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Une famille Nordinaire, par Etienne
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Archibald



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Messages: 9238

MessagePosté le: Dim Mai 27, 2018 17:01    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Bon, bon, là c'est vrai aussi, trop d'explications nuit.


Même de jour ? Arrow Arrow Arrow
_________________
Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Aoû 20, 2020 14:41    Sujet du message: Répondre en citant

Petit ajout d'été à la série Nordinaire d'Etienne…


22 juin 1942
Central Télégraphique de Lille, 14h00
– En rentrant de sa tournée de distribution, le jeune homme voit à la mine de son chef qu’il y a un os quelque part. Il se dirige nonchalamment vers la salle de maintenance du matériel, qui fait également office de salle de formation, en lançant au passage qu’il va s’entraîner au clavier des typos pendant sa pause déjeuner. Son patron lève le nez, puis son séant.
– Justement, il faut que je te montre une astuce ou deux, tu es trop lent…
– D’accord, M’sieur.

Les deux hommes entrent dans la pièce et referment la porte, qui les isole des téléscripteurs. Moins de bruit, et surtout, ils ne peuvent être entendus.
– Hitler a attaqué les Russes il y a un mois…
– Je suis au courant !
– Bien sûr, mais tu ne te doutes pas des conséquences…
– Bin, si : en ouvrant un nouveau front, le Boche va se ramasser la tronche ! Surtout que les Ricains sont dans la danse…
– C’est plus que probable, c’est même évident mais ce n’est pas de ça dont je veux parler. C’est pour ce qui nous concerne.
– Nous ? A quel niveau ?
– Alger a reconnu les Cocos comme des alliés. L’URSS bien sûr, mais aussi le PCF et ses cellules. Et ils les intègrent dans le processus de Résistance.
– Et alors ?
– Ils ont repris les zones géographiques pour déterminer les commandements. Et comme notre région est majoritairement de gauche et que le PCF y était très influent, nous tombons sous leurs ordres…
– Hein ?
– C’est logique, ils sont plus nombreux que nous…
– Mais ce n’est pas possible ! Ces crapules n’ont fait que nous mettre des bâtons dans les roues depuis deux ans, si pas pire ! Je suis presque certain qu’il y a eu des dénonciations de la part de quelques-uns de leurs partisans, et là, le vent change et ils devraient devenir nos chefs ? C’est hors de question !
– Calme-toi. Ça ne va pas changer nos actions, hormis que l’on va récupérer un peu plus d’informations, celles qu’ils pourront nous donner…
– Et qu’il va falloir vérifier ! Je n’ai pas confiance dans ces Rouges, ils nous ont trop frappés dans le dos…
– N’exagère pas…
– Bin tiens ! J’ai un oncle qui bosse comme métallo à Lille-Fives, il pourrait t’en raconter, des vertes et des pas mûres…
– De toutes manières, on n’a pas trop le choix, ce sont les directives d’Alger.
– Bin, ce sera sans moi. Plutôt crever que d’obéir à un Rouge. Je déteste les Boches, mais ceux-là ne valent pas mieux !
– Bon, je te laisse te calmer et réfléchir. N’oublie pas qu’ils œuvrent aussi pour la libération de la France…
– Mon c… oui, ils espèrent prendre le pouvoir !

– [Soupir] Bon, reviens me voir plus tard…
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
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MessagePosté le: Sam Juil 17, 2021 19:25    Sujet du message: Répondre en citant

"Une famille Nordinaire" a récupéré l'odyssée du soldat puis caporal Victor. Le tout sera rassemblé dans nos archives.


10 mars 1942
L’odyssée du caporal Victor
Delage D8, 1932
Casablanca
– Le capitaine Gaston considère d’un œil dubitatif le télex qui vient de lui parvenir par le zélé opérateur des transmissions. Il semble peser le pour et le contre, avant de s’adresser à son auxiliaire de service, un jeune indigène des monts Atlas, occupé à trier un tiroir d’objets hétéroclites. « Va me chercher le caporal Victor, fissa ! » Le garçon bondit de sa chaise pour obtempérer et renverse les piles soigneusement rangées, les dispersant sur le sol du bureau. Gaston soupire, les yeux au ciel… « Va, tu ramasseras au retour. »
Quelques minutes plus tard, le caporal Victor, Henri de son prénom, pénètre dans la pièce déjà chauffée par le soleil printanier. Petit mais râblé, sa calvitie (il dit qu’il a perdu ses cheveux au front) témoigne de son âge, la quarantaine sonnée. Des yeux noirs mais rieurs, qui s’animent à la vue du désordre que l’autochtone s’empresse de réparer.
– Vous m’avez demandé, mon capitaine ?
– Oui, Henri. J'ai là une circulaire d’Alger, du ministère de la Guerre pour être précis, qui me demande de toute urgence à la fois un chauffeur de maître et une voiture française, décapotable si possible. Pour le chauffeur, j’ai bien sûr pensé à vous, ça devrait vous changer de l’autocar et des camions Dodge. Vous avez formé assez d’hommes à la conduite de ces engins pour respirer un peu au calme, non ?
– Ma foi, mon capitaine, si vous le dites, je n’ai rien contre.
– Pour la voiture, il n’est pas dit que nous devons absolument la fournir, la circulaire est adressée à tous les parcs. Mais j’ai pensé à la torpédo que nous avons récupérée pour réparation…
– La Delage ? J'ignore si Vidal en a fini avec, mais elle ne nous appartient pas…
– Et les réquisitions, alors ? D’ailleurs, c’est déjà une voiture réquisitionnée par les aviateurs, mais tant pis pour eux. Le ministère est prioritaire.
– Comme vous voulez : c’est vrai qu’une torpédo est décapotable.
– Allons voir Vidal, il nous en dira plus sur son état. Il faut qu’elle soit impeccable.

Les deux hommes sortent et se dirigent vers un garage de hauteur moyenne. Là, des mécaniciens en bleu de travail s’affairent autour d’automobiles diverses, parc hétéroclite de vieilles Françaises et d’Américaines plus récentes.
– Vidal !
– Mon capitaine ?
– Où en êtes-vous de la Delage ?
– Finie, mon capitaine, faut juste l’essayer pour vérifier. C’est Henri qui s’en charge ?
– Oui, on a besoin d’une voiture comme celle-ci pour le ministère. Qu’est-ce qu’elle avait ?
– La boîte ! Ces foutus mécanos d’aviation qui croient tout connaître ! Y z’avaient mis de l’huile de moteur ordinaire, pour sûr que ça coinçait ! Dame… Mais, un ministère ? A Alger ?
– Oui, elle pourra y aller et faire bonne figure ?
– J’ai fait une bonne révision de tout après avoir vu la boîte, ça devrait tenir, surtout si Henri l’y emmène.
– C'est prévu. Essayons ça, Henri, je vous laisse m’emmener faire un tour.

Cette Delage est du modèle D8 de 1932, moteur 8 cylindres en ligne de quatre litres de cylindrée pour 120 ch. La carrosserie torpédo, bleu roi aux ailes noires, est signée Franay, dans un style très classique. Très convenable pour un général, songe Gaston, qui s’installe en place arrière. Henri prend la place du conducteur, met le contact, regarde les manomètres s’animer. Démarreur. Le moteur s’éveille doucement, on ne croirait pas avoir affaire à un descendant d’une machine de Grand Prix. Ici, la boîte n’est pas automatique, mais ce n'est pas cela qui risque de gêner le caporal, qui démarre lentement. La cour étant devenue bien encombrée de matériel roulant neuf provenant des États-Unis, le chauffeur sort du parc et va faire un petit circuit entre les villas d’Anfa, le domaine de prédilection de la voiture, avant de revenir dans l'enceinte militaire et administrative.
– Ça me paraît tout à fait bien, Henri, qu’en pensez-vous ?
– Elle ronronne comme un chat heureux, et la boîte est parfaite, Vidal l’a bien rattrapée.
– J’ai quand même un doute sur le fait que vous fassiez aisément les treize cents kilomètres jusqu’à Alger. Je vais câbler au ministère pour leur dire que nous avons ce qu’il leur faut, et leur demander un transport par le train.
– Ah, ça l’économisera un peu, en effet. D’ici que vous ayez une réponse, voyez-vous un inconvénient à ce que je lui fasse un brin de toilette ?
– Allez-y, Henri, je vous dispense de tournée, on a bien assez de gars, à présent.



15 mars 1942
L’odyssée du caporal Victor
Chauffeur de Général
Alger
– Le Général sort sur le perron de sa villa et ses yeux s’écarquillent. Après sa défunte Panhard & Levassor blanche et la grosse Américaine kaki, voici qu’on lui amène une énorme et austère torpédo noire et bleue. Il accorde à peine un regard au divisionnaire de la Sûreté et à l’abominable aide de camp coiffé d’un abominable béret qu’on lui a imposé, pour examiner l’engin, d’où descend un caporal de petite taille, qui lui ouvre la portière arrière après l’avoir salué respectueusement.
– Pas toute jeune, cette voiture…
– Beaucoup plus que son chauffeur, mon général,
réplique le conducteur.
De Gaulle s’arrête, regarde le caporal. En effet. Il fronce le sourcil.
– Et vous n’êtes que caporal ?
– Réserviste mobilisé en tant que seconde classe, mon général.
– Ah ! Vous avez donc fait du chemin…
– C’est normal pour un conducteur, mon général.

Avec de l’humour en plus, songe le général ministre en s’asseyant dans la confortable banquette.
– D’où êtes-vous ? Il me semble reconnaître votre accent…
– De Lille, mon général.
– Ah, c’est donc ça. Soit. Voyons donc comment vous vous débrouillez.

Après que l’aide de camp au béret et le policier ont pris place, Victor démarre souplement la Delage, sans à-coup. Le moteur est discret, sa chanson douce, berçant De Gaulle au rythme des changements de vitesse. Les sièges ont ce confort moelleux à la française qui lui rappellent la Panhard, pas la mollesse des limousines d'outre-Atlantique, ni la rudesse des Teutonnes. Et enfin, il se retrouve à l’air libre. Il faut que ce foutu divisionnaire joue les rabat-joie en parlant d’absence de blindage et même de la plus minime protection, eh quoi, on peut vivre, non ?
Au petit soir, alors que le caporal ouvre la portière pour laisser descendre le grand ministre, celui-ci le remercie chaleureusement tout en allumant une cigarette.
– Très bien, votre conduite est excellente, tout comme ce véhicule, caporal. Votre nom ?
– Victor, mon général. Henri Victor.
– Et la voiture ?
– Une Delage D8 de chez Franay, mon général.
– Delage, très bien. J'ignore quand mon chauffeur habituel pourra reprendre son service. D’ici là, continuez.



5 juin 1942
L’odyssée du caporal Victor
Changement de général
Alger
– Le général Philippe “Leclerc” de Hauteclocque entre dans le bureau du ministre de la Guerre. C’est plus une visite de courtoisie, simplement pour discuter des dernières nouvelles du front grec, ou obtenir des informations sur l’équipement de la 2e DB et son futur proche. Échanges cordiaux entre deux hommes s'estimant mutuellement. A un moment, la discussion s’oriente sur le mode de transport du divisionnaire, Hauteclocque se plaignant de l’inconfort des command-cars américains et de la perte de son chauffeur, tué par un éclat d’obus en Grèce. Ce qui donne des idées à De Gaulle.
– Vous comprenez, mon général, ceux que j’ai eus depuis sont plus des conducteurs que des chauffeurs…
– Oui, je vois. Je vois très bien, même… J’ai peut-être ce qu'il vous faut… Le chauffeur qui a remplacé Sahuquet, blessé lors de l'attentat. Celui-ci vient de revenir de convalescence, donc son remplaçant est libre. Il devait repartir à Casablanca, mais je peux vous le faire transférer. Une crème. Expérimenté, et doux dans sa conduite tout en étant efficace. Il connaît même les camions et autocars, donc il pourra sans problème conduire votre command-car ! Tiens, j’y pense : Eisenhower m'a offert une Américaine un peu spéciale, très grande : je peux y entrer avec mon képi sans toucher le toit… Et pratique : il y a une table assez grande pour déployer une carte d'état-major. Je peux aussi vous la laisser, si vous voulez.
– Vous n’y tenez pas ?
– Ma foi, je préfère la Delage décapotable, on y respire mieux. Et une voiture d'état-major alors que je suis confiné au ministère ne m’est guère utile.
– Dans ce cas, si vous pensez que cela ne choquera pas Eisenhower, je veux bien l’ensemble.
– Parfait. Pour en revenir aux automitrailleuses blindées…



6 juin
L’odyssée du caporal Victor
Stout Scarab
Alger
– La voiture qui arrive doucement vers le perron de l’hôtel Saint-Georges n’en finit pas d’attirer les regards, sa forme originale soulevant des commentaires aussi divers que variés, allant de l’admiration au rejet total. Songez donc : une carrosserie d’un seul tenant, sans ailes rapportées, ce n’est pas encore très courant. Le moteur en position arrière ? Il faut être connaisseur pour parler d’une Tatra ou d’une Kaefer, encore que celles-ci ont tout de même des ailes sortant du volume de l’habitacle. Indifférent aux regards et commentaires, le chauffeur, en uniforme de caporal de la Terre, échange quelques mots avec le portier sous l’œil de deux sentinelles, avant de grimper les degrés du perron et de s’engouffrer dans l’hôtel. Nouvelle discussion avec l’accueil, puis l’homme se dirige vers une table où un général lit un journal devant les reliefs d'un petit déjeuner.
– Mes respects, mon général…
– Bonjour caporal.
– Je suis votre nouveau chauffeur, sur ordre de monsieur le ministre de la Guerre.
– Ah ! Parfait. Votre nom ?
– Victor, mon général. Henri Victor.
– Et vous êtes venu avec cette limousine américaine ?
– Tout à fait, mon général.
– Eh bien, allons-y. Vous savez où se trouve le casernement de ma brigade ?
– On me l'a indiqué, mon général.
– Parfait.

S’appuyant sur sa canne, Hauteclocque se lève, traverse le hall, suivi du caporal, et s’arrête après avoir passé la porte.
– C'est… ça ?
– Oui, mon général. Une Scarab, de chez American Stout Cars. C'est assez surprenant d'aspect, mais très grand et très confortable, je dois dire.
– Moui… Je comprends pourquoi De Gaulle me l’a refilée… Enfin, voyons ce qu’il en est.

Le chauffeur descend rapidement l’escalier, soulève d’un doigt une poignée affleurant dans la carrosserie, ouvrant la porte, qu’il tient pour son nouveau patron.
– Ah ça ! La banquette est fort éloignée de la porte ! Y en a-t-il une autre de l’autre côté ?
– Seulement pour le chauffeur, mon général.
– Avec ma taille et ma patte folle, ça ne va pas être facile pour grimper là-dedans… Qu'est-ce que c’est que cette idée de ne mettre qu’une portière, et à cet endroit ?
– C'est assez haut de toit, vous savez. Si vous préférez, il y a le siège latéral, qui pivote sur trois-quarts de tour, mon général. Il y a un levier sur le côté droit pour faire la manœuvre.

Hauteclocque grimpe sur le petit siège, actionne le levier et se retrouve face à la route, légèrement décalé par rapport au conducteur, qui s’installe à son poste après avoir refermé la porte du général.
– Moui, ce n’est pas très confortable, mais ça ira mieux que de me plier en deux pour m’asseoir dans le fond. Allons-y.
L’Américaine monocoque s’ébranle doucement, sous les regards intrigués des passants. A l’intérieur, le chauffeur manipule diverses manettes, le regard rivé sur la route.
– Pouvez-vous ouvrir une fenêtre, caporal ? On étouffe…
– Patientez un instant, mon général, cette voiture est équipée d’une climatisation, un peu délicate à mettre en œuvre, mais efficace, et il est préférable de ne pas ouvrir de vitre pour cela.

De fait, l’atmosphère se rafraîchit légèrement, avec un petit courant d’air fort agréable. Leclerc se tait, observe la conduite du caporal et la circulation, avant de se caler dans le fauteuil, satisfait de son inspection. Au moins, De Gaulle ne lui a pas menti sur un point : cet homme sait conduire. A l’approche du camp, Victor modifie la position des leviers de climatisation, expliquant au général qu'il est préférable de remonter la température avant d'arriver, pour éviter un choc thermique… et une angine ! Devant la voiture inconnue de tous, la barrière du camp reste fermée jusqu’à ce le sous-officier de jour aperçoive la silhouette du général. Garde-à-vous, ouverture immédiate. Leclerc guide le chauffeur jusque devant le bâtiment principal, où la grosse limousine s’arrête. Le caporal sort, fait le tour et ouvre au général, sous l’œil ébahi des présents. Hauteclocque déploie sa haute stature, contemple le véhicule et le chauffeur avec un petit sourire de satisfaction, avant de s'adresser à un adjudant qui vient de sortir du quartier général.
– Ah ! Petitjean ! Vous vous occuperez de faire les paperasses pour l’intégration du caporal Victor, ici présent, au sein de la Brigade, comme mon chauffeur personnel, et vous lui trouverez une chambre. Caporal, avez-vous emmené votre paquetage ?
– Non, mon général, il est au parc véhicules, à l’autre bout de la ville.
– Alors vous irez le chercher, dès que Petitjean aura fait les papiers. En attendant, allez donc porter la voiture au garage, qu’ils y posent mes fanions, on circulera mieux ainsi.

Le général s'engouffre dans la bâtisse, laissant les deux hommes sur le perron. L’adjudant, de forte taille et carrure contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, observe un court instant de haut en bas le caporal en baissant les yeux, puis lui tend la main.
– Ici, au service du général, on se tutoye entre nous, mais pas devant les hommes. Moi, c'est Robert, et toi ?
– Henri, enchanté.
– Viens, on va faire faire de suite les papiers, et je t’emmène ensuite au hangar.

Les deux hommes pénètrent à leur tour dans le QG et vont droit à un petit bureau, où un soldat tape à la machine.
– Verdu, prépare une lettre de mission pour intégrer le caporal à la Brigade. Un exemplaire pour lui donner à transmettre à son ancien détachement, au parc d’Alger, un pour le GQG, et un pour nous, donc deux carbones.
– Euh, le parc d’Alger n'est pas mon vrai détachement, c’est provisoire. Je dépends plutôt de celui de Casablanca.
– Ah ! Alors un troisième carbone pour Casa, Verdu. Note les coordonnées du caporal et tape le tout, nous on file au hangar. Quand c’est prêt, tu nous apportes une copie là-bas.
– Compris mon adjudant.

Le grand qui s’appelle petit et le petit qui n’est vraiment pas grand ressortent dans la cour, déjà étouffante de la chaleur de juin. Tous deux montent dans la limousine et Victor démarre, cette fois en mettant la clim’ plus fortement pour contrer la chaleur qui s’est installée, provoquant l’étonnement de l'adjudant. Le garage n’est pas très loin, mais c’est plus agréable ainsi. La voiture s’arrête dans le hangar abritant les mécaniciens, au travail sur plusieurs véhicules neufs, qu’ils adaptent ou préparent. Des regards surpris convergent vers le véhicule aluminium.
– Qu’est-ce que c’est-y comme engin, ça ?
– C'est la nouvelle voiture du général, Georges. Faut y mettre ses fanions. Et fissa, car le caporal Victor que voici, son nouveau chauffeur, doit aller chercher son sac au parc automobile.
– Eh, faut le temps, quand même ! Y’a pas de mât de support, on doit percer les ailes et en boulonner, et pour ça faut virer les roues, déjà.
– Eh bin, grouille ! Si vous traînez, le général va vous tirer les oreilles…
– Si c’est le nouveau chauffeur du général, il pourrait peut-être prendre le command-car Dodge, pour s’habituer à sa conduite.
– Oh, je pense que je connais, j’en ai convoyé de plusieurs types du port de Casablanca au parc véhicules, avant de faire chauffeur de général !
– Prends-le quand même, ça ira plus vite pour toi et ça nous laissera le temps pour poser les fanions. Tiens, le v’là, il a déjà ses fanions, çui-là.
– Ah, un WC58 avec radio, mazette !
– Ça, le général est bien vu…
– Et il est aussi pointilleux, va pas nous l'abîmer.

Un soldat arrive, et interrompt la conversation. C'est Verdu, avec la lettre d’intégration du caporal, qui prend le papier, le glisse dans son portefeuille, grimpe dans l’engin et s'installe. Contact, démarreur, le 6-cylindres s’ébroue tranquillement. Première, pas de craquement, le 4x4 sort doucement du hangar, sous les yeux des mécanos. Dubitatif, le dénommé Georges s’adresse à l’adjudant.
– Dis donc, Robert, il va faire la gueule, Ferreira.
– Bah, depuis le temps que le général lui dit qu’il conduit mal, il doit s’y attendre…
– Ouais, mais un gars qu’on sait même pas d’où il vient…
– T’as entendu : il convoyait des véhicules à Casa. Sinon, il est du Nord, si tu veux savoir d’où il est. De Lille. Et va falloir lui trouver une piaule, au fait.
– On peut le mettre avec Vandevelde, il est aussi Nordiste, et il se sent seul au milieu des gars du Sud.
– D’accord. Quand il rentrera avec son sac, tu lui indiqueras la chambrée.

De la fenêtre de son bureau, Hauteclocque voit le Dodge partir, le caporal au volant. Il fronce le sourcil. Aperçoit Petitjean qui revient du garage à pied. A peine entré, l’ordonnance se voit interpellée par le général, qui s’enquiert de la raison du changement de programme, ce que l’adjudant explique.
– Pas bête… Il connaît donc déjà ce type de véhicule ?
– Pour sûr mon général, il en a convoyés. Là, il est parti sans même faire craquer une vitesse.
– Ça va me changer de Ferreira…
– A ce propos, mon général, que va-t-il devenir, Ferreira, quand il va rentrer de l’infirmerie ?
– Il reprendra le volant d’un camion, et remplacera Victor en cas d’indisponibilité.
– Bien, mon général.

Une heure plus tard, le Dodge se présente devant la barrière du camp, qui s’ouvre rapidement, cette fois. Le chauffeur va directement au garage, où il rentre le véhicule. Le prénommé Georges l’interpelle à sa descente, alors qu’il prend son paquetage.
– Eh bien, t’es un rapide, toi !
– Suffit de pas se prélasser et de savoir où passer, mais j’avoue que les fanions, ça aide bien aussi ! Et encore, j'ai ralenti sur la fin, car il me semble qu’il y a le roulement arrière gauche qui déconne…
– T’es sûr ? Tout est neuf…
– Mets la main dessus, tu verras.

Perplexe, le mécano passe la main derrière la roue, et la retire vite : ça chauffe, en effet !
– M…e alors ! Ça grince fort ?
– Pas trop, c'est un début, mais j’ai l’ouïe fine.
– Sûr, faut le changer… Oh les gars, intervention immédiate sur le Dodge du général ! Roulement arrière gauche à changer, fissa ! Heureusement que l’autre… le machin… l’est fini. Ça s’appelle comment au fait, c’te Américaine ?
– Une Scarab, de chez American Stout Cars.
– Scout cars ?
– Non, Stout, comme la bière belge…
– Euh, ça je connais pas non plus…
– C’est une bière très brune presque noire, avec un goût de café, pour résumer.
– Ah, je ne sais pas si j’aimerais.
– Tu as raison, moi, je n’aime pas. Ma femme, si. On en prend donc quand on va se balader en Belgique.
– Tu vas te promener facilement en Belgique ?
– Pas si facilement que ça, il y a la douane, mais c’est pour aller voir les amis ou la famille.
– Tu as de la famille en Belgique ?
– Dame, quand tu habites à moins de 20 km de la frontière dans un coin bien peuplé, ça arrive souvent !
– Bon, en parlant de Belge, je vais te loger avec un Flamand du Nord, Vandevelde qu’y s’appelle.
– Ah, très bien. Où est-ce ? Je voudrais poser mon sac.
– A droite sur le côté du hangar, il y a des logements. Ta chambrée, ce sera la 6, au fond.

Le caporal met son sac sur son dos et part trouver son nouveau nid. Pas très douillet : une grande pièce avec six lits, six armoires, une table au centre et deux bancs. Un type se repose sur un lit, tout habillé, godillots aux pieds. Présentations. C’est le dénommé Vandevelde, qui n’est pas de service. Taciturne, il désigne de la main un lit et une armoire au nouvel arrivant, avant de lever un sourcil épais lorsque Victor lui précise qu’il est de Lille, mais cela ne lui arrache qu'un vague « Ah, bien » pour tout commentaire et conversation. Ce qui ne perturbe pas outre mesure le caporal, qui installe ses maigres effets dans l’armoire et prépare le lit avec les draps et couvertures qui se trouvaient dans le meuble de bois branlant. La porte s’ouvre, laissant passer un jeune mécano en bleu de travail.
– Caporal, le général vous fait demander avec une voiture… Mais vous n’aurez que la Stoute, on n’a pas fini le Dodge.
– J’arrive.

Laissant ses affaires en plan, le chauffeur suit l’arpète jusqu’au garage, où la limousine arbore fièrement les fanions du général. Mise en route, l’auto part doucement pour aller s’arrêter, moteur tournant, devant le QG, où attend Philippe de Hauteclocque, appuyé sur sa canne, Petitjean et un officier derrière lui.
– Qu’est-ce que c’est, caporal ? J’avais demandé le command-car, nous allons au champ de manœuvres, pas en ville.
– Désolé mon général, mais le Dodge a un problème de roulement. Je l’ai entendu en revenant, je l’ai signalé aux mécaniciens, et ils le changent. Si vous le désirez, je peux aller chercher un autre véhicule ?
– Non, ça ira. Je vais même essayer l’arrière, puisque nous sommes trois à embarquer.

Le regard un peu noir, le général pénètre dans l’automobile en se baissant, et parvient à aller jusqu’à la banquette. Pas trop de mal, finalement, le toit est assez haut, comme disait De Gaulle. L’officier s'installe à ses côtés, l’adjudant prenant place sur le siège pivotant, face à la route pour guider le conducteur. Tranquillement, la limousine sort du Quartier.
Le champ de manœuvres se situant dans le désert, il n’est accessible que par une route peu fréquentée, donc mal entretenue. Qui plus est, les chenilles n’aident pas vraiment à la maintenir en bon état, malgré qu’un officier du Génie ait déclaré qu’au contraire, les chenilles allaient tasser la terre et les cailloux. Prodigieux optimiste ! Néanmoins, la suspension à roues indépendantes sur amortisseurs hélicoïdaux et les pneus à flancs hauts et basse pression encaissent bien les aspérités du chemin, aidés par la conduite en douceur du Lillois. Parvenus à destination, c’est un général frais et satisfait qui se déplie pour sortir.
– Tout compte fait, ce n’est pas si mal, cet engin. Faudrait voir au garage s’il n’y pas moyen de mettre une portière de plus pour accéder directement à la banquette. Même s’il faut la mettre de votre côté, caporal.
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Hendryk



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MessagePosté le: Sam Juil 17, 2021 20:42    Sujet du message: Répondre en citant

Ah, ça fait plaisir de voir apparaître la Scarab!
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