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Un général se fait la belle (feuilleton d'été, par DAK 69)
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Juil 29, 2008 23:48    Sujet du message: Un général se fait la belle (feuilleton d'été, par DAK 69) Répondre en citant

Pendant qu'il y en a qui bronzent bêtement, d'autres nous offrent de petits chefs-d'oeuvre. Voici le début d'un feuilleton de Dak 69. Régalez-vous et restez connectés. Dès demain, vous aurez droit en parallèle au début d'une grande Saga exotique de Menon-Marec, avec de vrais morceaux de désert dedans.

20 août 1940, 11 heures très précises, aérodrome de Zürich-Dübendorf
Un Junkers 52 de la Luftwaffe, ses insignes allemands mal recouverts par des toiles blanches ornées de croix rouges, se pose et roule en cahotant quelque peu jusqu’à une tente, à côté de laquelle attendent plusieurs ambulances. Les moteurs s’arrêtent, la porte de l’appareil s’ouvre et des brancardiers portant le brassard de la Croix-Rouge y pénètrent pour en descendre une dizaine de grands blessés allongés sur des civières, sous l’œil attentif de plusieurs caméras de l’UFA. Avec eux, une autre personne émerge de l’avion, marchant à grand-peine mais refusant visiblement toute assistance autre que celle d’une canne. L’homme prend la tête des brancardiers et se dirige vers la tente, saluant au passage d’un geste de professionnel quelques officiers suisses qui rectifient la position. Le groupe disparaît dans la tente, d’où sortent aussitôt d’autres hommes, apparemment en bonne forme physique, qui rejoignent le transport, détournant ostensiblement le regard des quelques Messerschmitt 109 à croix blanche sur fond rouge alignés non loin de là. Les hélices du trimoteur se remettent à tourner et l’appareil pivote en direction de l’entrée de piste, quand deux des occupants en sortent en courant et arrachent les toiles portant les croix rouges, avant de remonter à bord. C’est un trimoteur ostensiblement hitlérien qui décolle…
L’épisode fut filmé non seulement par l’UFA, mais par un cameraman envoyé par le Cinéjournal Suisse. La semaine suivante, les spectateurs des cinémas helvétiques purent donc assister à la scène, malgré des cadrages approximatifs (le cameraman était débutant) et un commentaire des plus succincts. « Après la fin des hostilités sur le territoire français [et soucieux de s’attirer les bonnes grâces de son puissant et maintenant presque seul voisin], le gouvernement helvétique a, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, fait savoir au gouvernement allemand qu’il était prêt à laisser rentrer chez eux les aviateurs de la Luftwaffe qui avaient dû atterrir en Suisse depuis septembre 1939 à la suite de pannes [dont certaines provoquées par des projectiles helvétiques…], survenues alors qu’ils survolaient [en toute illégalité] la Confédération. Désireux de montrer son humanité, le gouvernement du Reich a offert en contrepartie de libérer un nombre équivalent de prisonniers alliés, gravement malades ou grands blessés, puisqu’il n’y a bien entendu pas le moindre prisonnier de notre pays dans les camps allemands [en fait, il y en avait un, de surcroît auteur d’un attentat manqué contre Hitler, mais pour celui-là, le gouvernement suisse n’avait pas bougé le petit doigt]. Le premier de ces échanges a eu lieu le 20 août à l’aérodrome de Zürich-Dübendorf. »
La propagande allemande fit grand usage des images rapportées à cette occasion.

20 août 1940, 17 heures, clinique du Parc, Zürich
Le colonel Roger Masson, chef des SR suisses, ne s’intéressait guère à l’agréable panorama sur le lac de Zurich que l’on découvrait du jardin de la clinique, mais bien plus à l’homme en uniforme de général français qui l’attendait, assis dans un fauteuil, devant une table où du thé fumait encore dans deux tasses. « Le Docteur vous demande de ne pas trop le fatiguer, il est très fragile » murmura l’infirmière qui l’avait conduit jusqu’au jardin. Masson hocha distraitement la tête.
– Colonel Masson. Mes respects, mon général.
– Merci d’être venu me voir si rapidement, répondit le Français d’une voix rauque. Vous faire quérir aurait pu être problématique…
– Rencontrer les témoins de ce qui s’est passé ces derniers mois fait partie de mes missions, mon Général…
– Oui, et ce ne sont pas les malheureux aviateurs et tankistes brûlés ou amputés qui m’accompagnaient qui pourraient vous être utiles. Quant à moi, si je suis là, c’est que les médecins allemands me donnent encore au plus deux mois, le mal dont je suis atteint étant incurable. Peut-être ont-ils aussi tenu compte de mes origines... Mais avant tout, prenez connaissance de ceci, qui vous est destiné. Je l’avais caché dans la doublure de mon calot. J’ai pris un risque, mais je pense que les Allemands me croient encore plus mal que je ne suis. Ils ne m’ont même pas fouillé !
Le général français sortit de sa poche une feuille de papier pliée et repliée. Une fois déployée sur la table, Masson put y lire quelques mots écrits au crayon : « Cher ami, faites savoir que je veux sortir d’ici pour reprendre le combat. Je compte sur vous. Henri Giraud ».
– Il m’avait parlé de vous, colonel… Vous le connaissez, si j’ai bien compris ?
– J’ai suivi ses conférences à l’Ecole de Guerre à Paris, il y a deux ans, et nous avions sympathisé.
– J’ai aussi un message pour sa femme. Puis-je vous le confier ?
– Bien sûr, mon général. Mais pouvez-vous m’en dire plus ?
– Naturellement. J’ai été fait prisonnier avec ce qui restait de mon état-major le 21 juin, quelque part du côté de Baccarat. Ma pauvre 51e division, dont beaucoup d’hommes s’étaient déjà battus vingt ans plus tôt, était aussi épuisée que ses munitions. On m’a rapidement emmené en Allemagne. Comme je me plaignais de violentes douleurs au côté, on m’a d’abord conduit dans un hôpital à Karlsruhe – rien qu’à voir la tête des médecins, je n’ai eu aucun mal à comprendre. J’aurais peut-être mieux fait de me faire tuer…
Ensuite, je me suis retrouvé dans un château médiéval au fin fond de l’Allemagne, Königstein, où étaient déjà enfermés plusieurs dizaines d’officiers généraux – beaucoup de Français, mais aussi des Hollandais, des Norvégiens et quelques Britanniques, dont un lord écossais. Le général commandant la place me traita avec le plus d’égards possibles, et me fit savoir très vite que je serais rapatrié dès qu’un accord aurait pu être conclu. Cela se sut, mais seul Henri Giraud m’approcha pour être son messager. Il faut dire que les parmi les autres, beaucoup sont encore abasourdis, d’autres comptent sur une libération pour je ne sais quelle raison et quelques-uns même admirent ouvertement l’ennemi ! Parmi les plus jeunes, si je puis parler ainsi pour des hommes d’âge mûr, certains pensent certainement se sauver par eux-mêmes, même s’ils n’ont plus leurs jambes de vingt ans. Mais je m’égare. Giraud est malade, lui aussi, mais ce n’est pas trop méchant, même si c’est pénible. Une sciatique pour laquelle on le soigne à l’extérieur de la prison, à Bad Schandau, à une dizaine de kilomètres de là. Docteur Karl Grossmann. Ils avaient essayé de le soigner à la forteresse, mais Giraud a fait du foin, disant que dans ces conditions, même un médecin aussi remarquable que Grossmann ne pourrait rien pour lui, et Grossmann, tout réjoui d’avoir un admirateur à cinq étoiles, a obtenu de le traiter dans son cabinet. Comme c’est un nazi irréprochable, ils ont accepté.
– Monsieur le colonel, intervint l’infirmière, le général est très affaibli et il a eu une journée épuisante. Je pense qu’il vaut mieux que vous preniez congé pour aujourd’hui. Revenez le voir demain.
Ce n’est pas sans inquiétude que Masson quitta le malade. S’il allait mourir dans la nuit ? Mais le lendemain, le général Paul Boelle avait repris quelque forces. Il put lui donner de nombreuses informations sur les us et coutumes de la forteresse de Königstein, ainsi que quelques détails que Giraud lui avait confiés.
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ladc51



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MessagePosté le: Mer Juil 30, 2008 08:21    Sujet du message: Répondre en citant

Bravo ! un régal...

Applause

On attend la suite avec impatience...
_________________
Laurent
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Juil 30, 2008 13:37    Sujet du message: Feuilleton, Episode 2 Répondre en citant

23 août 1940, midi, café de l’Horloge, Berne
Les rencontres entre le colonel Masson et Gaston Pourchot, attaché militaire adjoint à l’ambassade de France, avaient fini par tourner à la routine.
– Je pense que nous pourrions espacer nos rencontres, maintenant, soupira Pourchot. Maintenant qu’ils occupent entièrement mon pays, les Allemands ne semblent pas vouloir faire un crochet par la Suisse…
– Peut-être. Mais les savoir à Besançon ou à Belfort, même au repos ou en transit, continue de me paraître… désagréable. Monsieur Pourchot, pourriez-vous me rendre un service ?
– Un de plus ? Votre compte est déjà largement débiteur !
– Mais encore plus secret que s’il était géré par un de nos banquiers ! Il faudrait transmettre ce message à sa destinataire, du côté de Lyon. Vous pouvez le lire.
Masson tendit une simple feuille de papier pliée en deux à Pourchot, qui l’ouvrit pour y lire : « Ma chère Céline, je veux sortir d’ici pour reprendre ma place. Henri »
Pourchot ouvrit des yeux ronds et Masson lui donna en souriant une autre feuille. Le visage du Français s’éclaira.
– Bien ! Giraud veut s’évader, il fait appel à vous et à sa femme, mais vous ne savez pas quoi faire !
– Faire évader des prisonniers français ne relève pas de mes compétences, ni d’ailleurs de celles d’aucun service de l’armée helvétique !
– Chère neutralité suisse… Bon, si vous m’expliquiez comment ces papiers vous sont parvenus !

26 août 1940, 19h00, brasserie Zum Adler, Berne
Pourchot était souriant : « Le message de Giraud à sa femme est en route, à vélo ! Les trains sont rares par les temps qui courent et un cycliste parmi bien d’autres n’attire pas l’attention. Réponse à la fin de la semaine. Maintenant, il faut prévenir Giraud qu’on s’occupe de lui. Vous avez une idée ? »
– Un début. Mais pour la mettre en œuvre…
– Expliquez-moi, on verra bien !
– Voilà. Les discours conciliants de notre gouvernement ont été, semble-t-il, bien perçus à Berlin et le commerce avec nos… cousins germains est en train de repartir plus fort que jamais. Les hommes d’affaires suisses reprennent gaiement le chemin de l’Allemagne. L’un d’entre eux, parmi ceux qui nous ramènent des informations sur ce qu’ils ont vu sur place, pourrait servir de messager. Malheureusement, comment pourrait-il rencontrer Giraud et lui parler !
– Eh bien, si les affaires repartent, votre homme d’affaires aura besoin d’un adjoint, car il ne pourra jamais traiter tout seul tous les contrats qu’il va ramener ! Un adjoint avec des papiers suisses, bien sûr !
– Vous pensez à quelqu’un ?
– Pourquoi pas moi-même ?
– Vous êtes fou ! Vous êtes guetté par toutes les polices du Reich, et seul le diable sait combien elles sont nombreuses !
– Je pourrais me déguiser, je…
– Pas question. Trouvez quelqu’un d’autre.
Pourchot soupira. Il aurait tant voulu rompre la monotonie de son séjour en Suisse… « D’accord, d’accord… Et pour l’homme d’affaires, vous avez l’oiseau rare ? »
– Je verrai ça avec le chef de notre station de Bâle. Il faut quelqu’un qui aille du côté de Dresde, dont on soit sûr, et qui puisse rester assez de temps là-bas.
– Bien. On se revoit samedi. A la fosse aux ours ?
– Oui, une demi-heure avant la fermeture.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Juil 30, 2008 15:37    Sujet du message: Feuilleton, épisode 3 Répondre en citant

16 septembre 1940, 06h00, Badischer Bahnhof, Bâle
Deux hommes bien mis, travaillant visiblement dans le commerce ou l’industrie, franchirent sans encombre les différents contrôles indispensables pour accéder au rapide de la Reichsbahn à destination de Francfort et de Cologne. Leurs billets de 2e classe (entre le luxe et la 1ère et l’inconfort de la 3ème) avaient déjà été vérifiés par un employé des chemins de fer, qui leur avait rappelé qu’ils changeaient de train à Francfort, et leurs bagages inspectés par la douane, y compris les échantillons. Restait le contrôle indiqué par une pancarte “Police des frontières”, qui cachait (mal) la redoutable Gestapo. Le plus âgé des deux hommes passa le premier et tendit son passeport à un inspecteur en civil : « Guten Morgen ! »
– Heil Hitler. Ah, Herr Bannwarth, vous revenez en Allemagne ! Six mois depuis la dernière fois, alors que d’habitude, vous nous rendez visite au moins deux fois plus souvent !
– Oui, maintenant que les troubles avec la France sont finis, il est temps de s’occuper à nouveau des affaires. La place de la Suisse dans la Grande Europe dépend d’hommes comme nous. Mes clients ont besoin de ce que nous fabriquons, il ne faudrait pas qu’ils s’impatientent.
– Sehr gut, fit l’inspecteur avec un large sourire. Vous allez où, et vous restez combien de temps ?
– A Dresde et dans les environs, comme d’habitude. Je resterai au moins deux semaines.
– Alors j’inscris comme date de retour le 4 octobre. Si vous deviez revenir en Suisse ailleurs que par Bâle ou que vous deviez prolonger votre séjour, vous connaissez les formalités ?
– Tout à fait : je m’adresse à la police du lieu où je me trouve, et suffisamment tôt, pour que vous soyez au courant, ici, à la frontière !
– Oui, car si vous n’êtes pas revenu le jour prévu, nous serions obligés de vous rechercher, pour savoir ce qui vous est arrivé. C’est dans votre intérêt, bien sûr ! Naturellement, cela ne vous empêche pas de circuler librement en Allemagne. N’oubliez pas de remplir scrupuleusement les fiches d’hôtel, toujours pour votre sécurité ! ajouta paternellement le policier. C’est bon pour vous, conclut-il en rendant à Herr Bannwarth son passeport tamponné.
– Danke.
Se tournant vers son compagnon, Bannwarth ajouta fort civilement : « Je vous présente Herr Weber, mon assistant, qui me sera bien utile pour relancer nos affaires avec le Reich, car je sens que nous allons avoir du travail. »
– Guten Tag, inspecteur.
– Heil ! Je vois sur votre passeport que vous n’êtes jamais venu en Allemagne, Herr Weber.
– Si, quand j’étais enfant.
– Oui, c’est possible. Avec vos parents ?
– Exactement. Mais je n’ai pas pu aller assister aux Jeux Olympiques de Berlin. J’avais mes examens !
– Dites-moi, à votre âge, vous ne devriez pas être dans l’armée ? fit l’homme de la Gestapo avec un petit regard en dessous.
– J’y étais ! Mais j’ai eu de la chance. Démobilisé pour retourner au travail…
– Ach. Au moins une bonne décision de votre gouvernement ! La Suisse a bien plus besoin de travailler pour le Reich que de se cacher derrière des fusils ! Vous accompagnez Herr Bannwarth et vous revenez avec lui, je suppose ?
– Bien sûr.
– Alors, bon voyage !

23 septembre 1940, 09h00, Bad Schandau, Saxe
Paul Weber descendit tranquillement du train de Dresde. Pendant une semaine, Bannwarth et lui avaient fait la tournée des clients de l’entreprise de colorants qui les employait. Weber pensait qu’ils pourraient ensuite jouer aux touristes en Suisse saxonne, en s’installant pour quelques jours à Bad Schandau, mais les circonstances l’avaient obligé à modifier ses plans. En effet, le concierge de leur hôtel à Dresde notait scrupuleusement l’heure de leur départ le matin et celle de leur retour le soir. De plus, sous prétexte de conversations banales, il cherchait à savoir où ils avaient été entretemps. Il avait donc convenu avec Bannwarth que ce lundi, ils partiraient ensemble, mais que l’homme d’affaires poursuivrait tout seul les opérations commerciales et qu’ils se retrouveraient à la gare le soir avant de rentrer à l’hôtel.
C’est d’un pas tranquille que Paul Weber parcourut Bad Schandau, passant devant le cabinet du fameux Docteur Grossmann, devant lequel était garée une voiture militaire avec un chauffeur au volant, tandis qu’un soldat faisait nonchalamment les cent pas devant le cabinet. Weber sortit ensuite de la petite ville et alla tout naturellement jeter un coup d’œil sur la forteresse de Königstein, où quelques silhouettes en uniforme se promenaient sur le chemin de ronde. Peu avant midi, alors qu’il s’était un peu éloigné pour ne pas se faire remarquer, il vit de loin une voiture identique à celle qu’il avait observée devant le cabinet du Dr Grossmann arriver de la ville et entrer dans la forteresse par le portail. Ses renseignements semblaient bons – il s’agissait très probablement du général Giraud et de son escorte qui revenaient de la séance de soins du lundi.
Dans l’après-midi, de retour en ville, Weber échangea quelques mots avec un balayeur municipal, qui traquait les feuilles mortes à une heure inhabituelle en face du cabinet du Dr Grossmann : « Je vois que l’Allemagne est aussi propre que la Suisse, dit-il en forçant un peu son accent suisse. Vous balayez deux fois par jour ? »
– Non Monsieur, tout de même pas, fit l’autre en ricanant. Mais les lundi, mercredi et vendredi matin, je ne peux pas balayer cette rue comme d’habitude le matin, alors il faut bien le faire l’après-midi. Je ne sais pas pourquoi, on ne m’a rien dit – ils ne font pas confiance aux Voksdeutsche venus de Russie, comme moi. D’ailleurs, là-bas, j’étais instituteur, et voilà qu’arrivé dans le Vaterland, je me retrouve balayeur !
Cela ne faisait que confirmer ce qu’il savait déjà. Paul Weber prit un thé à l’hôtel de l’Elbe et retourna ensuite à Dresde où, comme convenu, il retrouva Herr Bannwarth à la gare. Le lendemain, ils allèrent voir d’autres clients dans la banlieue de Dresde, s’offrant même le luxe d’un taxi. Si le chauffeur émargeait à la Gestapo, cela confirmerait ce que rapporterait le concierge.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Juil 31, 2008 08:58    Sujet du message: (Feuilleton, épisode 4) Répondre en citant

25 septembre 1940, 08h55, Bad Schandau, Saxe
Boîtant bas, Paul Weber sonna à la porte du cabinet du Dr Grossmann. A la femme de chambre qui vint ouvrir, il raconta qu’il était de passage et que l’hôtel de l’Elbe lui avait chaudement recommandé le Docteur à cause de son genou, qui le faisait souffrir régulièrement depuis un accident de football dans sa jeunesse et que jamais aucun médecin n’avait pu guérir tout à fait. Autant pour le faire taire que par gentillesse, la femme le fit entrer dans la salle d’attente et alla expliquer la situation au médecin.
Quelques minutes plus tard, avec une exactitude germanique et militaire, la même voiture que le lundi s’arrêta devant le cabinet. Deux soldats de la Wehrmacht en descendirent, encadrant un homme de grande taille en uniforme français, arborant une remarquable moustache et qui devait s’aider d’une canne pour marcher. Les soldats durent d’ailleurs l’aider à gravir le perron du cabinet. Le chauffeur resta au volant et un des soldats devant la porte, prêt à écarter tout importun, l’autre accompagnant le Français jusqu’à la salle d’attente. Ils furent surpris d’y voir déjà quelqu’un. Weber leur souhaita aussitôt la bienvenue et au bout d’un instant, commençait déjà à demander au soldat s’il jouait au football et, si oui, à lui recommander de faire attention à ses genoux, tout en s’essuyant le front – médecin et membre du Parti, Grossmann était bien chauffé. Peut-être surpris par les couleurs vives du mouchoir de Weber – bleu blanc rouge… – le Français, en s’asseyant avec difficulté, laissa tomber sa canne. Paul Weber, toujours serviable et sans cesser de parler football, se précipita pour la ramasser et la lui remettre dans la main, avec un petit bout de papier. Le soldat (lui aussi amateur de football) ne s’aperçut de rien.
A cet instant, le Dr Grossmann entra dans la salle d’attente et, l’air courroucé, demanda à Herr Weber de le suivre. Il eut des mots peu aimables pour sa femme de chambre, le personnel de l’hôtel de l’Elbe et les Suisses de passage. Paul Weber repartit avec une ordonnance pour une pommade et une invitation ferme à ne revenir que l’après-midi !
Grossmann put ensuite s’occuper de son seul autre client de la matinée, le général Giraud. Comme à chaque fois, celui-ci, dont les douleurs s’atténuaient après la séance de massages électriques qu’il lui prodiguait avant de réapparaître quelques heures plus tard, s’adressa à lui en allemand. Grossmann aurait voulu que les sciatalgies de son patient s’améliorent aussi vite que sa connaissance de la langue, mais il savait qu’il faudrait peut-être encore des semaines avant d’observer une amélioration durable.
A 11 heures, le général Giraud, avant de repartir encadré par ses gardiens, demanda à passer aux toilettes. Là seulement, il prit connaissance de ce qui était écrit sur le petit morceau de papier : « Message reçu – Maintenez traitement le plus longtemps possible – RM ». Une fois le papier déchiré en morceaux et emporté par la chasse d’eau, il ressortit et marcha sans sa canne jusqu’à la porte. « J’ai vraiment moins mal, Herr Doktor, lança-t-il à Grossmann. Vos soins sont très efficaces, il faut continuer ! »
Paul Weber était déjà retourné à Dresde.

30 septembre 1940, 10h00, un appartement discret près de l’Ambassade de France, Berne
Paul Weber (c’était son vrai nom, figurant aussi bien sur ses papiers français que sur le vrai-faux passeport suisse obligeamment fourni par les services du Colonel Masson), était rentré à Bâle l’avant-veille en fin d’après-midi. « Tout bien passé, raconta-t-il à Gaston Pourchaud. Nos amis allemands, tout heureux de leurs succès, ne se méfient pas trop de ce qui se passe loin à l’intérieur de leurs frontières. Je vais continuer à accompagner Herr Bannwarth en Allemagne. Tous les soirs, il me rend compte scrupuleusement de ce qu’il peut apprendre, mais il est toujours extrêmement discret. Il ne m’a jamais posé de question. »
Tout cela était fort bien, mais il restait à faire évader Giraud, et au plus vite !
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loic
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MessagePosté le: Jeu Juil 31, 2008 21:52    Sujet du message: Répondre en citant

Très bien ! Voici qui fera une autre belle annexe suisse.
Il faudra expliquer que ce que dire UFA.
_________________
On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Juil 31, 2008 23:41    Sujet du message: cliffhanger Répondre en citant

La UFA - prononcez Oufa - c'est la grande compagnie de production cinématographique du IIIe Reich. UFA est un sigle, ou plutôt un acronyme, de mots allemands que je laisserai à un germaniste le soin de préciser (tu as raison, c'est utile).

22 novembre 1940, 15h00, prison-forteresse de Königstein, Bad Schandau

Le général Giraud relut pensivement la lettre qu’il venait de recevoir de sa femme – lettre bien sûr lue et relue maintes fois avant lui par les services allemands et qui, comme les autres, avait mis trois bonnes semaines pour lui parvenir.
Quinze jours plus tôt, son épouse lui parlait de la plus jeune de leurs petites-filles : « On lui a tant raconté d’histoires que Bernadette a peur du loup, bien qu’on lui répète que toi, son grand-père, tu ne le craindrais pas. » Et voici que dans cette nouvelle lettre, Mme Giraud reparlait de la petite Bernadette et de cette histoire de loup : « Bernadette croit que le loup sortira du bois avant l’hiver, et elle tremble ! Mais nous lui avons dit que toi, tu ne trembleras pas, comme Napoléon à Austerlitz. »
Il avait eu raison de demander à Boëlle de faire dire à sa femme que toute allusion à leurs petits-enfants dans ses lettres concernerait en fait son évasion, pensa Giraud. Mais il n'y avait rien à propos de loups, ni d'Austerlitz. Encore que… Austerlitz…
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Finen



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MessagePosté le: Ven Aoû 01, 2008 03:21    Sujet du message: Répondre en citant

Un saint cyrien incapable de relever l'allusion au 2S eu mérité la pendaison tout les matins à l'aube!

Une finesse à la mesure de la délicatesse de la "résidence" de Königstein qui appelle en compensation la rigueur et la ponctualité suisse dans la réalisation afin de freiner la furia francese du résidant remis sur pied par son docte germain.
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dak69



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MessagePosté le: Ven Aoû 01, 2008 08:59    Sujet du message: UFA Répondre en citant

Bonjour

UFA : Universum Film Aktiengesellschaft


C'était la principale entreprise de production cinématographique allemande, créée en 1917. Du temps de la république de Weimar, elle produisit des films devenus des classiques (Dr Mabuse, Metropolis, l'Ange bleu...). En 1927, elle fut rachetée par un pro-nazi, et à partir de 1933, le pouvoir hitlérien prit le contrôle idéologique de l'industrie cinématographique. En 1937, l'UFA devint une "entreprise d'état". En 1942, tous les studios de production furent regroupés sous la houlette de l'UFA.

Quant aux actualités cinématographiques allemandes, elles étaient bien sûr produites sous contrôle direct de Goebbels, voire de Hitler, par les différents studios, puis centralisées et diffusées sous forme identique, seul le générique était différent. A partir de l'automne 1940, seule l'UFA assura la réalisation de ces actualités.

Bien amicalement
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Aoû 01, 2008 11:47    Sujet du message: Eh oui, le Saint-Cyrien avait bien compris Répondre en citant

2 décembre 1940, 08h00, cabinet du Dr Grossmann, Bad Schandau
L’homme d’une quarantaine d’années, en civil, une volumineuse sacoche à la main, descendit du taxi et sonna à la porte du Dr Grossmann. Il tendit sa carte de visite à la femme de chambre, qui le fit entrer immédiatement et courut prévenir Grossmann, qui ne tarda pas à arriver.
– Heil Hitler ! Sturmbannführer Doktor Mathias Wolf, des services de santé de la SS du NSDAP, à Berlin. Nous avons appris que vous obteniez de bons résultats dans le traitement d’un de vos patients, le général français prisonnier Henri Giraud. J’aimerais que vous m’expliquiez vos méthodes, nous avons des cas analogues dans le Parti et il serait temps que ces procédés soient mis à la disposition du Parti au lieu de servir à soulager des officiers ennemis, même vaincus.
Karl Grossmann avait beau être membre du parti depuis dix ans, ce qui lui avait assuré une bonne clientèle et une aisance certaine, être confronté, au saut du lit ou presque, à un officier supérieur de la SS, fût-il médecin comme lui, le fit pâlir ! Il eut une violente crampe d’estomac et un léger reflux acide lui irrita la gorge, réveillant l’arrière-goût désagréable du café “national” qu’il avait bu peu avant. Il se mit immédiatement à donner tous les détails sur son protocole thérapeutique et notamment sur ses fameux appareils électriques : « J’insiste sur leur caractère expérimental. J’ai saisi l’occasion de les essayer sur ce prisonnier, Giraud, que j’ai en quelque sorte sous la main, ah ah. Mais il est vrai que les effets sont très satisfaisants, la fréquence des séances a pu être réduite de trois à une par semaine ; je me faisais une joie de communiquer ces résultats aux instances politiques et médicales allemandes dès que j’aurais pu mettre un point final au traitement. »
– Fort bien. Il faut que je rencontre ce patient, Giraud, pour l’examiner et étudier l’évolution de son état. Pour que votre présence ne risque pas d’altérer ses réponses, je devrai le voir en particulier, d’autant plus qu’il me faut aussi lui poser certaines questions… non médicales.
Des questions non médicales ? Grossmann sentit une goutte de sueur froide descendre lentement le long de son dos en se demandant avec angoisse s’il avait pu émettre devant Giraud la moindre remarque qui ne fût point laudative à propos du Parti, de la SS ou du Führer. A 9 heures, quand le général arriva, toujours accompagné de ses gardiens, il le fit lui-même entrer dans la salle de consultation : « Herr General, aujourd’hui, vous n’aurez pas votre séance habituelle. Je vais vous confier à mon collègue de Berlin, le Dr Wolf, qui va vous examiner et parler avec vous de l’évolution de votre état. C’est bien cela, Herr Doktor Wolf ? »
– Absolument.
– De combien de temps pensez-vous avoir besoin, cher confrère ?
– Le temps d’une de vos séances habituelles d’électrothérapie devrait suffire.
– Parfait. Cela évitera de devoir prévenir Königstein.
– Ne vous inquiétez pas. Si ma secrétaire a bien fait son travail [il eut une grimace évocatrice de ce qui attendait la malheureuse dans le cas contraire], ils sont bien sûr au courant de ma présence ici.
– Très bien. Je vous laisse la disposition des lieux. Quand vous aurez terminé, utilisez cette sonnette.
– A tout à l’heure. Sieg !
– Heil !
Giraud avait pu maîtriser son expression, mais sa moustache avait frémi. Le jour anniversaire d’Austerlitz, c’était bien ça ! Et Wolf était évidemment le loup annoncé.
A peine la porte capitonnée refermée derrière Grossmann, Wolf abandonna son expression figée de Sturmbannführer Doktor et, voyant au large sourire de Giraud que celui-ci avait compris : « Nous ferons les présentations plus tard, mon général, dit-il en français. Pensez-vous pouvoir sortir par la fenêtre ? »
– Pas de problème. Il y a déjà quelque temps que ma jambe ne me fait plus souffrir, grâce aux bons soins du Dr Grossmann ! Il était temps que vous arriviez, d’ailleurs, je vais tellement mieux que n’ai plus droit qu’à une séance par semaine.
“Wolf” ouvrit une des fenêtres du cabinet, donnant directement sur le jardin de la villa de Grossmann. Giraud enjamba le rebord, suivi de son libérateur, qui prit la canne du général en plus de sa sacoche. Il referma ensuite la fenêtre aussi bien qu’il put derrière lui. Il fit signe à Giraud de le suivre, prenant soin de laisser des marques bien visibles de canne dans le sol, qui était encore un peu meuble suite aux pluies de l’avant-veille. Le portillon qui s’ouvrait sur un petit chemin passant derrière la villa s’ouvrit aisément, étant fermé par un simple loquet, et Wolf le tira soigneusement après leur passage. Les deux hommes suivirent ce chemin sur quelques dizaines de mètres, avant de déboucher dans une rue où une Opel Kapitän noire attendait, capot levé, le chauffeur penché sur le moteur qui tournait. Ils montèrent à bord, le chauffeur referma le capot et la voiture fila vers la grand-route. Moins de cinq minutes s’étaient écoulées depuis que Grossmann avait refermé la porte du cabinet.
La première partie de l’évasion du général Giraud avait réussi. Mais Pourchot avait eu bien du travail pour mettre en place l’opération, bien qu’Alger lui eût laissé carte blanche.
Après le rapport de Paul Weber, il était clair que le meilleur, sinon le seul endroit d’où l’on pouvait faire évader Giraud était le cabinet médical où il était soigné. Le faire sortir de Königstein, surtout s’il avait des difficultés pour se déplacer, était impensable, et l’enlever pendant son transfert en voiture entre la forteresse et Bad Schandau n’aurait pas laissé une avance suffisante au fugitif. Enfin, quoi de mieux qu’un médecin allemand “officiel”, auquel obéirait aveuglément Grossmann ? Mais il avait fallu trouver l’oiseau rare. Sollicité pour fournir un médecin militaire suisse, Masson s’était récusé, arguant du risque d’éventer l’affaire. Pourchot avait alors pensé à un médecin militaire français du 45e CA, interné en Suisse, mais aucun d’eux ne maîtrisait suffisamment l’allemand. C’est alors que son adjoint du SR, le capitaine de corvette Ferran (officiellement attaché naval à l’ambassade, ce qui, en Suisse, ne devait pas être une charge trop prenante…) lui avait suggéré de chercher parmi les anciens élèves du centre d’études germaniques de Strasbourg (replié à Clermont, puis en AFN). Un message avait été envoyé dans ce sens à Alger et fin octobre, le médecin-major Pierre Kimmel avait rejoint Berne par la Yougoslavie, prétendument pour prendre en charge les services médicaux de l’ambassade. Kimmel, originaire de la région messine, possédait parfaitement la langue et les usages allemands, ayant séjourné plusieurs fois Outre-Rhin, dont plus d’un an à l’hôpital de Mayence. De plus, il connaissait de vue Giraud, du temps où ce dernier commandait la Région Militaire de Metz.
De son côté, peut-être pour se faire pardonner sa dérobade, Masson n’était pas resté inactif. Il avait fait rechercher, parmi les papiers d’identité perdus par des Allemands en Suisse, que son service collectait avec soin auprès des différents postes de police depuis début 1939, ceux d’un médecin. On n’avait pas tardé à trouver ceux d’un certain Dr Markus Vogt, de Berlin, qui les avait perdus dans un restaurant zurichois en juillet 1939, pendant l’exposition et, mieux encore, ceux de sa voiture, une Opel Kapitän toute neuve. Les documents avaient été légèrement modifiés, Vogt devenant Wolf et Markus Mathias, et le numéro d’immatriculation avait été changé. Masson avait chargé un de ses rares hommes à l’ambassade de Suisse à Berlin, un modeste chauffeur, de se procurer une voiture identique « par tous les moyens, même le vol ». Il n’avait pas été nécessaire d’en arriver là : un exemplaire de ce modèle cossu, ayant appartenu à l’attaché commercial d’un des pays envahis par la Wehrmacht, figurait dans la liste des biens des pays en conflit avec l’Allemagne confiés “pour la durée de la guerre” à la garde de la représentation suisse à Berlin. Regonfler les pneus, recharger la batterie et changer les plaques avait été un jeu d’enfant. Masson avait naturellement fait correspondre différents jeux de papiers d’identité nécessaires à l’opération avec les photographies de Kimmel et de son chauffeur, mais aussi avec celle du général Giraud, fournie par son épouse et rapportée de France par un agent de Pourchot. Cette photo avait été minutieusement retouchée, la célèbre moustache du général enlevée et des lunettes ajoutées…
Fin novembre, Pierre Kimmel, alias Mathias Wolf, avait traversé clandestinement la frontière séparant le Liechtenstein de l’Autriche (c’est-à-dire du Grand Reich) et pris tranquillement le train à Feldkirch, tout d’abord pour Friedrichshafen, puis Ulm et enfin Berlin, où il était arrivé dans la matinée du 30 novembre sans avoir été inquiété le moins du monde. Il avait passé les heures suivantes très inconfortablement dans une dépendance de l’ambassade de Suisse inoccupée pour le week-end, où il avait rencontré son chauffeur, lui avait confié des papiers d’identité et ceux de la voiture, avant de mettre au point les derniers détails de l’opération du lundi. Dans l’après-midi du 1er décembre, il avait repris le train pour Dresde, où il avait pris une chambre dans un hôtel proche de la gare, sous le pseudonyme de Karl Müller, de Munich, autre identité fournie par Masson. Le 2 au matin, il n’avait plus eu qu’à se faire conduire en taxi à Bad Schandau.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Aoû 04, 2008 09:13    Sujet du message: et fin... Répondre en citant

Les vicissitudes des vacances et des connexions internet me conduisent à vous livrer d'un bloc la fin des aventures du général Giraud. D'éventuelles bêtise, loupés etc seraient de ma faute.
Encore Merci à DAK69, qui a je crois d'autres choses bien sympas en préparation.
Casus Frankie


2 décembre 1940, 09h30, sur un petit chemin non loin de Dresde
L’Opel s’arrêta dans un coin discret. « Nous avons des vêtements civils pour vous, mon général, dit Kimmel. Et puis, je suis désolé, mais… »
Giraud le regarda en pinçant les lèvres. Au fond, il savait bien que ce moment viendrait, mais il avait espéré le retarder encore… Kimmel lui tendait un rasoir étincelant et redoutable.


2 décembre 1940, 11h05, Prague
L’Opel avait repris sa route le long de l’Elbe. Elle avait dû attendre un peu au passage entre les Sudètes et le “protectorat de Bohême-Moravie”, où un contrôle était en place. Devant eux, un camion de charbon était retenu, visiblement pas en règle. Il avait fini par devoir faire demi-tour, et, la file s’étant allongée, le garde n’avait jeté qu’un coup d’œil superficiel à leurs papiers – la croix rouge et le caducée à croix gammée sur le pare-brise semblaient être des laissez-passer suffisants. Sous un ciel gris, lâchant régulièrement des averses, ils avaient poursuivi leur route vers Prague. Le chauffeur connaissait bien la route, car il assurait régulièrement la liaison entre les ambassades de Berlin et de Budapest. “Wolf” vérifiait cependant leur position sur une carte, car il aurait été malvenu de devoir demander son chemin à un schupo ! Soudain, une puissante Mercedes les avait rattrapés en klaxonnant. Il y avait eu une bouffée de panique, mais la Mercedes s’était contentée de les dépasser avant de s’éloigner.
Enfin, vers 11 heures, l’Opel s’était arrêtée devant la gare centrale de Prague.
Le chauffeur alla acheter deux billets de 2e classe pour Vienne et revint avec de bonnes nouvelles – il n’y avait pas d’activité policière exceptionnelle. Giraud et Kimmel, portant chacun une petite valise, entrèrent dans la gare. Le chauffeur, lui, alla remiser la voiture dans un garage ayant autrefois servi à différentes missions étrangères et où se trouvaient encore quelques autos couvertes de poussière. Il démonta les plaques et dégonfla les pneus, puis, avec une pelle et une balayette, il ramassa de la poussière, qui ne manquait pas, et la répandit sur la carrosserie. Tôt ou tard, toutes ces autos seraient récupérées par quelqu’un ou réquisitionnées, et leur origine n’intéresserait personne… Il ne s’en inquiéta plus et s’attela à la tâche suivante, qui consistait à découper l’uniforme du général Giraud en pièces, puis à le faire brûler, en compagnie des papiers désormais inutiles, dont ceux au nom de Wolf, avec de l’essence prélevée dans le réservoir de l’Opel. Après avoir ramassé les cendres, il les jeta dans une poubelle un peu plus loin, puis prit le tram pour la gare et retourna à Berlin. La canne du général avait été jetée dans l’Elbe dès Bad Schandau. Si les Allemands la retrouvaient, elle les mettrait sur la mauvaise direction !


2 décembre 1940, 11h30, cabinet du Dr Grossmann, Bad Schandau
Après avoir confié Giraud à son confrère, le Dr Grossmann s’était d’abord occupé de calmer ses crampes d’estomac. Au mépris de ce qu’il avait appris à la Faculté, il avait eu recours à une bonne rasade de schnaps… ou deux. Et depuis 11 heures, il attendait le coup de sonnette de Wolf, qui ne venait pas.
Très inquiet, il décida de regagner son bureau, où il avait laissé Wolf et Giraud. Trouvant la porte verrouillée de l’intérieur, il passa dans la salle d’attente et demanda au garde de l’aider. Impossible aussi d’entrer par là ! Finalement, il eut l’idée de regarder de l’extérieur par une fenêtre et vit tout de suite que l’une d’entre elles était entrouverte. Il n’y avait personne dans le bureau…
A Königstein, le général Genthe, commandant de la forteresse, s’apprêtait à déjeuner quand son ordonnance, affolée, le réclama : « Un appel téléphonique urgent de Bad Schandau, Herr General, Giraud a disparu ! » Genthe fit immédiatement prévenir l’OKH à Berlin, la police locale et la Gestapo de Dresde, et se rendit sur place. Un boiteux qui s’évade ! Même avec des complicités, Giraud n’irait pas loin !
Les réactions des Allemands furent rapides et relativement logiques quand la disparition du général fut découverte. L’urgence était de remettre la main sur le fugitif. C’était l’affaire de la police “ordinaire”, mais celle-ci avait besoin de savoir comment il avait fait pour s’enfuir, enquête que se réserva la Gestapo de Dresde. Heydrich puis Himmler suivirent personnellement les opérations.
Dès l’alerte donnée, toutes les gares entre Bad Schandau et Dresde furent bouclées et toutes les gares berlinoises surveillées. Tout voyageur de grande taille (1m80 et plus) devait être contrôlé et, s’il avait des moustaches ou une canne, emmené pour vérifications et interrogatoires approfondis. En effet, le chemin de fer vers l’ouest était le moyen le plus commode pour fuir en direction de la France ou de la Suisse. A 16 heures, il fut décidé d’étendre cette mesure à toute l’Allemagne, et, 24 heures plus tard, aux territoires annexés (Alsace, Autriche, Bohême-Moravie, Pologne…). En effet, l’interrogatoire des employés de chemin de fer des gares de la ligne de Dresde laissait croire qu’aucune personne correspondant à ce signalement n’avait emprunté de train sur cette ligne. Il était donc tout à fait possible que le fugitif ait pris une autre direction. Nul n’imaginait que Giraud était déjà passé à travers les mailles du filet…
On s’intéressa bien sûr très vite à “Mathias Wolf ” et l’honorable gynécologue berlinois qui portait ce nom eut la surprise de voir débarquer en fin d’après-midi les hommes du SD dans son cabinet, situé dans un quartier chic de la ville. Il n’eut aucun mal à justifier de sa présence sur place toute la journée… La recherche fut élargie aux autres docteurs Wolf berlinois, qui tous furent réveillés pendant la nuit. Un seul manquait à l’appel ; il ne fut retrouvé qu’une semaine plus tard, en Hollande, où il se trouvait pour raisons familiales, mais à cette date, la Gestapo était déjà convaincue que l’affaire avait été montée par des services spéciaux.
Le signalement du faux Wolf (1m75 environ, corpulence moyenne, cheveux gris ras, entre 40 et 50 ans, lunettes métalliques) fut aussi diffusé. Bien qu’il correspondît à celui de dizaines de milliers d’Allemands (dont le Dr Grossmann !), il mena les enquêteurs sur un début de piste, mais il était bien trop tard.


2 décembre 1940, 17h30, gare de Vienne, Autriche, Grand Reich
L’itinéraire choisi par Pourchot pour sortir les fugitifs d’Allemagne était risqué, car il obligeait l’évadé et son accompagnateur à passer par de nombreux points de contrôle. Mais, au moins dans un premier temps, ils ne seraient pas recherchés à ces endroits-là, et les vérifications se limiteraient au minimum. Cela se confirma plus ou moins.
Pendant le trajet entre Prague et Vienne, Pierre Kimmel et Henri Giraud s’étaient fait passer aux yeux des autres voyageurs pour deux médecins, l’un viennois, l’autre de Bratislava (Presbourg), ce qui expliquait son allemand nettement plus rugueux que celui de son confrère. Ils avaient été contrôlés une première fois en montant dans le train. En route, un agent de la police des chemins de fer était entré dans leur compartiment pour une vérification de routine. Pierre Kimmel avait immédiatement remarqué la raideur de son épaule gauche, lui avait demandé s’il n’en souffrait pas et, à la réponse affirmative, il avait asséné « périarthrite scapulo-humérale » et prodigué quelques bons conseils… Mais cela n’avait pas empêché l’homme de vérifier scrupuleusement les papiers des voyageurs, pendant que Giraud passait un doigt nerveux sur sa lèvre supérieure parfaitement rasée… Il n’y avait pourtant rien trouvé à redire et avait même gratifié Giraud d’un mot aimable pour la Slovaquie, « amie fidèle du Reich », en ajoutant un commentaire méprisant pour Kimmel, « Dommage que les Autrichiens ne soient toujours pas sortis de la nostalgie de leur empire ! » En fait, c’est sans doute à cette occasion que le risque d’être découverts avait été le plus grand. Mais les services du colonel Masson avaient fait du bon travail, même si l’on prétend aujourd’hui qu’il avait fallu sortir un faux-monnayeur de prison pour cela.
Le train arriva à Vienne en retard. La nuit était déjà tombée, mais les deux hommes eurent largement le temps de prendre des billets pour Graz et même de manger un morceau au buffet de la gare. Comme prévu, celle-ci n’était pas particulièrement surveillée. Quand, attablés devant leur salade de pommes de terre, leurs saucisses et leur Pils, Kimmel demanda à Giraud s’il n’avait pas eu faim depuis le matin, Giraud répondit que quand on s’évadait, l’estomac était prié d’attendre… Par contre, comme à Prague, il n’était pas question de faire du tourisme. Les monuments du Ring devraient attendre.


2 décembre 1940, 21h30, gare de Graz, Autriche, Grand Reich
Pierre Kimmel eut tôt fait de repérer son homme parmi les personnes qui attendaient les voyageurs de l’express de Vienne. La plume de son superbe chapeau tyrolien était cassée... Sinon, avec son manteau de loden vert, il ne se distinguait guère dans la foule.
Après un échange rapide de paroles convenues, « Mathias, nous voici tous les deux – Hans, bienvenue au Tyrol », et le trio sortit de la gare. Hans remit une plume intacte à son chapeau et ouvrit l’arrière d’une camionnette Ford qui avait déjà bien vécu. Les deux fuyards montèrent et Hans se mit au volant. La camionnette roula près de deux heures, peinant visiblement dans les côtes. « La qualité des moyens de transport est en baisse par rapport à ce matin » fit remarquer Giraud. « Méfiez-vous, dit Kimmel, ça pourrait encore s’aggraver ! »
Une fois, le véhicule fut arrêté à un contrôle de la gendarmerie, mais le conducteur connaissait visiblement les gendarmes puisque seuls des éclats de rire parvinrent aux oreilles des passagers. Il n’était pas loin de minuit quand il s’arrêta au bord d’une route de campagne. Les trois hommes remontèrent sous la pluie un étroit sentier menant à une ferme. Hans frappa : trois coups rapprochés, deux éloignés, trois rapprochés. La porte s’ouvrit et ils furent accueillis par quatre hommes, dont certains les acclamèrent en français : « Bravo, mon général ! » Mais leur chef les interrompit : « Silence, et pas de noms ni de grades ! Nous sommes en territoire ennemi ! La frontière yougoslave est à 500 mètres, mas elle est patrouillée en permanence. Malgré cela, la contrebande est très active et, dans deux heures environ, un “incident” aura lieu dans les parages, ce qui nous laissera le temps de traverser. Pas trop fatigué ? »
La question s’adressait visiblement à Giraud : « Vous voulez rire ! Il y a six mois que je ne me suis pas senti aussi bien ! »
– Parfait. On sortira par derrière et on montera jusqu’en haut de la colline à travers bois, guidés par nos amis yougoslaves. Au signal, on redescend de l’autre côté, on traverse une prairie, et on se retrouve dans un autre bois. De là, une heure de marche jusqu’à une autre ferme où on finira la nuit. Reposez-vous en attendant.


3 décembre 1940, 02h00, frontière austro-yougoslave
Quand Giraud et deux des hommes du comité d’accueil sortirent de la ferme, Hans et Pierre Kimmel les avaient déjà quittés. Kimmel devait retourner en Suisse, où son absence de l’ambassade aurait fini par attirer l’attention d’un des nombreux agents allemands qui quadrillaient Berne. Arrivés au sommet de la colline, les trois hommes entendirent d’abord des coups de feu dans le lointain, suivis d’un double hululement de chouette, lui nettement plus près. Ils redescendirent de l’autre côté et, sous une pluie de plus en plus froide, finirent par rejoindre la ferme prévue. A leur arrivée, des acclamations fusèrent à nouveau, mais cette fois-ci, le chef du groupe se détendit : « Pour le coup, c’est sûr, mon général, vous êtes sortis de leurs griffes ! »
– Avant tout, je tiens à vous remercier… D’ailleurs, votre tête ne m’est pas inconnue.
– En effet. Colonel Groussard, mon général. Mais la plus grande partie de l’opération était prête avant que je ne m’en mêle.
– J’espère pouvoir bientôt témoigner de ma reconnaissance à tous ceux qui m’ont fait traverser le Reich sans encombre.
Le colonel Georges Groussard n’avait en effet pris part à l’opération qu’après sa nomination le 1er novembre comme “responsable des réseaux d’évasion”, réseaux qu’il fallait créer de toutes pièces. Quand il avait appris qu’une opération se montait en Suisse pour libérer Giraud, il avait suggéré une sortie directe sur la Yougoslavie plutôt qu’un passage par la Suisse, pensant que Giraud aurait du mal à marcher et que le terrain serait plus facile. Masson, tout en regrettant de ne pouvoir saluer (discrètement) Giraud, avait été d’accord : en cas de pépin, la Suisse serait d’autant plus à l’abri. Contactés par le représentant du 2e Bureau à Belgrade, quelques officiers des services yougoslaves dont la francophilie n’était pas douteuse s’étaient occupés d’organiser le passage de la frontière.


Epilogue – De la réalité à l’histoire officielle
Le groupe rejoignit Maribor le 3 décembre en début d’après-midi, tout d’abord en voiture à cheval, puis dans une camionnette encore plus bringuebalante que celle de la veille. De là, ils prirent la direction de Belgrade, où une maison discrète avait été louée. Giraud s’en étonna, comme le rapporte Groussard dans ses mémoires :
« Giraud voulait se montrer au grand jour à Alger au plus vite. Il fallut beaucoup de persuasion, des ordres de Huntziger (“Alors il est vraiment chef d’état-major, lui ?”) et même une injonction du ministère (“Gaulle ministre de la Guerre ? Je n’y croyais pas…”) pour qu’il accepte de rester dans l’ombre quelque temps. Il tuait le temps en étudiant la nouvelle situation militaire, qu’il ne connaissait qu’à travers la presse allemande. Sa sciatique s’était réveillée après son évasion, peut-être du fait de l’agacement de devoir rester discret, et il fallut reprendre les soins. Son humeur s’améliora tout de même quand on lui apporta une affiche placardée dans toutes les gares du Reich et des pays occupés, illustrée par la mauvaise photo prise de lui en prison et surtout promettant 100 000 marks de récompense (un million de francs au cours de 1938).
C’est alors qu’il nous demanda de faire sortir sa femme de France ! Elle nous facilita la tâche, s’étant installée chez une autre de ses filles, à Marseille. Les pseudo-policiers de Darnand commencèrent par aller la chercher à Lyon avant de retrouver sa trace. Nous intervînmes à Marseille juste à temps : deux policiers firent semblant de l’arrêter et la conduisirent aux Lavandou, où elle embarqua sur un petit bateau (l’humour de l’histoire est que les policiers étaient vrais, mais firent de leur mieux pour que les hommes de Darnand, quand ils enquêtèrent, croient que c’était des faux). Le 18 janvier 1941, Mme Giraud retrouva son mari à Ajaccio, où il avait été transféré par bateau de Yougoslavie.
Le lendemain, on organisa l’arrivée officielle du général en Corse, telle qu’elle a été relatée par les journaux. Giraud avait préparé une histoire à sa façon : il expliquait qu’il était resté dans les parages de Bad Schandau pendant une bonne semaine avant de prendre la direction de l’Italie par la Bavière et l’Autriche, où des amis sûrs l’avaient hébergé puis accompagné, par petites étapes, de nuit, jusqu’au Cap d’Ail, d’où il était parti. Il paraît que cela ranima les critiques du Führer contre Mussolini ! »

En fait, les Allemands ne crurent jamais à cette version, trop contradictoire avec les quelques éléments qu’ils avaient découverts, comme le montre ce mémo :
« De R. Heydrich au Reichsführer H. Himmler. Très secret.
20 janvier 1940
Heil !
Malgré des enquêtes approfondies, menées par le SD, la Gestapo, la Kripo et la Wehrmacht, la manière dont s’est évadé le général français Giraud reste en grande partie non élucidée.
Le jour de son évasion, le général Giraud a été conduit, comme il l’était jusqu’à trois fois par semaine, de la prison de Königstein à Bad Schandau pour des soins médicaux. Cette anomalie ne sera plus possible. Désormais, tous les soins médicaux seront assurés à Königstein, des locaux étant en cours d’aménagement. L’évacuation des officiers généraux ne pouvant plus être soignés vers un pays neutre voulant bien les accueillir est provisoirement suspendue [elle reprit mi-1941].
Le médecin qui le soignait a été trompé par un imposteur, se faisant passer pour un membre de la SS. Il est établi qu’un autre imposteur avait rencontré ce médecin deux mois plus tôt, à un moment où le général Giraud se trouvait là. Il n’est pas établi que ce deuxième imposteur ait pu avoir un contact avec Giraud, mais il est probable qu’il ait soigneusement reconnu les lieux et pris note des allées et venues du prisonnier. La complicité du médecin n’a pas été établie, et elle est peu probable. Le médecin a été autorisé à reprendre ses activités. Le suivi de l’activité de tous les médecins, dentistes etc. a été renforcé [suit la description des mesures prises].
Le faux médecin se trouvait la veille à Dresde, sous l’identité d’un individu décédé depuis deux mois, et qui avait été suspecté de paroles subversives inspirées par le communisme. Des témoins l’ont vu débarquer du train à Bad Schandau. L’identité utilisée ensuite par cet imposteur est celle d’un médecin berlinois. La complicité éventuelle de ce dernier n’a pas été prouvée, elle est peu probable.
Les jours suivant l’évasion de Giraud, plusieurs témoins spontanés ont signalé le passage d’une grosse voiture portant les insignes de médecin à Bad Schandau à l’heure approximative de sa disparition. Une voiture identique a passé la frontière du protectorat de Bohême-Moravie une heure plus tard et ne semble pas avoir repassé la frontière dans l’autre sens depuis. Il est probable que c’est avec elle que Giraud et l’imposteur ont quitté l’Allemagne. D’après ses plaques, elle aurait dû appartenir à un entrepreneur de Tegel, et être d’un autre modèle. D’intenses recherches dans les territoires tchèques n’ont pas permis de la retrouver. Il est possible qu’elle ait franchi une autre frontière ensuite. Les vérifications associées aux mesures de restriction de circulation entrées en vigueur le 2 janvier n’ont pas permis à ce jour d’identifier un propriétaire potentiel pour cette voiture d’assez grande série.
L’histoire que l’on trouve dans les journaux anglais sur l’évasion de Giraud est évidemment fausse, même si on ne peut pas exclure qu’il ait terminé son trajet en passant par l’Italie, après la Suisse ou plus probablement la Yougoslavie, bien qu’aucun des informateurs dont dispose le SD dans ce pays n’ait donné d’indication dans ce sens.
Tous ces éléments mènent à une conclusion : cette évasion ne peut être que le fait d’une organisation rompue à l’action discrète en pays étranger, ou des restes d’une telle organisation officiellement disparue dans le cadre du nouvel ordre européen. A titre strictement personnel, je mettrai en cause les services secrets de l’ex-Pologne, en raison des liens connus entre les armées françaises et polonaises, et aussi en raison de la direction prise par les fuyards.
Mais l’implication des services soviétiques n’est pas impossible. Dans ce cas, nos moyens de lutte sont encore très insuffisants !
Heil Hitler ! »
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Aoû 06, 2009 11:38    Sujet du message: DAK 69 continue de s'évader Répondre en citant

Le texte qui précède date de l'été de l'an dernier.
Celui-ci est tout récent (et fort bref), il ajoute une précision sur l'organisation des évasions d'Allemagne (ou d'ailleurs).
Merci Dak !

25 octobre 1940
Alger, bureau du ministre de la Guerre

– Prenez place, Groussard.
– Merci, Monsieur le Ministre.
– Votre action ici dans la remise en route des Ecoles est appréciée, mais j’ai ouï dire que vous préféreriez un peu plus d’action.
– C’est exact, Monsieur le Ministre.
– Et même un peu plus de liberté d’action ?
– (Toussotement étranglé)
– Répondez-moi franchement !
– Pour ne rien vous cacher, oui. En tant qu’officier, j’obéis aux ordres, mais je me sens mieux à l’aise quand je ne dépends pas d’une hiérarchie complexe et mouvante !
– Et qui mettra encore plusieurs mois à se clarifier, malgré l’action du Gouvernement, hélas. Eh bien, voici quelque chose qui me préoccupe, et qui peut-être vous conviendrait…
– Je vous écoute, mon Général.
– Voilà, le Grand Déménagement, puisque chacun l’appelle ainsi, a laissé malgré les efforts de tous beaucoup de personnes derrière lui : ingénieurs, scientifiques, militaires, fonctionnaires… L’Arche de Noé n’a pas pu accueillir tout le monde, c’est regrettable mais compréhensible. De plus, il y a encore beaucoup de prisonniers faits par les Allemands dans des camps provisoires en France, et leur devoir est de s’évader au plus vite, d’autant que ce sera plus facile que d’un stalag. Mais pour aller où ? Comment feront-ils pour rejoindre la France qui se bat ?
– En passant par la Suisse, peut-être, mon Général.
– La Suisse ne peut être qu’une étape, Colonel, le chemin pour en sortir est long et étroit. Et la Suisse n’est pas un Allié, c’est un pays neutre encerclé par les forces de l’Axe. Ce n’est que depuis peu que quelques-uns de nos compatriotes ont pu en sortir pour nous rejoindre… Mais vous avez raison, c’est une des pistes à creuser.
– Et par l’Espagne ?
– Franco est retors, mais il est difficile de croire que son entrevue d’avant-hier avec Hitler à Hendaye soit un signe de bienveillance à notre égard ! Et n’oubliez pas que le personnage a échangé des ambassadeurs avec Laval !
– Je ne partagerai pas votre pessimisme, mon Général. Tout fiers qu’ils soient, les Espagnols doivent aussi remplir leur estomac ! Ce n’est pas les Allemands qui les nourriront. Et puis, Franco l’a pas chassé notre ambassadeur.
– Par ailleurs, même en Allemagne, il y a des officiers, sous-officiers et soldats prisonniers qui veulent s’évader. Il est de notre devoir de les aider !
– Là, mon Général, ça va être difficile. Et même pour ceux qui se trouvent en France !
– Bien, l’organisation des filières d’évasion depuis notre France occupée, et plus tard celle des moyens de liaison avec la Patrie blessée, mission difficile donc, vous semble-t-elle davantage à la mesure de vos talents que vos attributions actuelles ?
– Assurément, mon Général, fit Groussard en se redressant avec enthousiasme..
– Bien. Il va falloir vous trouver une couverture… Voyez-ça rapidement.
– A vos ordres, mon Général.
– Pour la Suisse, allez voir Garteiser dès son retour. Il aura sans doute des choses à vous dire. Remettez-moi un premier rapport dans un mois.
Le 1er novembre 1940, le colonel Groussard sera officiellement chargé du « recomplètement des effectifs des armées d’Afrique du Nord ». La légende prétend aujoud’hui qu’il n’a jamais signé le moindre état ou rapport administratif sur ce sujet pendant toute la durée de sa véritable mission !
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MessagePosté le: Sam Aoû 15, 2009 00:53    Sujet du message: Colonel Groussard, 16/12/40 Répondre en citant

Toujours par dak 69, qui pense à nos longues journées de vacances.

16 décembre 1940
Alger, cabinet du ministre de la Guerre
20 heures – Le colonel Groussard fait antichambre depuis une heure et, à entendre les éclats de voix qui traversent la porte pourtant capitonnée du bureau du ministre, le caractère ombrageux du Général est amplement confirmé. En ce dimanche soir, seul un huissier à chaîne partage l’attente du colonel, mais l’impassibilité de son masque s’effrite inexorablement sous les assauts insidieux de la fatigue. La porte s’ouvre brutalement, bousculant l’huissier, et le Général sort à grandes enjambées, lâchant un « Serai de retour dans cinq minutes ! » Il est suivi par deux civils, dont l’un a visiblement beaucoup transpiré, qui traversent l’antichambre sans un mot.
L’huissier va brièvement ouvrir les fenêtres du bureau ministériel, dans une vaine tentative d’évacuer la fumée et l’odeur âcre des multiples Bastos dont les restes s’empilent dans un cendrier.
Le Général revient, fait signe à Groussard de le suivre et retourne se camper derrière son bureau.
– N’ont pas encore compris, ceux-là ! Si ça continue, j’en fais cadeau à Laval. Dire qu’on a déménagé de pareils imbéciles… Fournisseurs aux Armées, qu’ils se prétendent. Ouais, représentants des marchands de godillots et de culottes de peau ! Alors, Giraud, dans quel état est-il ?
– Vexé que ce soit Noguès qui ait chassé les Italiens de Tripolitaine !
– Très bien, il n’avait qu’à pas se faire prendre en mai. Et ça le motivera pour faire mieux, l’occasion ne va pas tarder. J’ai lu votre rapport. Si je résume, ici, à Alger, on est trop loin pour agir ! On ne pouvait quand même pas faire le Déménagement chez les Anglais ! Que conseillez-vous ?
– Si vous me permettez, mon Général, commençons par le commencement.
– Si vous ne retournez par à la marine à voile et à la lampe à huile, je vous écoute.
– Vous m’avez demandé comment faire pour sortir des hommes de France occupée. J’ajouterai tout de suite que si on a les moyens de les sortir, on aura aussi les moyens d’en faire entrer d’autres, et c’est par là qu’il faudra d’ailleurs commencer.
Le Général allume une nouvelle cigarette, peut-être la quarantième de la journée, et jette le paquet vide à la poubelle.
– Poursuivez…
– Les difficultés sont nombreuses.
– C’est pour ça que vous avez accepté cette mission, non ? fait De Gaulle, un brin sarcastique.
Le colonel ne se démonte pas.
– L’absence totale d’organisation, la distance, la géographie, le verrouillage des frontières par l’ennemi et ses séides, et j’ajouterai le climat !
– Pourtant, Giraud est sorti, lui !
– Je dirais plutôt que 50 hommes en ont sorti un ! C’est la proportion inverse qu’il faut atteindre, au minimum ! Mais procédons par ordre. Tout d’abord, la voie terrestre. Pendant tout l’hiver, passer les Pyrénées sera réservé aux alpinistes, sauf aux deux extrémités, et les Allemands ont mis en place une zone interdite le long de la frontière. Il n’y aura pas grand monde qui passera par là avant le printemps et même après, pas d’évasion en masse à attendre. Des individus isolés, voire des petits groupes, c’est tout ce qu’on pourra espérer, à condition d’organiser tout cela et d’exercer d’amicales pressions sur notre ami Franco, avec l’aide de nos amis américains. Côté Suisse, c’est une impasse, car il faut ensuite passer par la Yougoslavie en avion. A réserver à des clients importants, pas au sapeur ou au cavalier resté coincé derrière les lignes !
– A propos, la 45e DI, que comptent en faire les Suisses ?
– D’après Garteiser, les nourrir, les loger, puis nous présenter la facture ! Idem pour les Polonais, sauf que la douloureuse sera pour leur gouvernement, à Londres. Cet automne, des volontaires ont aidé aux récoltes ou travaillé aux routes, pour le salaire royal d’un franc suisse par jour… Les Suisses cherchent un pays neutre qui les accueillerait, mais il faudrait encore négocier leur passage à travers l’Allemagne ou un des ses satellites. Peine perdue à mon sens !
– Oui… Et pour la Yougoslavie, tôt ou tard, j’en connais un qui se souviendra que tout est parti de Sarajevo voici un quart de siècle, alors je ne donne pas cher de ce pays mité par les factions de toute nature.
– Après la voie terrestre, la voie maritime, qui, à mon sens, sera la plus utile ces prochains mois. Deux destinations sont possibles : l’Afrique du Nord et l’Angleterre. Pour l’Angleterre, la distance est courte, même si la mer souvent mauvaise, et les Allemands ne peuvent pas surveiller toute la côte de Dunkerque à Brest, voire Lorient ! Et rien ne ressemble plus à un bateau de pêche qu’un autre bateau de pêche. Je proposerais donc qu’on mette en place une flottille de petits bateaux pouvant faire la navette. Les Anglais seront sans doute d’accord pour nous aider. Il y a peut-être 5 000 Tommies qui se cachent un peu partout en France. Pour l’Afrique du Nord, la distance est grande, mais, entre Perpignan et Sète, la côte n’est que très mal gardée. A nous d’en profiter !
– Avec quoi ?
– Des embarcations un peu plus grosses. On a également, à Oran, le Rhin. C’est le bateau qui a servi aux forces spéciales de la Marine, il a déjà ramené des retardataires en août.
– Ah oui, je me souviens. Drôle de bateau, drôle d’équipage.
– Oui, mais il n’est toujours pas ressorti de cale sèche. Les réparations de sa machine traînent en longueur, car on ne sait pas à qui est appartient le navire, donc qui va payer !
– Soyez plus précis !
– Le bâtiment avait été réquisitionné par le ministère des Colonies pour rester dans le civil, vu sa mission, mais l’équipage est composé en grande partie de réservistes de la Marine Nationale. Les Colonies prétendent n’être qu’une façade pour la Royale, qui ne veut rien entendre pour payer, et la Marchande s’est mise au milieu pour récupérer le navire car on manque cruellement de tonnage. Pour ajouter un peu de sel à l’affaire, l’équipage non plus n’a pas été payé, car on ne sait pas si ce sont des civils ou des militaires, le médecin du bord est belge, le capitaine est à l’hôpital avec une jambe cassée et l’officier radio n’est autre que la femme du second, second qui est d’ailleurs le vrai chef de la bande. Enfin, sa femme, c’est vite dit, il l’aurait ramenée d’Indochine quand il y était en mission pour le 2e Bureau, à surveiller les menées japonaises. Il ne manque que le drapeau pirate !
– Bon, je verrai ça avec mes honorables collègues demain matin. Vous avez d’autres bateaux en vue ?
– Oui, mais il faudra des équipages. Là, on pourrait faire équipe avec les Anglais de Gibraltar. Un sous-marin ou deux seraient aussi les bienvenus, de chez nous ou de chez eux.
– Dites, l’amitié franco-britannique ne vous serait-elle pas trop montée à la tête quand vous étiez à Saint-Cyr ?
Le Général fouille nerveusement ses poches à la recherche d’une cigarette. Ses mains reviennent bredouilles. Compréhensif, Groussard lui tend un paquet intact.
– Des Craven ! Vous les avez trouvées où ?
– Vous voyez que l’amitié franco-britannique a du bon, mon Général !
– Mmm… Vous espérez ramener du monde, avec vos bateaux ?
– Au mieux cent ou deux cents hommes par mois, moitié ici, moitié en Angleterre.
– Avec ça, vous n’êtes pas près de reformer une division !
– Il y a encore d’autres points à voir, mon Général
– Vous avez pensé à l’aviation ?
– Oui, mais il y a plusieurs problèmes. D’abord, on n’a aucun avion disponible capable de traverser la Méditerranée et de revenir. Il faudrait qu’il parte de Corse
– Oubliez la Corse.
– Bien, mon Général, et de toute manière, il faut une équipe à l’arrivée pour trouver un terrain convenable et guider l’avion à l’atterrissage, sinon, de nuit, c’est le désastre garanti. Et envoyer un avion en plein jour me semble exclu !
– Comme d’habitude, quoi ! L’aviation, c’est comme les danseuses : des promesses, ça coûte cher, et ça ne mène à rien !
En bon biffin, le Général fait encore mine de snober l’aviation et les aviateurs.
– Il y a une solution : faire partir les avions d’Angleterre. Les Anglais ont un avion qui pourrait convenir. Aujourd’hui, il ne pourrait pas aller beaucoup plus loin qu’Abbeville ou Arras et là, les Allemands sont en force. Mais d’ici environ 6 mois, une version spécialisée pourrait se poser dans une bonne moitié du pays puis retourner en Angleterre avec 2 ou 3 passagers. Si on poussait un peu nos amis d’outre-Manche, on pourrait peut-être gagner du temps.
– Oui, si on a les terrains.
– Et aussi de quoi communiquer par radio entre la France, l’Angleterre et ici pour organiser et superviser tout cela. Il va aussi falloir envoyer des opérateurs radio avec leur matériel. C’est une denrée rare, il va falloir en former de nouveaux au plus tôt !
– Bon, en pratique, que comptez-vous faire ?
– Envoyer un premier échelon en bateau au plus tôt, pour organiser l’acheminement des évadés jusqu’aux Pyrénées, en faire passer le plus possible très discrètement et faciliter leur traversée de l’Espagne ensuite. Si c’est possible, envoyer des spécialistes radio et des aviateurs capables de repérer de futurs terrains d’atterrissage. Monter une école de radios clandestins est aussi urgent.
– A votre place, je n’enverrai personne sans qu’il sache par quel radio faire passer ses messages et recevoir ses ordres. Codés, ça va de soi !
– Il faudra donc aussi apprendre tout ça à ces hommes.
– Ou à ces femmes.
– Bien sûr. J’ai aussi quelques urgences à traiter, faire sortir de France quelques personnes en grand danger, ou réclamées avec insistance. Là, j’utiliserai des groupes de 5 ou 6 hommes avec un petit bateau pour aller les chercher. Du Giraud en réduction, en quelque sorte.
– Et pour prévenir les volontaires qui veulent nous rejoindre, comment ferez-vous ?
– Je n’en sais encore rien. Mais j’ai l’impression qu’il faudra plutôt refuser du monde que jouer les sergents recruteurs !
– Et pour aider les évadés d’Allemagne ?
– Là aussi, on verra plus tard. Dans six mois, j’espère pouvoir ramener de France ceux qui seront arrivés par leurs propres moyens sur la côte languedocienne ou en Bretagne, puis, progressivement, étendre le circuit de ramassage sur tout le territoire, voire en Belgique, avec l’aide des Belges, bien sûr. Et, d’ici là, il faudra que tout soit réglé avec les Anglais !
L’entretien est alors interrompu par la sonnerie du téléphone. Le Général décroche d’un geste nerveux : « Allô ! Non, pas demain matin. Venez donc tout de suite, ça tombe très bien ! »
Groussard fait mine de se lever, mais de Gaulle l’arrête d’un geste. Quelques minutes plus tard, l’huissier, le visage de plus en plus défait, fait entrer un “cinq panaché”. « Mes respects, mon général ! Ah, colonel Groussard, mes respects ! Je suis le lieutenant-colonel Paillole. »
– Enchanté. J’ai eu l’occasion d’entendre parler de vous, mais pas de vous rencontrer. Il faut dire que vous n’êtes pas souvent à Alger…
– Pas plus que vous…

En fait, les deux hommes connaissent fort bien leurs activités réciproques et savent qu’elles ont certains points communs. L’instant est propice pour délimiter avec précision les plates-bandes de chacun et de Gaulle saisit l’occasion.
– Paillole, pouvez-vous me rappeler brièvement comment les renseignements sur ce qui se passe en Métropole nous parviennent, en dehors de ce qui est écrit sur les torchons qu’ils appellent journaux, bien sûr !
– Par trois filières, mon général. Une qui marche bien, mais qui ne couvre qu’un champ limité, une autre qui va lentement s’épuiser et une troisième, sur laquelle nous comptions beaucoup, mais qui ne donne toujours pas grand-chose ! La première passe par la Suisse, où notre attaché militaire adjoint est en bon termes avec le SR helvétique, et il a en plus son propre réseau de l’autre côté du Jura. Ensuite, ses rapports et autres documents arrivent par la valise diplomatique, en transitant par la Yougoslavie. Du classique et du solide ! La deuxième filière est celle des volontaires restés lors du Grand Déménagement, et qui font le voyage personnellement, qui par l’Espagne, qui par l’Angleterre, sur des bateaux de pêcheurs bretons qui eux-mêmes nous rejoignent. Mais ces hommes sont forcément de moins en moins nombreux, il faut les remplacer !
– Et la dernière filière ?
– C’est celle des anciens combattants et des retraités de l’Armée. Enfin, ceux qui sont sûrs, pas ceux qui se sont jetés dans les bras de Laval après la mascarade de Douaumont.
Le Général grimace. Toute allusion à son ancien mentor réveille désagréablement en lui des sentiments aussi intenses que contradictoires. Machinalement, il pioche une nouvelle cigarette dans le paquet de Craven resté sur son bureau.
– Des anciens combattants, des militaires et des patriotes républicains, vous voulez dire !
– Bien sûr, mon Général. Et là, je suis à peu près sûr que l’information est bien collectée, mais elle ne nous arrive pas. On avait laissé un certain nombre de postes émetteurs de la Gendarmerie, dissimulés dans des endroits reculés, mais visiblement, ceux qui savaient s’en servir ont été empêchés, ou le matériel ne fonctionne plus. On n’a jamais réussi à établir le contact de manière durable. De temps en temps, quand même, des bribes nous parviennent, hâtivement regroupées dans des lettres, voire des colis postés en Espagne.
– Et que pensez-vous faire ?
– Pour l’envoi de nouveaux agents, je ne vois qu’une solution : le parachutage ou le bateau depuis l’Angleterre. Ici, on est trop loin. Et pour le parachutage, un sérieux entraînement est nécessaire, sinon, au mieux, on n’aura de renseignements que sur les hôpitaux ! J’en ai parlé à l’Armée de l’Air, mais actuellement, si on ne fournit pas soi-même un avion, ils n’écoutent même pas ! Il y a aussi la solution du sous-marin, mais c’est lourd, il nous faudrait des bateaux spécialement consacrés à ce genre de missions et pour l’instant, le Grand Amiral pense que ce serait du gaspillage, paraît-il.
– De ce côté, ça pourrait s’arranger d’ici quelques semaines, grogne De Gaulle, avant de reprendre : Groussard, pouvez-vous résumer ce que voulez faire dans les prochains mois ?
Le colonel expose brièvement ce qu’il a un peu plus tôt expliqué au ministre. Ce dernier reprend alors la parole.
– Messieurs, veuillez considérer ce que je vais vous dire comme des ordres écrits ! Nous n’avons pas les moyens de tout faire en double, encore moins de nous tirer dans les pattes ! Groussard, vous vous occupez du transport de et vers la France, des communications radio et des évadés. Vous ne mettez pas les pieds dans le Renseignement et si, d’aventure, vous récupérez des informations, vous les passez à Paillole. Paillole, plutôt que d’entraîner des acrobates aériens, vous passez par Groussard pour les amener à pied d’œuvre en bon état. Et accélérez le recrutement pour toutes vos missions, car il faut penser dès maintenant à la suite ! Et surtout, tous les deux, envoyez dare-dare quelqu’un là où ça ne va pas pour comprendre ce qui ne marche pas et y mettre bon ordre. Vous êtes les yeux et les oreilles de la France !
Bien qu’assis, les deux hommes ont un mouvement pour rectifier la position. La réunion est visiblement terminée et De Gaulle y met un point final en empochant le paquet de cigarettes, qu’il juge nettement meilleures que la production locale. L’huissier se réveille juste à temps pour aller chercher le chauffeur du ministre.
« Les deux colonels convinrent de se revoir le lendemain pour mettre sur pied la première opération. Deux jours plus tard, les marins du Rhin étaient payés et tout l’équipage mis à disposition de Groussard.
Le 20 décembre, De Gaulle annonçait à Groussard qu’après réflexion, il préférait éviter les intermédiaires dans la nécessaire concertation avec l’allié britannique et le 26, Groussard s’envolait pour Londres via Gibraltar le lendemain de Noel. Le Général ne s’était pas trompé : pour les coups tordus, un des meilleurs spécialistes britanniques n’était autre que le Premier Ministre lui-même, qui en avait déjà quelques-uns à son actif, dont il est vrai des ratés magistraux ! Les conversations outre-Manche et les dispositions correspondantes purent donc avancer très rapidement. » (Histoire des Services Secrets de la France en Exil, par Jean Daclion, Tallandier éd., Paris, 1990).
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Sam Aoû 15, 2009 07:51    Sujet du message: Répondre en citant

Eh bien, je sens qu'après le remake de "La grande vadrouille", on va avoir celui de "La grande évasion". La suite promet de ne pas être ennuyeuse. La suite, la suite!
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"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
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ladc51



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MessagePosté le: Dim Aoû 16, 2009 12:37    Sujet du message: Répondre en citant

Bravo c'est superbe et ça annonce des suites passionantes !
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Laurent
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