraordinaire ni extraordinairement secret, mais secret car extraordinaire, ou extraordinaire car secret, démêlement rhétorique qui attendrait, marqua un temps d’arrêt devant un autre genre de réclame : plusieurs papiers manuscrits ou tapés à la machine apposés sur la vitrine d’un ancien cordonnier récemment rebaptisé chausseur, si l’on en croyait l’enseigne requalifiée de frais. Sous le regard de l’astre de la Crème Eclipse ornant une plaque émaillée un tantinet défraîchie, une feuille proclamait qu’ici on était dûment habilité à fournir des chaussures, tandis que ses consœurs affichaient copie des textes officiels et tarifs du même tabac. Ressortant du dit commerçant, ou peut-être d’un concurrent, une petite échoppe proche offrait derrière sa vitrine exiguë un assortiment de sabots typiquement auvergnats, image d’un passé rural qu’on avait cru enfoui sous les sables de la modernité, et qui faisaient montre d’une rusticité patriotique à toute épreuve. Deux affichettes vantaient, la première, l’astucieux dispositif de semelles de bois articulé (sic) propres à dévorer les kilomètres (et surtout les bas et chaussettes, avantage pudiquement passé sous silence) et la seconde, l’avantage de semelles en liège provençal, certes, mais de surcroît confortable et économique. Un truc à marcher sur les eaux, sans doute, mais curieusement, cette propriété naturelle, fort utile si le partage des mêmes eaux échouait (terme approprié) n’était mentionnée nulle part. Bingen contempla pensivement ses chaussures, désormais promues au rang de produits de luxe, malgré leur fatigue évidente. Il était bien pertinent de ne point en arborer de trop neuves. D’où la nécessité, aussi, de les soigner au mieux.
Il atteignit son but sans autre encombre, sinon un contrôle inopiné d’agents de la force publique qui avaient professionnellement détecté son statut d’étranger à la ville (mais ne trouvèrent rien à redire aux documents qu’il produisit). Il échut donc dans une pension de famille qui recevait en général des habitués, ce qui expliquait l’accueil plutôt tiède dont bénéficia le particulier qu’il était. Tout nouveau venu générait des pensées tendant à peser l’attitude à tenir, selon qu’il s’avérait que l’on avait potentiellement affaire à un mouchard – peu en importait l’affiliation, possiblement à une personne en délicatesse avec les autorités – et de quelle nature était alors cette indélicatesse ? ou, éventuellement, à un voyageur des plus anodins et donc étranger. C’est qu’on ne prenait pas des inconnus comme ça ! On n’était ni un hôtel, ni une auberge, que diable !
Pour réchauffer l’atmosphère, il fallut que le sieur “Bouillot” s’enquît de la santé de « l’oncle Paul » qui était toujours « à faire des histoires, au grand dam du cousin Charles » puis que l’on convînt que ce « sacré Edouard » avait « bien du mérite ». Comme il avait ainsi montré patte blanche, son hôte, Ferdinand T., qui tenait cette petite pension avec sa femme, Odette, fit la grimace : il ne lui restait qu’une seule chambre, là, à côté, « Venez donc vouair », une chambrette exiguë et aveugle, fort mal placée, il en était désolé, si au moins il avait été prévenu ! Tout en bavardant, il l’y conduisait. Un tout aussi minuscule cabinet de toilette trônait au bout du couloir. Par contre, les toilettes proprement dites, luxe suprême et gage de modernité, n’étaient plus à l’extérieur – contrairement à celles du premier, sises sur le balcon – mais à l’opposé de la chambre. “Bouillot” visita, se déclara satisfait : il avait vu pire, la pièce n’avait certes pas de fenêtre, même pas une meurtrière, embêtant, ça, mais elle disposait d’une armoire, d’un porte-manteau et d’une lilliputienne table de chevet. Tandis qu’ils en ressortaient, lui ayant déposé sa valise et Ferdinand le mettant au parfum des mœurs et habitudes de la maison : heures des repas (prévoir tickets et argent, de préférence argent, car les tickets…), composition de la maisonnée (que des habitués, employés de divers établissements), ils croisèrent une charmante jeune dame qui regagnait ses pénates, mitoyennes de la chambre de “Bouillot” et avait déjà la main sur son bec-de-cane.
Rapide échange de courtoisies, la donzelle disparut dans sa piaule, que l’on devinait plus grande. On se reverrait à table, le soir. Table commune et convivialité de mise, chère maigre, mais bonne tenue exigée. Même si l’on n’était pas au couvent, il fallait savoir se tenir. Pas en habit, hein, fallait pas exagérer ! “Bouillot” en convint et, vu l’heure, décida d’aller muser en ville, histoire de se familiariser avec les lieux, repérer les commerces d’éventuels clients à démarcher (couverture obligeait), tout en méditant sur les propos de son hôte. Ce dernier lui avait glissé, avec un drôle d’air (c’est ce qui motivait les interrogations du marcheur), que sa voisine, prénommée Corine, avait une fort jolie voix. Donnait-elle récital à la veillée ? Et a capella ? Il n’avait point vu de piano, pas plus que de poste, mais n’avait pas parcouru toute la pension. Après tout, BBC et Radio-Alger étant strictement interdites, surtout en tel lieu, et Radio-Laval soporifique, les provinciales distractions domestiques devaient être des plus rares.
………
L’œuvre de Champeil (Jean-Baptiste Antoine, s’il vous plaît) lui fournit une autre matière à réflexion, réflexion qui le conduisit incidemment et par pur hasard aux pieds d’un enfant du pays (dont la mort glorieuse en Russie donnerait, dans un avenir proche, de drôles d’idées à certains, bien contents de se trouver compatriotes d’un général pourfendeur de Russes, donc de Bolcheviques – quitte à tordre sans vergogne le bras de l’Histoire, mais n’anticipons pas). Endossant son rôle de commis-voyageur ès alcools et spiritueux, il prit un repas fort frugal dans un établissement du cours Gambetta, choisi au hasard. Il y trouva un menu de carême (!), c’était jour sans viande (un de plus), le tenancier d’abord prudemment bavard, les clients rares, mais surtout les prix exorbitants. Quant à la boisson… D’ailleurs le maître des lieux, le voyant grimacer, se crut autorisé à faire de discrètes allusions aux difficultés pour s’approvisionner correctement. Si l’on s’en tenait à l’honnête respect des lois et règlements qui pleuvaient à l’envi, à croire qu’il y avait des gens qui ne pensaient qu’à emm… quiquiner le monde, bien sûr. Et les prix, mon bon monsieur ! Les prix !
Bingen ne dévoila pas ses batteries, laissa dire, la machine était lancée, et même s’il se taisait, ne se permettant même pas un grommellement, le patron des lieux ne lâchait plus sa proie. Laquelle ne l’écoutait qu’à peine. Le discours s’embrouillait parfois, et même plus d’une fois, mais impossible de se lever et de partir ! Les Juifs se gavaient sur le dos des gens, faisaient des stocks pour faire monter les prix, Américains, Russes et Anglais, ils trafiquaient tous de concert, et qui trinquait, hein ? C’était à eux, mercanti et marchands de canons, que l’on devait la guerre, sa déclaration et sa stupide continuation. Qui ramasserait la mise, hein ?
« Mais je suis un patriote, moi, monsieur ! Mon frère aîné s’est fait tuer par les Turcs en 16, Frédéric qu’il s’appelait, cinq ans de plus que moi, je suis le petit dernier de la famille, c’est mon père qui a monté l’affaire, c’est lui qui devait la reprendre, parce qu’entre lui et moi, il n’y avait que des filles. Trois sœurs que j’ai. Enfin, que j’avais. La plus grande, Odette, et celle avant moi, Arlette, c’est la grippe espagnole, une belle saloperie, tiens, ça ! qui les a eues. Mes vieux et moi, on est passés à côté. Claudette a fait un beau mariage, elle et son mari ont une quincaillerie, à Nantes. Enfin, avaient, leur foutue guerre est passée par là, plus de quincaillerie, et elle, elle en est restée sourde ! Et pour le compte de qui ? Des Anglais ! Et des Juifs, qui vendaient déjà des armes aux deux camps ! [Là, “Bouillot” se sentit brièvement perdu.] Bon, c’est vrai qu’en ’14, ce sont les Boches qui nous ont tombés d’sus, ‘70 leur avait pas suffi, mais on les a eus, finalement, et ça s’est pas fait tout seul ! Z’avez eu des morts, chez vous ? Mais cette fois, qui c’est donc qui nous ont foutu la raclée ? Les Boches ! Qui ne demandaient rien à personne ! De quoi qu’on est allé se mêler, encore, pour des rastaquouères dont on connaît la reconnaissance, tiens ! Magouille et compagnie, et voilà où on en est ! Alors, quand ils en prennent sur la gueule, les Fridolins, moi, j’dis “Tant mieux” ! Mais faut leur reconnaître une chose : savent obéir et se faire obéir ! C’est ça qui nous a manqué ! La discipline ! Et la faute à qui ? A qui ? Aux cocos ! »
Après les Juifs, les Communistes… manquait plus que…
« … Mais pas qu’à eux ! Faut pas oublier qu’au départ tout est de la faute aux Francs-maçons, c’est clair ! [Carton plein !] Moi, j’vous dis… »
La survenue au-delà du comptoir d’une bonne femme en tablier supposé blanc et chignon censément blanchissant interrompit enfin la diatribe. Bingen-“Bouillot” saisit donc l’occasion (qui était décoiffée) par les cheveux et put enfin s’extirper de cette embarrassante situation pour reprendre sa visite de la ville. La tête lui tournait, et ce n’était pas du fait de la boisson.
L’ombre gagnait les rues quand il regagna son logis provisoire. Il avait reconnu les lieux, visité trois maisons, échangé force propos vides de sens, bref s’était fait connaître, on saurait bientôt par toute la ville qu’un commis-voyageur cherchait à approvisionner une grande maison bordelaise en alcools forts – ce que chacun traduisait par “gnôle” – pour quoi, on ne savait pas trop, mais pour qui on s’en doutait bien. L’information remonterait à qui de droit, c’était osé, mais côté Bordeaux, tout était paré, et de toute façon, à vouloir se montrer discret dans ce rôle, ç’aurait été suspect, pour le coup.
………
Le repas du soir fut – qui l’eût cru ? – bien plus intéressant. Il y fit connaissance des autres pensionnaires : en sus de la demoiselle Corine, employée chez une modiste et qui voyait sa charge de travail s’amenuiser, il se trouvait un dénommé Jean-Charles, jeune homme falot à grosses lunettes (en regard desquelles la paire qui ornait le nez de Bouillot s’apparentait à des vitres, ce qu’elles étaient), gratte-papier à la Préfecture, une Léonie, la quarantaine bien installée dans son statut de vieille fille et de demoiselle des Postes, une Micheline qui travaillait, défense de rire, à la gare, un Philippe comptable, dont Jacques secrètement Bingen aurait parié qu’il se prénommait de fait Isaac, Moïse ou Jacob, et pour finir, une Nicole à grosses joues momentanément sans emploi, et qui espérait entrer sous peu au service d’une bourgeoise de la ville.
On soupesa le nouveau venu. On le questionna, pire que la police. Examen sans doute réussi, on l’agréa, plus ou moins chaleureusement, puisque le maître de céans l’avait agréé. On parla un peu de Bordeaux, que personne ne semblait connaître outre mesure (ouf !) en évitant tout ce qui avait attrait à la dive bouteille – c’eût été remuer de douloureux souvenirs, la boisson de table était tout juste passable, puis on discuta de tout et de rien. Peu de tout, beaucoup de rien.
Le repas fini, chacun se retira dans ses quartiers. Point de café vespéral, on gardait la chicorée-glands-orge pour le matin, point de fine, ce n’était pas le genre de la maison, et point de récital non plus. Mais on était en semaine. L’envoyé gouvernemental en profita pour discuter en tête-à-tête avec son hôte, confrontant ses impressions premières aux connaissances de ce dernier. Il prit mentalement note des appréciations formulées au sujet de notables et d’autres personnalités du cru, des habitudes de la soldatesque teutonne sise dans ce qui avait été la caserne Delzons et qui se retrouvait ainsi de nouveau consacrée aux militaires, avec tout le tintouin que cela entraînait. Il s’enquit par là-même des voies de repli envisageables si par malheur… et pour finir, cerise sur le gâteau, en quelque sorte, des moyens de circuler.
– Pas compliqué : si c’est dans les environs, je vais vous trouver un biclou…
– Mauriac…
– Mauriac ? Le train. Mais c’est pas tous les jours ! Comprenez, c’est devenu une voie non prioritaire, alors, ça dépend des jours, des locos disponibles et de ce qu’il faut transporter : la saucisse sur pied a la priorité sur le couillon à deux pattes, sauf vot’ respect.

La cerise avait un gros noyau !
………
Bingen-“Bouillot” était assis sur son lit, face à un minuscule miroir – embêtant, ça, cette absence de cabinet de toilette privé – attentivement occupé à décoller soigneusement sa fausse moustache. Sait-on jamais, il pouvait toujours se trouver quelqu’un à même de reconnaître l’ex-directeur de la SAGA. Là aussi, ça ferait des histoires.
La cloison étant fort mince, il percevait quelques bruits venant de la chambre voisine lorsque se mouvait son occupante. Les ressorts du sommier grincèrent : “elle” devait se coucher. Il se demanda si “elle” ronflait et par là, si lui-même n’allait pas la gêner par d’intempestives manifestations sonores du même acabit. “Elle” – Corine, pour ne pas la nommer – lui avait fait bonne impression, du peu qu’il en avait pu juger. Bonne impression, c’est tout, n’allez pas vous faire des idées ! Il ne la trouvait ni d’une plastique à se retourner dans la rue, ni d’un physique si quelconque qu’il se fond dans le décor. Point trop sotte, une voix agréable, effectivement, et si, tiens, en y repensant, de forts jolis yeux. Pas Arletty non plus, hein ! Son vis-à-vis, le Jean-Charles, derrière ses grosses lunettes de myope, lui lançait parfois des regards un peu trop appuyés, on ne pouvait lui en faire reproche, la Nicole était une marche en dessous, et la Léonie avait passé son tour depuis un bail.
Au bout de son fil torsadé, l’ampoule eut des palpitations. Ah oui, extinction des feux sous peu ! Il termina sa tâche, rangea soigneusement ses postiches, pencha la tête de gauche et de droite pour admirer son vrai visage, alluma l’unique bougie qu’on lui avait attribuée – « Essayez de pas foutre le feu en voulant aller aux gogues, hein ! » – et put enfin se glisser (presque) voluptueusement sous les couvertures, heureusement bien plus épaisses que celles de l’hôtel précédent.
Il était sur le point de s’abandonner aux bras de Morphée lorsqu’un léger bruit lui fit dresser l’oreille. Le genre de bruit que produit celui qui veut se déplacer sans bruit, justement, mais ne peut empêcher la lame du parquet de grincer – oh, un rien, ce qui dénotait une certaine familiarité avec le vestibule et une non moins certaine recherche de furtivité. Il eut un instant de panique : cette chambre sans autre issue que son unique porte était un vrai piège ! Mais dans le même instant, il perçut nettement l’ouverture d’une autre porte que la sienne, avec, là aussi, une volonté évidente de discrétion. Suivirent ensuite comme des chuchotements, pas au point d’en percevoir la teneur, mais suffisamment pour reconnaître qu’on s’animait. Derrière la cloison, le sommier grinça derechef. Il y eut d’autres chuchotis, un rire étranglé puis…
Après consultation d’Hypnos, Morphée se plongea dans son catalogue, délaissa la catégorie “agréable” pour sauter (!) à la rubrique “suggestif”, avant de mettre le doigt sur la section “enfer”, car de l’autre côté de… – de quoi ? Sûrement pas des briques, sans doute des planches – les grincements du sommier augmentaient d’intensité sur un rythme soutenu, et sans se risquer à la hauteur d’une Lubin, la dame accompagnait en contrepoint avec des accents émouvants. Il fallait reconnaître une chose : les deux parties mettaient du cœur à l’ouvrage.
Bref, des produits de la maison Quiès eussent été utiles, mais ni notre Jacques ni aucun de ses “amis” n’avait jugé ce produit indispensable, au contraire du pétard… Au bout d’un certain temps, il perçut à nouveau le grincement de la porte et il put enfin s’abandonner au sommeil. F… Félicien ! Si c’était comme ça toutes les nuits !
– Oh non, sont pas des stakhanovistes de la chose, nos deux tourtereaux ! Pour le coup que je devrais… Je sais pas quoi… Faut bien que jeunesse se passe ! Ça me f’rait bien peine de leur faire les gros yeux…
– Vous auriez pu au moins me prévenir !
– Plaignez-vous ! Vous n’êtes là que depuis hier ! La bourgeoise et moi, on crèche juste au-dessus ! Depuis deux mois que ça dure ! On n’a plus vingt ans. Moi, ça va, je dors comme un loir, mais l’Odette, elle a plus de mal à fermer l’œil, l’a des insomnies, c’est l’époque qui veut ça, alors, forcément, elle a du mal à s’y faire, à ce concert ! Vous prévenir ? Et puis quoi ?
– Tout le monde est au courant, alors ?
– Tout le monde ? Comme vous y allez ! Je ne suis pas allé le leur demander ! Pour la Léonie, elle crèche à l’opposé. Le jeunot… bah, ça lui f’ra des souvenirs, s’il s’en est rendu compte !
– Quand même !
– Allez ! Les apparences sont sauves ! Z’avez viré votre cuti, non ? Y’a pire, non ? Je vais vous trouver du coton, il m’en reste, mais guère, faudra être économe ! Et j’ai une autre idée, qui pourrait vous arranger et eux aussi.

Finalement, au prix de certaines tractations dont il préféra ignorer la teneur, Bingen échangea – provisoirement – sa chambre avec celle de l’heureux élu – méfiez-vous de l’eau qui dort. Il y gagna un bien meilleur sommeil, et sans doute la reconnaissance (intime) de l’incriminé. Outre cette quiétude bienvenue, il bénéficia d’une fenêtre (à peine un étage sur la rue) et surtout d’un semblant de réduit de toilette. C’était heureux, les postiches étaient fragiles et leur usage requérait plus que de simples soins devant un quart de miroir. Le double fond de son bagage en recelait deux autres jeux, ainsi qu’une seconde fausse identité, auprès d’une somme rondelette, dont une grosse partie était cependant destinée à un certain “Monsieur Edmond”.
………
Le dit Monsieur Edmond avait tout de l’enseignant blanchi sous le harnois lorsqu’il le rencontra sous le regard impassible de Gerbert-Sylvestre (second du nom), autre célébrité auvergnate qui avait eu moins de moustache et plus de réussite que Vercingétorix. Mais on était loin de Gergovie.
C’était en fin de semaine. Le lendemain, il avait une place dans une vénérable antiquité ferroviaire qui le conduirait, lui et divers autres pékins, à Mauriac, voire au-delà pour les plus téméraires. Tout compte fait, après mûre réflexion, il décida de laisser ses notes entre les mains de Félicien. Du peu qu’il avait déjà compilé, il estimait déjà que son rapport ouvrirait des yeux. Les siens s’étaient rapidement décillés ; s’il n’avait pas les compétences pour juger des effets sanitaires présents et à venir des restrictions de tous ordres qui pleuvaient « comme à Gravelotte » (dixit un ancien), en moins de quinze jours de périple, il en avait fait l’expérience. Si la situation empirait – et elle empirerait, aucun doute là-dessus – il ne fallait pas être grand clerc pour prédire que ses conséquences sur une partie de la population seraient… problématiques, en attendant d’être plus précis. Et évidemment, tout le monde ne serait pas logé à la même enseigne.
Il rendrait un rapport empli de chiffres – les décideurs adorent les chiffres, surtout s’ils n’y comprennent goutte – mais pas que. Quelques coupures de presse l’illustreraient très bien. Au hasard, celle-ci : « [titre] Interdiction de la vente de pain frais. Il est rappelé qu’aux termes de la loi du 28 septembre 1940, la vente de pain dans les boulangeries ne peut commencer que 24 heures après la sortie du four du pain fabriqué. » Ou celle-là : « [titre] Vente du riz. Pour la distribution des rations de riz de ce mois, il sera distribué 100 gr de riz contre le coupon n° 5. En conséquence, le coupon n° 4 est provisoirement suspendu. [titre suivant] Huile : La ration d’huile a été fixée à 85 gr pour les titulaires de la carte “P” en échange des tickets suivants : 50 gr : P6 ; 25 gr : P5 ; 10 gr : P4. »
Un autre quotidien, non régional, tout en apprenant que l’on avait organisé un concours de ski à Saint-Cloud, rappelait que « … le charbon sera délivré contre remise du coupon n° 3 dont la valeur est fixée à 50 kg. Ce coupon donne droit à un kilo de bois d’allumage. En échange du coupon n° 3, les négociants sont autorisés à livrer trois kilos de bois pour un kilo de charbon aux consommateurs qui en feront la demande… »
Et encore cette autre coupure, censée le concerner professionnellement : « La quantité de vin de qualité courante à servir dans les cafés et restaurants aux principaux repas ainsi qu’entre 8 heures 30 et 9 heures 30 ne devra pas excéder 25 centilitres par consommateur. » « Heureusement », avait-il pensé, au vu de sa précédente mésaventure.
………
Et pendant ce temps-là, pour autant qu’il en sût, le sieur Louis Eschenauer prenait langue avec le Weinführer Heinz Bömers pour de fructueuses négociations, et les grands crus s’en allaient Outre-Rhin. Ce qui, au passage, rendait sa couverture ambiguë. Commis d’une maison bordelaise ! Qui diable avait eu cette idée saugrenue ? Sortir des Mines pour traficoter du pinard ! Et Bordeaux ! Sous prétexte qu’il avait été à Barcelone en 29 ? Il avait de plus en plus la désagréable impression d’avoir été expédié ici un peu à la va-vite et avec une grande légèreté.
………
Bon. Demain, Mauriac, et de là-bas, ensuite, l’auteur de la fameuse lettre.
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John92



Inscrit le: 27 Nov 2021
Messages: 1029
Localisation: Ile de France

MessagePosté le: Mar Juin 13, 2023 10:01    Sujet du message: Répondre en citant

Rien à signaler.
_________________
Ne pas confondre facilité et simplicité
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Volkmar



Inscrit le: 12 Oct 2017
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MessagePosté le: Mer Juin 14, 2023 11:02    Sujet du message: Répondre en citant

Moi je suis un peu perdu
A quel Félicien laisse-t-il ses notes ?
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houps



Inscrit le: 01 Mai 2017
Messages: 1847
Localisation: Dans le Sud, peuchère !

MessagePosté le: Mer Juin 14, 2023 11:25    Sujet du message: Répondre en citant

Volkmar a écrit:
Moi je suis un peu perdu
A quel Félicien laisse-t-il ses notes ?


Et moi donc ! Very Happy Bien vu, pan sur le bec (de cane Razz, private joke) le Félicien n'est autre que Ferdinand ! On nous cache tout !
_________________
Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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