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1940 - La France continue la guerre
 
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Intégrale 1942 "Fabrice(s) à Waterloo"
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Aoû 29, 2012 14:58    Sujet du message: Intégrale 1942 "Fabrice(s) à Waterloo" Répondre en citant

10 janvier
Les carnets de Jean Martin
Paris
Je ne sais pas trop si je dois maudire Alphonse Mercadet ou si je dois le remercier de cette soirée…
Aujourd’hui, c’était mon anniversaire. Je pensais que personne ne me le souhaiterait, je me trompais ! Après les cours, on était une petite dizaine dans notre troquet habituel, quand les filles nous ont rejoint avec à leur tête Suzanne, qui a lancé un bruyant et enthousiaste « Joyeux anniversaire » en m’apercevant ! Les autres, un peu surpris (moins que moi !) ont repris en chœur. Après quelques discussions sur le Deuxième Bac (quand faut-il commencer à réviser, etc.), on a échangé (enfin, les copains ont échangé) des considérations stratégiques sur ce qui arrivait aux Américains, sur la bataille qui a eu lieu la semaine dernière en Mer de Chine (comme si ça nous concernait !) et on s’est séparés pour rentrer dîner.
C’est là que Suzanne s’est mise à me raccompagner ! Je voyais bien que c’était pas son chemin (elle habite chez une vieille tante, si j’ai bien compris, son père est officier et prisonnier, sa mère est morte en 38 d’un sale truc), mais j’osais rien dire. Je suis pas très doué pour parler, je crois, et aux filles encore moins… Heureusement, elle a fait toute la conversation. Elle n’a cessé de parler de tout et de rien, me demandant d’où je venais, avec qui je vivais, et mes parents, et où j’étais pendant les vacances, qui étaient ces hommes patibulaires qui avaient l’air de bien me connaître (c’est vrai que Porcelaine et Célina font un peu peur si on les connaît pas…), qu’est-ce que je voulais faire plus tard… J’ai répondu le plus franchement possible. Cela faisait bien longtemps qu’on s’était pas intéressé à moi – enfin, pas comme ça. Mais j’ai caché le plus possible mes activités au SONEF et j’ai esquivé les questions politiques… Non pas que j’ai honte de ce que je fais, je ne veux que le bien de mon pays, mais ces derniers temps, au lycée, les copains, et même les profs, à mots couverts, critiquent de plus en plus le gouvernement… Je ne veux pas faire de vagues, alors je ne dis rien, bien sûr…
Finalement, quand j’ai eu le courage de commencer à poser des questions à Suzanne (les nénettes, ce qu’elles veulent c’est qu’on leur parle d’elles, arrête pas de me répéter le Zazou, quand on aborde le sujet), on arrivait en bas de chez moi… Et bien évidemment, Porcelaine et le Zazou m’attendaient à côté d’une Traction avec le macaron du SONEF sur le pare-brise !
J’ai tourné la tête vers Suzanne, son regard s’est assombri d’un coup, puis elle m’a regardé en souriant légèrement. Elle m’a dit « A très bientôt… Et encore bon anniversaire ! » puis elle m’a embrassé du bout des lèvres et s’est en allé d’un pas pressé, me plantant là comme une cloche incapable de trouver une réponse.
Le Zazou m’a tapé sur l’épaule et m’a dit : « Allez tombeur on est partis ! On a une surprise pour toi dans la voiture, le patron te sort pour tes 18 ans ! »
Finalement, ils étaient deux à avoir pensé à mon anniversaire : Suzanne et Mercadet !
Un costume à la dernière mode m’attendait dans la voiture, avec un pot de gomina et un peigne (« Coiffe toi, tu vas dans le monde ! » m’a dit le Zazou). Je suis rentré chez moi m’habiller et me coiffer et nous voilà partis pour un grand hôtel parisien, où on donnait une réception. Il y avait là Monsieur Bonny et Alphonse Mercadet.
– Joyeux anniversaire, gamin ! m’a lancé Mercadet, l’œil rieur. T’as 18 ans, t’es un mec, un vrai maintenant…
– C’est quoi cette réception ? j’ai demandé, un peu épaté par toutes ces lumières, ces costumes chics, ces femmes élégantes, ces officiers en grand uniforme.
– Bof, la routine ! Les Teutons… (Mercadet a baissé la voix, regardant par dessus son épaule pour voir si quelqu’un l’avait entendu) je veux dire nos amis d’Outre-Rhin aiment bien ce genre de petites sauteries ! Le Gross Pariss, comme ils disent ! Allez viens, je vais te présenter…
Durant une bonne demi-heure, Bonny et Mercadet m’ont présenté à plein de gens dont je n’aurais jamais rêvé faire la connaissance. Chose surprenante, Mercadet semble plus connu (ou plus apprécié ?) que Monsieur Bonny lui-même…
J’ai serré la main à Monsieur Abetz, l’ambassadeur allemand en personne, au général Choupeulnagueule (j’ai pas dû bien comprendre son nom !), au ministre de l’Intérieur Monsieur Darnand (l’autre ministre de l’Intérieur était à l’autre bout de la salle et on n’a pas été le voir) et à l’idole de Guy, Jean Borotra ! Le Mousquetaire ! Le Basque Bondissant ! Il m’a même signé un autographe, avec un air amusé (j’ai dit de mettre « Pour Guy »). A chaque fois, Mercadet m’annonçait en disant : « Et voici Jean Martin, mon commis. » A peu près tout le monde souriait quand il disait ça.
Au bout d’un certain temps, je me suis assis tout seul sur une chaise, sirotant flûte de champagne sur flûte de champagne, je commençais à me sentir pompette quand Mercadet, qui ne s’était pas soucié de moi depuis au moins une heure, a couru me chercher, m’a agrippé par la manche et m’a conduit près d’un petit cercle ou se trouvaient entre autres Monsieur Darnand, Monsieur Bonny et l’ambassadeur Abetz.
Il a interpellé un nouvel arrivant, qui portait une veste en fourrure superchic : « Monsieur le Secrétaire Bousquet ! Quel plaisir de vous revoir ! Je vous présente mon commis, Jean Martin, il a eu affaire à vos hommes il y a un mois, c’était une désolante méprise… Vous vous souvenez ? » il a dit d’un air innocent… Le Secrétaire d’État à la Police a grommelé quelque chose puis est parti à l’autre bout de la pièce. Tous les autres ont eu de grands sourires, je crois bien qu’ils se moquaient de lui.



4 février
Le journal de Jacques Lelong
Paris
« Tout va mal. Les bulletins de victoire navale japonais se multiplient, et par ici, j’ai l’impression que l’Allemagne va continuer tranquillement d’écraser toute l’Europe entre Manche et Méditerranée jusqu’à la fin des temps. Radio Alger dit qu’ils ont décrété la levée en masse à Saigon. Si seulement ils en avaient fait autant à Paris en 40 ! Je me serais engagé en trichant sur mon âge, et je ne me poserais plus aujourd’hui des questions idiotes, du genre “Pourquoi Isabelle ne m’adresse-t-elle plus la parole ?” Aujourd’hui, j’ai acheté un bouquet de fleurs (en cette saison et en cette “douloureuse période”, comme dit l’inénarrable Philippe Henriot, je me suis ruiné) et j’ai voulu le porter chez elle. Je sonne : rien. Je vais demander à la concierge si M. Maroux et sa fille habitent toujours ici, elle me répond qu’ils sont partis il y a huit jours, et bon débarras, et un jeune homme bien comme moi ne devrait rien avoir à faire avec une fille “que je serais pas étonnée qu’elle fricotte avec ces Messieurs.” Avec les Boches ? Elle est complètement folle, cette pipelette ! Mais je la vois tous les jours en cours, Isabelle, même si elle regarde ailleurs que dans ma direction. J’arriverai bien à la coincer un de ces quatre matins.
En attendant, avec mon bouquet, j’avais l’air niais, et une inspiration idiote m’a pris, à force d’entendre parler des braves Vietnamiens qui s’engagent en foule pour défendre les idéaux révolutionnaires. J’ai marché à grands pas jusqu’à la rue de Saigon, dans le 16e, près de l’avenue Foch – il faisait un froid de canard, ça m’a réchauffé. Là, j’ai soigneusement déposé mon bouquet contre un mur, juste sous la plaque portant le nom de la rue. Je crois que personne ne m’a vu, à part une petite dame qui m’a regardé d’un air bizarre. Quel bel acte de Résistance, n’est-ce pas ! »

[Voir section de Février 1942 sur la France occupée]


13 février
Les carnets de Jean Martin
Paris
Suzanne passe de plus en plus souvent à la maison…
Au début, elle était surprise de me voir habiter seul dans cet appartement, meublé de façon disparate avec une table, des chaises et des couverts estampillés “US Embassy”. Puis, elle a fini par laisser de côté ces détails.
En revanche, elle me pose plein de question sur ce que je fais… J’ai fini par lui dire pour mon travail au SONEF. Elle a une réaction bizarre quand je lui en parle, elle a l’air alternativement terrifiée puis passionnée.
Moi c’est elle qui me passionne. Ce soir, comme mes baisers se faisaient plus pressants, elle est partie en me disant : « Demain, c’est la Saint Valentin. J’aimerais la passer avec toi. Une journée sans penser à cette guerre, aux privations, à la politique, juste une journée avec toi… Toi et moi… Tu veux bien ? »
J’ai bafouillé un « Oh oui » et elle est partie d’un pas léger prendre son dernier métro…
Il est plus de minuit ! Il faut que je demande conseil, mais à qui ? Je ne connais pas vraiment ces trucs là ! Et si je la décevais ? Faut que je demande au Zazou ! Ou bien à qui ?



27 février
Les carnets de Jean Martin
Paris
J’ai accompagné Alphonse Mercadet à une autre réception. « Pour que tu voies un peu ce que c’est que la Politique » qu’il m’a dit en faisant sentir le grand P. Décidément, il y a pas mal de vie mondaine, comme on dit, malgré la guerre et le rationnement. Il paraît pourtant que c’est pas drôle pour tout le monde…
J’ai été surpris que beaucoup de gens se souviennent de moi ! Monsieur le Ministre Darnand, entre autres m’a salué en m’appelant « Commis ». Un autre ministre m’a même baptisé « Commis de la rue Lauriston ». Ça va me rester !
A un moment, Mercadet m’a tapé sur l’épaule et m’a montré l’entrée de la salle. C’était le Président qui arrivait ! Laval, bien sûr, pas ce fuyard de Lebrun qui nous a laissé tomber. Il était entouré d’officiers allemands et d’officiels français. Malheureusement, je n’ai pas pu lui être présenté. J’ai remarqué que Marcel Déat et Jacques Doriot le regardaient d’une drôle de façon…
Une fois retombée l’effervescence provoquée par son arrivée, j’ai vu M. Jacques Doriot, accompagné d’un officier allemand (je crois que c’était le général Choupelmachin), s’avancer vers le Président et lui présenter quelque un qui restait dans son ombre depuis le début de la soirée.
– Monsieur le Président, permettez-moi de vous présenter Olier Mordrel, dirigeant du Parti National Breton, a commencé le ministre de l’Intérieur
– Enfin de feu le Parti National Breton, a râlé ce Mordrel. Le PNB, que vous avez illégalement dissous en octobre 1940. Chose que même les impérialistes de la prétendue République française n’avaient pas osé faire en 1939, quand ils nous ont emprisonnés, moi et mes camarades, dans les geôles liberticides de votre pays !
Le général allemand au nom imprononçable observait la scène avec un grand sourire.
Le Président s’est contenu, mais sa colère était visible. Calmement, il a fixé Doriot dans les yeux et lui a dit :
– Monsieur le ministre de l’Intérieur, dois-je vous rappeler que votre tache consiste à préserver l’unité de notre pays à tout prix, j’ai dit à tout prix et que diverses ambitions ou amitiés de circonstances (il a jeté un bref coup d’œil à Mordrel avec une moue méprisante) ne sauraient remettre ce principe en cause. Notre pays, la France, souffre déjà assez des visées destructrices des Anglo-Américains et des pantins d’Alger à leur solde pour que nous nous querellions !
Il y a eu un silence, puis le Président a commencé à s’écarter des trois autres, avant de lancer : « Néanmoins, monsieur le… syndicaliste, si votre… association (chaque fois, il a refait la moue) à but non lucratif a besoin d’un coup de pouce, vous pourrez toujours joindre mes services à Matignon. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour soutenir la vie culturelle de cette belle région française… » Puis il s’est éloigné, laissant Doriot calmer le Mordrel qui piétinait de rage.
Mais l’Allemand l’a suivi, l’a retenu par le bras et lui a murmuré quelques mots – j’ai compris qu’il lui parlait de Bretagne ou de Bretons. Ça n’a pas eu l’air de plaire du tout au Président, qui est allé rejoindre M. Darnand et M. Deloncle.
Quelques minutes plus tard, Alphonse m’a fait signe qu’il était temps de filer. En route (je conduisais évidemment), comme il semblait de très bonne humeur, j’ai osé lui demander : « Pourquoi ils ont fait ça tout à l’heure ? »
– Qui ça ?
– Monsieur Doriot et le général Machin. Pourquoi ils ont exhibé ce Breton devant le Président Laval ?
– Doriot, je sais pas. Mais (là il a réussi à prononcer le nom du général) aime bien faire ça, comme l’ambassadeur Abetz d’ailleurs. Ça leur permet de faire toucher à Laval la limite de son pouvoir. Même chose pour ses ministres, ils aiment bien jouer en favorisant tantôt l’un tantôt l’autre… Quand au Breton, c’est un pantin à eux. Quand j’ai appris la petite surprise que réservait Doriot, je me suis renseigné auprès d’un ami à moi sur ce Mordrel et son Parti National Breton. Avant-guerre déjà, il était plus ou moins acoquiné avec l’Abwehr, les Boches aimaient bien les Bretons, ils sont particulièrement friands de tout ce qui est indépendantisme, régionalisme ou autres trucs du genre. Même chose avec les Flamands, en Belgique. C’était dans les tuyaux à Berlin de favoriser les nationalistes bretons, flamands et autres, histoire de nous affaiblir. Aujourd’hui, ça leur permet de s’amuser.
– Mais avec des gens comme le président Laval ? On est en train de se reconstruire, non ? Quand la guerre sera finie, on pourra redevenir puissant, non ? Comme avant…
Il a ricané : « Mais bien sûr ! Et on vaincra à nouveau parce que nous sommes les plus forts, c’est ça ? Tu sais, j’aime ce pays. J’ai fait des choses pas très catholiques pour lui ces vingt dernières années et je continue à en faire… J’aime pas les Boches, faut pas croire hein ! C’est pas parce qu’ils m’appellent par mon prénom en me tapant sur l’épaule que je les aime, les Frisés. Si j’avais eu la formule magique pour les renvoyer de l’autre côté des Ardennes, je l’aurai fait volontiers… Seulement, ils sont là et maintenant ce pays a besoin de quelque chose de costaud, d’une révolution, une sorte de Révolution Nationale, comme disait Valois après l’Autre guerre. Et c’est pas ceux d’Alger qui vont la faire, hein ! Faut pas se leurrer ! Si ils gagnent, et franchement ça m’embêterait de plus en plus, quand ils reviendront, tout reprendra comme avant ! Comme si rien ne s’était passé : des gouvernements qui durent trois mois, des magouilles, des pots de vin… Alors, je préfère taper dans le dos des Boches pendant quelque temps pour mieux aider le pays à se refaire une santé, faire en sorte qu’il redevienne un vrai pays. Pas une pantalonnade de financiers. Qu’on se reconstruise. C’est seulement comme ça que dans vingt ans, on pourra faire payer à l’oncle Adolf ce qu’il nous a fait ! »
Il s’est tu un moment, puis il s’est mis à me parler des autres membres de notre équipe. Il m’a raconté comment il avait connu Porcelaine (notre armoire à glace s’est arrangé pour se faire réformer parce qu’il avait les pieds plats), le Zazou (un provocateur, selon Mercadet, un fils à papa qui s’habille et se coiffe comme ça uniquement pour choquer le bourgeois) et Célina (un petit apache du dimanche sans grande envergure, mais qui lui avait sauvé la mise en 25 dans le Rif, quand il était encore dans l’armée).
J’étais assez surpris de toutes ces confidences, alors je lui ai demandé pourquoi il me disait tout ça. Il a souri : « Parce que je te fais confiance, gamin ! » Je l’ai regardé, j’ai failli rentrer dans un réverbère : « Vraiment ? » Il a encore souri, en hochant la tête : « C’est bien simple, gamin. T’habites un appartement appartenant à des Juifs dénoncés à la Gestapo et qui ne reviendront jamais. Une bonne partie de ton mobilier vient de l’ambassade américaine où on s’est servis largement (même si les Allemands présents en ont piqué plus que nous). Tu conduis actuellement une voiture aux couleurs du SONEF. On te connaît dans le Tout-Paris comme le Commis de la Rue Lauriston, commis d’un type qui n’aurait jamais dû passer l’hiver 39-40 si y’avait pas eu le scandale Weidmann et si l’administration s’était pas emmêlé les pinceaux… Tu perçois des feuilles de paie avec le tampon SONEF marqué dessus, t’as copiné avec le directeur Bonny et Joseph Darnand en personne te tutoie et t’appelle par ton petit nom… C’est bien simple gamin. Si on perd cette guerre, si l’Allemagne perd cette guerre, enfin si ceux d’Alger gagnent, y’aura un paquet de gens qui se prendront douze balles dans la peau pour moins que ça… C’est pour ce genre de détails que je te fais en-tiè-re-ment confiance. »
M’en fous, de toutes façons ceux d’Alger vont pas gagner.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Aoû 29, 2012 15:02    Sujet du message: Répondre en citant

9 mars
Le journal de Jacques Lelong
Paris
Renault ! Ce sale type ! Et c’est moi qui l’ai descendu ! L’autre jour, quand les frères Magnan sont venus me demander si j’avais toujours le “cadeau” de leur grand-père, j’ai répondu oui, bien sûr. Alors, Hervé m’a dit que “on” allait avoir besoin d’un bon tireur, et que, franchement, il savait que je tirais mieux que lui. Mais il y avait des risques. Des risques ? Alors qu’Isabelle fait mine d’avoir oublié mon existence et que mes parents ont l’air de vivre sur la Lune ? Je m’en fiche bien, des risques !
Nous avons passé le début de la nuit chez un “ami” près de la Porte de Saint-Cloud, et nous sommes sortis avec mille précautions vers trois heures. Nous avons attendu plus d’une heure et demie, gelés, planqués contre le mur de la grosse église de la place. Un peu avant quatre heures, une énorme explosion venant de Boulogne nous a secoués. « C’est bon ! a dit le frère d’Hervé. Je vais me placer en bas du Boulevard Murat, sa voiture ne devrait pas tarder. Je la connais. Je vous ferai signe, et ce sera à vous. »
Et tout s’est passé comme ça. La voiture est venue presque droit sur nous, j’ai tiré, tiré, tiré comme à l’exercice. Comme s’il n’y avait eu personne dedans. Puis nous avons couru nous abriter sans demander notre reste…
Louis Renault, quand même ! Je me demande si j’aurai mon nom dans les livres d’histoire ? En tout cas, maintenant, il faudra qu’Isabelle me regarde !



13 mars
Le journal de Jacques Lelong
Paris
Je ne comprends pas. Avant-hier, j’ai enfin pu parler à Isabelle, lui dire qu’il y avait eu des choses importantes, dont il fallait que je lui parle tranquillement. Elle m’a regardé d’une drôle de façon et m’a dit : « D’accord. Demain soir. Huit heures. Sois très exact. J’ai changé d’adresse, j’habite seule. Mon père se cache en province, il aurait dû être sur la liste des otages de l’autre jour, après l’affaire Renault, mais ils ne l’ont pas trouvé. » Elle m’a soufflé une adresse.
Le lendemain soir – hier soir ! – l’horloge parlante n’était pas plus exacte que moi. J’ai tout raconté en détail. Il fallait que j’en parle à quelqu’un. D’abord, je me poussais un peu du col, et puis j’ai arrêté de poser, je lui ai avoué que j’avais surtout besoin d’être avec elle. Et elle m’a répondu. Sur le même ton. Qu’elle aussi avait besoin de parler – mais de quoi ? Elle ne m’a rien dit, seulement qu’elle était heureuse de me parler, à moi ! La seule chose que je sais, c’est que j’ai dit à un moment qu’il fallait que je parte, sinon j’allais rater le fatidique Dernier Métro. Alors elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Rate-le. Tu prendras le premier demain matin. »
… … …
Toute la journée d’aujourd’hui, j’ai cru voler dix centimètres au dessus du sol, ne plus toucher terre, comme les dieux grecs du Père Gourdon. Et puis ce soir, à la sortie du dernier cours, il y a eu ce type qui m’a interpellé : « Jacques Lelong ? » J’ai fait oui, et il m’a glissé une enveloppe dans la main et il a disparu. Dans l’enveloppe, une feuille avec Son écriture. Deux lignes. « J’ai encore déménagé. N’essaye pas de me revoir jusqu’à la fin de la guerre. Et ne crois pas tout ce qu’on te racontera sur moi. »
Je ne comprends pas. JE NE COMPRENDS PAS !



15 mars
Les carnets de Jean Martin
Paris
Pour la première fois, on s’est fait des Croisés de la Reconstruction ! Enfin ça n’a été qu’une maigre consolation, parce que sinon, on s’est bien loupés…
Ce matin, de très bonne heure, j’ai été réveillé par Mercadet, qui m’a demandé de le rejoindre fissa rue Lauriston. Pour une fois que Suzanne restait dormir à la maison…
Mercadet, Porcelaine et le Zazou m’attendaient, on est tout de suite repartis pour le ministère de l’Intérieur – celui de Doriot, place Beauvau, pas le nôtre ! Là, on a attendu des heures, en essayant de pas se faire repérer. Mercadet nous a expliqué qu’on attendait un type, un Arabe d’Algérie du nom d’El-Maadi. Il fallait le pister à la sortie, le choper dès que possible (il devait rentrer chez lui, mais on ne savait pas où) et le conduire rue Lauriston, où on aurait des tas de choses à lui dire (normalement, c’est plutôt pour faire dire des choses aux gens qu’on les mène rue Lauriston). En tout cas, il fallait l’empêcher d’aller à Radio Paris – enfin, Radio Nouvelle France. Vers onze heures et demie, deux voitures sont arrivées, une auto militaire allemande et une grosse américaine. Peu après, un type basané est sorti du bâtiment, accompagné d’un officier allemand. A ce moment là, Mercadet a filé précipitamment en nous disant : « C’est lui, les gars ! A vous ! »
L’officier allemand est reparti dans sa voiture, puis l’Arabe est monté dans l’américaine, escorté de deux mecs en brun, des Croisés à Doriot. D’abord on a roulé jusqu’à une rue du 18e, où l’américaine s’est arrêtée, mais un des types en brun est descendu le premier et nous a repérés – c’est vrai que le macaron du SONEF est voyant. Il est remonté en voiture et on a commencé une course particulièrement poilante (même si je devrais sûrement pas dire ça devant Mercadet !) dans les rues de Paris. Eh ben, ils avaient beau avoir plus de chevaux que moi, ils sont pas arrivés à nous semer jusqu’à ce qu’un idiot de camion à gazogène me coupe la route ! J’ai failli l’emplafonner et avant qu’on puisse se dégager, ils avaient filé.
Le Zazou m’a conseillé un raccourci vers Radio Paris, mais ils y étaient avant nous. A l’intérieur, ça grouillait de Croisés de la Reconstruction et de mecs de Déat, les « contrôleurs des impôts à mains armée » comme dit Mercadet.
Dans le hall d’entrée, un haut-parleur diffusait ce qui passait sur les ondes. Philippe Henriot était au micro et on l’a entendu accueillir chaleureusement notre cible : « Mohamed El Maadi, bonjour ! » L’Arabe a longuement parlé d’un journal qui allait bientôt sortir, écrit en algérien : Er Rachid. Pour conclure, il a déclaré d’une voix solennelle : « J’appelle tous mes frères algériens, des deux côtés de la Méditerranée, à s’unir pour combattre pour une Grande Algérie indépendante, alliée avec la Nouvelle Europe unifiée sous la conduite de la Grande Allemagne ! »
Un silence de mort a régné pendant plusieurs secondes… Une Grande Algérie indépendante ! Henriot l’avait pas vu venir celle-là !
– Quelle bande de taches… A voir pas plus loin que le bout de leur nez, ils se rendent même pas compte du foutoir qu’ils sèment, mais ça va venir, a dit Mercadet qui venait d’arriver. Allez les gars, on se tire ! Le Patron risque de pas être ravi…
Par la suite, Mercadet nous a raconté le fin mot de cette histoire : ce El Maadi était proche du Rassemblement National à Déat, il avait même occupé quelque temps un poste de Sous-secrétaire d’État aux Colonies auprès de l’amiral Platon, le ministre des Colonies et de la Marine (donc le ministre des types d’Alger, quoi, puisque c’est eux qui ont pris tout ça…), avant que la vieille baderne ne le vire à coups de pompes dans le train parce qu’il avait parlé de « Fédération d’Afrique du Nord indépendante ». Les Allemands semblaient avoir apprécié cette idée et ils avaient poussé pour que El Maadi publie son journal en France, espérant toucher les cercles indépendantistes algériens et influencer les troupes arabes des gens d’Alger. Que ça foute le boxon dans le camp des « fuyards », comme les appelle Philippe Henriot.
Dehors, en allant récupérer la voiture, deux Croisés de la Révolution nous ont toisés : « Alors les filles ! Faudrait apprendre à conduire la prochaine fois ! Le frein à main, faut l’enlever si on veut avancer ! » On a reconnu les types de la bagnole américaine. Mais là, ils avaient fait une erreur : on était quatre et y’avait plus un de leurs copains en vue. Ça a fait mal…

………
Fils du caïd Mahfûz al-Ma’adi, Mohamed El-Maadi est né le 2 janvier 1902 à Constantine. Etudiant en Lettres à la Sorbonne, il commença à faire de la politique, avec l’Etoile Nord-Africaine, ce qui ne l’empêcha pas d’entrer dans l’armée et de devenir capitaine dans l’infanterie, tout en ayant des ennuis avec la Justice pour menées indépendantistes en 1933. Il quitta l’armée en 1936, pour ne pas devoir son avancement au gouvernement de Léon Blum.
Convaincu que le meilleur destin pour l’Algérie était celui d’une unité avec une Europe rénovée, il se rallia au CSAR (Comité social d’action révolutionnaire). En 1938, il lança le journal L’Algérie Nouvelle, dont la parution fut interrompue par la guerre, et se rejoignit le RNP de Marcel Déat, où il devint responsable des questions concernant le Maghreb.
Fin 1941, Déat réussit à le faire entrer au gouvernement en tant que Sous-secrétaire d’État à l’Economie des Colonies. Son séjour y fut bref : en février 1942, il en fut exclu à la demande de l’amiral Platon ! En effet, ce dernier lui avait demandé un rapport sur les projets de reconstruction de l’Afrique du Nord lorsque les Anglais et ceux d’Alger en auraient été chassés. Quelle ne fut pas sa surprise quand El-Maadi lui apporta un rapport préconisant qu’après la victoire finale de l’Axe et l’instauration d’une Nouvelle Europe plus ou moins germanique soit créée une Fédération d’Afrique du Nord dotée de l’autonomie administrative, où tous les habitants, sauf les Juifs, auraient les mêmes droits civiques et civils et où les “indigènes musulmans” pourraient accéder à toutes les charges, sans autres conditions que celles du talent et de la capacité. Les Juifs et les « traîtres » seraient expulsés et leurs biens confisqués. Cette Fédération possèderait une armée propre où les musulmans pourraient arriver au sommet de la hiérarchie et une marine marchande et militaire. Le travail y serait organisé autour de corporations de métiers avec égalité absolue entre leurs membres, le pays serait industrialisé et équipé avec l’aide de l’Europe et le droit de propriété terrienne y serait limité à 500 hectares au maximum.
L’amiral Platon entra dans une colère noire et expulsa El-Maadi de son ministère avant de téléphoner en hurlant à Laval, dans un tel état que le président du NEF s’exclama « Mais il est fou ! » Laval accepta néanmoins de renvoyer El-Maadi de son gouvernement, bien que Doriot fût d’avis contraire, mais c’était une habitude depuis quelque temps déjà.
Après l’interview avec Philippe Henriot évoquant une Algérie indépendante, qui ne fut pas sans créer de remous, El-Maadi fut jugé « antifrançais » par Marcel Déat et exclu du RNP. Er Rachid fut pourtant publié à plus de 50 000 exemplaires jusqu’à la libération de Paris, grâce à une copieuse subvention payée par les autorités allemandes (avec l’argent des “réparations” versé par la France). L’Abwehr tenta d’organiser avec El-Maadi des opérations de subversion en Algérie, mais sans succès : quelques échauffourées et petites émeutes eurent bien lieu en Algérie fin 1942, mais elles furent vite étouffées, après quelques douzaines d’arrestations, par des unités françaises formées d’indigènes d’Algérie dont tous avaient en poche leur carte d’identité de citoyen français !
En janvier 1943, El-Maadi créa la Légion Nord-Africaine, unité paramilitaire commandée par le colonel SS Helmut Knochen assisté par un représentant de Doriot. Cette piteuse légion, formée de repris de justice de droit commun, devait se signaler par diverses atrocités dans les zones d’activité des maquisards avant de s’évaporer au fur et à mesure de l’avance des armées alliées. Réfugié en Egypte, El-Maadi se suicida pour éviter son extradition en 1946.
(Extrait du Grand Larousse de la Seconde Guerre Mondiale, Paris, 1965)


3 avril
De Saint-Ex à PMF
New York
« Mon cher Mendès,
Toutes les nouvelles ou presque, outre votre lettre du 4 mars, me sont parvenues ici à la fois. Permettez-moi de vous dire que rarement Légion d’Honneur fut plus méritée que celle qui vous échoit. Après votre quatrième citation à palme, elle allait de soi. Ou elle serait allée de soi, devrais-je dire plutôt, si le maître de nos Défenses nationales ne se comportait pas d’une manière aussi haïssable, en général, et ne se faisait, en particulier, gloire de son ingratitude. Voilà un homme qui ne se soucie pas plus d’être apprécié par ses camarades qu’aimé par ses subordonnés ! Je n’en suis que plus surpris qu’il vous ait enfin accordé la Belle Rouge plus un quatrième galon. Peut-être a-t-il voulu compenser votre radiation du personnel navigant. Ce serait assez de son genre.
Quels que soient les motifs du Grand Sémaphore, je vous félicite du fond du cœur. Si le champagne m’attend encore à l’Aletti, aux bons soins du barman Edmond, nous en boirons plus d’une coupe quand je viendrai à Alger cet été – en juillet si c’est possible. On s’est enfin décidé en haut lieu à m’accorder une permission. On n’avait, d’évidence, guère envie de me voir traîner mes guêtres à moins de mille lieues du siège du Pouvoir. Je préfère imaginer que l’on redoutait l’écroulement des gratte-ciel de Manhattan, à l’instar des murailles de Jéricho, si je quittais le territoire des États-Unis. À quelles extrémités la solidarité entre alliés ne pousse-t-elle pas ceux qui nous gouvernent !
Il est temps que je change d’air. Je me lasse de jouer les maîtres de relais de poste exotiques, même si les Stratoliner remplacent les diligences. À vous, je puis confier que je me meurs d’ennui.
L’écriture elle-même ne suffit pas à me divertir. Mon Pilote de Guerre, traduit sous le titre Flight to Arras, a rencontré quelque succès, ce qui m’a valu maints déjeuners, dîners, cocktails, signatures, rendez-vous galants, interviews, conférences et tutti quanti. Un temps, ces festivités et les jolies femmes m’ont un peu amusé. Elles ne m’amusent plus. J’ai tout de même achevé mon conte illustré pour enfants, Le Petit Prince. Vous me pardonnerez d’avoir repris le dessin que je vous avais donné à Marrakech pour le personnage de l’Ivrogne. Votre sobriété à toute épreuve étant devenue proverbiale, vous n’y verrez, je l’espère, qu’un signe d’amitié.
Je m’attache maintenant – j’ai trop de loisirs – à mettre au net des monceaux de notes d’un disparate à faire peur. Il y a là, me semble-t-il, la matière de plusieurs livres. Si Dieu me prête vie, je commencerai par une suite à mon Pilote dont je n’ai rédigé encore que le titre, Orphelins du Ciel. Vous-même et vos petits cos de promo de Marrakech y apparaîtrez au premier plan. Qu’en pensez-vous ?
J’avais cru (non : j’avais voulu croire) qu’on ferait de moi, précisément, le pilote d’essai des avions américains que nous acquérons, qu’il s’agisse d’appareils entièrement nouveaux ou de versions nouvelles. Il n’en est rien. On me laisse le manche pendant dix minutes, on prend une photo, et le tour est joué. Si au moins on me versait un cachet digne d’Hollywood !
Je vois que je jacasse, si je puis m’exprimer ainsi, comme une commère au lavoir alors que je ne devrais vous parler que de vous.
Je ne sais si cette lettre vous trouvera encore à l’hôpital, ou si vous avez pu entamer votre convalescence. Dans le premier cas, guérissez vite, je vous en prie, et dans l’autre, reposez-vous énergiquement. Je vous donne l’ordre (je suis votre ancien) d’être sur vos deux pieds quand je viendrai à Alger.
À bientôt, mon cher Mendès, portez-vous bien, et croyez-moi plus que jamais votre ami fidèle.
Antoine de Saint-Exupéry »



30 avril
Un chef de réseau très gêné (en marge du journal de Jacques Lelong)
Paris
« En entrant en Résistance, je savais que je risquais gros, et j’étais prêt à user de violence contre tous les ennemis de la France, fussent-ils eux-mêmes Français, ou prétendus tels. Mais je ne m’attendais pas à devoir plonger dans la plus détestable immoralité. Ce n’est pas sans difficulté que je l’avoue aujourd’hui, et je n’ai pour toute défense que la situation épouvantable dans laquelle se trouvait notre pauvre pays.
A la fin de 1941, j’avais porté secours à un vieil ami, recherché par les sbires de Darnand en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie. Alerté par sa fille – lui-même se refusait à demander de l’aide – j’avais pu lui trouver une cachette en province, mais sa fille, étudiante, restait seule à Paris, l’épouse de mon ami étant décédée depuis quelques années. Mon ami avait finalement accepté de quitter la capitale, en échange de la promesse faite par sa fille de ne plus chercher à me revoir de toute la guerre. Non qu’il craignît que je me comporte avec elle autrement que comme une sorte d’oncle, mais parce qu’il avait deviné mon engagement, et qu’il savait que l’âme française de sa fille la poussait sur cette voie dangereuse. Il ne connaissait que trop bien son enfant.
Au début de 1942, la jeune fille, faisant fi de sa promesse, reprit contact avec moi, pour me raconter une histoire rocambolesque, dont cette guerre n’a cependant pas été avare. Rentrant chez elle un peu trop tard à cause d’un talon cassé, elle avait été arrêtée après l’heure fatidique du couvre-feu par une patrouille allemande particulièrement soupçonneuse et grossière. Elle se voyait déjà expédiée en prison, voire pire, « sans avoir rien pu faire pour le mériter », quand surgit une voiture d’état-major occupée par un colonel de la Luftwaffe. Celui-ci, apercevant une jolie blonde aux prises avec une bande de soudards, fit arrêter son automobile et renvoya les reîtres à leur patrouille, avant de raccompagner la jeune fille en bas de chez elle comme un véritable gentilhomme. Dès le lendemain, le chauffeur déposait un bouquet et une invitation à dîner chez un de ces rois du marché noir qui prospéraient dans Paris occupé avec une clientèle d’officiers allemands et de trafiquants français. La jeune fille – appelons-la Isabelle – accepta. Le jour suivant, elle faisait appel à moi : il lui avait suffi d’un dîner – « et rien de plus » pour découvrir que le lieutenant-colonel Karl-Friedrich Richter, très jeune pour son grade, n’était pas un banal combattant, mais presque un civil, qui devait grade et décorations à ses exploits de pilote d’essai et à ses compétences d’ingénieur chez Messerschmitt. Il occupait à présent un poste clé dans l’infâme collaboration que les marionnettes lavalistes tentaient d’organiser entre ce qui restait d’industrie française et les usines du Reich. Et la délicate enfant, estimant que les qualités de l’homme en faisaient une cible de choix, venait avec calme me demander une arme afin de jouer les Judith de cet Holopherne aéronautique !
Après avoir passé une heure à tenter, sans succès, de la dissuader (elle échafaudait des plans naïfs pour s’en tirer après avoir abattu le colonel), une phrase m’échappa, quelque chose comme : « Il serait préférable de gagner la confiance de cet homme que de l’abattre. » Je me serais coupé la langue, mais Isabelle m’avait entendu et surtout compris. Il est vrai qu’elle étudiait la médecine, et que ces études, je suppose, lui avaient fait découvrir des aspects de la vie dont les jeunes filles sont d’habitude tenues à l’écart. « Or, il n’y a qu’une façon de gagner sa confiance, n’est-ce pas, me dit-elle. J’ai compris, Paul. Je vous promets que, d’ici quelques semaines, ses activités n’auront plus de secrets pour vous. Donc pour les bombardiers anglais et pour nos équipes de saboteurs. »
C’est ainsi que je commençais, à ma grande honte, à jouer un bien étrange rôle : celui d’un souteneur, appelons la chose par son nom, mais d’un souteneur par patriotisme. »

Extrait des Mémoires d’un Agent Secret de la France Combattante, par Paul Morice (Colonel Brume) – Tome 1, Soldats sans uniforme – Plon, 1954 (1ère édition).
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MessagePosté le: Dim Oct 21, 2012 15:04    Sujet du message: Mai Répondre en citant

17 mai
Les carnets de Jean Martin
Paris
On prenait l’apéro avec Porcelaine, Célina et le Zazou dans la grande salle qui nous sert de mess, comme dit Mercadet, quand ce même Alphonse a débarqué, euphorique.
– C’est le grand jour les gars ! Enfin ! On retient plus les coups ! On va pouvoir leur rentrer dedans pour de bon, à toute cette vermine !
– De qui tu parles ? a demandé le Zazou en ouvrant de grands yeux.
– Des cocos bien sûr ! Faut écouter la radio ! Oncle Adolf s’est enfin décidé à leur rentrer dedans. Donc nos larbins de dirigeants vont pouvoir arrêter de faire des mignardises !
Des mecs des 2e et 3e Brigades, assis à d’autres tables, se sont tournés vers lui, l’air choqué, mais il a continué : « Enfin, ils vont nous laisser faire ce pour quoi on est fait : nettoyer cette écurie qui nous sert de pays ! » Certains des mecs choqués se sont levés, mais leurs copains les ont fait se rasseoir vite fait.
– Nettoyer le pays, c’est pas ce qu’on fait depuis un an et demi ? a demandé Célina, qui rentrait d’opération. On s’est pas bouffé du Juif, du Franc-Mac’ et du Résistant, comme ils disent, depuis fin 40 ?
– Oui mais le plus gros reste à faire ! a déclaré Mercadet avant d’être interrompu par l’arrivée du directeur Bonny en personne, accompagné de deux larbins porteurs chacun d’une grosse chemise en carton vert marquée Très Secret ! Il a lancé un sale coup d’œil à Alphonse.
– Eh bien messieurs, je ne savais pas que le SONEF abritait un club de discussion politique… Comme vous le savez grâce aux bons soins du lieutenant Mercadet (en disant ça, il avait l’air d’un acteur de théâtre à qui un autre a volé ses effets), tôt ce matin, les Allemands sont entrés en guerre contre les Bolcheviques et, d’une certaine façon, nous voilà nous aussi en guerre contre les Rouges. On va donc frapper un grand coup ! La Deuxième s’occupera de la Rive Droite et la Troisième de la Rive Gauche, vous trouverez vos instructions dans ces dossiers que vous remettront mes secrétaires. Je compte sur vous pour leur faire payer leur trahison de 39 !
Les hommes des deux autres brigades se sont levés dans un brouhaha et ont suivi les secrétaires vers leurs salles de réunion respectives. Certains en ont profité pour dévisager Mercadet au passage.
Le silence revenu, Mercadet a demandé, limite penaud : « Et nous ? »
Monsieur Bonny a grimacé un sourire : « Vous, Mercadet, malgré tous les problèmes que vous me posez, vous m’accompagnez avec vos hommes pour une opération spéciale dans le Loiret. Certains de vos hommes connaissent déjà, n’est-ce pas ? C’est sur la route de Toulouse ! » (Mercadet a paru surpris que le directeur soit au courant de notre escapade de décembre.)
– Où ça dans le Loiret ? a demandé le Zazou.
– Un bled au plus profond du Gâtinais, Bazoches-sur-le-Betz. Figurez-vous que c’est le repaire d’un des plus grands caïds du Marché noir. Un filou acoquiné avec les gens d’Alger aussi bien qu’avec les simples truands. De là-bas, il tire les ficelles d’un trafic de tout ce qui se mange et se boit sur toute la Région parisienne, de la cochonnaille aux vins fins ! Il touche aussi au trafic d’armes et il lui arrive même de faire passer des Juifs en Suisse ! Mais, à ce que je sais, c’est cher.
– Mais, et les cocos… a bafouillé Mercadet.
– Vous devriez être heureux d’être associé à une opération de salubrité publique, Mercadet ! Les trafiquants du Marché noir sont des vampires ! Il faut faire un exemple pour montrer au peuple que le gouvernement veut délivrer le pays de ces mauvais Français !
– Et il a un nom, ce mauvais Français ? a grogné Mercadet.
– Chamberlin, Henri Chamberlin – mais depuis 40, quand il a été emprisonné pour insoumission, ce sournois porte un nom d’emprunt : Lafont.



19 mai
Les carnets de Jean Martin
Bazoches-sur-le-Betz (Loiret)
Avant l’aube, on a pris position autour de la petite ferme où était censé se trouver le nommé Lafont. Tous les 23 gars de la Première Brigade, plus quinze du SONEF d’Orléans. On a même pas prévenu les gendarmes parce que, comme le dit si bien Monsieur Bonny, « C’est qu’une bande de mous du genou nostalgiques de l’époque où ils obéissaient aux francs-mac’ et aux cocos ! » On a envoyé quelques éclaireurs, dont le Zazou – apparemment, il n’y avait pas de sentinelles, ils devaient se croire totalement en sécurité, ces idiots !
Aux premières lueurs du jour, on a donné l’assaut. Ça a été une véritable boucherie, il devait y avoir une douzaine d’hommes dans la ferme. Les mecs du Loiret ont enfoncé la porte avec une bagnole et sont entrés en flinguant à tout va et c’est là qu’on a vu qu’il y avait quand même des sentinelles, vu que trois gars du Loiret se sont fait étendre pour le compte, plus quatre ou cinq autres qui ont été blessés. Mais le gros de notre Brigade est arrivé, commandé par Mercadet, et ils ont lancé des grenades par les fenêtres avant d’entrer. Monsieur Bonny, le Zazou, moi et Marchand, on s’est dirigés vers une remise où on avait aperçu deux types se carapater. A l’intérieur, il faisait sombre. On inspectait partout quand j’ai entendu craquer le plafond, il y avait une espèce d’étage. J’ai fait signe aux autres et le Zazou a arrosé le plafond avec sa MP40. On a trouvé une échelle, on est montés et on a trouvé un type à moitié habillé, mort, criblé de balles. A ce moment, Bonny nous a appelés dehors. L’autre mec essayait de traverser à la nage un étang qui devait être plus profond et plus boueux qu’il l’imaginait. Bonny l’a mis en joue.
– Vous faites pas de sommation ? a demandé Marchand, l’air surpris. On peut l’intercepter facilement, là où il est.
– Pourquoi faire ? a répondu le directeur. C’est pas lui qu’on cherche.
Et il a tiré. Une fois. Même à trente mètres, j’ai pu voir le grand éclat rouge qui a jailli de sa tête. Mais aujourd’hui, je ne vomis plus pour ça.
Dans la ferme, on triait les morts et les blessés. Les coups de feu avaient cessé. Dans la cour, trois mecs étaient tenus en joue. Monsieur Bonny a sorti une photo de son portefeuille. Il a pointé du doigt le prisonnier le plus à droite.
– Monsieur Henri Chamberlin, dit Lafont, j’ai l’infime honneur de vous dire que vous êtes en état d’arrestation.
L’après-midi, on est rentrés rue Lauriston. Ce n’est qu’à ce moment là que je me suis rendu compte que j’avais raté deux jours de lycée (et un rendez vous avec Suzanne). Avec Porcelaine, on a mangé un bout, puis on a rejoint dans la salle de bains le directeur Bonny et Mercadet, qui étaient en train d’interroger Lafont. J’ai mis quelques secondes avant de le reconnaître, faut dire que deux heures de « salle de bains made in Lauriston » comme dit le Zazou, ça vous change un homme !
– Pour la dernière fois Lafont, donnez-moi le nom de vos fournisseurs. Et surtout donnez-moi le nom des trafiquants que vous approvisionnez et de ces foutus Résistants à deux balles que vous ravitaillez, était en train de dire Monsieur Bonny avec une pointe de lassitude dans la voix.
– Tu peux aller te faire…, a répondu Lafont avec aplomb malgré les dents qui lui manquaient. J’ai pas d’ordres à recevoir d’un cave dans ton genre. Meilleur flic de France de mes fesses ! Si j’avais trouvé le moyen de copiner avec les Boches, tu bosserais pour moi et tu me lècherais les bottes !
Porcelaine est intervenu. Un grand aller-retour dans la tronche par le sparring-partner de deux champions du monde des lourds, ça l’a fait taire, le Lafont ! Bonny a repris : « Je crois savoir que vous avez une femme et deux enfants. Avez-vous déjà entendu parler du camp de Drancy, Lafont ? Je ne pense pas que votre petite famille s’y plaise. »
A nouveau Lafont s’est énervé et à nouveau Porcelaine l’a calmé.
Après un silence, Lafont a grimacé et a articulé avec difficulté : « Je peux vous donner un nom, mais ça risque de pas vous plaire, mon petit Bonny ! »
Le directeur a brandi le poing : « Eh bien vas-y ! »
– Ton grand ami Joseph Joanovici ! Quand j’ai une grosse cargaison, et du meilleur, je m’adresse toujours à lui !
– Tu débloques ! Tu me prends pour un idiot ? Comment… Joseph ! Et tu penses que je vais croire ça ! a bafouillé Bonny, visiblement désarçonné.
– C’est bien ce que je pensais… Je ne vous serai d’aucune utilité, Bonny. Vous ne croiriez pas un traître mot de ce que je vous dirais… Alors faites à votre manière, vous allez vous gourer mais bon, ça vous changera pas… Enfin, vous m’avez trouvé, donc vous n’êtes pas aussi mauvais que les clowns de Doriot…
– Pauvre imbécile ! Je vais t’expédier au trou ! Tu reverras jamais le jour, a explosé Bonny en se dirigeant vers la porte. Et t’auras du bol si tu échappes à la guillotine, on n’est pas tendre avec les trafiquants du Marché noir !
Alphonse m’a ordonné de rester avec le prisonnier, toujours attaché sur sa chaise, et Porcelaine et lui ont accompagné le directeur.
Au bout d’un moment, Lafont s’est mis à parler, d’abord en ayant l’air de se parler à lui-même : « Comme quoi la vie est mal faite… Quand ils m’ont fichu en prison, en 40, ils m’ont envoyé au camp de Cepoy. Là, je m’suis fait deux potes. Deux Boches. Des mecs qui bossaient pour Canaris, le chef de l’Abwehr. En juin, quand on a bien vu que l’armée prenait la pâtée, on a pas mal discuté de ce que je pourrais faire pour eux et de ce qu’ils pourraient faire pour moi une fois qu’on aurait capitulé… Mais manque de pot ! Putain ces cons, ils ont voulu continuer à faire les zouaves en Afrique, en Afrique nom d’un chien ! Et en juillet, ils m’ont lâché, mais mes potes boches, ils les ont expédiés au Sahara… Alors finalement, j’ai repris mes petites affaires, faut bien vivre, et j’ai filé un coup de main aux Résistants… Je dis pas que je regrette, note bien ça gamin ! Mais si mes potes de l’Abwehr avaient été libérés avec moi, aujourd’hui, je serais du bon côté du manche et vous me boufferiez dans la main tous autant que vous êtes… »

………
Henri Chamberlin, dit Lafont – (…) Libéré en août 1942 grâce à la discorde régnant entre les services de police du gouvernement Laval (et, pense-t-on aujourd’hui, à la suite d’une intervention de Joseph Joanovici), il parvient à échapper aux recherches jusqu’à la Libération. Il abandonne alors son pseudonyme. Ayant acquis une certaine renommée comme l’un des rares à avoir survécu à un séjour rue Lauriston et réputé avoir rendu de grands services aux maquis du Loiret, il est décoré de la médaille de la Résistance. En 1957, lorsque Séraphin Soubieux, avec l’accord du colonel Guy X… et le concours de l’historien Alex Tyler, fait publier les “Carnets de Jean Martin”, Chamberlin-Lafont, nommé peu de temps auparavant directeur adjoint du Service d’Action Civique, tente sans succès de faire interdire la parution du livre. Il démissionne peu après et se retire de la vie publique. Il meurt en 1965, à la tête d’une fortune considérable.
Extrait du Grand Larousse de la Seconde Guerre Mondiale – Edition 2000, Paris, 2001.


22 mai
Les carnets de Jean Martin
Paris
Aujourd’hui (c’est une chance, parce que je suis souvent absent, ces temps-ci), nous avons eu au lycée la visite de la maréchale de France Annie Pétain. C’est une initiative du Président Laval : depuis fin avril, le 24 je crois, jour anniversaire de la naissance du Maréchal Pétain, la veuve Pétain fait le tour des écoles et lycées de France pour parler avec ferveur de son défunt mari, un grand patriote qui avait voué sa vie à la France, comme elle arrête pas de le répéter à chaque fois (je le sais parce que le mois dernier, avec le Zazou, on l’a escortée dans une école primaire en banlieue, mais c’était moins bien parce qu’elle parlait à des gosses).
Pétain, pour moi, c’est d’abord l’idole de Papa… il me manque, Papa… Mais tout le monde l’appelle « le » Maréchal avec des trémolos dans la voix j’ai remarqué, que ce soit au SONEF, à la radio, au gouvernement, ou même chez certaines badernes complices des Africains qu’on arrête de temps en temps.
Néanmoins, j’ai trouvé le discours de la maréchale très émouvant, je dois être un des seuls : sur la vingtaine d’élèves présents aujourd’hui (il y en a beaucoup qui se sont fait porter pâle à midi quand ils ont su quel était le programme de l’aprèm’), il y en avait seulement quatre, moi mis à part, qui levaient la tête et qui écoutaient ! Bande de petits cons ! Ils ne se rendent même pas compte de l’époque historique que nous sommes en train de vivre… Ils préfèrent parler foot et de la finale de la coupe de France, il y a une semaine ! Qu’est-ce qu’on s’en fout que l’OM ait battu Bordeaux 4-0 (en plus j’étais pour Bordeaux), alors qu’on a la chance de pouvoir écouter la femme du Sauveur de Verdun… Je suis dégoûté…
A la fin de son discours, elle est partie, accompagnée de deux mecs du SONEF, je les ai reconnus, c’est des caves de la « régulière », pas des Brigades Spéciales comme moi… La porte était à peine refermée que le prof d’histoire, Monsieur Bolland, a soupiré et dit à mi-voix (mais tout le monde a entendu) un truc qui m’a pas plu : « Pauvre femme ! On la trimballe aux quatre coins de la France pour lui faire répéter les mêmes choses à propos de son mari… Elle ne se rend même pas compte des intérêts morbides qu’elle sert… »
Morbide toi-même sale coco ! Je vais parler de son cas à Alphonse et Célina, il arrêtera un peu son cinéma, corruption de la jeunesse ça s’appelle, il y a une loi contre ça maintenant !
Après les cours, Suzanne m’a retrouvé devant le bahut et m’a embrassé à pleine bouche devant tout le monde ! La plupart des mecs du lycée m’ont regardé avec envie, l’air de se demander ce qu’elle pouvait me trouver. Moi aussi je me le demande parfois, elle est tellement super… Plusieurs vieux sont passés devant nous en disant : « Vous pouvez pas vous tenir ? Un peu de dignité tout de même ! » Mais nous, on s’en moque ! Après avoir flâné en ville et profité du beau temps, je pensais qu’on irait chez moi, mais Suzanne a pris une autre direction.
« On va chez ma tante, elle voudrait te connaître depuis longtemps, mais à chaque fois tu refuses ! » elle m’a dit en me faisant son adorable moue boudeuse.
J’ai prétexté qu’on devait repasser par chez moi, histoire que je me change pour être présentable, le temps de trouver une excuse pour ne pas y aller.
Merci la RAF ! Il y a eu une alerte et on est resté dans l’abri une bonne partie de la soirée… Pas si désagréable, d’ailleurs…
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MessagePosté le: Lun Nov 12, 2012 17:15    Sujet du message: Répondre en citant

Juin 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
Baccalauréat

15 juin
Les carnets de Jean Martin
Sainte-Maxime (Var)
– Ça fait quatre jours qu’on m’a envoyé en mission avec Marchand dans une grande propriété paumée pas loin de la Méditerranée ! La mission : veiller sur un mec qu’on a essayé de flinguer. Un grand écrivain paraît-il, bien qu’il soit jeune, dans les 35. Moi, de toute façon, je lis que les livres imposés par les profs, plus un ou deux que j’ai lus pour faire plaisir à Suzanne.
Bref, le grand écrivain, il s’appelle Robert Brasillach. Il est tout petit, il a un léger accent du sud et il a l’air très cultivé. Il parle bien, la vache !
Le premier jour, il nous a fait un discours sur le petit château où on loge, qui a été réquisitionné par le SONEF (comme quoi on a du goût, au SONEF !). Ça s’appelle Les Tourelles et ça appartient Léon Gaumont, le Gaumont des cinémas, « un vieil homme très digne qui a fait l’erreur de suivre les Juifs et leurs amis à Alger » dit M. Brasillach. Après un monologue où il a parlé d’à peu près tout et n’importe quoi (les bienfaits du fascisme, les Juifs, le gouvernement actuel, celui d’Alger, les Allemands, le cinéma, la poésie), il m’a regardé (Marchand s’était défilé en prétendant qu’il allait faire une ronde) : « Ça te dirait de voir quelques films, gamin ? » J’aimerais bien qu’on arrête de m’appeler gamin, mais pour le ciné, j’étais d’accord.
Il m’a emmené dans une grande pièce arrangée comme une sorte de salle de cinéma ! Il a parlé d’une encyclopédie sur le cinéma qu’il essayait d’améliorer, histoire de ne pas se « dessécher intellectuellement si cet exil devait se prolonger. » Il y avait une bibliothèque pleine de bobines de film, il en a choisi une qu’il a filée à un mec en costume de pingouin, une sorte de larbin qu’a pas pipé mot du séjour. En voyant ma tête devant les nombreuses bobines, Brasillach a juste dit en souriant : « Des trésors que j’ai soustraits à cet énergumène de Langlois ! »
Je crois bien que ça a duré deux jours ! On s’est regardé une quinzaine de films ! Des films de Renoir, de Fritz Lang et d’un tas de gens que je connaissais pas. J’ai adoré Freaks, d’un Américain qui s’appelle Browning, comme les pistolets.
Ensuite, on a discuté longtemps, il m’a posé plein de questions sur moi, d’où je venais et comment ça se faisait que j’étais avec le SONEF.
C’est quand il m’a posé la question à propos du bac que je me suis souvenu ! Les épreuves étaient prévues pour cette semaine ! Mince ! J’avais totalement oublié ! Il m’a calmé et m’a dit qu’on pourrait sûrement s’arranger, après tout c’est la guerre, rien ne se passe comme en temps normal, même le bac. Du coup, on a passé une après-midi à réviser l’histoire et la philo ! Quand je vais raconter ça aux copains…
Ce matin, Monsieur Brasillach m’a montré une caisse pleine de bouquins. Il m’a dit que ça venait d’un écrivain nommé Régis Messac, qui avait été arrêté récemment pour corruption de la jeunesse (il était prof de français au lycée de Coutances). Des Croisés de Doriot copains de Brasillach lui avaient procuré quelques livres de sa bibliothèque. Il y en avait plusieurs en anglais – mais je commence à pas mal lire l’anglais, le lycée, ça peut servir parfois. L’un d’eux était titré If It Had Happened Otherwise. C’était un recueil de nouvelles de divers auteurs, dont une écrite par Winston Churchill, le chef des Rosbifs lui-même ! Brasillach m’a expliqué qu’il s’agissait d’un genre littéraire dont j’avais jamais entendu parler : l’uchronie. En gros, l’auteur décrit ce qui aurait pu se passer « si », et ça m’a fait penser à ce qui aurait pu se passer si la guerre s’était arrêtée en juin. Papa, Guy et moi on serait restés ensemble. On aurait des nouvelles de Maman…
Cet après-midi, Alphonse est passé nous chercher, alors que j’étais en train d’expliquer à Robert (il veut que je l’appelle Robert) tout le bien que je pensais de l’action du Président Laval (même si j’ai des réserves concernant Déat et Doriot, dont les intentions me semblent un peu louches). J’étais lancé dans un grand monologue, bon pas aussi exalté et élégant que ceux de Monsieur Brasillach mais j’étais lancé ça c’est sûr ! Lui avait l’air de s’intéresser à ce que je disais, la façon dont il me regardait, je me trouvais intelligent !
L’arrivée de Mercadet m’a coupé dans mon élan. Il avait une très grosse américaine, on peut transporter un régiment là dedans ! J’ai dit au revoir à Monsieur Brasillach, j’ai pris mon Mauser et mon sac de voyage (il était prêt, Alphonse avait téléphoné la veille). Au moment de franchir le perron, Brasillach a dit quelque chose à voix haute que j’ai pas compris, c’était du Boche. Il a vu que je comprenais pas. En souriant, il m’a expliqué : « C’est la devise de la Waffen SS : Enfants, profitez bien de la guerre, la paix sera terrible ! »
J’ai pas su quoi répondre et Alphonse m’a fait comprendre qu’il fallait que j’y aille en jouant du klaxon, Marchand était déjà dans l’auto. Alphonse m’a lancé les clefs en disant : « C’est toi qui conduis, gamin ! » J’ai dit qu’on serait pas à Paris ce soir (j’aurais bien passé une soirée de plus ici, à voir des films), mais il a répondu : « On va pas direct à Paris, gamin, on fait un détour par Saint-Rémy de Provence ! »
« Qu’est-ce qu’on va faire là bas ? j’ai demandé. Faudrait que je m’occupe de mon deuxième bac ! »
J’ai entendu dans la voiture quelques mots venant de deux personnes assises à l’arrière, que je connaissais pas.
Alphonse m’a tiré par le bras un peu à l’écart : « Écoute gamin, ne va pas prendre trop confiance en toi parce que Bonny t’a confié la mission de veiller sur ce scribouillard de quat’sous. Ton bac, on est au courant, t’inquiète pas, ça va s’arranger ! Et puis si je te demande de me conduire là bas, c’est parce que j’ai de l’estime pour toi. Marchand, à la première gare on le dépose et il rentre à Paris par ses propres moyens. Là où on va, j’ai pas envie de voir sa trogne d’ancien du 36. »
On est monté en voiture. Après avoir déposé Marchand, limite contre son gré, dans une gare paumée au milieu de nulle part (je me demande même si des trains y passent encore !), Alphonse m’a présenté aux deux inconnus : « Jean, voici deux de mes compagnons de l’Action Française : Georges Valois et Maurice Pujo. »
Ça ne me disait rien. J’ai fini par demander : « Qu’est-ce qui se passe à Saint-Rémy de Provence ? »
« Un ami à nous est très mal en point et on passe lui dire au revoir avant… avant… » a répondu Pujo.
« Nous allons accompagner notre camarade Léon Daudet dans ses derniers instants » a ajouté Alphonse, voyant bien que Pujo était troublé.
« Daudet ? Comme Alphonse Daudet, celui qui a écrit les Lettres de… de… » Et là, le trou !
Valois a éclaté de rire : « Les Lettres de mon Moulin. Oui, c’est son fils. Eh bien, Brasillach, il a dû s’amuser avec toi pendant quatre jours… »
Je me suis senti nettement moins intelligent.


20 juin
Les carnets de Jean Martin
Paris
– On est rentrés à Paris, enfin !
En Provence, on a assisté à l’enterrement de Léon Daudet – il est mort peu après la visite de ses « vieux amis ». Heureusement qu’il ne nous a pas trop fait attendre, les deux pépés Pujo et Valois commençaient à me taper sur le système ! Toujours à se foutre de moi, les vieux croûtons, heureusement Alphonse a toujours pris mon parti en leur répétant que j’étais pas un gamin, mais un jeune homme « de qualité ».
Arrivés rue Lauriston, comme il était midi et demie, j’ai voulu aller manger un bout, mais Célina m’a arrêté : le directeur Bonny m’attendait dans son bureau, rapport à mon bac !
A mon arrivée, Monsieur Bonny était en train de boire un verre avec un Monsieur que je connaissais pas. Très chic, peut-être même trop chic.
– Entre mon garçon ! m’a dit le Directeur. Prends une chaise, ce ne sera pas long, t’inquiète pas ! Je sais que tu as dû faire une longue route pour servir de taxi à Mercadet et ses potes de l’Action Française. (Puis, se tournant vers son visiteur Smile Il a détourné un véhicule de fonction du SONEF, et pas n’importe lequel, pour aller faire une veillée funèbre ! Il va entendre parler du pays, moi je te le dis !
L’autre se marrait.
Je me suis assis et Monsieur Bonny m’a interrogé sur mon parcours scolaire, mon Certif’, mon lycée à Vierzon, la mort de Papa, le lycée Charlemagne, mon premier bac… C’est alors que le mec élégant a pris la parole : « Quelle bataille a causé la chute du Second Empire ? » Il avait sorti un dossier cartonné d’un superbe petit cartable en cuir.
J’ai pas pigé au début, j’ai ouvert des yeux ronds… Alors il a répété et j’ai répondu « Sedan ». Il a hoché la tête.
– Quelle est la capitale du Japon ?
– Tokyo.
– Qui a écrit Les Lettres de mon Moulin ?
J’ai hésité à répondre, j’ai cru qu’il se foutait de moi ! J’ai regardé monsieur Bonny, qui m’a fait un signe de tête pour me dire de répondre.
– Alphonse Daudet.
Il m’a posé quelques questions de sciences nat’ (j’ai pas été terrible) et de maths (là, j’ai pas eu de difficultés).
Alors il a gribouillé quelques lignes sur des papiers dans son dossier, puis il a sorti un imprimé, l’a rempli et me l’a tendu en souriant : « Félicitations monsieur Martin ! Vous êtes bachelier ! »
Je suis resté bouche bée en regardant le papier : c’était bien ça, un papier officiel du ministère de l’Instruction Publique, déjà tamponné et que le type venait de signer. J’ai regardé Monsieur Bonny, tout penaud, mais lui souriait à grandes dents : « Jean, je te présente Abel Bonnard, ministre de l’Instruction Publique ! Tu vois, quand je te disais que je n’oubliais jamais mes vrais amis… Et tiens par la même occasion, vu que tu es un jeune bachelier, tu peux travailler à plein temps chez nous, donc prends ça… » Il m’a tendu une carte avec mon nom, ma photo et le grade de brigadier du SONEF !
Pendant que je tournais et retournais mon diplôme et ma carte, j’entendais le ministre dire à Monsieur Bonny : « Et joli garçon, avec ça… » Le directeur a rigolé en lui disant : « Je suis désolé, cher ami, les filles s’en sont déjà aperçu… » Puis il m’a tapé dans le dos : « Allez gamin, va manger un morceau ! Et montre bien cette carte, histoire de faire enrager les sbires de Mercadet. Parce que maintenant, ce sont tes subordonnés ! »
Je suis sorti du bureau tout léger, mon diplôme du bac dans une main, ma carte de brigadier dans l’autre… J’allai enfin manger un bout quand le Zazou m’a interpellé dans le hall : « Hey tombeur ! » Quand je me suis retourné, il a ouvert de grands yeux en regardant la carte, puis a souri largement en faisant un salut d’opérette : « Pardon chef ! Y’a ta nénette qui t’attend là haut depuis ce matin ! »
Je me suis précipité au quatrième étage, le Zazou m’a suivi en m’expliquant : « Elle est arrivée ce matin en expliquant qu’elle avait pas de nouvelles depuis plus d’une semaine, que t’avais raté les examens du bac, qu’elle se demandait si il t’était pas arrivé malheur. On l’a rassurée en lui disant que tout allait bien et que tu rentrais vers midi. Depuis elle se promène dans les bureaux, elle discute avec tout le monde, elle est comme un poisson dans l’eau. Mais c’est vraiment une bonne femme : qu’est-ce qu’elle parle ! Elle pose des questions sur tout et n’importe quoi à tout le monde, sans se gêner ! Mais avec son sourire, on peut pas lui en vouloir. »
J’écoutais déjà plus, Suzanne était là, elle m’a sauté dans les bras ! Tous les mecs présents nous ont sifflés en lançant des remarques très... déplacées. Mais je m’en moquais, j’étais avec Suzanne ! Alphonse était le seul à ne pas siffler, il a juste lancé en rentrant dans son bureau : « Trop jolie pour être honnête ! »
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MessagePosté le: Ven Nov 30, 2012 13:14    Sujet du message: Répondre en citant

Juillet 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
Brûlures

17 juillet
Le journal de Jacques Lelong
Paris
– Il y a déjà quatre mois que j’ai abandonné la rédaction de ce journal : j’avais décidé qu’il appartenait à une période morte de mon passé et que Sa disparition en ce matin de mars avait fait naître un homme neuf, meurtri, mais neuf ! Il me fallait grandir. Et voilà qu’Elle vient de réapparaître. Et à qui en parlerais-je, sinon à ce journal ?
Je vendais Je Suis Partout. Si vous vous demandez comment on passe du rang d’infâme vermine rouge meurtrière (c’est ce que JSP avait écrit de nous au lendemain de l’attentat contre Renault) au statut de crieur public de la Collaboration, c’est que vous avez manqué quelques épisodes. Désolé, c’est de ma faute.
Tout a commencé quelques jours après l’attentat, justement. Robert Magnan était venu me voir pour me dire, sans prêter attention à la mine ahurie et défaite que j’arborais presque constamment, que je devais me rendre l’après-midi même rue de Douai et suivre la personne qui m’aborderait par mon prénom. Je suis donc docilement allé à ce rendez-vous. Je n’en menais pas large, avec tous ces Allemands en goguette à Pigalle. J’avais l’impression que je portais sur moi un écriteau, comme un homme-sandwich, décrivant mes “états de services”. Cependant, je n’avais pas fait dix mètres rue de Douai qu’une “dame”, visiblement habituée des trottoirs du secteur, m’aborda : « Tu viens, chéri ? » dit-elle, avant d’ajouter à voix basse : « Vous êtes Jacques, suivez-moi. » Je balbutiai stupidement avant de la suivre comme un mouton – un mouton au visage rouge cerise. En haut d’un escalier discret s’ouvrit une porte très discrète sur un petit appartement encore plus discret, et je rencontrai un certain M. Brume (que j’ai depuis entendu appeler “Colonel”). Ma vie basculait, une nouvelle fois.
Brume m’expliqua qu’il avait entendu parler de moi et qu’il était temps que je passe dans la catégorie supérieure. « Vous avez jusqu’ici travaillé en… amateur, j’espère que vous serez d’accord pour travailler pour le gouvernement ? » dit-il, très urbain, comme un chef d’entreprise proposant un poste à un jeune diplômé. « Le… le gouvernement ? » (J’étais sans doute désireux de lui démontrer que mon “amateurisme” confinait à la stupidité). « D’Alger, évidemment ! »
Je ricanai bêtement – aucun doute, je n’étais pas en forme. « Vous avez été recommandé, continua Brume. Mais bien entendu, nous allons commencer par un… essai, avec des… professionnels. D’accord ? »
J’étais d’accord. Pour n’importe quoi. En guise d’essai, Brume me proposait un petit travail de surveillance : repérer tous les insignes d’unité sur les soldats allemands que je rencontrais et faire un rapport à Lucette (la fille qui m’avait abordé) tous les soirs, dans un bar proche. Il insistait sur la discrétion, la nécessité d’une couverture, de changer de nom et de couper les liens avec ma famille pour les protéger. Je suggérai à mes parents qu’il serait mieux que je m’installe seul. Ils acceptèrent – depuis notre dernière dispute pour une histoire d’écoute de Radio Alger, ils me regardaient comme une sorte d’étranger qui aurait pris la place de leur fils. Ma mère passait des heures devant la photo de son frère, celui qui est mort au Chemin des Dames. Mon père me donna une petite liasse de billets et un carnet de tickets de rationnement, en disant qu’il connaissait son devoir paternel. En quinze jours, je trouvais une chambre minuscule dans un meublé prés de la Porte d’Orléans. Enfin et surtout, pour payer le loyer et me trouver cette fameuse couverture, je me dégottai (sans mal, il n’y avait guère de candidats) un travail de crieur de journaux à Je Suis Partout. L’avantage, quand on vend ce torchon, c’est que les Allemands ne vous ennuient pas, et que la majorité des Français vous ignorent, pour ne pas dire qu’ils vous fuient. L’Ecole de Médecine était loin…
Je passai un peu plus d’un mois à mémoriser les insignes d’épaule des Allemands que je croisais. Chaque soir, je faisais mon compte rendu. Je suppose que cela donnait des indications à Alger sur les unités mises au repos à Paris, en tout cas je suis devenu imbattable sur les grades et insignes de la Wehrmacht – après la guerre, je pourrai même en faire un bouquin, il paraît qu’il y a des gens que ça passionne. Un soir, Lucette me fit passer dans une arrière-salle où Brume m’attendait déjà. « Très astucieux, comme couverture, me dit-il. Tu travailles bien. On me charge de te féliciter. A présent, nous allons passer à du plus sérieux. On s’intéresse beaucoup l’utilisation par les Allemands de la grande soufflerie de Chalais-Meudon. Tu n’as rien contre la banlieue ? »
Je me suis donc mis à vendre Je Suis Partout et quelques autres feuilles de chou à la gare Montparnasse, puis à la gare de Meudon et dans les rues de cette aimable cité. A Meudon, je commençai à hanter les troquets du coin, pour copiner avec le petit personnel de l’Institut d’Aérodynamique et même avec certains Allemands. Petit à petit, j’arrivai à collecter toutes sortes de renseignements. Des moyennement utiles, comme la consommation mensuelle de savon pour les sols. Et des plus intéressants. Le nom du Directeur nommé par les lavalistes était public, mais j’appris celui du colonel allemand qui dirigeait effectivement les travaux : Herr Kolonel Karl-Friedrich Richter. Ce type ne m’a rien fait, ce n’est sûrement pas le pire de tous les Boches, mais depuis hier je le hais davantage qu’Adolf lui-même.
Donc, hier, je vendais Je Suis Partout – et j’étais en retard. Pas grave, personne n’allait me piquer le coin de rue devant l’Institut ou je vendais mes journaux. J’ai tout de suite reconnu la superbe Mercedes du colonel, conduite par un des sergents dont j’avais fait la connaissance, un gentil (« Ach, guerre, gross malheur »), avec le colonel à l’arrière et Elle à ses côtés. Je ne pouvais pas me tromper, il faisait beau et la capote de la voiture était relevée. Mais je n’en ai pas cru mes yeux. Jusqu’à la fin de la matinée, quand je les ai vus ressortir. Cette fois, il l’embrassait sur les lèvres. Elle avait une ravissante robe d’été, dans un tissu multicolore imprimé, mais le motif m’a échappé, ma vue était un peu brouillée.


27 juillet
Le journal de Jacques Lelong
Paris
– Les Allemands s’intéressent vraiment à la soufflerie de Chalais-Meudon. En moins de deux mois, les effectifs vert-de-gris dans la boîte ont plus que doublé. Et le Lt-colonel Richter n’est pas un simple soudard. En fait, si j’en crois mon copain le sergent Schwartzkopf (son chauffeur), ce n’est pas un soudard du tout. Schwartzkopf, qui l’aime beaucoup, en parle volontiers. Il est ingénieur chez Messerschmitt, où il a même été pilote d’essai. Il aime tout ce qui va vite, des voitures de sport (il paraît qu’il a “réquisitionné” une Bugatti) jusqu’aux avions de chasse, mais il n’a jamais combattu. En fait, il doit son grade à son efficacité dans les bureaux d’étude et sur les terrains d’essai.
Qu’est-ce qu’Elle a pu lui trouver que moi je ne pouvais lui offrir ? Facile, c’est un type brillant, un vainqueur, et il n’a même pas de sang sur les mains, alors que je ne suis qu’une sorte de Pied Nickelé. Mais alors pourquoi cette nuit, ces paroles et ces actes ? Les mots de son dernier message tournent et retournent dans ma tête...
Comme je n’en pouvait plus, j’ai décidé d’étudier les activités actuelles de Herr Richter – après tout, c’est une partie de ma mission. Ayant appris qu’il allait régulièrement au Bourget essayer divers appareils, j’ai décidé d’aller voir. Informé par l’intermédiaire de Lucette, Brume m’a fait répondre « Bonne idée. Contactez X…, au service d’entretien de l’aérodrome du Bourget, de la part du Père Joseph. » Efficace, Brume. Deux jours plus tard, je pouvais ajouter à mes fonctions de crieur de journaux collabos celles de balayeur et aide-mécano aux ateliers de mécanique du Bourget. Pendant ce temps, j’apprends un peu de mécanique sous les ordres d’Albert, un vieux mécano pas très causant, qui regarde sans cesse le ciel (j’ai cru comprendre que son fils était “Là-bas”, dans l’aviation, bien sûr).
Renseignements pris, le colonel semble particulièrement apprécier un appareil français capturé en 40, le prototype de l’Arsenal VG-33. Balai en main, j’ai longuement examiné la bête. Je n’avais jamais vu un avion de si près, et j’ai été d’emblée frappé par l’élégance de ses formes, malgré les croix noires qui le défigurent. Il paraît cet objet d’art est déjà techniquement dépassé, mais Richter a l’air séduit. Aujourd’hui, il s’est fait plaisir : il a volé avec. J’étais devant le hangar du VG-33 quand il est sorti du cockpit, avec un air épanoui qui le rendait presque sympathique.
Avec quelques autres gars, sous les ordres d’un sous-off boche, nous nous sommes précipités pour rentrer l’engin à l’abri. « Attention, petit ! m’a dit Albert. Tes mains là, pas là, tu comprends. Il est fragile, très peu de métal et beaucoup de bois. Et, pour faire tenir le bois, de la colle. Si on n’est pas soigneux, on peut l’abîmer ! » Cette délicatesse n’était pas partagée par l’adjudant chleuh, qui est arrivé en gueulant des « Schnell ! Schnell ! » pour nous donner un coup de main brutal. Mais il n’a pas crié plus fort que Richter, qui lui a sauté dessus, furieux, visiblement pour lui dire, en allemand et sans aucune amabilité, ce que venait de m’expliquer Albert. D’ailleurs, le colonel s’est tourné vers Albert, et lui a adressé la parole, dans un français korrect, malgré un accent assez marqué : « Fous savez, fous, comment faire. Montrez-lui. » Hésitant, Albert a montré où il fallait mettre les mains et où il ne fallait pas les mettre, où il fallait pousser et où il fallait tirer. Et Richter s’est mis à nous aider à rentrer, ranger et nettoyer le VG-33, tout en discutant avec Albert d’histoires de moteur, d’aérodynamique, de structure en bois et de colles spéciales. Je n’ai rien pigé, mais Albert comprenait et, peu à peu, je le voyais se dégeler, répondre et participer, en jetant sur l’avion des regards attendris. Vers la fin, pourtant, j’ai très bien saisi une phrase de Richter, à propos de colles justement : « Ach, z’est drès intéressant. Il y aurait une betite expérience à faire en éproufette. Che fais demander à mon assistante, elle débute, mais elle est drès douée… et drès cholie. »
Je me suis souvenu qu’Elle avait obtenu un 20 sur 20 au partiel de chimie du début de l’année – il y a un siècle. Alors, c’est à la fois sa maîtresse et sa collaboratrice ! Je réalise combien la limite entre l’amour et la haine est mince : si la guerre la remet en face de moi, je n’aurai pas de pitié. Pourquoi flinguer Renault et l’épargner, Elle ? Mais je ne sais pas si je souhaite ou non cette confrontation.
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MessagePosté le: Dim Jan 06, 2013 11:15    Sujet du message: Répondre en citant

Août 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
109Z et LVF

6 août
Le journal de Jacques Lelong
Paris
Depuis que je navigue entre Meudon et Le Bourget, je ne fais plus mon rapport que deux fois par semaine. Il y a trois jours, j’ai remis comme d’habitude mes quelques feuillets à Lucette, dans un café (ce n’est jamais le même). Elle avait l’air moins froide qu’au début, sans tomber dans le sourire commercial de sa, heu, profession. « Tout va bien, Jacques ? » Elle ne m’avait jamais posé ce genre de question. J’ai dit que oui, tout allait bien, mais je ne l’ai pas convaincue. « Non, tout va mal, mais ce n’est ni parce que les Allemands avancent en Russie, ni à cause de ton… travail. Pauvre petit Jacques. Je te proposerais bien mes services… » J’ai dû faire une tête pas possible. Elle a ri gentiment : « Mais tu n’en voudrais pas, bête comme tu es. Alors je vais faire mieux : je vais te donner du boulot. Dans une minute, je vais partir et un type en casquette brune, veste bleue et col roulé gris va s’asseoir à ma place en te disant : “Salut, Jacques, ça fait un bail.” Et tu lui répondras : “Oui, René, un sacré bail, tu peux le dire.” Ensuite, tu feras ce qu’il te dira… et ça ira mieux. Compris ? » J’ai dit oui, et elle est partie, en me caressant la joue de la main au passage.
René m’a emmené pour ce qui devait être ma première vraie mission de guerre. En métro, train puis vélo, nous avons rejoint un coin de campagne paumé au-delà de Fontainebleau, au bord d’un champ, alors que la nuit tombait. Alors, René a remarqué : « Tu ne m’as pas demandé une seule fois où nous allions. C’est bien, petit. » Je ne lui ai pas dit que ce n’était pas par discrétion, mais par distraction…
Enveloppés dans des couvertures, nous avons attendu. Puis René a sorti de grosses lampes de nos sacoches de selles et m’a donné quelques instructions pour les disposer autour du champ. De la nuit est sortie une grosse chauve-souris noire, moteur au ralenti – un avion de la Royal Air Force. En est descendu un homme en civil, avec une grosse valise. « Je te présente ton oncle Arsène, petit, m’a dit René. Dès qu’il fera jour, vous retournerez à Fontainebleau, où vous prendrez le train pour Paris. Arsène vient régler définitivement ton problème de Meudon. Il t’expliquera en route. » J’ai bafouillé que nous n’avions que deux vélos. « Mais pour deux, ça suffit ! » a répondu René. Sur ce, il m’a donné l’accolade, a serré la main du nommé Arsène et a rejoint la chauve-souris anglaise, qui venait de faire demi-tour au bout du champ, après m’avoir chuchoté : « Fais bien attention à toi, petit. »
J’expliquai à ma logeuse que mon oncle de Marseille me rendait visite et dormirait chez moi pour deux ou trois jours. « Je ne sais pas si c’est très régulier.… » a-t-elle marmonné. « Vous avez bien raison, Madame. Deux personnes ne peuvent pas payer le même prix qu’une ! » a répondu l’oncle Arsène, avec son superbe accent marseillais, en sortant quelques billets de sa poche. Nous avions été contrôlés deux fois Gare Montparnasse, mais la valise ne révélant rien de plus dangereux que quelques jouets, vêtements et affaires de toilette, le plus soupçonneux de nos inquisiteurs avait été convaincu qu’il avait affaire à un Marseillais en goguette montant voir ses cousins du Nord. Comment se méfier d’un homme grisonnant, légèrement enveloppé et s’exprimant avec l’accent et la jovialité de Raimu ? Ce fut visiblement l’avis de ma logeuse.
Pourtant, Arsène n’était pas de Marseille, et il ne s’appelait pas Arsène. Il m’a dit s’appeler John, mais je suis convaincu que c’est faux, et je préfère continuer à l’appeler Arsène, d’autant que ce nom lui va très bien.
Jeune engagé dans le Royal Engineer Corps de Sa Majesté George V, Arsène avait passé l’Autre guerre au Moyen-Orient, où il avait appris différents dialectes improbables, dont le kashmiri et le farsi, mais aussi le maniement des explosifs. Démobilisé et ayant pris goût au soleil, il s’installa dans les Alpes Maritimes, où il fit vite connaissance avec la colonie anglaise de Nice, tout en apprenant à parler français à la perfection (d’après lui, son don pour les langues lui vient de la pratique du gallois, sa langue maternelle, qu’il considère comme la langue la plus difficile au monde). Quelque temps plus tard, manquant de liquidités et « bénéficiant » de ce qu’on appelle de mauvaises fréquentations, il se découvrit une vocation de perceur de coffre de haut vol dans les villas de ses riches compatriotes (il affirme que, respectueux du pays qui l’accueillait, il n’a jamais dévalisé la demeure d’un Français). A l’arrivée des Allemands, il rentra en hâte au pays natal, où Scotland Yard lui mit la main dessus alors qu’il tentait de négocier quelques pierreries chez un receleur qu’il connaissait mal. Déprimé (dit-il) par la météo londonienne, il vida son sac et exposa aux enquêteurs tout son palmarès. Tant de talents (polyglotte, ouvreur de coffres, manieur d’explosifs, monte-en-l’air, etc.) ne pouvaient être perdus pour la Couronne. Un policier intelligent lui proposa le choix entre la prison et l’engagement, malgré son âge (45 ans, qu’il ne fait pas), dans une nouvelle unité spécialisée dans l’aide aux mouvements de résistance. Le choix fut rapide. Avec un peu de fatuité, mon agent secret-cambrioleur choisit Arsène pour pseudonyme – il connaît par cœur les romans de Maurice Leblanc…
Quand je lui demandai où était son équipement, Oncle Arsène me répondit avec un aimable sourire que tout était dans sa valise, cette valise examinée à deux reprises par des policiers. Sous mes yeux, il se mit à la démonter littéralement, en extrayant toute une série d’instruments astucieusement intégrés dans les parois… sans parler d’un innocent réveille-matin.
– Et les explosifs ?
– Les jouets !
– Les poupées, le nounours, les petits soldats ? Ils sont creux ?
– Non, cher neveu. Ils sont en explosif. Un explosif malléable, mais non moins puissant !



6 août
Le journal de Jacques Lelong
Paris
J’ai cessé de penser que je rêve ou que je cauchemarde. Mieux vaut, pour ma santé mentale, que je prenne les événements et les coups de théâtre qui se succèdent comme ils viennent.
Hier soir, à onze heures, John-Arsène et moi attendions, cachés depuis l’heure du couvre-feu, que la fenêtre d’un certain bureau de l’Institut s’éteigne et se rallume deux fois, signe que la voie était libre et que notre contact allait nous ouvrir l’entrée de service. Enfin, le signal ! Nous avons couru vers la porte, à laquelle j’ai tapé trois fois, puis trois autres. Une voix étouffée m’a demandé : « Vous avez des nouvelles de Paul ? » et j’ai répondu : « Non, mais Georges vous envoie le bonjour » (il paraît que, dans le genre mot de passe, il y a pire). La porte s’entrouvrit et je m’engouffrai, suivi d’Arsène, dans une pièce obscure. Avant même que la porte ne claque, le parfum m’alerta, un parfum discret mais que je reconnus instantanément et qui me prit à la gorge. Quand la lueur d’une ampoule faiblarde éclaira l’endroit (un couloir de service), je crus recevoir un coup de poing à l’estomac – le contact, c’était Elle.
Je suis resté muet, tout se bousculait dans ma tête et mon hésitation dut être perceptible, car Arsène brusqua les choses : « Allez, jeunes gens, c’est pas le moment de rêvasser ! ». Elle toussa légèrement, puis se mit à parler d’une voix monocorde et précise, comme si elle lisait l’indicateur des chemins de fer : « Vous avez moins d’une heure. La prochaine ronde est à minuit. Voici un plan des lieux, emportez-le et détruisez-le. La soufflerie est au rez-de-chaussée, la chaudière au sous-sol, par cette porte, les bureaux au premier, le coffre est dans celui du fond, marqué d’une croix. L’escalier est là. Lorsque vous aurez terminé, reprenez le même chemin et claquez la porte derrière vous. Si vous avez des questions, c’est tout de suite, je dois rentrer pour ne pas éveiller les soupçons. » J’avais des questions : tu dois rentrer où ? Les soupçons de qui ? Mais Arsène a regardé le plan et a dit : « Très bien, Mademoiselle. Joli travail. Des questions, Jacques ? » Alors j’ai articulé : « Non, pas de question… Mademoiselle. » Elle a respiré profondément et a dit lentement, en me regardant dans les yeux : « Très bien. Bonne chance… Messieurs. » Puis elle a disparu, ne laissant que son parfum.
Nous avons commencé par le coffre. Arsène s’est penché sur lui en sortant un stéthoscope de son sac. « Parfait, parfait. C’est un modèle assez courant. » Et, après quelques minutes d’auscultation : « A mon avis, la combinaison n’a pas été changée depuis une éternité. » Pendant qu’il officiait, j’étudiais, avec une curieuse impression de rêver, les dossiers restés sur le bureau, ainsi que la corbeille à papier. C’est fou ce que l’on peut découvrir dans les corbeilles, paraît-il – et ma pêche fut bonne : un plan trois vues d’un avion bizarre à double fuselage, abondamment annoté et raturé (c’est sans doute pourquoi il avait été jeté), avec un nom, Messerschmitt 109Z. Il n’y avait rien qui y ressemble dans le coffre, ça devrait intéresser Alger. La soufflerie fut truffée de poupées et de petits soldats. Toujours comme dans un rêve, je fus apparemment efficace, car Arsène me félicita d’avoir bien retenu ses leçons. La chaudière eut droit au gros nounours, et pour faire bonne mesure, j’ouvris une vanne d’arrivée du gaz de ville. Nous partîmes dans les temps.
Ce matin, Oncle Arsène a pris le train en gare de Lyon et moi je suis allé chercher mon lot de Je Suis Partout. Un entrefilet en page 4 annonçait que la grande soufflerie de Meudon, fleuron de la recherche française et outil précieux de la reconstruction de la nation, avait été détruite par une explosion de gaz, une enquête est en cours. J’ai complété mentalement que l’étude en soufflerie du Me 109Z risquait de prendre du retard. L’un de mes premiers clients me demanda si j’avais rencontré Paul la veille, je lui répondis que non, mais que j’avais vu Georges et qu’il allait bien, et j’ai glissé la liasse de documents rapportée de Meudon entre les pages de son Je Suis Partout.
Le soir même, à Pigalle, Brume m’a fait monter “chez lui” (ailleurs que la première fois). « Que le succès ne te fasse pas oublier la prudence, jeune homme » furent ses premiers mots. Puis : « Nous avons un autre travail pour toi… »



26 août
Les carnets de Jean Martin
Paris
Je viens de passer deux semaines de vacances avec Suzanne, les meilleures semaines de ma vie – je ne remercierai jamais assez monsieur Bonny de m’avoir accordé ces quinze jours de congés payés. Et au courrier, une invitation (plutôt obligatoire) pour la présentation de la LVF… demain midi ! On était censés déjeuner avec la tante de Suzanne…
Tant mieux ! En fait, je ne me sens vraiment pas prêt à rencontrer cette dame. J’ai demandé à Suzanne si elle voulait m’accompagner, elle a regardé l’invitation avec dédain : « Non merci ! J’ai des choses plus importantes à faire ! Bon, il faut que je te laisse… » Et elle est partie en claquant la porte. Les femmes, j’y comprends vraiment rien !
Bon, quand j’y repense, c’est bizarre, cette histoire de LVF.
Il y a un mois, Eugène Deloncle, le type qui a fait entrer au SONEF monsieur Bonny (et moi par la même occasion) a fait une conférence d’information devant une bonne trentaine d’officiers et sous-officiers (j’accompagnais Mercadet et Marchand, qui a été nommé sous-lieutenant) sur ce qu’apporterait la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme, quels seraient ses avantages et comment, forte de 100 000 hommes, voire plus, elle ferait entendre la voix de la Vraie France dans la Nouvelle Europe. J’ai vu sur le visage de Mercadet une lueur d’intérêt…
Mais Deloncle a demandé s’il y avait des questions et Marchand a levé la main : « Comment ça se fait que notre armée, enfin la Force de Sécurité du Territoire, n’ait pas droit à des effectifs de plus de 50 000 hommes et que pour aller combattre avec eux pour taper sur les Bolcheviques, les Bo… les Allemands vous autorisent… enfin vous donnent carte blanche pour lever toutes les troupes que vous voudrez ? Y’aurait-y pas une enculation quequ’part ? » Sur la fin, il a accentué son accent berrichon qu’il a normalement perdu depuis longtemps mais qui va à merveille avec son physique bourru de paysan.
La question et l’accent ont fait rire toute l’assemblée, sauf Monsieur Deloncle et le directeur Bonny, qui semblait très gêné vis-à-vis de celui qui lui avait obtenu sa place. C’est lui qui s’est levé pour répondre – mais il n’a pas vraiment répondu : « J’ai reçu pour consigne de refuser toute demande de mutation du SONEF vers la LVF. Néanmoins, si certains d’entre vous devaient démissionner pour des raisons… personnelles, je ne pourrai m’y opposer. Et je serai alors honoré de vous remettre les arriérés de prime qui vous seront dus pour les services que vous aurez rendus à la Patrie. »
« Hé bien, il doit palper sec le père Bonny, pour vouloir nous filer du blé si on accepte de changer d’uniforme. Quel lèche-bottes il fait avec Deloncle, quand même ! » a murmuré Alphonse, juste assez fort pour que toute sa rangée l’entende.
A la fin de la réunion, une demi-douzaine d’officiers du SONEF sont restés discuter avec Monsieur Deloncle. Alphonse est sorti, moi dans son sillage (bien obligé), mais j’ai bien vu que Monsieur Bonny l’observait avec des yeux brillants de rage…
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MessagePosté le: Ven Mar 22, 2013 12:27    Sujet du message: Intégrale Septembre 42 Répondre en citant

Ce mois-ci, pour les aventures des "sans grades" de la FTL, au moins trois auteurs, Tyler, Patzekiller et moi (encore bravo à Tylet et à Pat, au fait). La partie qui donne son titre au mois est de votre serviteur, et j'ajoute (pour ceux qui la découvriraient) qu'elle m'est chère. Oui, je sais, on sort de l'Histoire alternative au sens strict... Mais le cadre (le tournage, l'équipe du film, la "réceptionneuse"...) est bien 100% historique.

Septembre 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
Un Visiteur du Soir

1er septembre
Le journal de Jacques Lelong
Paris
J’ai repris ma routine monotone de vendeur de journaux. Humble mais utile boulot, l’identification des unités en permission à Paris me permet d’attendre la mission plus glorieuse (et, je l’espère, plus dangereuse) que Brume m’a promise. Le secteur du Moulin Rouge est idéal pour repérer les hommes du rang, mais pour que ces informations aient un sens, je dois les recouper à partir de la présence ou non des officiers de ces mêmes unités. Je passe donc l’après-midi près du Jardin des Tuileries – les gradés boches apprécient la Kultur et font volontiers un petit tour au Louvre avant d’aller goûter des plaisirs inaccessibles au commun des troufions dans un établissement discret.
J’ajoute à cette mission le signalement de certains camions allemands qui rôdent dans les rues de Paris. Ils transportent des équipements de détection radio et sont à l’affût des émissions de nos opérateurs, sur lesquels plane une menace de mort constante chaque fois qu’ils émettent. Me concentrer sur ce travail m’aide à oublier, mais dans le même temps, cette relative inaction me pèse. Pendant que d’autres se font tuer pour moi, de la Méditerranée aux îles du Pacifique et des plaines de Russie aux convois de l’Atlantique, je prends le soleil aux Tuileries !



2 septembre
Les carnets de Jean Martin
Paris
Cet après-midi, j’ai accompagné Suzanne à la gare. Elle part avec sa tante à Grenoble ! Son père a été libéré en vertu des accords passés dans le cadre du STO – il est officier et il a été grièvement blessé – et vu qu’ils sont originaires de là bas… ça m’a fait un choc et, je crois, à Suzanne aussi. Mais elle m’a répété encore et encore que ce sera juste le temps que son père recouvre ses forces, quelques mois, elle voudrait faire du droit et ce sera mieux à Paris que là-bas… Et surtout, sur le quai, elle m’a dit qu’elle m’aimait…
Quand je suis arrivé rue Lauriston, je me suis fait charrier par le Zazou : « Alors brigadier, où t’étais ? Encore en mission spéciale ? » Alphonse est arrivé et a renchéri : « Va pas le perturber ! Monsieur devait être trop occupé à lire les œuvres de… comment s’appelle ton copain déjà ? (Il a pris l’encyclopédie sur l’histoire du cinéma que j’avais dans ma sacoche et que je feuillette quand j’ai du temps libre, ou dans le métro.) Ah oui ! Môssieur devait être trop occupé à lire du Brasillach pour se soucier de l’heure et nous rejoindre, nous autres pauvres illettrés… »
C’est vrai que tout le monde était là et s’affairait de façon inhabituelle. J’ai demandé au Zazou ce qui pouvait bien se passer. « T’es au courant de l’arrestation du colonel de La Rocque, l’autre jour ? (C’est tout juste si j’étais au courant, trop occupé à faire mes adieux à Suzanne.) Hé bien, ses partisans se sont offusqués et ont foutu sur la tronche à certains d’entre nous ! On va leur faire payer ça ce soir avec intérêts, et on sera pas les seuls. Paraît qu’il y a un Croisé à Doriot qui a manqué d’y passer ! Mais bon, en même temps c’est un Croisé, faut pas être fute-fute pour entrer là dedans ! »
– C’est pour ça que t’as postulé chez eux fin 40 avant de nous rejoindre, pas vrai Zazou ?
a demandé Porcelaine qui traînait par là.
Le Zazou s’est retourné, mouché, mais une lueur de colère dans les yeux. Alphonse est intervenu et lui a tapé sur l’épaule pour le calmer. J’ai demandé : « Mais qu’est-ce qui est prévu pour ce soir ? »
– Hé bien brigadier,
a répondu Alphonse, ce qui est prévu ce soir c’est de faire payer aux Froides Queues leur trahison du 6 février, et jusqu’au dernier sou. Puisque t’es gradé maintenant, voici deux lettres, tu les prends avec toi et tu les ouvriras à 20 heures. Ce sont les ordres de mission avec les noms des empaffés que tu dois foutre sous les verrous ce soir.
J’ai dit « D’accord, mais on va où, M’sieur Mercadet ? »
Ma remarque a semblé l’énerver, il s’est approché et m’a dit en me fixant droit dans les yeux : « Écoute gamin, tu peux pas exhiber ta carte de brigadier à tous les vents, promener ta nénette dans les bureaux histoire de nous montrer qu’elle est roulée comme une déesse, copiner avec le directeur du SONEF, obtenir on sait pas trop comment des faveurs d’un ministre, tout en continuant à t’accrocher à mes basques ! Monsieur le Brigadier Martin n’a eu besoin de personne pour arriver là où il est arrivé et surtout pas de moi, alors il peut sûrement continuer comme ça ! » Il s’est éloigné et a haussé la voix : « Mon partenaire sera Perchet, mon ami Perchet, notre brave Jacquot qui revient parmi nous après une année d’absence ! » Là, Perchet m’a regardé avec sa tronche de fou de ferme, balafré de partout avec un large sourire malgré la bonne dizaine de dents qui lui manquaient.
En fait, on était répartis en binômes : Alphonse et Perchet, Zazou et Porcelaine… Célina et Brunel n’étaient pas là, ils ont été détachés en mission spéciale du côté de Reims. Moi, je me suis retrouvé avec le plus vieux de la 1ère Brigade : Loulou Vencel, 48 ans, ancien capitaine dans l’Artillerie. Bardé de décorations gagnées en 14-18 et dans le Rif. Gravement blessé à une jambe, ce qui l’a empêché de monter en grade depuis qu’il est entré au SONEF l’an dernier. Je vais devoir lui donner des ordres ! Je commence à sentir à quel point j’irrite Alphonse…
Il est presque vingt heures, l’opération va commencer.



3 septembre
Les carnets de Jean Martin
Paris
La nuit a été agitée, très agitée même !
Vencel et moi on a pas eu de gros problèmes avec nos deux arrestations.
Le premier était un type d’une trentaine d’années, vivant seul. Pas armé, rien. Quand on lui a expliqué qu’il était arrêté car ancien membre du PSF, il s’est mis à crier : « Non, c’est une erreur, j’ai quitté ce parti en 39. Je suis aux Radicaux maintenant ! » Aux Radicaux ! Un parti Fuyard et interdit depuis deux ans ! Y’avait pas de quoi se vanter…
Le deuxième m’a touché : 75 ans, ancien des Croix de Feu. Colonel en retraite. Légion d’honneur. On est allé l’arrêter chez lui, il a fallu défoncer la porte, il était dans son lit avec sa femme aussi vieille que lui, elle s’est levée pour protester, disant que c’était forcément une erreur. Vencel lui a foutu un coup de crosse et on a embarqué le vieux. Emporté plutôt, parce qu’il est handicapé ! On a dû le prendre sur notre dos pour le descendre – trois étages ! Heureusement qu’on avait avec nous deux mecs de la Régulière. Les voisins sont sortis dans l’entrée de l’immeuble et ont commencé à nous conspuer ! Les uniformes noirs que les types de la Régulière sont obligés de porter sont moches, mais je crois bien qu’ils intimident les gens et que ça nous a évité des ennuis plus graves que des noms d’oiseau.
Après avoir installé le vieux dans la voiture, on est retournés dans le hall et on a mis les menottes à deux personnes : un jeunot et une bonne femme hirsute qui arrêtaient pas de nous insulter. Pas sûr que ce vieux soit un ennemi particulièrement dangereux de la Nouvelle France, c’est vrai… Mais les deux autres, on les a bouclés pour outrage à agent, ça leur apprendra !
On a livré nos colis rue Lauriston. Dans les bureaux de la Brigade, c’était la cohue, ça grouillait de partout ! La salle de bains tournait à plein régime, on a même dû installer une annexe dans le grand placard où les femmes de ménage rangent les produits d’entretien ! Dans le chaos, j’ai cru entendre des bribes de phrase indiquant que deux gars à nous s’étaient fait flinguer dans un guet-apens, je n’ai pas compris où. Déjà Alphonse préparait la contre-attaque, il a pris une Thompson (une mitraillette à camembert, comme dit le Zazou), et il a hurlé en la brandissant : « Dix hommes avec moi pour bouffer ces assassins ! » Porcelaine en a pris une lui aussi (les mecs de la Brigade en sont friands depuis qu’on en a trouvé un stock chez Lafont, en mai), mais vu son physique, l’arme faisait moins impressionnant !
Je me suis porté volontaire pour aller au feu, mais Alphonse m’a toisé et m’a dit d’un ton grinçant : « Ah non pas vous brigadier ! Nous avons besoin de sous-officiers de votre trempe pour rédiger les rapports et les comptes-rendus d’interrogatoire ! » A côté de lui, il y avait Perchet qui me souriait… Foutu édenté ! Il a dû perdre un bout de cerveau en même temps que ses chailles !
Ça a duré toute la nuit. En écoutant les camarades restés là, Marchand notamment, je me suis rendu compte qu’on avait eu du bol pour nos arrestations, la plupart des autres avaient eu des difficultés bien plus graves que les nôtres et avaient parfois dû se battre, ou au contraire ils s’étaient retrouvés à de mauvaises adresses, ou chez des gens qui avaient Fui en 40 (les Africains disent Déménagé), et il y avait même un type mort depuis deux ans !
J’ai commencé à me poser des questions, sur l’utilité de ce qu’on était en train de faire. Faut dire que Marchand n’a pas arrêté de critiquer la façon de faire du directeur Bonny et du numéro 2 du SONEF, Monsieur Filliol ! Il y avait de quoi douter des vertus du fascisme dont m’avait tant parlé Monsieur Brasillach.
Heureusement, tous ces doutes n’ont pas duré !
Vers 6 heures du matin, il y a eu une certaine effervescence dans l’immeuble, un des mecs de la Régulière est monté nous prévenir : « Moustache arrive les gars, faites un peu d’ordre là dedans ! Paraît qu’il est furax ! L’opération a pas l’air de s’être déroulée comme prévu ! »
– Moustache, lequel Moustache ?
a demandé Marchand.
Le mec a pas eu besoin de répondre, “Moustache” est arrivé. C’était le ministre Darnand ! Il a dit bonjour aux agents présents – moi il m’a tapoté la joue en esquissant un sourire, le seul qu’il a eu de toute sa visite, en disant : « Tiens, le commis ! Jean, c’est ça ? », du coup j’ai eu droit à des coups d’œil jaloux, encore heureux que Mercadet n’était pas là, mais il y aura bien quelqu’un pour lui raconter. Ensuite, le ministre a inspecté les locaux, où il y avait encore une bonne demi-douzaine de prisonniers attendant d’être interrogés. Il a posé quelques questions sur la façon dont ça s’était passé, tout le monde s’est empressé de répondre, belle occasion pour faire de la lèche !
Puis Marchand est intervenu : « Monsieur le ministre, vous êtes sûr que c’est dans l’intérêt de la France ce qu’on fait ? »
Darnand s’est tourné vers lui, étrangement il n’avait pas l’air en colère, juste surpris : « Allons jeune homme, pour qui d’autre ferions-nous ça si ce n’est pour notre patrie, pour notre mère la France ? »
Un tel aplomb, une telle certitude, une telle lueur dans son regard… Mes doutes se sont envolés ! Nous sommes du bon côté.



11 septembre
Un Visiteur du Soir
Entre Vence et Tourrette-sur-Loup (France, zone d’occupation italienne)
– Extrait d’une interview effectuée pour Les Cahiers du Cinéma le 2 mai 1951, à l’occasion du décès, le 23 avril précédent, du comédien Jules Berry.
– Mon amitié pour Jules Berry remonte au tournage des Visiteurs du Soir, exactement en septembre 1942. Il faut vous dire qu’à l’époque, je ne travaillais pas pour le cinéma, mais pour mon gouvernement – je veux dire, celui de Sa Majesté George VI.
– Vous êtes Anglais ?
– By Jove, je ne me suis pas toujours appelé Arsène ! Et je n’ai pas toujours été truquiste de cinéma… Mais à ce moment-là, figurez-vous que je me trouvais à Marseille, peuchère – oui, je prends assez bien l’accent du Vieux Port, n’est-ce pas ? Mes… commanditaires m’avaient confié un petit travail pour lequel leurs… correspondants locaux m’avaient trouvé un assistant. Hélas, l’assistant en question s’était révélé peu doué pour le maniement de certaines substances délicates et avait rejoint brutalement les rangs des martyrs de la Résistance. Bien sûr, l’explosion avait immédiatement provoqué dans le quartier où nous demeurions un grouillement de gestapistes et de collabos, et l’un de mes amis marseillais m’avait donné l’excellent conseil de me mettre au vert quelque temps dans un endroit tranquille. Oui, mais où ?
Un autre de mes amis avait la solution : en zone d’occupation italienne, près de Vence, une équipe de cinéma tournait un film sous la direction du célèbre Marcel Carné, avec des dialogues du grand Jacques Prévert. Je compris bien que l’équipe se débrouillait pour cacher en son sein diverses personnes mal vues des sbires de Laval, Darnand et compagnie (des Juifs notamment) et même pour couvrir quelques activités de renseignement. Je serais donc bien accueilli, d’autant plus que mes petits talents personnels pourraient être utiles dans la réalisation de quelques effets spéciaux.
J’arrivai donc en gare de Vence par une belle journée de septembre. J’eus la joie d’être “réceptionné”, comme nous disions, par une charmante jeune femme. J’appris par la suite que sa famille logeait les frères Prévert et qu’elle-même s’occupait de différentes missions de liaison, du genre obscures et sans gloire, mais qui pouvaient aussi bien que des bagarres à la mitraillette vous expédier dans un camp ou au poteau d’exécution. Chemin faisant, elle m’avoua que ma venue à Vence était particulièrement heureuse. L’équipe soupçonnait en effet l’un de ses membres d’être un espion de Darnand. Mais pour le démasquer sans qu’il s’en doute, il fallait quelqu’un capable d’ouvrir sans qu’il s’en aperçoive la porte de la chambre du meublé où il logeait, puis de retrouver d’éventuelles preuves de traîtrise. Mes amis marseillais avaient affirmé que cette tâche ne serait pour moi qu’un jeu d’enfant…

– Et c’était vrai ?
– Mais bien sûr que c’était vrai ! Vous voulez me vexer, jeune homme ? Dès le lendemain, j’avais toutes les preuves voulues. Mais que faire ? Mes cinéastes n’avaient pas pensé à ça. Tout d’un coup, ils se rendaient compte qu’il allait falloir se débarrasser du gaillard de manière brutale, ce qui les troublait beaucoup. La mort au cinéma et dans la vie, ce n’est pas la même chose. Pourtant, l’espion n’allait pas tarder à les envoyer tourner un film dans un camp en Pologne ! Ah, les amateurs…
– Et vous avez pris les choses en main ?
– Bien obligé. Mais avec élégance, ma marque de fabrique ! Il fallait que cela ait l’air d’un accident. Et voilà comment le tournage des Visiteurs du Soir a été endeuillé, comme vous le savez, par le décès d’un machiniste, après la rupture d’un décor – c’était la guerre, on devait travailler avec des matériaux de mauvaise qualité, n’est-ce pas…
– Vous voulez dire que ce n’était pas un accident ? C’est vous qui…
– C’était la guerre, jeune homme, et quand on devait travailler avec des hommes de mauvaise qualité, mieux valait s’en débarrasser.
(Silence gêné de l’interviewer, qui se reprend cependant : )
- Mais Jules Berry…
– Ah oui. Vous vous souvenez, bien sûr, de la scène des flammes.
– Evidemment ! Le Diable arrive au château, se penche vers l’âtre et se retrouve environné de flammes, en expliquant qu’il aime le feu et que le feu l’aime… Magnifique ! Un numéro extraordinaire de Berry, plus diabolique que le Diable même !
– Mmm… Donc, je m’y connaissais en pyrotechnie, et Monsieur Carné, informé, me demanda ce que je pouvais faire pour rendre la scène un peu plus spectaculaire. J’avais quelques idées et j’y travaillais assidûment, avec Jules Berry, que cela amusait fort.
Arrive le jour du tournage de la scène.

(Un temps, sans doute de réflexion. Puis : )
Nous étions tous deux seuls, en train de tout mettre au point et nous n’avons, je le crains, pas vu passer l’heure. Et quand nous nous sommes présentés sur le plateau… Nous avons été acclamés. Marcel Carné et les frères Prévert, mais aussi tous ceux qui étaient là, applaudissaient le jeu de Berry, « grandiose », et mon trucage, « génial », disait-on. D’abord, Berry et moi avons cru à une farce, pour nous faire honte de notre retard. Puis, nous nous sommes rendu compte que la scène avait effectivement été tournée. « En une seule prise, une prise parfaite ! » s’extasiait Carné, ravi. « Je ne sais pas ce qui était le plus réaliste, renchérissait Prévert, le Diable ou les flammes qui l’enveloppaient ! » Je ne sais plus lequel de nous deux a dit à l’autre de se taire et de jouer le jeu jusqu’à la projection des rushes, le lendemain : il faudrait alors, évidemment, avouer la plaisanterie et tourner enfin la scène. Mais le lendemain, nous avons vu de nos yeux sur l’écran les flammes et le personnage qui s’exclamait : « J’aime le feu, et le feu m’aime ! » Ensuite, bien sûr, il n’a plus été question de parler de cette histoire à qui que ce fût. Je reconnais d’ailleurs que ces flammes dont je n’étais nullement responsable m’ont bien aidé, après la guerre, à faire carrière dans le cinéma.
(Silence ahuri du journaliste, qui parvient pourtant à se reprendre : )
– Mais qui…
– Quelque temps plus tard, nous avons tourné la très belle scène finale, vous savez, celle qui se termine par la rage impuissante du Diable, qui cravache en vain les statues des deux amants dont le cœur continue de battre.
J’étais seul dans l’ombre, à quelque distance du plateau, et j’observais Jules Berry qui grondait :
« Et qui bat ! et qui bat ! et qui bat !… » devant la caméra, quand j’entendis une voix qui ressemblait exactement à celle de Jules murmurer à mon oreille : « Il est bien. Le scénario le rend un peu trop ridicule à mon goût, mais il est très bien. Vous le lui direz de ma part. » J’ai tourné la tête. Il y avait à côté de moi un personnage qui avait le visage de Jules Berry et son costume, mais Berry était là bas, sur le plateau.
Heureusement, ma mère était Galloise, elle m’avait transmis les leçons de sa propre mère, et je sais prendre au sérieux certaines choses. J’étais terrifié. J’aurais dû me taire, mais j’ai dit, en bégayant un peu, tout de même :
« Pourquoi… » L’Autre a répondu, sans se fâcher : « Pourquoi je suis là ? Apprenez, Arsène, que certaines choses ne se sont pas passé comme prévu, dans ce pays et dans cette guerre. Et je suis venu voir pourquoi. Apparemment, un stupide accident d’auto a dérangé mes plans. Un coup heureux de… la concurrence, je présume. Mais baste, je ne vais pas faire la fine bouche, cette guerre reste tout de même une de mes plus belles réussites. Et il y a d’autres univers où tout va comme prévu… »
Je n’avais rien compris, et cela se voyait. Il a souri : « Ah, oui, pourquoi ici ? Mais par cabotinage, mon cher. Et pour m’amuser ! Est-ce qu’au Pays de Galles, on croit que je n’ai pas le sens de l’humour ? » Et il n’a plus été là. Il ne restait même pas une odeur de soufre.
(Silence total et consterné.)
– Je n’ai jamais parlé de cette rencontre qu’à Jules Berry, mon ami Jules. Je dois dire qu’il a été flatté, vraiment flatté, d’apprendre qu’il était « très bien » ! Mais qui d’autre m’aurait cru ?
– Alors, pourquoi…
– Pourquoi à vous, ce soir ? Parce que Jules est mort et que je ne vais pas tarder à le suivre. Je suis très malade… Et je me fiche pas mal de ce que vous pourrez raconter, à présent.
Arsène, que certains, tel Jacques Lelong, appelaient affectueusement Oncle Arsène, s’est éteint le 23 mai 1951, un mois jour pour jour après son ami Jules Berry. L’interview ci-dessus n’a bien sûr jamais été publiée par Les Cahiers du Cinéma. Les anciens de la revue se souviennent encore que le rédacteur en chef s’était mis en la lisant dans une colère épouvantable – c’était un marxiste convaincu, persuadé que le Diable n’était qu’un personnage de contes, ou à la rigueur un fantôme de cinéma.


15 septembre
Les carnets de Jean Martin
Paris
Aujourd’hui, on a eu la visite de notre nouveau patron : Monsieur Paul Touvier. Ça nous a fait bizarre de le voir arpenter nos couloirs pendant que les officiers des Brigades Spéciales lui faisaient de la lèche : il a même pas trente ans !
Avant son arrivée, Mercadet, Marchand et Jeannet (le chef de la Troisième) râlaient que c’était inconcevable « qu’un petit arcandier puceau nous dirige » (Marchand). « Cureton de surcroît » a ajouté Jeannet, mais ça n’a pas trouvé d’écho chez Mercadet, ancien de l’Action Française (et probablement de la Cagoule, bien qu’il soit assez discret sur ce sujet), ni chez Marchand, qui faisait son Berrichon bourru et bon chrétien…
J’ai été voir dans le grand Larousse (j’ai gardé cette habitude de la Communale), un arcandier, c’est un petit escroc, un bonimenteur…
Touvier a débarqué, se donnant de grands airs au milieu de la petite foule des courtisans, dont Bonny – « Décidément, il a pas tardé à remplacer Filliol, le père Bonny, il sait plus à quel fion se vouer ! » a glissé Mercadet. Les mecs de la Deuxième et de la Troisième nous ont regardé de travers : la Première commence à avoir une réputation de nid de mal-pensants, entre les calembours à voix haute de Mercadet et les critiques à peine voilés de Marchand, l’ancien du « 36 » (du quai des Orfèvres), sur les défaillances du « 93 » (de la rue Lauriston) – sécurité nulle, absence de plan à long terme, arrestations d’un peu tout le monde au hasard (je suis pas complètement d’accord avec lui, quand même !). Mais Première, Deuxième ou Troisième, on entend de plus en plus parler d’une restructuration des Brigades Spéciales, de la création d’une Quatrième consacrée spécialement aux Juifs, de mutations un peu partout – c’est vrai que « l’offre généreuse » du directeur Bonny en a expédié pas mal dans la LVF (quelques-uns pour casser du Rouge, d’autres pour toucher la copieuse prime d’engagement…).
Bon, Touvier, il a fait fort pour sa première apparition au « 93 » : il a promu un certain Jean Degans comme son représentant spécial auprès du SONEF de Paris, un mec qui est resté silencieux, nous observant tout du long. Il a ensuite annoncé des mutations – Marchand et cinq autres gars ont été désignés pour une Brigade qui vient de se former dans le Sud, quelque chose de ce genre, ils ont dû aller dans l’heure faire leurs bagages.
Ensuite, il a dit que Degans ferait une évaluation des forces actuelles et qu’en janvier, il y aurait une refonte complète du SONEF pour qu’il soit plus efficace et puisse mieux affronter « les vrais ennemis du Nouvel Etat Français. »
Touvier allait pour partir quand Mercadet lui a demandé : « Pardon, chef, vous ne venez pas à la cérémonie de cet après-midi, en mémoire de nos compagnons qui ont été assassinés le 4, à Versailles ? » C’est vrai qu’on a perdu Loulou Vencel, notre doyen, et un mec de la Deuxième. Touvier a eu un sourire gêné, il a bafouillé qu’il avait d’autres obligations, qu’il était au regret, mais il a murmuré quelque chose à l’oreille de Degans, et lui et Bonny sont restés pour nous accompagner.
Inutile de dire que l’après-midi, à la cérémonie, l’ambiance était tendue !
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Mai 28, 2013 09:59    Sujet du message: Répondre en citant

Superbe travail de Tyler sur Jean Martin - encore embelli par l'insertion, en contraste, d'un tout aussi bon épisode sur Jacques Lelong (merci Patzekiller).
C'est mon avis et je le partage !


Octobre 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
Aktion-T4

16 octobre
Les carnets de Jean Martin
Aux environs de Chartres
– Journée riche en événements. Elle s’est mal passée, mais dans le fond, ça aurait pu être pire, elle aurait pu plus mal se terminer.
Tout a commencé hier, quand des collègues de Chartres nous ont appelés pour leur donner un coup de main dans leur coin, pour arrêter une espèce de groupe de résistants menés par un mec qu’il fallait « appréhender en douceur ou bien faire disparaître sans que ça s’ébruite. »
Bon évidemment c’est moi qui conduisait comme d’hab’, sauf que comme d’hab’ aussi Mercadet m’a pas lâché. Tôt ce matin, il m’a dit devant tout le monde : « Allez gam…, oh pardon, allez brigadier Martin, méritez vos galons ! Nous partons pour ce bled du côté de Chartres. Je viens avec vous, ainsi que le tout nouveau sous-lieutenant Perbet (quelques applaudissements ont salué la promotion de cet ahuri édenté), mais nous ne serons là qu’en tant qu’observateurs. Choisissez deux autres hommes, notre armement et remplissez les formulaires adéquats. Faites les choses dans les règles, ce sera bien pour une fois ! » Et il a jeté un coup d’œil à l’un des représentants de Degans qui nous surveillent depuis deux jours, des observateurs, ils les appellent, foutus mouchards, ils pullulent de plus en plus, mais ça m’a surpris de voir Mercadet s’abaisser à leur faire de la lèche, même pour m’embêter.
Bon, j’ai choisi Porcelaine et un tout nouveau, Brasseur. Un ancien de la F.S.T., qui a donné sa démission de cette pseudo-armée pour nous rejoindre et faire vraiment quelque chose ! Et nous voilà partis, à cinq dans une Chevrolet. Au bout d’une heure de route, les langues ont commencé à se délier. Porcelaine et l’Edenté ont abordé la grande rumeur du moment : comme quoi la Brigade Mobile du SONEF pour le Sud de la France n’existerait pas ! Y’en a qui disent que ceux qui y sont mutés disparaissent. C’est vrai qu’on n’a pas de nouvelles de Marchand depuis le mois dernier, et il paraît que les mecs des autres Brigades qui sont partis avec lui sont tout aussi muets… (1) Je pense qu’ils se triturent un peu trop le cerveau ! Ils sont partis en mission spéciale pour la Patrie et puis c’est tout ! Qu’est-ce que j’aimerais être avec eux ! J’étais censé diriger cette opération, mais c’était quand même moi qui conduisais ! Enfin bon, je crois qu’il a mieux valu que je sois au volant.
On avait pris une petite route, à peine une départementale, on approchait. Brasseur, qui ne semblait pas s’inquiéter de toutes ces rumeurs, est revenu au concret : « Comment s’appelle la cible, déjà ? »
Mercadet allait répondre, mais je lui ai coupé la parole, histoire de m’affirmer : « Ménétrel. Docteur Bernard Ménétrel. Il… »
J’ai été interrompu par un grand arbre qui s’est effondré sur la route, pas loin devant nous. J’ai pilé, on a dérapé, la voiture a fait une grande embardée, mais j’ai réussi à la contrôler on s’est arrêté juste entre l’arbre et le fossé ! On est sortis, un peu hébétés.
« J’aime pas ça » a dit Brasseur en prenant son air de baroudeur de Narvik – où il a combattu si j’ai bien tout compris, mais je croyais que les mecs de Norvège s’étaient tous retrouvés avec les Africains, enfin maintenant on s’en fout, parce qu’il s’est fait moucher juste à ce moment, il y a eu des coups de feu et il est tombé, le visage en sang.
D’autres coups de feu, Porcelaine a été touché, Mercadet a voulu retourner vers la voiture, j’ai vu un mec se dresser derrière l’arbre abattu et pointer un fusil de chasse vers Mercadet, j’ai pensé à rien, j’ai bondi et je l’ai plaqué au sol derrière la bagnole pendant que le mec tirait. De longues secondes je suis resté là, immobile, je sentais rien… Puis j’ai un peu levé le nez et j’ai vu que l’Edenté avait morflé. C’est pas glorieux, mais je me suis dit « Plutôt lui que moi ! »
Mercadet m’a regardé d’un drôle d’air et m’a soufflé : « Hé bien gamin, il faut croire que tu seras toujours là pour me sauver les miches ! Je vais finir par te piquer à la petite Suzanne ma parole ! » Il m’a fait une sorte de sourire.
Alors on a entendu un mec gueuler : « Levez-vous, mains en l’air, bande de collabos ! » Mercadet a grogné : « Fais ce qu’ils disent, joue pas au con gamin… » On s’est levés, mains en l’air, il y avait une demi-douzaine de types armés de fusils de chasse et de Lebel, habillés n’importe comment.
Porcelaine était par terre, mais vivant, il gémissait, pas comme Perbet et Brasseur, qui avaient leur compte. Un des types l’a mis en joue, mais celui qui semblait être le chef de cette petite bande l’a arrêté en disant : « Oh, ça va, on n’est pas des monstres ! »
« Vous êtes quoi alors ? Des Résistants, peut-être ? »
a demandé Mercadet, qui malgré leurs fusils se foutait visiblement de leur gueules.
Ça a fait rire le chef : « Des Résistants, et puis quoi encore ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre, de ces histoires de politique ! Le gouvernement légal est en Afrique, à Paris ce sont de vrais guignolos, leurs représentants dans le coin sont des lavettes, les Boches, depuis 40, on n’en a pas vu la queue d’un hors des grandes villes, donc la vie est à nous ! On veut surtout pas que ça change! On fait notre beurre en détroussant tout ce qui passe, civils paumés, collabos idiots, résistants inconscients, youpins en fuite, tout quoi ! Le jour où cette guerre finira, on sera pleins aux as ! »
Ensuite c’est devenu compliqué, on a entendu des bruits de moteur venant de Chartres, le chef nous a dit de reculer sous les arbres en nous tenant en joue, tout en ordonnant à ses potes de s’occuper des arrivants, mais très vite une voiture et un camion boches se sont pointés, bourrés de soldats qui se sont lancés à la poursuite de la bande de brigands qui s’enfuyaient ventre à terre, profitant de la confusion j’ai sorti mon Mauser et j’ai flingué le chef avant qu’il lui vienne de mauvaises idées – et puis son discours m’avait énervé, des bandits de grand chemin, pauvre France, j’aurais encore préféré avoir affaire à des Résistants.
Les Boches ont descendu tous les brigands, ils n’ont pas eu l’air surpris de nous voir, ils ont soigné Porcelaine qui avait l’air mal en point et un type en civil – enfin, avec une sorte de gros imper noir – s’est approché de nous : « Ah, Herr Mercadet, nous vous attendions quand on m’a expliqué que cette route était très mal fréquentée, alors nous sommes venus faire, comment dites-vous, la circulation, ah ah. Je me présente: Sturmbannführer Kieffer, Geheimestaats machin (enfin Gestapo quoi !). Venez avec nous, nous avons votre colis, nous vous le livrerons demain. »
Comme quoi on peut avoir une bonne bagarre sans devoir aller la chercher en Sicile !
Bref, cette nuit, on dort dans une grande propriété perdue aux environs de Chartres. La chambre est grande et les draps sont propres. Il paraît que Porcelaine va s’en sortir mais ce sera très long. Dommage pour Brasseur, il venait à peine d’arriver. Enfin, l’autre foutu édenté, je le regretterai pas, c’est sûr.


17 octobre
Les carnets de Jean Martin
Aux environs de Chartres
– Dans la matinée, avec Alphonse, on a rejoint le Sturmbannführer Kieffer dans une grande salle à manger. Il nous attendait. A l’autre bout de la pièce, il y avait notre colis, le Dr Ménétrel, donc, embaillonné, menotté et surveillé par un SS en armes. Apparemment, cette histoire de groupe de Résistants, c’était du pipeau…
Après les politesses d’usage, Alphonse est allé droit au but : « Comment se fait-il que la Gestapo nous rende ce genre de service ? Ce n’est pas souvent que vous nous remettez un type alors que vous en avez après lui – et vous en aviez après lui, non ? »
Encore une fois, j’avais l’impression d’avoir un métro de retard…
Le Boche a souri et s’est avancé vers nous, comme pour nous faire une confidence : « Vous avez l’air de savoir beaucoup de choses, lieutenant Mercadet, n’est-ce pas ? En effet, Ménétrel nous intéressait, enfin je devrais plutôt dire, nous irritait… » Il a sorti de sa sacoche un petit dossier et en a tiré quelques feuillets qu’il nous a passé. En résumé, Ménétrel avait été le médecin personnel du maréchal Pétain de 1936 à septembre 1940. On avait dit qu’il était son fils caché, bien que, d’après le dossier boche, ce soit peu vraisemblable. Russophile et anglophile, il avait à de nombreuses reprises émis des opinions défavorables à la présence allemande en France et critiqué la politique du parti nazi. Il aurait même suggéré à certains moments que le président Laval soit « fusillé comme il le mérite ». Il avait tenté de passer en Espagne fin 1940, la gendarmerie l’en avait empêché, mais des amis à lui qui étaient encore au gouvernement ou bien placés avaient fait pression pour qu’il soit relâché.
« Nous avons décidé qu’il fallait l’interpeller, a repris Kieffer, lorsque nous avons appris de bonne source qu’il avait entamé la rédaction d’un livre sur ses entretiens avec le maréchal Pétain durant les six premiers mois de 1940, où il retranscrivait noir sur blanc des propos du Maréchal très hostiles pour Herr Laval (2). Non que cela nous ait beaucoup dérangés, ce sont des histoires de politique intérieure française, mais il faut bien avouer qu’en ce moment, nous préférons avoir à la tête de votre gouvernement un… Comment dire… »
« Vous pouvez dire un larbin fidèle, Herr Kieffer, n’hésitez pas, vous prêchez un convaincu ! »
a déclaré Mercadet, qui commençait à être excédé des manières de l’officier boche.
« Ach ! Je reconnais votre franchise habituelle, lieutenant Mercadet ! Savez-vous que vous avez de la chance d’avoir laissé de très bons souvenirs chez les membres de la Cagoule et de l’Action Française qui traitent avec nous… J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas… passé loin, vous dites, je crois… lors des dernières purges de Herr Touvier… Enfin, reprenons ! Donc, un larbin fidèle. Oui, et nous préférons que sa position soit stable.
Enfin, pour revenir à Ménétrel, il semblait avéré qu’il se servait de sa place de directeur adjoint du Comité pour la Mémoire du Maréchal Pétain (je connais, c’est le truc qui organise les tournées dans les écoles de la veuve du Maréchal) pour aider et financer quelques actions de résistance ! Bref, c’en était trop. Les activités du Dr Bernard Ménétrel étaient une insulte permanente faite à l’honneur et à la sécurité du Reich ! »

Là, Mercadet a fait mine de compatir : « Allons, vous devez exagérer un tantinet, mon cher, si l’honneur et la sécurité du Reich pouvaient être menacés par les agissements d’un petit médecin de campagne, c’est qu’ils seraient bien fragiles ! »
Kieffer n’a pas semblé relever la pique, ne maîtrisant peut-être pas assez notre langue pour comprendre l’ironie d’Alphonse. Il a conclu : « Donc, pour mettre fin à ce charmant entretien, Herr Mercadet, je vous dirai que si nous vous confions Ménétrel, c’est que nous avons toute confiance en vous. Monsieur Touvier, votre nouveau patron, semble très… enthousiaste ! Faites-en ce que vous jugerez bon : abattez-le dans le sous-bois en sortant d’ici, expédiez-le dans votre nouveau centre de détention, comment s’appelle-t-il, Eysses, je crois, non ? »
J’ai hoché la tête, tentant d’avoir l’air de servir à quelque chose et voulant faire croire que je n’étais pas perdu dans la conversation… Il n’y a pas prêté attention : « C’est un moyen de vous montrer notre bonne volonté et la confiance que nous vous faisons… Je doute que vous nous déceviez ! »
On est partis sans demander notre reste, mais on ne s’est pas arrêtés dans un sous-bois et Ménétrel n’est jamais allé à Eysses. Une fois à Paris, il a découvert la salle de bains du 93. Et toute la Brigade lui a fait payer la perte de nos deux camarades. (3)


21 octobre
Les carnets de Jean Martin
Paris
– Dure journée !
Ça a commencé par la tentative d’arrestation d’une bande de prétendus journaleux à deux balles qui impriment des tracts pour ce qu’ils appellent le Comité National de la Résistance, rien que ça ! L’ordre de mission parlait d’une demi-douzaine de propagandistes à la solde de « l’Internationale judéo-bolchevique anglo-saxonne » comme ils disent à Radio Nouvelle France. Bref, nous voilà rendu dans le 13e avec Célina et Malik, un Arabe que toute la Brigade surnomme le Bédouin.
Notre Bédouin était dans une sorte d’organisation politique d’Algérie (l’Algérie d’Avant), l’Etoile Nord-Africaine. Son Etoile a fini par être interdite, un de ses chefs a rejoint le RNP de Déat et Malik a voulu le suivre en entrant aux Gardes de Sécurité Economique, mais il s’est fait jeter au bout de quelques mois. Il avait oublié de préciser qu’il savait pas trop compter et même si les GSE ne font pas beaucoup de comptabilité, sauf pour savoir combien ils vont se mettre dans la poche, forcément c’était un détail gênant… Alors il est venu chez nous.
Bon, j’en reviens à ce matin – on arrive près du parc Montsouris, on se gare et Célina nous informe à ce moment qu’il reste dans la voiture, qu’il faut qu’on vole de nos propres ailes, nous « les jeunes » ! A peine on a eu le dos tourné qu’en jetant un œil en arrière, je l’ai vu sortir de la voiture et s’éloigner. Je sais pas ce qu’il trafique, mais ça fait plusieurs fois qu’il fait le coup de s’absenter aux moments cruciaux… Il a jamais été bien courageux (Alphonse m’a raconté en détail leurs aventures dans le Rif il y a vingt ans, c’était pas piqué des hannetons !), mais quand même…
Arrivés à l’adresse indiquée, on découvre que, sur les quinze flics que nous avait promis le commissariat du 13e, on avait cinq-six péquenauds en train de se goinfrer de croissants (des vrais, apparemment, je me demande où ils les avaient trouvés), tranquillement installés dans un panier à salade garé juste devant l’immeuble – bonjour la discrétion. Pour une arrestation discrète aux aurores, ça la foutait mal…
On est monté au huitième et dernier étage (sans ascenseur) et on a défoncé la porte : personne ! Mais c’était sûr qu’il y avait du monde peu avant. On inspectait tout ça de fond en comble quand tout d’un coup, j’entends des bruits sur le toit. Je trouve une trappe, je grimpe et je vois trois mecs en train de se barrer par les toits. J’ai essayé de les poursuivre, suivi de loin par Malik, mais le dernier, qui avait l’air d’être à la traîne, a balancé un truc dans ma direction. Sur le moment je n’ai rien vu, mais Malik a hurlé « Grenade, grenade ! » et il y a eu un boum comme un pétard de gosse et un grand éclair blanc…
C’était une foutue grenade à plâtre ! J’y voyais plus rien et je devais avoir l’air d’un bonhomme de neige ! J’ai entendu de grands éclats de rire devant nous, mais Malik leur a tiré dessus et ils se sont taillés vite fait, ces foutus communistes !
Malik m’a ramené à la voiture après avoir demandé aux flics de s’occuper de saisir le matériel d’impression de ces foutus tracts. Tout le long du chemin, accroché au bras de Malik, j’entendais les rires des passants qui se foutaient de ma tronche ! Célina, qui nous attendait comme si de rien n’était, a éclaté de rire en me voyant et s’est bien payé ma tête. Après quelques minutes, il s’est calmé et il m’a proposé de passer chez moi pour prendre des fringues propres, parce que des bruits couraient comme quoi Darnand allait venir faire un tour dans nos locaux d’ici quelques jours…
On est passés rue des Rosiers, comme j’y voyais toujours rien, le Bédouin est monté chez moi, m’a pris des vêtements propres et est revenu en disant « Je t’ai pris ton courrier aussi. » Je lui ai demandé si il y avait une lettre de Grenoble, il m’a dit que non, que la seule lettre qu’il y avait c’était une lettre venant d’Arras ! Or la seule personne que je connaisse qui puisse être dans le nord de la France, c’est MAMAN ! Il fallait que je lise cette lettre ! J’ai pas arrêté de les tanner, qu’il fallait que je me fasse soigner les yeux, qu’il fallait que je la lise absolument ! Malik a proposé de me la lire mais Célina l’a arrêté : « Sûrement pas mon pauvre Bédouin ! Le courrier d’un brigadier ! Il n’y a qu’une seule personne autorisée à s’en occuper : Mercadet en personne ! Nous autres forcément, on compte pas hein… »
Son ton était ironique mais on sentait une pointe d’amertume… Il a repris, plus gentiment : « Bouge pas gamin ! Je sais ou on va t’emmener ! Il y a un cabinet rue Lesueur à deux pas du 93, un médecin avec qui on fait affaire de temps en temps. »
Je n’y voyais toujours rien, mais quand ce fameux docteur m’a parlé et qu’il m’a ausculté, j’ai eu un nouveau choc et j’ai même eu la frousse… Ces mains moites, cette voix malsaine… C’était le docteur qui m’avait soigné il y a deux ans, sur la route, celui qui se faisait appeler le Docteur Petit… J’en étais sûr, mais lui n’a pas eu l’air de me reconnaître. Il m’a lavé les yeux et m’a donné des gouttes pour me soulager. Je commençais à y voir, mais pas assez pour vraiment distinguer les visages, et sûrement pas assez pour lire. Il m’a dit que ça devrait aller, mais que « s’il y avait le moindre problème, il ne faudrait pas hésiter à revenir ». Il a fini en disant que bien entendu, on ne lui devait rien, que sa porte était toujours ouverte pour les bons Français du SONEF. Je ne sais pas pourquoi – après tout, il m’a bien soigné en 40 et là, mes yeux vont beaucoup mieux – mais il me fiche la trouille et s’il espère que je revienne le voir, il peut toujours courir.
Célina est resté un moment à parler avec le docteur pendant que Malik et moi, on attendait dans la voiture. Au bout d’un quart d’heure, il est revenu, tout guilleret : « Sympa comme tout ce Docteur Petiot ! Il m’a demandé si je connaissais l’Argentine, il m’a dit que c’était un beau pays et qu’un jour je pourrais avoir envie d’y aller, moi ou des amis à moi… Bon, pour les passeports, faudrait s’arranger, mais la loi c’est nous ! Pas vrai mon vieux Bédouin ? »
Ensuite, il a démarré en trombe et foncé jusqu’à la rue Lauriston… C’était pas long comme trajet, mais qu’est-ce qu’il fait peur quand il conduit, Célina ! Je crois que malgré tout je préfère continuer à faire le chauffeur.
En arrivant au 93, évidemment, tout le monde s’est foutu de moi à cause de mon visage tout blanc. Heureusement le Zazou et notre nouvelle secrétaire, Margot, m’ont emmené dans une salle de bains (une vraie salle de bains, pas comme celle du haut). Margot m’a débarbouillé et m’a aidé à m’habiller, puis elle m’a mis mes gouttes dans les yeux. Quand elle est repartie, le Zazou m’a tapé sur l’épaule et m’a dit que je devais bien lui plaire, parce qu’elle était toute rouge en me soignant et que c’était dommage que je n’aie pas pu bien le voir !
Comme je commençais à y voir un peu, je suis allé avec Célina et Malik trouver Mercadet, pour faire notre rapport, et surtout pour qu’il m’aide à lire ma lettre. Quand il nous a vu arriver à la Brigade, il a eu un grand sourire : « Alors le blessé de guerre, comment ça va ? Vous avez raté la visite de Moustache, tant mieux pour vous ! Et cette histoire de résistants ? C’est aussi catastrophique que ce que m’a raconté le commissaire principal du 13e ? »
Célina a répondu, plein d’assurance, qu’on avait fait de notre mieux (il s’incluait dans l’opération !), mais que c’était de la faute des flics du 13e qui ne nous avaient envoyé que trois clampins… Mercadet l’a coupé d’un ton brusque : « Oh ça va ! Le type du 13e s’est fait un plaisir de me préciser que t’étais même pas là, encore une fois… Non, ces jeunes puceaux idéalistes qui rêvent de gloire en écrivant des tracts pleins de fautes d’orthographe pour défendre la Liberté et autres foutaises, je m’en cogne ! Ce qui m’inquiète, c’est que c’est la cinquième fois depuis le début du mois qu’une opération de notre Brigade est perturbée… »
La porte était resté ouverte et une voix haut perchée a retenti dans le couloir : c’était Bertin, le chef de la Deuxième Brigade (un faux derche de premier ordre qui ne cesse de prendre de l’importance au 93 depuis l’arrivée des observateurs de Degans). Il était, comme toujours, accompagné du Dahu (c’est comme ça qu’on surnomme notre observateur, car il boîte, une soi-disant blessure de guerre reçue pendant l’offensive de la Sarre en septembre 39, mais le Zazou, qui y était, nous a dit que le bled où il aurait reçu sa balle, l’armée française y avait tout simplement pas mis les pieds !).
– Et voilà, le grand Alphonse Mercadet, la célèbre première gâchette de l’OSAR, nous refait une crise d’espionnite !
Il a pris une voix de fausset : « Oh mon Dieu, il y a une balance au sein du SONEF, c’est pour ça qu’on n’arrive même pas à arrêter des lycéens ! »
– Alors qu’il faudrait juste regarder du côté de votre médiocrité pour expliquer votre inefficacité, a renchéri le Dahu d’une voix caverneuse.
Ils sont passés en nous toisant… Célina était près d’exploser, heureusement, le Bédouin l’a emmené prendre un verre pour le calmer… Mercadet m’a emmené dans son bureau après que je lui ai donné la lettre que j’avais reçue. Il l’a parcourue et m’a dit que c’était pas de ma mère, mais que ça parlait d’elle et qu’il y avait des pages écrites en boche.
– Qu’est-ce que ta mère faisait dans le Nord, déjà ?
Je lui ai répondu qu’elle était dans un sanatorium parce qu’elle avait eu la tuberculose, que ça allait mieux, mais qu’elle avait aussi besoin de soigner ses nerfs (je n’ai jamais très bien compris ce que c’était, mais depuis au moins dix ans, Papa nous disait régulièrement, à Guy et moi, qu’elle avait les nerfs fragiles).
Il a commencé à lire la lettre. Elle venait d’une ancienne employée du sanatorium de Berck, qui avait fermé il y a un an et demi pour cause de Zone Interdite (et en plus, depuis quelques mois, les Allemands construisent des fortifications dans le coin). Elle avait « certaines choses à dire », notamment sur ma mère. Il y avait eu « des mesures sanitaires » prises par les autorités d’occupation, c’est là qu’un document en allemand était joint à la lettre.
Mercadet est resté muet pendant une bonne minute, en traduisant ou en essayant de traduire. Je l’ai entendu murmurer un truc du genre « J’ai déjà vu ça quelque part », il a farfouillé dans son bureau, en a sorti des papiers et a lâché « Et merde… ». Je lui ai demandé si il y avait un problème, il m’a répondu que non, que ma mère était en Zone Interdite, mais qu’il fallait pas que je m’inquiète, qu’il fallait des papiers mais qu’il allait faire le nécessaire pour les trouver dans les plus brefs délais, d’ici là il fallait que j’aille me reposer en salle de veille parce que j’étais de garde cette nuit. Si mes yeux n’étaient pas suffisamment remis, je resterais à répondre au téléphone…


22 octobre
Les carnets de Jean Martin
Paris
– Ce matin, on nous a présenté deux nouveaux à la Brigade – c’est pas du luxe : entre les départs pour la LVF, les mutations à la Brigade Mobile du Sud, les mutations dans d’autres brigades, la mort de Loulou Vencel, de Brasseur et de l’Edenté, la blessure de Porcelaine, on a fini par se retrouver à 14 alors qu’au début de l’année on était environ 25 ! Et évidemment, toutes les nouvelles recrues étaient affectées à la Deuxième Brigade, un peu à la Troisième, mais jamais à nous !
Donc, on a enfin reçu du renfort : Fernandez et Léonetti. Deux mecs du SONEF de Marseille qui ont été mutés chez nous.
Fernandez est un grand, maigre, il parle pas ou peu. Léonetti est plus gros et débonnaire, il parle avec un accent à couper au couteau, on a l’impression qu’il imite Raimu. Ils portent des Borsalino et des costumes du dernier cri… d’il y a dix ans (il y a trois ans, ça m’aurait impressionné, mais je ne suis plus un petit campagnard de Vierzon). Des vrais gangsters de film américain ! A croire qu’ils débarquent de Sicile, que les Américains, justement, et les Africains sont en train de bouffer sous le nez du Mussolini. J’espère que Guy joue pas au héros là-bas…
Célina les regardait d’un drôle d’air, comme s’il les retapissait. Mais il a rien dit et on a parlé de tout et de rien, jusqu’à ce qu’Alphonse arrive : « Qu’est-ce que vous foutez ici, vous deux ? »
– Nous avons été affectés à votre Brigade, chef,
a déclaré Léonetti d’un ton cérémonieux (et sans ajouter, pour une fois, ni « putaing » ni « cong »). Nous sommes vos nouveaux sous-lieutenants, nous arrivons de Marseille, mon camarade Fernandez Eugène et moi-même, Léonetti Marius.
Mercadet n’en revenait pas : « Hé bien il était temps ! Même si c’est pas de sous-off’ que j’ai besoin, vous allez un peu regonfler mes effectifs, c’est déjà ça… Je suppose, vu l’époque que nous vivons, que pour avoir été mutés dans notre belle capitale, vous êtes recommandés… Vous avez une carte d’un parti quelconque ? Vous êtes dans les petits papiers de qui ? Darnand ? Deloncle ? Touvier ? Le Président soi-même, peut-être ? »
– Oh ça, mon lieutenant !
a déclaré Fernandez avec la voix d’un curé en train de dire la messe, la moindre des choses que nous puissions affirmer, c’est que mon comparse et moi ne fussions pas dans les petits papiers d’un quelconque représentant de notre Etat. Que dis-je ? De notre Nouvel Etat (on sentait les majuscules) ! Nous pourrions même affirmer que cette mutation, sauf le respect absolument immense et souhaitons-le, exponentiel ! que nous vous devons, ressemble fort à l’interprétation faite par notre sainte administration de ce que ces Messieurs les Imposteurs d’Outre-Méditerranée ont baptisé d’un néologisme ensoleillé : en un mot, nous avons été frappés de saharage !
Il parlait bizarre, quand il parlait, le grand maigre ! J’ai regardé le Zazou, surpris, il m’a regardé, il avait du mal à ne pas rigoler, et moi aussi.
Mercadet, lui, est allé à l’essentiel : « Venons en au fait, sous-lieutenant Fernandez ! Pourquoi vous a-t-on expédiés ici ? »
Fernandez s’est éclairci la voix comme un acteur avant le grand monologue final, où il dit qu’il meurt heureux pour la Patrie : « Eh bien voyez-vous, mon collègue et néanmoins fidèle ami, que dis-je comparse, et moi-même, menions cet été ce que l’on appelle en jargon policier une « infiltration », manœuvre somme toute ironique au demeurant, car nous fûmes, en d’autre temps, victimes de ce genre de pratiques, il faut le convenir fort peu « fair play » comme disent nos amis, enfin anciens amis d’Outre-Manche. Mais ceci est une autre histoire… Donc nous avions infiltré un réseau de passeurs, des pêcheurs de petite envergure qui arrondissent leurs fins de mois en transportant à prix exorbitant vers d’autres cieux (du côté de l’Espagne notamment, ou des Baléares) tout ce que Marseille et ses environs comptent d’asociaux, fuyards de l’Echange Travailleurs-Prisonniers, rebelles, agents de l’Etranger, communistes, idéalistes variés et bien sûr la foule inquiète des survivants dégénérés des Tribus d’Israël, bref… Voici donc que le SONEF appréhende, grâce à nous ! ce fameux réseau pour ainsi dire au grand complet, avec sa cargaison du jour. Evidemment, cédant à la tentation du mélodrame, quelques-uns tentent d’échapper au bras de la Justice, je vous passe les détails, fusillades, sang, morts… Bref ! (J’ai entendu Alphonse soupirer : « Oui, bref ! ») Nous amenons tout ça dans notre beau commissariat central. Interrogatoires, quelques gestes énergiques et convaincants, hélas parfois un peu brutaux, la routine me direz-vous… Quand tout d’un coup, que nous arrive-t-il, alors que Notre-Dame de la Garde venait de sonner 4 heures du matin ? Qui ? »
Personne ne le suppliant de répondre, il prit une inspiration, puis : « Le nouveau maire de Marseille ! Le maire, co-fondateur du PPF avec le ministre de l’Intérieur Jacques Doriot, plus grand agent recruteur pour la LVF de toute la Provence, je veux bien sûr parler du Lion de l’Argonne, alias Simon Sabiani ! » (4)
Il ne s’écroula pas mais du moins il se tut, terrassé par l’émotion.
Léonetti prit le relais : « Et que venait-il faire là, ce Monsieur ? Je vous le donne en mille, mon lieutenant ! »
Mercadet répondit en soupirant à nouveau : « Chercher des poux dans la tête du SONEF au bénéfice des Croisés de son ami Doriot, non ? »
Léonetti s’épanouit : « Eh non, putaing cong – oh pardon mon lieutenant ! Il venait tout simplement chercher son fils ! Eh oui, le brave fiston Sabiani venait de se faire pincer en tentant de fuir pour rejoindre les Africains ! Le maire a exigé qu’on le libère sur le champ ! Inutile de dire que, fidèles serviteurs du Nouvel Etat Français, on a tout bonnement refusé, appuyés par nos chefs. Mais au bout d’un mois, en arrivant au commissariat, on a découvert que le fils Sabiani était libéré, que c’était nous les responsables et que nous étions mutés dans la capitale ! »
– Mais le crime ne profite pas toujours
, conclut Fernandez d’une voix sinistre. Avant de partir, nous avons appris que Doriot avait ordonné d’expédier le fils Sabiani à la LVF, il ira passer l’hiver au frais sur le front russe avec Deloncle et compagnie !
Un bref silence consterné a suivi ce palpitant récit.
Mercadet, qui avait renoncé à se mettre en colère, leur a montré où poser leurs affaires, puis il m’a pris à part : « Allez viens gamin ! On va faire un petit voyage en Zone Interdite. »
D’abord, on est allé taper à la porte du directeur Bonny. Surprise ! Il était en pleine discussion avec l’Arabe de la dernière fois, El-Machin, celui qui avait parlé de l’Algérie indépendante à la radio ! Il y avait un officier boche avec eux.
Bonny nous a accueillis avec le sourire : « Ah, Mercadet… Justement, il fallait que je vous parle ! Vous êtes contents de vos nouvelles recrues ? »
– Vous auriez pu me prévenir de l’arrivée de ces deux zigotos ! Quand m’autoriserez-vous à prendre avec moi des mecs de la Régulière bien choisis, ou des hommes de confiance ?
– Vos hommes de confiance à vous, vous voulez dire ? Non merci ! Cette institution honorable qu’est le SONEF ne va pas devenir un nid d’anciens cagoulards !
– Je vous ferais remarquer que nous avons été graciés et que toutes nos condamnations ont été effacées, Monsieur le Directeur… Mais je ne venais pas vous voir pour ça. Avez-vous les papiers que je vous ai demandés hier soir ? Nous devons aller en Zone Interdite pour éclaircir l’histoire de la mère de votre ancien protégé
(il m’a désigné).
– Mon ancien… Ah oui… Ce brave Jacques…
– Jean ! C’est Jean
, a fait remarquer d’un ton sec Mercadet en me posant la main sur l’épaule. J’ai fait un sourire qui était plutôt une grimace.
– C’est à dire que je ne vais pas pouvoir faire grand-chose avant une bonne quinzaine de jours, a répondu Bonny, l’air penaud, en fuyant mon regard.
– Laissez tomber, a grondé Mercadet en se tournant vers la porte.
Bonny l’a arrêté : « Lieutenant Mercadet ! »
Alphonse s’est retourné.
– Vous voudrez bien signer les papiers nécessaires à la libération de son engagement de l’Indigène musulman d’Algérie (El-Machin l’a regardé bizarrement) qui est dans votre brigade.
– Malik ? Mais c’est l’un de mes meilleurs éléments !
– C’est pour ça qu’il va accéder à un destin plus glorieux,
s’est exclamé El-Maadi (oui c’est ça, El-Maadi) ; il a pris une mine hautaine.
– Et je pourrais savoir lequel ? a demandé Mercadet l’air moqueur.
– La défense des valeurs de la future Algérie !
– Sous uniforme allemand ?
– Ce sera peut être mieux qu’avec l’uniforme français, a riposté le Boche avec un fort accent.

Là c’est moi qui suis intervenu en tirant Alphonse par le bras. Il a éclaté de colère dans le couloir. Tout en traitant de tous les noms le directeur Bonny (une bonne dizaine de personnes se sont retournées sur notre passage, l’air choqué, si avec ça il ne l’apprend pas…), il est allé dans son bureau, où il s’est enfermé quelques minutes. Puis il est ressorti avec un petit dossier et m’a emmené en voiture avec lui. On a roulé une bonne heure, on est sorti de Paris et on s’est arrêtés sur une petite route, près d’un carrefour. On a attendu. Un bon moment plus tard, une voiture est arrivée. Un mec d’une cinquantaine d’années, bien habillé, est descendu avec une enveloppe à la main.
– Bonsoir Jacques, a dit Mercadet.
– Bonsoir Alphonse.
– Tu as ce que je t’ai demandé ?
– Bien sûr. Ce n’était pas difficile.
– Je sais, tu as des sympathisants compétents et bien placés.
– Mieux que tes collègues, c’est sûr… Au fait, qui c’est, lui ?
– C’est pour lui que je t’ai demandé ça.
– C’est le gamin dont Georges m’a parlé ? Hé bien, il doit vraiment t’avoir fait bonne impression pour que tu en fasses autant ! Il y a quinze ans, à part la Cause, rien ne trouvait grâce à tes yeux… Mais dis-moi, tu as réfléchi à ma proposition ? Rejoins-nous ! Arrête d’avoir le cul entre deux chaises ! Il y aurait aussi de la place pour lui
(c’est de moi qu’il devait parler), si tu tiens tant que ça à ton mignon.
– Si je me décide, tu seras le premier informé, rassure toi ! En attendant, tiens
(il lui passa les papiers qu’il avait pris dans son bureau), même le cul entre deux chaises, j’ai pas perdu la main, non ?
Le nommé Jacques donna à Mercadet l’enveloppe qu’il avait apportée et feuilleta rapidement le dossier : « Ah non, c’est sûr ! Toujours aussi doué qu’à l’époque de l’Action Française et du Faisceau. Pour ce que t’as fait après, je ne le connais que par ouï-dire, mais c’était toujours élogieux ! »
– N’en jette plus ! Allez, salut…

En rentrant à Paris, j’ai demandé qui était ce Jacques – Alphonse m’a répondu que c’était notre agence de voyage pour la Zone Interdite et qu’on partait demain matin. Dans l’enveloppe, il y avait deux Ausweiss vierges.
Tout ça m’a l’air louche… mais je m’en fous ! Je vais revoir Maman !


23 octobre
Le journal de Jacques Lelong
Paris
– C’est drôle, mais c’est quand on croit que la destinée vous a oublié qu’elle vous retombe dessus. Vers deux heures, je distribuais aux Tuileries mon torchon habituel – et Isabelle était là, juste devant moi, à une dizaine de mètres. Elle s’est avancée et je me suis retrouvé tout penaud, complètement écartelé entre des sentiments contradictoires quand elle m’a dit : « Bonjour Jacques, marchons un peu, tu veux bien… » Je l’ai suivie, incapable d’articuler un mot. C’est elle qui a rompu le silence.
– Je ne cherche pas à me justifier. La France, la Liberté et tout ce que mon père m’a appris à aimer sont en danger, le pire danger de notre Histoire. Beaucoup ont déjà sacrifié leur vie. J’ai décidé moi aussi de faire un sacrifice, un sacrifice bien moindre, parce que je pense, parce que je suis sûre que ce sacrifice en vaut la peine. Après la guerre, si nous… si je… (elle a toussé, puis elle a repris Smile Après la guerre, si tu comprends, si tu veux toujours de moi, je serai là pour toi.
Elle a pris ma main tachée de l’encre de cette saleté de JSP. J’ai bredouillé je ne sais quoi d’idiot et j’ai porté sa main à mes lèvres, ce qui était une bien meilleure réponse, avant de lui tenir un discours d’une stupidité sans nom, mais qui sembla lui plaire, puisqu’elle s’est mise à sourire.
– Jacques, dit-elle alors avec calme en me regardant dans les yeux, je dois partir ce soir. Je prends le train. Une histoire importante. Très importante. Ces sous-marins japonais dont ta feuille de chou a parlé, il y a quelque temps (En effet, JSP avait fait en septembre ses choux gras d’une histoire complètement folle de sous-marins japonais : “New York sous le feu de la Marine Impériale du Japon – L’US Navy ridiculisée”). Je reviendrai dans quelques jours ou quelques semaines. Mais… je vais devoir prendre des risques. Tu comprends ?
Devant son ton froid, décidé, chirurgical, je restai muet. Au bout d’un moment, avec une note d’ironie dans la voix : « Eh bien, puisque tu n’as rien à dire, je suppose que tu as compris. » Elle déposa alors un rapide baiser au coin de mes lèvres et me chuchota : « Rappelle-toi que c’est toi que j’aime. » Lorsque qu’elle recula, je la retins et l’embrassai vraiment. Sa bouche était douce, son odeur enivrante, elle se laissait aller, et lorsque finalement nos lèvres se séparèrent, elle me chuchota au creux de l’oreille : « J’ai jusqu’à huit heures, allons chez toi. » Nous avons fait l’amour avec fougue, avec passion, avec délices, avec bonheur…
Dans le calme exquis de “l’après”, elle m’a dit d’une voix claire et très calme : « Jacques, il faut que tu me promettes, au cas où çà tournerait mal pour moi, de continuer à vivre et surtout à lutter pour la Libération, notre Libération à tous : jusqu’à la Victoire, il n’y a que ça qui compte vraiment ! D’ici là, je sais que tu m’aimes, souviens-toi que moi aussi, je t’aime. » Je ne répondis rien, rien du tout, qu’aurais-je pu ajouter, elle a toujours été la plus forte.
Au moment de nous quitter, je l’ai serrée à nouveau contre moi, très fort, et je lui ai dit de faire attention à elle. Elle m’a souri et elle a disparu, ne me laissant que son parfum.



24 octobre
Les carnets de Jean Martin
Arras
– On est en Zone Interdite ! Ça grouille de Boches ici et tout est écrit en allemand. On croirait pas qu’on est en France, Alphonse m’a dit que les Boches comptaient nous sucrer la région après la guerre. J’y crois pas trop. Je pense que le Président Laval saura se faire entendre…
On a eu plein de contrôles mais à chaque fois, après vérification de nos papiers (qui parfois durait un bon quart d’heure !), on nous a laissé passer.
La lettre, j’ai pu la lire aujourd’hui tranquillement. C’est d’une dame d’Arras, une ancienne secrétaire de Berck, elle dit que le sanatorium a été fermé, que le poumon de Maman allait mieux mais qu’elle était nerveusement très fatiguée. Elle a été envoyée à Arras, selon une décision allemande (c’est le papier en allemand, qui parle du traitement des malades en Zone Interdite).
On est allés d’abord voir cette dame, une vieille très gentille, qui m’a dit que Maman lui avait donné l’adresse de Vierzon, qu’elle avait écrit là-bas et que c’était la mairie qui lui avait répondu en donnant mon adresse à Paris.
La vieille nous a indiqué l’hôpital, une vieille bâtisse qui ne ressemble pas bien à un hosto. Au secrétariat, on a demandé le médecin-chef, de la part du fils d’une malade, et on s’est fait jeter ! Ce Monsieur ne veut pas me recevoir, « faut écrire » ! Alphonse m’a demandé de l’attendre dans la voiture, j’ai pas trop compris pourquoi sur le coup alors j’ai bêtement obéi (en même temps, vu tout ce qu’il fait pour moi en ce moment, je vais pas non plus le contrarier).
C’est là que j’écris, pour m’occuper.
Xxxxxx Xxxxxx Xxxxxx (5)
Mercadet est revenu avec le médecin-chef, un type en blouse blanche sale, chauve et suant malgré le temps assez froid. Il était rouge comme un qu’a pris des tas de baffes et il portait un paquet enveloppé dans du papier kraft. « Monsieur Martin, il m’a dit, je suis désolé… Votre mère avait les nerfs très malades, la soigner ici était difficile, elle a été envoyée en Allemagne, au centre d’Hadamar, au titre du programme Aktion T-4, ils utilisent des traitements très nouveaux, mais elle ne les a pas supportés. Je suis désolé, elle est malheureusement décédée il y a quelques mois, sans souffrance, dans son sommeil. »
J’ai cru qu’une tonne de briques me tombait dessus. J’ai dû dire un truc sur un enterrement, je ne sais pas, il m’a répondu : « Non, ils l’ont incinérée. Ils nous ont renvoyé ses cendres. » Et il a sorti du paquet une sorte de boîte noire.
J’ai cru que j’allais hurler, mais rien n’est sorti. Le médecin-chef s’est éloigné à reculons. Alphonse n’avait rien dit, il regardait l’autre gars d’un air sinistre et il se tenait tout raide, avec la main droite dans la poche de son manteau, il ne l’a sortie qu’au moment où il est remonté en voiture.
J’ai essayé de me retenir au début, d’une certaine façon je me doutais qu’il lui était arrivé quelque chose… Mais j’ai pas pu, j’ai craqué… J’ai éclaté en sanglots. Je suis seul maintenant. Il me reste personne… Papa et Maman sont morts. Guy est parti jouer au héros… Il me reste plus rien…
Alphonse n’a pas dû tout me dire, mais j’aime mieux pas en savoir plus… (6)
Alphonse m’a demandé si il y avait quelque chose que ma mère aimait bien, je lui ai répondu le bord de mère, qu’elle avait toujours aimé la mère… (7)
On est allés au bord de la mer, je sais pas comment on a contourné les barrages. On a dispersé les cendres aux quatre vents, puis on est resté silencieux pendant un long moment…
Le soleil se couchait, une patrouille nous a découverts, Alphonse est allé au devant d’eux en leur montrant sa carte d’officier et nos Ausweis. Il a dit qu’on était perdus, ils nous ont fichu la paix, on est repartis.
Un moment après, sur la route, il a lâché : « Un beau jour cette guerre finira… »
J’aimerais bien! Avant qu’elle me prenne Guy…


28 octobre
Les carnets de Jean Martin
Paris
– J’ai repris le boulot, en essayant de faire comme si de rien n’était… On a appris que Malik allait nous quitter d’ici quinze jours. Il y a eu d’autres mutations, trois de nos gars ont été mutés à la campagne ou en banlieue et ont été remplacés par trois nouveaux qui ne jurent que par le Parti Unique du Renouveau Français (PURF !), le National-Socialisme, la civilisation aryenne paneuropéenne…
Alphonse s’est pris un blâme pour absence injustifiée. Il aurait dû être mis à pied mais au dernier moment, il a gardé son poste… Ce qui n’a pas manqué de faire enrager ce fayot de Bertin, qui a fait courir le bruit que la Première allait être dissoute et qu’on allait être versés dans sa brigade une fois qu’Alphonse serait viré.
Ce soir, je finissais la paperasse (on aurait besoin de plus d’hommes de terrain mais Alphonse m’a ordonné de rester dans les bureaux parce que sur le terrain je me serais fait « bouffer tout cru »), quand Alphonse m’a convoqué dans son bureau. Il m’a tendu des papiers : « Tiens gamin, c’est ce qu’il te faut pour passer en zone italienne. T’as besoin d’aller voir ta copine Suzanne à Grenoble. Faut que tu te changes les idées ! Tu l’as bien mérité ! »
J’étais scié : « Comment vous avez fait pour obtenir ça ? Vous êtes pas trop en odeur de sainteté, en ce moment. »
Il a souri, très décontracté : « Je connais les gens qu’il faut, depuis des années… Et Bonny est de nouveau mon meilleur ami ! »
J’étais de plus en plus stupéfait. Il a carrément rigolé : « Ce genre de mecs, ils ont leur talon d’Achille, suffit de bien l’exploiter ! Et puis les pourris dans son genre, ils en veulent toujours plus, il suffit de leur donner ce qu’ils veulent et ils oublient tout le reste. »
J’ai souri, bien qu’à l’idée de ce qu’Alphonse avait dû faire pour rentrer en grâce avec Bonny et redevenir un lieutenant du SONEF solide au poste, j’avais froid dans le dos… Il m’a regardé fixement quelques secondes, puis il m’a glissé en baissant la voix : « Fais moi une promesse, gamin. »
– Quoi, m’sieur Alphonse ?

Il a souri quand je l’ai appelé comme ça, comme au début, quand je suis arrivé dans son équipe.
– Si ça se passe bien avec ta régulière… Si elle te semble amoureuse, qu’elle est gentille et que toi tu sens qu’elle te plaît… Reviens pas. Reste là bas. T’inquiète pas, je m’occuperai des paperasses… Mais surtout, si tu sens que tu peux faire quelque chose à l’écart de tout ce bazar… Hésite pas !
Je suis resté là sans savoir quoi dire d’abord, puis j’ai bafouillé : « Vous savez, Suzanne, elle est… heu… spéciale. »
– Oh je sais qu’elle est sûrement mal pensante la jeunette ! Vu comment elle se trimballait dans les couloirs à poser plein de questions, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’elle avait des préoccupations autres que celles d’une lycéenne ordinaire. Mais à votre âge, on se rend pas compte des choses, on a des grands mots pleins de majuscules dans la bouche, comme nos ahuris du PURF, y’a juste les mots qui changent… Enfin, même si c’est une mal pensante, tente le coup de faire comme les gens normaux… C’est pas une vie ici ! Essaie ! Enfin… Sauf si elle est communiste hein ! Pas question que tu me ramènes une communiste, et puis quoi encore !

Il souriait, comme s’il ne disait pas des trucs qui auraient pu l’envoyer au poteau d’exécution.
– Bien mon lieutenant, que j’ai répondu en faisant un salut militaire d’opérette. Mais quand vous dites mal pensants, vous pensez aussi aux mal pensants comme votre ami… Jacques ?
Il a semblé désarçonné l’espace d’un instant, puis a refait un grand sourire, a roulé en boule une feuille de papier et me l’a lancée.
– Fous-moi le camp, sale gamin ! Et que je ne te revoie plus !


30 octobre
Carnets de Jean Martin
Quelque part en France
– Je suis dans le train. Encore et toujours dans le train… Ça va bientôt faire deux jours que je suis dans le train ! Paris-Grenoble c’est peut-être pas direct mais quand même ! Foutus Résistants ! J’avais bien compris que depuis que les Cocos s’étaient découverts, en mai, à la suite de l’offensive allemande en Russie, les transports souffraient beaucoup, mais là… Pour la cinquième fois, on a dû s’arrêter, cette fois c’était parce que les rails avaient sauté. Résultat, notre trajet est dévié de gare en gare, de détour en détour. Je sais que c’est juste un train de voyageurs, donc qu’on est pas prioritaires par rapport aux trains boches mais quand même…
Il paraît que d’ici 2 ou 3 heures on devrait finir par arriver, mais j’y croirai quand je verrai la gare de Grenoble !
Du coup, j’arrête pas de ressasser des tas d’idées noires. J’ai plus de famille. J’arrive pas à le concevoir… Ça ne passe pas. J’essaie de ne pas y penser, mais ça me lâche pas.
Une fois, pendant qu’on rentrait de Zone Interdite, Alphonse m’a dit que j’étais un peu comme sa famille, plus encore même que sa femme et sa gamine ! J’ai été soufflé quand il m’a dit ça ! C’était… Je lui ai demandé des détails, mais il a plus rien dit. En un sens, il a pas tort, c’est lui qui ressemble le plus à un membre de ma famille, Alphonse, mais malgré tout, chaque fois qu’il m’arrive un problème, chaque fois que j’ai un truc un peu trop lourd à confier, c’est pas vers Alphonse que j’aimerais me tourner, c’est vers ma famille, la vraie !
Il me reste plus que Guy, et il a foutu le camp ce cochon ! Chaque fois qu’on entend parler des Africains, par exemple en captant Radio Alger (on le faisait régulièrement quand on travaillait de nuit, jusqu’à l’arrivée des observateurs et des nouveaux, « les fanatiques » comme les appelle Alphonse)… ou bien quand on chopé un de ces Résistants et qu’on “discute” un peu avec eux, je me mets à penser à Guy et je me demande où il a bien pu aller se fourrer ! Est-ce qu’il est aviateur, marin, fantassin ? Il est en Grèce ou bien en Sicile peut-être ? Ou bien il est allé se paumer en Indochine, à crapahuter dans la jungle face aux Japonais ? Ou il a réalisé son rêve et il est devenu pilote ? J’espère pour lui… Enfin qu’est-ce que je raconte moi ! J’espère surtout qu’il lui est pas arrivé du mal à se battre pour les Fuyards, comme ils disent sur Radio Nouvelle France !
On va bientôt arriver, il me tarde de revoir Suzanne pour oublier tout ça pendant quelques jours…


Notes
1- NDE – Il fut avéré à la Libération, lors du procès de Paul Touvier, que la Brigade Mobile du Sud, unité fantôme où l’on mutait certains éléments du SONEF jugés peu sûrs, avait été créée à son initiative personnelle. Cette BMS était basée administrativement à Aix-en-Provence ; une autre devait même être créée au printemps 1943, tout aussi fantôme. Elles servaient de leurre pour que la purge engagée par Touvier dès sa prise de fonctions ne s’ébruite pas. Les agents concernés étaient la plupart du temps abattus sommairement, parfois livrés aux Allemands et déportés comme Résistants. Le nombre d’agents du SONEF ainsi “mutés” serait compris entre 100 et 130.
2- NDE – Aucune trace du livre ne sera retrouvée après la guerre, alimentant un peu plus les rumeurs et déchirant partisans et adversaires posthumes du Maréchal concernant le rôle qu’il aurait pu jouer s’il était arrivé au pouvoir.
3- NDE – Le Docteur Ménétrel a disparu sans laisser de trace. On suppose qu’il est mort à cette date. Il vient grossir les rangs des « disparus de la Rue Lauriston ».
4- NDE – A la suite de l’incendie des Nouvelles Galeries de Marseille en 1938 et du chaos qui suivit, le maire de la ville, Henri Tasso, fut démis de ses fonctions le 20 mars 1939 et la ville de Marseille placée sous tutelle. Fin 1941, Jacques Doriot, ministre de l’Intérieur, mit fin à cette mesure et désigna par décret Sabiani comme nouveau maire.
5- NDE – Ici, forte rature.
6- NDE – Les “mesures sanitaires” mises en œuvre par les nazis sous le 6-om d’Aktion-T4, à savoir l’élimination des handicapés mentaux et aliénés, ont été appliquées dans la Zone Interdite par des officiels consciencieux, français et allemands. Environ 300 personnes furent déportées dans la station d’euthanasie T4 d’Hadamar, en Hesse, active de janvier 1941 à juillet 1942.
7- NDE – Sic : sous la plume de Jean, mère pour mer.
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ladc51



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MessagePosté le: Mar Mai 28, 2013 11:08    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent ! Applause
Bien écrit, émouvant, et ces "Fabrice" nous aident à comprendre la France de la FTL...

Merci à tous les trois.
_________________
Laurent
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Anaxagore



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MessagePosté le: Mar Mai 28, 2013 12:48    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
"du Comité pour la Mémoire du Maréchal Pétain (je connais, c’est le truc qui organise les tournées dans les écoles de la veuve du Maréchal) "


"avec la veuve du maréchal" plutôt.

Citation:
« Allons, vous devez exagérer un tantinet, mon cher, si l’honneur et la sécurité du Reich pouvaient être menacés par les agissements d’un petit médecin de campagne, c’est qu’ils seraient bien fragiles ! »


La formulation est un peu bizarre le "ils" est "l’honneur et la sécurité". Mais il serait plus logique de dire "il" pour " du Reich".

Citation:

"tranquillement installés dans un panier à salade garé juste devant l’immeuble – bonjour la discrétion. Pour une arrestation discrète aux aurores, ça la foutait mal… "

Discrétion... discrète... le français ne manque pas de synonyme et là c'est (presque) une réplétion.


El-Maadi ? ce n'est pas un nom... Le Maadi, c'est le "messie" des Arabes.
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MessagePosté le: Mar Mai 28, 2013 14:38    Sujet du message: Répondre en citant

1) Disons "les tournées de la veuve du Maréchal dans les écoles" (comme "les tournées de Johnny dans les stades Wink )

2) Disons : "si les agissements d’un petit médecin de campagne pouvaient menacer l’honneur et la sécurité du Reich, c’est qu’ils seraient bien fragiles !"

3) Disons : "une arrestation en douceur"

4) C'est bien un nom : El-Maadi Mohamed, 1902-1954 OTL (FTL, je doute qu'il aille jusqu'à 1954)
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MessagePosté le: Ven Juil 19, 2013 14:25    Sujet du message: Intégrale Fabrices novembre 42 Répondre en citant

Novembre 1942
10 – Fabrice(s) à Waterloo
Un curieux problème diagnostique

3 novembre
Les carnets de Jean Martin
Grenoble
Je suis avec Suzanne, enfin ! Elle m’attendait sur le quai, comme dans les films ! On a parlé tout le long du chemin, on s’est raconté tout ce qu’on avait pas pu se dire dans nos lettres. Elle semblait vraiment heureuse de me voir… vraiment ! Ça m’a fait quelque chose, au moins quelqu’un qui pense à moi (à part Alphonse, mais lui c’est pas pareil !).
On a presque pas quitté son appartement pendant trois jours… Autant pour la visite touristique, mais c’était pas pour me déplaire ! A présent, on va aller dans un petit village dans les montagnes, retrouver son père, sa tante et son grand-père – elle m’avait jamais dit qu’elle avait un grand-père, quand je lui ai fait remarquer, elle m’a dit que comme d’habitude je l’écoutais pas ! Alors j’ai fait comme m’a conseillé le Zazou, j’ai souri et j’ai dit « Oui Suzanne. »
Aujourd’hui, on est sorti vers midi, et dehors, incroyable ! Les rues étaient pleines de monde, j’avais jamais vu ça depuis 39, il se passait quelque chose. Un voisin que Suzanne connaissait vaguement nous a expliqué que Benito s’était fait arrêter par ses propres copains, hier ! Du coup, forcément, c’était le bordel. On dit qu’Adolf fait venir des troupes du front russe pour foutre sur la tronche des Ritals, que la zone va passer sous occupation boche, qu’il y a même déjà eu des tirs entre Boches et Ritals sur la Côte d’Azur, qu’il y a eu des massacres en Italie, qu’on a vu des parachutistes allemands qui se cachent en attendant de nous attaquer. Ce qui a l’air plus sûr, c’est que la ville va être placée sous Loi Martiale, parce que les désertions se multiplient depuis l’annonce de l’arrestation de Mussolini et que les déserteurs se mettent à piller.
Les Italiens savent plus quoi faire, la police est débordée et il n’y a pas de Police d’Etat – comme je m’étonnais, le type a dit que c’était pas comme à Paris, « Ici, les Ritals ont eu l’intelligence de pas laisser se multiplier les grouillots de Laval et de Doriot ! » Si il avait su à qui il avait affaire ! Je l’aurais emmené au poste moi ! Bref c’est le grand n’importe quoi.
Suzanne ne semblait pas très secouée par la nouvelle ! Pourtant c’est très important, ce truc, avec Mussolini hors jeu, les Italiens vont probablement se retirer de la guerre ! C’est vrai que d’après Radio Paris (enfin, Radio NF), le nouveau gouvernement italien a promis que ça ne changerait rien à son alliance avec l’Allemagne, mais je sais bien ce qu’en dirait Alphonse !
Une fois l’effet de surprise passé, Suzanne m’a pris par la main et m’a emmené dans un café retrouver la personne qui devait nous emmener dans le village de sa famille. Elle m’a dit que c’était « un ami » à elle, « un copain d’école qui va bientôt aller faire ses études à Paris » et je serais « adorable » si je pouvais m’occuper de lui à son arrivée là-bas… Du coup, j’ai commencé à me sentir jaloux. C’était pas si désagréable, jusqu’à ce que je voie le copain en question : un grand blond musclé avec une mâchoire comme une boîte de chaussures, la raie au milieu comme les jeunes premiers. Bref rien pour plaire ce guignolo. Et aimable en plus ! Suzanne a rigolé et m’a fait un bisou sur la joue quand elle m’a vu faire la tronche.
« T’es adorable », qu’elle m’a fait ! C’est ça…



4 novembre
Les carnets de Jean Martin
Un chalet au-dessus de Grenoble
Première journée passée dans la famille de Suzanne. Eh bien ! J’avais raison de repousser cette rencontre…
Le bellâtre de la veille, Amédée qu’il s’appelle, est reparti ce matin, après avoir passé la nuit dans le chalet familial où il nous avait conduits au volant d’une guimbarde improbable. On était arrivés tard, après le couvre-feu, mais ici, on s’en moque, on est perdus au milieu de nulle part. On se croirait dans Heidi, le livre que Maman nous lisait à la veillée quand j’étais tout gosse. Un livre pour filles, mais il n’y avait pas beaucoup de livres pour enfants à la ferme.
Après avoir passé la matinée à aider le grand-père, muet comme une tombe, à couper du bois, on est allé se promener tout l’après-midi avec Suzanne. Elle parle de plus en plus de « nous », de ses projets, elle veut savoir ce que je vais faire l’an prochain. En pleine guerre ! Elle me dit qu’elle n’a pas trop envie de se lancer dans des études, même si elle va peut-être s’inscrire dans une faculté pour faire plaisir à son père, elle a des tas d’idées… Elle m’a demandé ce que je voulais faire, moi, à partir de l’été prochain, si j’étais prêt à m’installer avec elle. Et elle n’a même pas parlé de mariage ! Je crois qu’avant, on l’aurait fichue dans un couvent depuis un moment, mais la guerre a du bon, un peu…
Je lui ai dit que je prenais très au sérieux le fait de servir ma Patrie (elle a fait une de ses moues rigolotes quand j’ai dit ça), mais que moi aussi, j’aimerais bien faire quelque chose avec elle. Je crois que j’aurais pas dit ce genre de choses avant de savoir ce qui est arrivé à Maman, mais tout a changé… Quand je lui ai dit qu’elle pouvait choisir la ville qu’elle voulait et que je demanderais à être muté, elle m’a embrassé tendrement… puis elle a changé de sujet ! Je crois que ça lui plaît pas trop que je travaille au SONEF, elle m’a même dit qu’il fallait pas que j‘aborde le sujet à table, que pour sa famille j’étais juste étudiant en histoire-géo. On n’est pas du même avis, mais je sais qu’au SONEF, on fait un boulot primordial !
Et ce soir à table, on a parlé…
La tante me regardait avec l’air que prenait Maman au marché, pour faire baisser le prix de ce qu’elle voulait acheter. Le père restait dans l’ombre près de l’énorme poêle. Puis le grand-père a lâché : « Alors jeune homme, qu’est-ce que tu penses de notre gouvernement ? »
Suzanne l’a fusillé du regard, mais c’était trop tard, je devais répondre. J’ai dit que le Laval faisait du bon boulot, que la situation était pas facile pour lui et les autres membres du gouvernement, que quand les Africains nous avaient abandonné en 40, il avait bien fallu que quelqu’un gère le pays. La tante a fait : « Gérer le pays ? Peuh ! »
Le grand-père a ouvert la bouche, l’air pas content, mais le père l’a coupé.
– Allons, allons, heu, Papa (c’est drôle, il avait l’air de se demander comment l’appeler), tu ne peux pas le contredire sur un point. Il fallait bien quelqu’un aux commandes, ici, quand les autres sont partis… Seulement vois-tu mon cher Jean, je ne crois pas que vous parliez du même gouvernement, toi et… Pépé. Enfin, nous n’allons pas nous lancer dans des discussions politiques pour cette première soirée. Suzanne nous a tellement parlé de toi… De mon côté, même si, contrairement à certains, je ne souhaite pas la victoire de l’Allemagne, je peux quand même dire merci au gouvernement de Paris et à ce cher Scapini. C’est grâce à lui si je suis ici, mais c’est grâce aux Allemands si je suis dans cet état !
Il boîte bas, il a une balafre mal guérie (je crois bien qu’il a perdu un œil), et il lui manque deux doigts à la main droite. Mais c’est pour tout ça que Georges Scapini a pu obtenir sa libération. Il paraît qu’il a ramené d’Allemagne plus de grands blessés que de recrues pour les Forces de Sécurité du Territoire !
Enfin, j’avais rêvé mieux comme première soirée auprès de la belle-famille.



10 novembre
Les carnets de Jean Martin – Feuillets non publiés
Un chalet au-dessus de Grenoble
Ce matin, un officier italien est venu nous voir. Lieutenant Aquafresca ! Il est apparemment en poste dans les environs. Il est venu pour le père de Suzanne, qu’il appelle « Adjudant ». Si j’ai bien compris, un convoi français officiel amenant quelqu’un d’important, un médecin, escorté par une unité allemande, devait monter de Grenoble. Mais les Italiens n’avaient pas l’air très contents que des soldats allemands se trimballent dans leur secteur, surtout en ce moment, et ils voulaient l’escorter eux-mêmes.
(En passant, notre prétendue armée, la FST, aurait dû être chargée de cette mission d’escorte, mais inutile de se demander pourquoi elle ne l’a pas été. Comme dirait Alphonse, on sait pas à quoi elle peut servir : ces gars-là ne font que du maintien de l’ordre, et seulement dans des bleds tellement paumés que ni les Boches ni le SONEF ne s’en soucient ! Hors de Paris, où elle est là pour présenter les armes quand un ministre passe, je crois que la FST n’est installée que dans des sous-préfectures ou des chefs-lieux de canton. De toute façon, dit Alphonse, « c’est un camp d’entraînement de nazillons, un refuge pour futurs Résistants ou une soupe populaire pour paumés, bref c’est tout sauf une Armée ! » Des fois j’ai du mal à le comprendre, il ne cesse de critiquer les Africains, il déteste les communistes, il dit « la Gueuse » pour la République, mais il a aussi peu de considération pour nous ! Je veux dire, pour ceux qui sont restés et qui essaient de faire que la France reste en état de marche.)
Bref, il y avait un convoi. Et le lieutenant manquait de monde pour l’escorter : les Italiens veulent pas que les Allemands se promènent “chez eux”, mais la plupart des troupes d’occupation ont reçu l’ordre de se concentrer dans les principales villes de la zone et le reste surveille la “ligne de démarcation” entre les deux zones d’occupation. Alors le lieutenant a demandé aux Français, mais y’a pas de Police d’Etat ici et les gendarmes du coin ont prétexté une “battue administrative”. Il y a donc une grosse Mercedes avec des petits fanions du NEF qui s’agitent au vent, deux side-cars et deux motos avec six Italiens dessus et c’est tout ! Aquafresca a fini par en venir au fait, en parlant avec ses mains : « Avec tous nos malheurs, on n’a même pas les moyens d’escorter ce… médecin de la tête ! »
– Un médecin de la tête ?
a demandé l’Adjudant (il s’appelle Philippe, mais j’aime bien ce surnom, ça fait cérémonieux).
– Oui, vous savez, comme cet Autrichien, une sorte de… psychiatra !
Et comme l’Adjudant ne réagissait pas : « Hum… Donc, Adjudant, je me demandais si vous pouviez venir avec moi… enfin, avec nous… Si vous mettez votre uniforme, ça ferait une présence française ! »
– Mais je ne suis qu’adjudant !
– Si, je sais, mais c’est surtout les médailles… ça ferait réfléchir.

Il n’a pas dit qui ça ferait réfléchir, mais l’Adjudant a eu l’air de comprendre, et puis on sentait une pointe d’admiration dans la voix de l’Italien.
L’Adjudant a souri : « D’accord ! Mais à une condition ! »
– Accordé Adjudant ! Et merci de tout cœur !

Le père de Suzanne s’est retourné et m’a désigné du doigt, comme si il savait depuis le début que je l’observai en cachette : « Ce jeune homme m’accompagne ! »
Heureusement que j’avais un costume… L’Adjudant est parti se changer et quand il est revenu, j’ai mieux compris l’Italien : il arborait une batterie de médailles ! Pire que ces officiers soviétiques faits prisonniers qu’ils exhibent dans Signal (enfin, qu’ils exhibaient, ces derniers temps, ils parlent plus trop du front de l’Est). C’est sûr qu’avec ça il imposait le respect, et quand il m’a soufflé : « Qu’est-ce qu’en dit mon gendre le politicien ? » j’ai plus su où me mettre… (1)
On est donc montés dans la Mercedes. C’était un troufion qui conduisait (et mal, évidemment, quelle tristesse, une belle bagnole comme ça !), je suis monté devant, l’Adjudant et le lieutenant Aquafresca sont montés à l’arrière avec le Docteur et son assistant, un petit jeune tout tremblotant.
En route, le Docteur a parlé – il nous a même fait une petite conférence ! Il s’appelle René Laforgue, il est psychanalyste, ancien membre de la Société Française de Psychanalyse (2) – une sorte de médecin des fous, quoi. J’ai eu très mal, en pensant à Maman, mais je l’ai écouté avec d’autant plus attention. Il venait en zone d’occupation italienne pour étudier un cas qui lui avait été signalé : une femme victime de crises de délires très, très intrigants. Il voulait tirer ça au clair. Au bout d’une demi-heure, on est arrivé dans un petit village paumé déjà tout enneigé (j’ai pas retenu le nom, depuis que je suis arrivé ici tout me paraît paumé, je suis devenu plus Parisien que les Parisiens !) et on s’est garés devant une petite église en bois.
Au moment où on descendait, on nous a hélés, en français mais avec un fort accent allemand : un mec de la Gestapo ! Il est arrivé, tout sourire : « Eh bien, c’est vraiment difficile de vous rencontrer, lieutenant Aquafresca ! Je n’ai réussi à trouver le chemin de ce charmant village qu’en faisant le contraire de ce que me conseillaient les paysans français et même les soldats italiens ! Mon mauvais français, sans doute ! » Il a ignoré la main que lui tendait l’Italien, l’air coincé, et s’est hâté de prendre Laforgue par le bras et de l’emmener avec lui : de l’autre côté de l’église, il y avait une automitrailleuse, une voiture d’état-major et un petit camion de soldats. Aquafresca a grommelé dans sa barbe un truc en italien, mais c’était visiblement pas aimable. Je n’ai pas résisté à l’envie de lui lancer : « Allons mon lieutenant ! Que faites-vous de l’indéfectible amitié et alliance qui lie les peuples allemands et italiens ? Quelqu’un de chez vous en parlait le mois dernier à la radio, un nommé Mossi ou Musso quelque chose, je crois ! » (depuis que je fréquente Alphonse, je commence à parler comme lui…). Aquafresca a rougi, je ne sais pas si c’était de honte ou de colère (et envers qui). Il nous a expliqué que, depuis trois jours, les missions allemandes en zone d’occupation italienne s’étaient multipliées sous n’importe quel prétexte ; on disait que les Allemands repartaient moins nombreux qu’ils étaient arrivés, qu’ils laissaient des éclaireurs…
Un petit groupe était rassemblé devant ce qui devait être le café-bar du coin. Un homme s’est présenté à nous, l’air amical (et l’accent à peine marqué) : « Docteur John Karl Friedrich Rittmeister, de Berlin. Enchanté de vous rencontrer, messieurs. Mes respects, mon Adjudant. » L’Adjudant a souri, l’air agréablement surpris.
Laforgue a glissé : « Deux analystes pour une analyse, c’est beaucoup, non ? Même si ce cas semble des plus atypiques. Ce n’est pas très éthique… »
– Vous savez, mon cher confrère, l’éthique, avec ces gens là…
a répondu Rittmeister sans préciser qui étaient « ces gens là ».
On est entrés dans le café. Quelques personnes étaient regroupées en cercle autour d’une grande cheminée où flambait un grand feu. Au milieu, il y avait une jeune femme d’une vingtaine d’années. Dans un silence parfait, le gestapiste, qui ouvrait la marche, a demandé si Mademoiselle M… (3) était là. Le patron était en train, mine de rien, de ranger toutes ses bouteilles, il ne voulait pas probablement nous servir. Un type gros et gras (une rareté, ces temps-ci, dans notre France !), avec une écharpe tricolore et une grosse mèche de cheveux plaqués sur le front en travers de sa calvitie, s’est levé : « Bonjour Messieurs, je vous attendais. On m’avait prévenu que nos amis allemands seraient présents et j’avais même entendu parler d’un certain Professeur Gemmelli, non ? »
Aquafresca est intervenu : « Il Professore Gemmelli (4) a dû rester en Italie. Les… événements récents dans notre pays ont… perturbé l’organisation de son voyage. » Le gestapiste a fait un bruit bizarre, entre ricanement et éternuement. Aquafresca ne s’est pas laissé démonter : « Pour le remplacer et démontrer l’accord régnant entre les autorités de la Nouvelle Europe [là, il récitait par cœur], le gouvernement français nous a envoyé un expert reconnu.
– C’est sans importance,
a proclamé le gestapiste, Herr Doktor und Professor Rittmeister est l’un des meilleurs psychiatres du Grand Reich !
Il tirait le Docteur par le bras comme on mène une bête à concours. Rittmeister a souri largement et lui a dit un truc en allemand ; l’autre a répondu aimablement et a filé. Il avait à peine passé la porte que le psychiatre a dit en français : « Que je suis distrait, j’ai demandé à l’Oberleutnant d’aller me chercher mes tests de Rorschach dans la voiture, et je m’aperçois que je les ai avec moi, dans ma sacoche ! »
Aquafresca s’est mis à sourire béatement.
Alors le maire a commencé à nous présenter Mademoiselle M…, la petite paysanne qui était avec eux, bien sûr, mais un grand type s’est mis à brailler à l’autre bout de la pièce : « Ecoutez pas ce vieux croûton ! Il était pas là quand ça a commencé, Môssieur était parti pour Marseille, il voulait prendre le bateau pour l’Algérie, en tant que conseiller général, il se voyait déjà ministre ! Ce faux derche… Bon, ça l’a pas empêché de se mettre à l’italien, c’est ptêt’ plus simple que l’arabe, hein Monsieur le Maire ? »
Toute la salle a rigolé, sauf évidemment le maire et nous. Le pauvre type rougissait comme pas possible, il me faisait pitié. Le braillard a repris : « Donc ça a commencé en juin 40, le 6 juin pour être précis. J’étais là. La petite – elle avait 16 ans – s’apprêtait à aller au lavoir, puis elle est tombée raide, évanouie, et puis elle a eu des convulsions, comme une crise d’épilepsie, a dit le Docteur Parpalaid. En se réveillant, elle s’est mise à parler avec la voix d’une dame, je veux dire, d’une dame de la Haute, d’une Parisienne, vous savez, et elle disait : « Attention, la voiture, mais freinez, freinez, oh ! Vous avez failli nous tuer, mon cher ! Heureusement, le Ciel nous a protégés ! Ou le Diable, qui sait ! Ah ! Ah ! »
Depuis elle fait ça tous les trois ou quatre jours. Elle tombe raide, elle convulse, pendant deux heures, elle raconte des trucs en changeant de voix, c’est souvent la voix d’un type qui parle dans la radio, et quand elle se réveille elle a tout oublié. Le 16 juin, elle a dit que le maréchal Pétain avait pris la place du Père Reynaud et qu’il avait dit qu’il fallait cesser le combat et qu’il avait demandé l’armistice ! Moi qu’ai fait Verdun, j’étais furieux, jamais il aurait fait ça, le Maréchal, heureusement que je savais que ce pauv’ Pétain, il était déjà à l’agonie, parce que ça avait l’air si vrai. En juillet, c’était les Anglais qu’avaient coulé toute notre flotte ! Bref, n’importe quoi. Elle continuait de parler de Pétain, qui faisait ce que faisait Laval, en vrai, et de De Gaulle, sauf qu’il était à Londres, lui, et tout seul ou à peu près. On l’aurait crue tout à fait folle si parfois y’avait pas eu des trucs qu’elle disait avant la radio, comme le coup des Japonais contre les Américains, elle était au courant avant tout le monde ! Ou un truc bizarre : en juin 41, elle nous a dit que les Allemands attaquaient les Russes. Elle avait onze mois d’avance ! Mais le plus curieux, c’est qu’elle disait dès 41 que l’opération s’appelait Barberousse… »

Laforgue semblait intrigué. Rittmeister regardait la fille, qui pleurait et n’arrêtait pas de répéter « C’est pas ma faute, c’est pas ma faute ! »
Le braillard a repris : « Vous imaginez la tronche qu’on a fait quand en mai, les Bo… les Allemands ont attaqué la Russie et qu’on a dit que c’était l’opération Barberousse… »
Ah ! Enfin je comprenais ce qui avait attiré l’attention des autorités allemandes !
Les deux psychologues avaient plus l’air d’observer les réactions de la fille, qui restait prostrée, que d’écouter le type. Mais il n’avait pas vidé son sac : « Y’a aussi des trucs complètement fous. Ces temps-ci, elle dit qu’elle est secrétaire de devinez qui… Le Maréchal Pétain ! Et qu’elle travaille avec lui à Vichy, parce que c’est là qu’il a mis la capitale de la France ! Pourquoi pas Vesoul ou Vierzon tant qu’on y est… »
Laforgue finit par intervenir : « Très, très intéressant tout cela… Bien messieurs, nous allons emmener avec nous Mademoiselle M. et discuter un peu avec elle… Monsieur le Maire, vous avez prévu un endroit, non ? »
Nous avons escorté la fille jusqu’à un petit bâtiment qui servait de mairie. Laforgue et Rittmeister ont convenu que l’un ferait les passations et l’autre l’entretien, j’ai pas tout compris, bref… Un bon moment plus tard, Laforgue est resté seul dans la pièce avec la fille et Rittmeister est sorti. Il a dit à Aquafresca et au gestapiste qu’ils allaient rester une journée et qu’en rentrant à Berlin, il verrait avec l’Institut Göring pour que la jeune femme puisse être “étudiée” dans des structures adaptées, avec des collaborateurs professionnels : « Parce que, dit-il au gestapiste, j’ai un peu de mal à croire que vous soyez le spécialiste en psychologie décrit par Berlin ! » Il s’était exprimé dans un français parfait pour qu’on n’en manque pas une miette… Le gestapiste a rougi, puis a pointé du doigt le docteur et s’est mis à lui balancer tout un tas de trucs pas aimables en boche avant de tourner les talons, l’air furax.
L’Adjudant a changé de conversation : « Alors Docteur, qu’est-ce que vous pensez de la bonne femme ? Elle est folle complètement ou à moitié ? »
Rittmeister l’a regardé, puis il a souri : « J’avoue que j’hésite… Mais elle a son diagnostic, qu’elle nous a avoué à voix basse. »
On a ouvert des yeux ronds et il nous a chuchoté : « Le Diable, Messieurs ! Cette fille pense qu’elle est possédée et que c’est Lucifer qui parle par sa bouche ! Mais elle craint de mourir si on l’exorcise, alors elle n’en a parlé qu’à nous, parce qu’elle pense que les Docteurs et les Curés ne s’aiment pas… »


[Note d’Alex Tyler – Le cas de Mademoiselle M. reste encore à l’heure actuelle l’une des psychopathologies “historiques” les plus débattues. Hélas, il n’en reste que le témoignage de Jean Martin et le dossier établi par Laforgue. Celui-ci fait de fréquentes allusions à certaines découvertes faites par John Karl Friedrich Rittmeister, mais ce dernier fut arrêté par la Gestapo en mai 1943 pour espionnage au profit de l’URSS et mourut en juin ou juillet. Toutes ses notes et tous ses travaux furent détruits.
René Laforgue, qui apparaissait comme une référence de la psychanalyse française, fut très violemment critiqué à la Libération pour ses relations avec Matthias Göring (qui dataient pourtant d’avant-guerre). Il s’exila au Maroc jusqu’à la fin des années 50 et ne reparla jamais du cas de Mademoiselle M., qui lui rappelait un peu trop ses “erreurs de jugement politiques”. Ce n’est qu’après sa mort que certaines de ses notes furent publiées, notamment celles concernant Mademoiselle M. Celle-ci mourut en février 1943, après deux mois de délire où elle répétait sans cesse le nom d’une ville d’URSS : Stalingrad, l’associant à des descriptions de massacres épouvantables. Les raisons qui ont poussée la malheureuse à évoquer cette ville, qui avait été et devait rester épargnée par la guerre, restent et resteront sans doute obscures…]



25 novembre
Le journal de Jacques Lelong
Paris
Je dois l’écrire, même si je sais que cela ne me soulagera pas. Brume m’a fait venir, hier soir, dans une nouvelle planque. « Très bien, ton travail sur les Allemands en permission, Jacques. Mais tu vas passer à du plus consistant. Ton “oncle” Arsène a gardé un excellent souvenir de toi. Il est à Marseille et il souhaite que tu l’y rejoignes, il dit que les Marseillais ne savent faire qu’une chose avec les explosifs, c’est se faire sauter avec. Et je crois qu’il a d’autres idées à ton sujet, mais tu le découvriras là-bas. Tu vas donc partir pour Marseille. En chemin, tu t’arrêteras en Arles. Il semble que la Kriegsmarine envisage de faire transiter des sous-marins vers la Méditerranée en empruntant les canaux et les fleuves. Il faut que nous sachions quel itinéraire ils pourraient suivre. Nos amis d’Arles sont bien placés pour le découvrir dans leur secteur, mais Alger a perdu le contact avec eux – leur opérateur radio s’est fait prendre. Tu vas leur porter un courrier pour rétablir le contact. Voici une enveloppe qui contient tes instructions, tu les apprendras par cœur et tu les détruiras. »
L’enveloppe contenait aussi un billet de train pour le 27 et de l’argent. J’étais ravi, et Brume s’en aperçut. « Fais attention à toi, petit. C’est dangereux, tout ça, tu sais. Tu te souviens de la jeune fille qui vous avait ouvert la porte, à Meudon… Nous l’avons perdue. Elle a été tuée dans un bombardement qu’elle avait elle-même déclenché. Alors sois prudent. »
Je ne sais plus vraiment ce qui s’est passé après. Je sais que je suis entré dans le premier bar que j’ai trouvé en sortant, avant de me souvenir que, depuis plus de deux ans, on ne trouvait plus d’alcool fort qu’au marché noir. Je suis ressorti avec l’idée d’aller chercher le pistolet du Grand-Père Magnan et de tuer un Boche, au hasard, quand je suis tombé sur Lucette, la “professionnelle” qui accueillait les visiteurs de Brume. Elle m’a regardé un instant, puis elle a agrippé mon bras en disant : « Allez, viens, chéri, y’a plus rien dans les bars, mais chez moi j’ai une bonne bouteille d’avant. » Je me suis laissé faire comme un mouton, je crois bien que j’ai oublié le reste.
Je me suis réveillé au fond d’un grand lit, dans une chambre où filtrait un timide rayon de soleil. Lucette finissait sa toilette, en petite tenue, devant un miroir. J’avais un violent mal de tête. Sur une petite table, une bouteille de cognac à moitié vide expliquait peut-être pourquoi. Lucette s’est tournée vers moi : « Ah, tu es réveillé ? »
J’ai répondu « Oui, mais pour quoi faire ? » Je ne savais plus ce que j’avais raconté dans la soirée, mais j’avais dû beaucoup parler. Elle s’est assise sur le lit, toujours en sous-vêtements, mais c’est moi qui ai rougi. « Ecoute, mon petit Jacques. Depuis trois ans, il y a des dizaines, des centaines de milliers de jeunes hommes qui se sont fait tuer pour la France, comme on dit à la radio. Et la plupart avaient des épouses, des fiancées, des bonnes amies… Et qu’est-ce qu’elles font, toutes ces femmes, hein ? Elles vivent. Elles continuent. Et elles font de leur mieux. Alors, tu vas faire comme… elles, d’accord ? » Je crois qu’elle avait failli dire « comme nous » mais, quoi qu’il en soit, j’ai hoché la tête. « Tu vas prendre cette enveloppe (elle était posée sur une chaise, avec mes vêtements soigneusement pliés) et tu vas faire ce que Monsieur Brume t’a demandé de faire. D’accord ? Promis ? »
J’ai articulé : « D’accord. Promis. » J’ai voulu me lever, et c’est seulement à ce moment que j’ai réalisé que j’étais tout nu entre les draps. Stupidement, j’ai bafouillé : « Heu, est-ce que je… Est-ce que nous… »
Elle a souri et m’a tapoté la joue : « Secret professionnel, mon chou. »



28 novembre
Le journal de Jacques Lelong
Paris-Marseille
J’ai appris par cœur le contenu de l’enveloppe, lieux, contacts, mots de passe et indicatifs, et le 27 au petit matin, j’étais Gare de Lyon. Dans le train, un milicien du Contrôle Economique de Déat accompagnait le contrôleur de la SNCF. Celui-ci faisait preuve d’une politesse inaccoutumée avant guerre, comme pour s’excuser de l’irrévérence, voire de la grossièreté, de l’individu qui le suivait et demandait d’un ton suspicieux aux passagers la raison de leur voyage. Quand ce fut mon tour, je répondis que j’allais voir de la famille, en tendant mon billet accompagné de ma carte d’employé de Je Suis Partout. Il me toisa du regard et me gratifia d’un maussade mais classique grognement : « C’est bon pour cette fois… »
Le voyage fut long et ennuyeux (en dépit des nombreux contrôles, mais je commençais à être habitué). Dans la vallée du Rhône, le train fit deux fois demi-tour pour changer de berge : officiellement, il y avait des “problèmes d’aiguillage”, mais les voyageurs habitués commentèrent que ces “problèmes” avaient de plus en plus tendance à se répéter ces derniers temps. En fin de journée, nous arrivâmes enfin en Arles. Là, je devais me rendre dans un certain troquet, commander un “p’tit blanc” et le payer avec un billet plié d’une certaine manière. J’attendis plus d’une heure puis je décidai d’aller aux toilettes. Quand je revins, il y avait un bout de papier sous mon verre : « La ruelle derrière, dans 5 minutes. » Jusque là, j’avais été relativement amorphe, mais me trouver à nouveau dans l’action me fit réagir. Je sortis nonchalamment en me demandant quelles étaient les possibilités que ce soit un piège – mais j’étais confiant – ou indifférent ? Comme je m’engageais dans cette ruelle, le commis, parti “faire une course” juste après mon arrivée, réapparut, pistolet au poing – un Lüger – et me dit de monter dans une Citroën à gazogène qui attendait là. Nous roulâmes un moment avant d’arriver dans une ferme près de Tarascon, où un homme bien bâti, légèrement dégarni, dans la cinquantaine, m’accueillit cordialement : « Entre, Camarade, je n’ai été averti qu’hier de ton arrivée, il a fallu que notre ami vienne ici consulter ta description avant d’être sûr. » dit-il, en souriant au commis. « Tu dois être fatigué, tu dormiras ici cette nuit et demain tu nous raconteras tout… »
J’ai passé la matinée d’aujourd’hui à raconter à mon hôte et à quelques-uns de ses amis les informations et instructions diverses que j’avais mémorisées. Ils avaient entendu dire récemment que les Allemands s’intéressaient au trafic fluvial dans la région, mais ils ne savaient pas pourquoi. L’un d’entre eux jubilait littéralement à l’idée de cette mission de renseignement : il disait que la Marine allait pouvoir guetter les sous-marins boches à l’embouchure du Rhône pour envoyer tout ça par le fond au fur et à mesure. Il me fut présenté comme “Robert” (et je le surnommai en moi-même “le Marin”). C’est lui qui devait me raccompagner en Arles vers midi, afin que je prenne le train pour Marseille.
En roulant vers Arles, comme j’observais la platitude de cette Camargue dont Daudet disait que, debout sur une chaise, on pouvait l’embrasser entièrement du regard, j’entendis un bruit de moteur d’avion. C’était un appareil allemand, un gros bombardier bimoteur, qui semblait avoir du mal à prendre de l’altitude après avoir décollé. Il me semblait qu’il portait une grosse bombe blanche. Robert, qui n’était guère plus âgé que moi, voulut me montrer son savoir : « Il a dû décoller d’Istres, vu sa direction. Il va sûrement en Italie, renforcer leurs unités là-bas. Tu sais ce que c’est ? » J’avouais mon ignorance. « Un Dornier 217. L’une des rares nouveaux bombardiers que les ingénieurs boches aient sortis depuis 40. »Je pris donc le train pour Marseille. Deux bonnes heures plus tard, je retrouvais sur les quais de la gare Saint-Charles mon cher “oncle Arsène”, accompagné de “tante Lucie” et “cousin Gaston”.


Dernière édition par Casus Frankie le Ven Juil 19, 2013 20:37; édité 2 fois
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MessagePosté le: Ven Juil 19, 2013 14:33    Sujet du message: Répondre en citant

Je ne peux qu'espérer que le texte précédent sera lu, malgré l'avalanche d'alternatives béroldiennes
- heu, Berold, pourrais-tu envisager d'étaler ta production dans le temps ? Son intérêt n'est pas en cause, mais autant de chapitres à lire en si peu de temps déborde même le lecteur le plus passionné !
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MessagePosté le: Ven Juil 19, 2013 17:39    Sujet du message: Répondre en citant

Casus... il aurait été dommage de rater ça.... le texte me fait penser au "Visiteur du soir" version FTL (oui, il y en a qui suivent).
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Juil 19, 2013 18:19    Sujet du message: Répondre en citant

Anaxagore a écrit:
Casus... il aurait été dommage de rater ça.... le texte me fait penser au "Visiteur du soir" version FTL (oui, il y en a qui suivent).


C'était voulu !
Par ailleurs, les auteurs du post sont Tyler, Patzekiller (et un peu moi).
J'aime beaucoup la façon dont les heurs et malheurs amoureux de Jean Martin et Jacques Lelong se "répondent", sans que les auteurs l'aient voulu au départ.

J'en profite pour ajouter quatre notes oubliées. Vous constaterez qu'une grande partie du récit est OTL (et notamment les personnages des psychiatres).


1- Note d’Alex Tyler – Il est vraisemblable que le lieutenant italien, qui n’était pas tombé de la dernière pluie, utilisait “l’Adjudant” comme une sorte de drapeau blanc pour prévenir une action éventuelle de la Résistance.
2- Note d’Alex Tyler – Contre l’avis du ministre de la Santé, Grasset, Pierre Laval, d’accord avec Doriot, avait fait interdire la Société Française de Psychanalyse au début de 1941. Le décret d’interdiction décrivait la psychanalyse comme une pratique « élaborée par les Juifs, pour leur permettre d’aliéner la masse des Vrais Français. » Le NEF se montrait encore une fois plus royaliste que le roi, comme ce fut souvent le cas : l’exercice de la psychothérapie resta toléré sur le territoire français, sous la pression… des Allemands et en particulier du Directeur de la Société générale allemande de médecine psychothérapeutique (Deutsche allgemeine ärztliche Gesellschaft für Psychotherapie), qui s’était ému de cette interdiction brutale. Il faut dire que le directeur en question avait un argument de poids : il s’appelait Matthias Göring ! Le Reichsmarshall était son cousin.
3- Note d’Alex Tyler – Après consultation d’autorités reconnues en psychiatrie, nous avons, Guy Martin et moi-même, décidé de ne pas mentionner le nom indiqué par Jean Martin.
4- Note d’Alex Tyler – Agostino Gemmelli était chancelier de l’Université catholique du Sacré Cœur de Milan et président de l’Académies Pontificale des Sciences.

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