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De l'Agence HAVAS à l'A.F.P. (by Menon-Marec)
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Déc 31, 2008 13:05    Sujet du message: Répondre en citant

Merci, dak, de ces indications érudites.
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Casus Frankie

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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Déc 31, 2008 14:02    Sujet du message: La suite des aventures d'HAVAS Répondre en citant

Toujours par Menon-Marec !

2 août 1940
Alger
00h01 – Pour la première fois, l’agence Havas transmet ses dépêches, par fil et par radio, à partir de son immeuble de la rue d’Isly. Elle sont suivies d’une “note aux abonnés” sans fioritures de Pierre Brossolette : « Les circonstances contraignent Havas à quitter pour quelque temps le territoire métropolitain, comme le Gouvernement français et les Armées de notre pays. Notre agence poursuivra sa mission au service de ses abonnés en usant des deux armes que jamais, nous le jurons tous, elle ne déposera jusqu’à la libération de la France, la liberté et la vérité. »
Ces quatre lignes entrées dans la légende portent, dans la tradition des journalistes français, le nom de “Serment de la rue d’Isly”, ou, parfois, en souriant, de “Nuit du 2 août”.

Marseille
L’évacuation de l’agence Havas s’achève avant l’aurore. Les personnels qui n’ont pas encore pu rejoindre Alger et le matériel sont embarqués en surnombre, au mépris des règles de la sécurité en mer, sur deux cargos déjà surchargés de troupes et d’armes, le Kairouan et le Léonce-Vieljeux. Avant de fermer les bureaux de la Corniche à clef, les techniciens ont détruit le concentrateur à l’explosif – deux pains de mélinite du Génie, achetés près du Vieux Port à un ex-perceur de coffres-forts devenu proxénète – et démonté toutes les lignes.


2 septembre 1940
Alger
Ce lundi matin voit l’apparition, dans les kiosques et aux mains des petits crieurs, de tous les quotidiens repliés de France. L’événement a été annoncé sous embargo par Havas Libre dès la veille au soir, et il sera développé avec abondance par les journaux radiodiffusés de la journée.
Il y a cependant de vrais changements. Pour pallier la confusion que pourrait susciter la distribution par les Allemands de ce que l’on ne nomme pas encore des éditions “pirates”, tant le Matin que l’Écho de Paris portent sous le bandeau l’indication “Édition d’Afrique du Nord réalisée par des journalistes et des imprimeurs libres”.
Le Petit Parisien a opté pour une solution plus radicale. Il a choisi de s’intituler en gras Le Patriote Français, au-dessus d’une mention en plus petits caractères de l’ancien nom du journal. Cette mesure, à laquelle on ne connaît guère de précédents, provoque l’ébahissement des correspondants étrangers, notamment anglo-saxons, qu’elle achève de convaincre de la volonté de résistance de la France et de sa Presse. Attentif aux réactions de l’opinion publique mondiale, Josef Goebbels y fera dans son journal intime une allusion qui montre son agacement.
Henri de Kérillis est resté éditorialiste malgré son maroquin. Il écrit en une de l’Écho de Paris : « Fidèles à nous-mêmes, nous serons plus que jamais à l’écoute des échos de Paris et de toute la France. À notre tour, nous ferons en sorte que Paris et la France perçoivent les échos des combats qui se préparent de ce côté-ci de la Méditerranée. En ces heures tragiques, M. Winston Churchill a donné la consigne à son pays : « Nous ne nous rendrons jamais ». Non seulement nous, Français, avons prouvé que nous ne nous rendrions jamais, mais, mieux encore, nous jurons de ne pas déposer nos armes avant que notre territoire métropolitain n’ait recouvré sa liberté et son indépendance. »
Désormais, Havas Libre diffusera six jours par semaine, à 03h30 GMT, vers toutes ses destinations, une “Revue de la Presse française” rédigée en début de nuit. Elle rencontrera tout de suite le succès, y compris dans les pays où le pouvoir (comme en Espagne) ou l’opinion publique (comme dans le cône sud du continent américain) ne sont pas spontanément favorables aux Alliés en général et à la France en particulier.


22 septembre 1940
Beyrouth
L’Orient se proclame le plus influent des journaux francophones du Levant. C’est en tout cas l’un des mieux informés. Il publie en première page un éditorial en termes vifs, non signé – mais écrit, d’évidence, par son directeur Georges Naccache – pour reprocher au Statut de la Presse de Jean Zay, qui n’a cependant pas été rendu public, de négliger la Presse de l’Empire : « Une fois de plus, le Pouvoir français démontre son indifférence, pour ne pas dire son mépris, à ceux qu’il tient pour ses sujets. Une fois de plus, nous répèterons que nous ne voyons d’avenir, pour ce qui nous concerne, que dans une indépendance immédiate du Liban et de la Syrie. »
Ce texte est pris très au sérieux par le haut-commissariat où l’on s’empresse aussitôt de le transmettre, non sans commentaires, à Alger. Le ministre de l’Information va se dépêcher, lui, de faire savoir outremer, par des voies aussi discrètes que sûres, que les dispositions qu’il a retenues pour les journaux et magazines d’AFN s’appliquent, avec les adaptations adéquates aux conditions locales, à ceux de toutes les colonies et protectorats.


1er octobre 1940
Lyon
Malgré les sollicitations de Pierre Laval et son insistance, la direction du Temps, non sans avoir hésité et consulté de plusieurs côtés – y compris le cardinal primat des Gaules, les dirigeants de la presse lyonnaise, divers consuls étrangers et un homme de mauvaise mine qui s’affirme l’agent officieux du 2e Bureau d’Alger – décide de ne pas regagner Paris et, jusqu’à nouvel ordre, de demeurer “entre Saône et Rhône”. Elle accepte cependant de recevoir des subsides sur les fonds secrets du Nouvel Etat Français pour compenser la baisse de la publicité, et ne refuse pas une allocation de papier exceptionnelle qui lui permettra de tirer tous les jours sur seize pages.
Le quotidien sera acheminé sur la capitale par train postal à 14 heures, dès sa sortie de l’imprimerie, et disponible à Paris en kiosque le lendemain matin, sauf les jours de caviardage.


8 octobre 1940
Alger
Sous l’égide de Jean Zay, un protocole d’accord est signé entre les trois syndicats des entreprises de Presse d’Afrique du Nord et l’association des quotidien repliés de Métropole. Il prévoit que les journaux d’AFN (et de l’Empire en général) mettront gratuitement les photos prises par leurs reporters à la disposition des quotidiens nationaux. En échange, toujours à titre gracieux, ces derniers vont autoriser leurs confrères d’AFN (et de l’Empire) à commander des papiers à leurs chroniqueurs spécialisés et à leurs correspondants à l’Étranger et dans l’Empire.


10 octobre 1940
Paris
Pierre Laval remanie à sa convenance l’organigramme de la radiodiffusion française. Rebaptisée Radio Nationale de France avec majuscules, l’entreprise réunit les postes régionaux. Elle sera dirigée par un ancien communiste, Paul Marion, qui a suivi Doriot au PPF. Philippe Henriot, ancien député de la Droite extrême, devient éditorialiste : polémiste au talent redoutable, orateur né, il sera redouté d’Alger.
Le savant Georges Claude, qui s’est égaré dans la politique, reçoit le titre honorifique de président du Comité scientifique de la Radioélectricité - ce qui le conduira cependant à se rendre à Berlin pour négocier avec les Allemands l’acquisition d’un émetteur ondes longues pour remplacer les installations d’Allouis.


11 octobre 1940
Paris
Havas-OFI n’a pas tardé à révéler son vrai visage. Son service ne dépasse jamais une soixantaine de dépêches – contre plusieurs centaines pour le service d’Havas Libre – et il est évident que les nouvelles de l’Étranger sont, pour l’essentiel, fournies par le DNB allemand. À leur style, on discerne qu’elles ont été laborieusement traduites sous le regard de la censure. Les nouvelles de France, elles, se signalent surtout par leur manque d’intérêt et un conformisme de bulletin paroissial, sauf pour clamer la haine du pouvoir et de ses partisans à l’encontre des Juifs et des francs-maçons.
Chaque jour, à 17h30, Havas-OFI diffuse les consignes du ministère de l’Information – autrement dit les directives de Pierre Laval puisqu’il s’est également réservé ce portefeuille. Ces “recommandations” – c’est devenu le terme officiel – donnent un choix de deux ou trois manchettes pour la une, imposent les sujets et les photos et indiquent sur quel ton il va falloir traiter telle nouvelle. « La liberté de la Presse, c’est ma liberté de décider pour elle » ricane celui que certains n’appellent plus que Bougnaparte.


22 novembre 1941
Alger
Jean Zay est l’un des rares hommes politiques français à avoir su, dès avant la guerre, analyser pour les démystifier les méthodes et les procédés de Josef Goebbels. Durant la Drôle de Guerre, puis pendant la Campagne de France, il a été frappé par la médiocrité, sinon la pauvreté, des actualités françaises. Par ailleurs, il est aussi animé par le souci de contribuer à la naissance en AFN d’une « animation culturelle de transition » (l’expression, peut-être de Max-Pol Fouchet, figure dans le “Journal” d’André Gide). Cette « animation » se veut libre des compromissions voire des bassesses et des faux-semblants de la culture poudre-aux-yeux que le gouvernement Laval, à Paris et dans les grandes villes de Province, a commencé à mettre en scène au nom de la soi-disant “tradition française”, avec les encouragements de l’Occupant : « Ce décervelage à la Ubu qui a les suffrages, par perversion ou naïveté, de tant de thuriféraires » écrit Jean Zay.
En Conseil des Ministres, il a fait adopter sans trop de difficultés par le gouvernement le décret de création d’un Centre Culturel du Cinéma, qui reçoit une triple mission : réaliser des bandes d’actualités d’un aussi bon niveau formel que le Wochenschau allemand, créer une industrie cinématographique d’Afrique du Nord capable de prendre le relais des productions de Métropole et maintenir par toutes les voies imaginables les contacts avec les gens de cinéma – toutes catégories professionnelles confondues – demeurés de l’autre côté de la Méditerranée, en particulier s’ils sont privés de leur travail par la législation raciale. Les circulaires d’application publiées ce 22 novembre soulignent qu’il ne faudra pas hésiter à rechercher des coproductions avec la Grande-Bretagne et même avec les États-Unis, où se trouvent plusieurs cinéastes, scénaristes, décorateurs et compositeurs de renom, français appelés par les grands studios, ou Allemands, Autrichiens ou Tchèques réfugiés en France avant septembre 1939 et qui sont parvenus à s’exiler à Hollywood.
Zay confie la direction du Centre à un producteur et scénariste respecté mais encore jeune, Roger Leenhardt, proche d’Emmanuel Mounier. Au prix d’un travail acharné, Leenhardt saura faire surgir de terre, en quelque six mois, des studios, aussi modernes que ceux de la Victorine de Nice, à Rocher-Noir , une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Alger. Leenhardt, qui a débuté en filmant le quotidien pour Éclair-Journal, sera assisté d’un autre producteur, encore plus jeune que lui, Alexandre Mnouchkine.
Un trio composé de Marcel Lherbier, Julien Duvivier et Jean Delannoy, dont personne ne discute les compétences si leurs esthétiques respectives ne sont pas goûtées de tous, va se charger du secteur de la fiction. À moins de trente ans, René Clément dirigera la branche des documentaires.
Marcel Ichac, la trentaine à peine, reçoit mission de diriger les tournages et le montage des actualités – qui deviennent, grâce à la fusion des filiales de Pathé-Journal, de Gaumont et d’Éclair-Journal en AFN – les Actualités Françaises Libres, société d’économie mixte dont la gestion est confiée à un ingénieur des PTT débutant, Maurice Lauré, qui espère accéder un jour à l’Inspection des Finances [Devenu, comme il l'espérait, inspecteur des Finances après la guerre, Maurice Lauré accèdera, pour ainsi dire, à l'immortalité en inventant la TVA.]. Il aura pour adjoint Jean-Paul Dreyfus (qui se fait appeler Le Chanois afin de tenter de protéger les siens restés dans la capitale). Jacques Canetti, qui se spécialisera plus tard dans la musique, veille à la diffusion dans le monde entier, dans les pays neutres d’Europe et d’Amérique latine, d’abord, et aux États-Unis. Canetti n’hésite jamais – « au nom de la Patrie » dit-il sans plaisanter – à attribuer aux distributeurs des enveloppes garnies qui mettront de l’huile dans les rouages et amélioreront la place accordée dans leurs salles aux Actualités Françaises Libres.
Le Centre est d’abord considéré avec quelque méfiance. Toujours prompt à dénoncer la mainmise des “totalitaires” sur la Culture, André Malraux, que l’indulgence n’embarrassera jamais, le baptisera “Comité Central du Cinéma” et affublera son patron du sobriquet de Willy Leenhardt [Allusion à Willy Münzenberg, l’un des fondateurs du Parti communiste allemand, et, durant les années 30, sans doute le meilleur agent d'influence du Komintern dans les milieux intellectuels des démocraties occidentales. ]. Mais chacun finira par s’y rallier. Une cinquantaine de longs métrages de fiction et autant de documentaires seront produits grâce aux crédits du CCC. Malraux lui-même aura, fin 1941, le projet de mettre en images aux studios de Rocher-Noir le scénario qu’il a extrait de ses “Noyers de l’Altenburg”, avec Jean-Pierre Aumont pour vedette. Jean Delannoy écrira dans ses Souvenirs avec une pointe d’ironie : « Les initiales CCC nous avaient, sans aucun doute, protégés des orages [La marque d’imperméables et manteaux de pluie CCC (Comptoir Central du Caoutchouc) a connu une réelle popularité avant et après la guerre grâce au slogan inventé, dit-on, par Marcel Bleustein-Blanchet lui-même : « Sur un imperméable CCC, la pluie frappe sans entrer ».] ».
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Casus Frankie

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Cornelis



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MessagePosté le: Mer Déc 31, 2008 14:42    Sujet du message: Répondre en citant

C'est très fort J'adore surtout le
Code:
deux pains de mélinite du Génie, achetés près du Vieux Port à un ex-perceur de coffres-forts devenu proxénète
si vrai et si évocateur.

L'année se finit bien !
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Jan 20, 2009 21:25    Sujet du message: Menon-Marec a encore frappé Répondre en citant

6 février 1941
Madrid
Pierre Brossolette signe un accord de coopération entre agences avec Ramón Serrano Súñer, qu’on surnomme el cuñadísimo [Le beau-frèrissime, en raison de son lien de parenté (ils ont épousé les sœurs Carmen et Zita Polo) avec Franco, el generalísimo.], ministre des Affaires étrangères du régime franquiste (et ancien ministre de l’Information et de la Propagande), et avec Manuel Aznar Zubigaray, le patron de l’agence espagnole EFE, en présence de l’ambassadeur François-Poncet.
Aux termes de ce texte, dont chaque mot a été soupesé par les deux parties durant de longues semaines, EFE recevra par fil le service Europe d’Havas Libre et pourra l’utiliser ad libitum dans son service étranger, Mundo especial. L’abonnement annuel est fixé pour 1941 à l’équivalent en monnaie fiduciaire de 1 500 pesetas/or (monnaie de compte seulement). En échange, EFE fournira gratuitement son service intérieur, España Uno [España Dos regroupe les cours des bourses de Madrid et Barcelone, les résultats des courses, les comptes-rendus des corridas, etc.], au bureau madrilène d’Havas Libre (deux journalistes français et deux journalistes espagnols), qui aura la faculté d’y recourir pour la rédaction de ses propres dépêches.
De plus, Havas Libre s’engage à entreprendre toutes démarches utiles pour qu’EFE puisse accréditer un correspondant à Rabat et ouvrir un bureau à Alger. Une clause, négociée entre le Caudillo lui-même et François-Poncet, prévoit qu’Havas Libre renonce à réclamer aux Espagnols le retrait de l’accréditation du correspondant de l’OFI de Laval. En contrepartie, EFE se limitera désormais à la mention EFE/OFI – et non plus EFE/Havas-OFI – dans le dateline [Le dateline (en franglais dans le texte) d’une dépêche d’agence indique sa date et son origine. Il est quelquefois complété par un byline (autre franglais) qui précise le nom de son auteur.] de ses nouvelles.
Le gouvernement d’Alger a hésité avant d’autoriser la conclusion de cet accord suggéré dès novembre 1940 par Serrano Súñer : le franquisme, qui sait sa position internationale fragile, craint pour le maintien de sa présence au Maroc et n’en finit pas de solliciter des marques de reconnaissance. Mais Roland de Margerie et Jean Zay sont parvenus in fine à convaincre leurs collègues qu’il est de l’intérêt de la France et des Alliés d’entrer – les yeux ouverts, s’entend – dans le jeu d’équilibrisme pratiqué par l’Espagne, voire de le favoriser avec prudence. « Aujourd’hui, tout ce qui peut contribuer à éloigner les dirigeants espagnols de l’Axe et à les rapprocher de nous est bon à prendre » a souligné Margerie.


8 février 1941
Paris
L’essayiste Thierry Maulnier écrit très confidentiellement à Charles Maurras pour lui annoncer qu’il renonce à sa collaboration à l’Action Française.
« Je ne souhaite donner nulle publicité à ce départ d’un journal que j’ai beaucoup aimé, ni faire étalage de nos désaccords, affirme-t-il. Mais vous comprendrez sans doute que je ne puis davantage voir mon nom figurer dans des colonnes où l’on en est venu à donner un blanc-seing à l’ennemi sous couleur de combattre la Gueuse. Le cœur de la Patrie, je le constate, bat aujourd’hui à Alger, serait-ce sous la défroque lie-de-vin de la République, plus à Paris. »


11 février 1941
Alger
Paul Reynaud fait voter par l’Assemblée nationale, avec seulement quatre voix contre et six abstentions, le projet de loi portant “confiscation de droit” des journaux parisiens qui auraient continué de paraître sur le territoire métropolitain après le 31 août 1940. Ce texte, qui ne comporte que quatre articles, d’une douzaine de lignes au total, fait droit aux exigences de Georges Mandel et vise aussi le Temps.
Jean Zay, pour sa part, a fait stipuler à l’article 4 que « les biens meubles et immeubles des journaux confisqués, inclus leurs imprimeries et leurs stocks de consommables (papier, encre, etc.), pourront être attribués par le Gouvernement, à titre gratuit, aux organes de Presse issus des mouvements qui auront combattu l’occupant et l’autorité de fait [L’expression « l’autorité de fait » est la seule employée dans les textes législatifs et réglementaires d’Alger, ainsi que dans la presse libre, y compris Havas et les journaux radiodiffusés, pour désigner le Nouvel État Français. Une “note d’orientation” de Jean Zay a imposé cette formulation dès septembre 1940.] ». Cette disposition, discutée en Conseil des Ministres, a été approuvée à l’unanimité par le Gouvernement, avec l’accord explicite d’Albert Lebrun.


15 février
Paris
Lucien Rebatet, qui signait depuis sa démobilisation dans le Cri du Peuple de Jacques Doriot, reprend sa collaboration, sous son propre nom, à Je Suis Partout. Il y conserve son pseudonyme de François Vinneuil pour des articles de critique sur la musique, où il défend la tradition germanique de Bach à Brahms, et le cinéma.
Personne, sauf parmi ses proches, ne sait qu’il a entrepris un pamphlet d’une virulence inouïe, Les Décombres, à l’encontre des « fauteurs de guerre » de la IIIe République, juifs avant tout, et des « cadavres ambulants » ralliés à Pierre Laval.


17 février 1941
Alger
Roland de Margerie fait circuler parmi ses principaux collègues un “commentaire” de François Charles-Roux, secrétaire général des Affaires étrangères, pour répondre à la note du général de Gaulle sur la nécessité de promouvoir un journal “de référence” qui défendrait la position officielle du gouvernement français.
Dans une prose très balancée, Charles-Roux commence par approuver la démarche du général, en souhaitant qu’un tel quotidien apparaisse au plus vite. « Toutefois, ajoute-t-il, il me paraîtrait expédient de renoncer à faire de ce journal – pour sa colonne de politique étrangère, au moins – le porte-parole officieux du Département, comme c’était encore le cas, jusqu’en juin de l’an dernier, du Temps. J’avoue éprouver quelque chagrin à porter la critique contre un usage presque séculaire, mais il me faut reconnaître que la France a souvent été plus embarrassée qu’aidée par ce que le monde entier considérait comme sa voix officielle. »
Charles-Roux conclut : « Que l’on accepte enfin ce paradoxe, quelque étonnement qu’il puisse susciter de prime abord : seule l’indépendance de ce journal à venir nous garantira qu’il saura refléter fidèlement nos points de vue. »


22 février 1941
Genève
Havas Libre réorganise son implantation en Suisse en renforçant les effectifs de son bureau de Genève, qui passent à trois journalistes, plus deux secrétaires et deux opérateurs [En 1940, dans le jargon des agences de presse, les opérateurs sont les techniciens qui assurent la transmission des dépêches et notes de service en punchant (du franglais encore et toujours : en faisant des trous, selon le code ASCII, grâce au clavier de la perforatrice) la bande de papier lue par le téléscripteur d’émission.]. Il s’agit de mieux prendre en compte la formidable caisse de résonance qu’est devenue la ville de Calvin, siège du Comité International de la Croix Rouge et de la Ligue des Sociétés de Croix Rouge, depuis le début de la guerre. D’autre part, si la Société des Nations a été, par la force des choses, mise en sommeil, elle n’en demeure pas moins le vivier de diplomates d’obédience variée, souvent à vendre, d’agents de renseignement et d’influence, et d’espions de tous poils. Outre que la plupart des gouvernements continuent à l’alimenter en statistiques et données de toutes sortes – y compris même l’Allemagne nazie, par l’une de ces incohérences dont la Wilhelmstraße de Ribbentrop n’est pas avare, ses alliés plus ou moins fantoches comme la Slovaquie de Mgr Tiso, et l’Italie fasciste, puisque le Duce, malgré le mauvais souvenir de 1936, tient à garder deux fers au feu.
Par ailleurs, la Presse genevoise reste très en pointe sur l’actualité en France ; cette presse est très majoritairement conservatrice (le Journal de Genève se veut l’organe officieux du Parti libéral, tandis que la Tribune de Genève défend les thèses du Parti radical), mais aussi antinazie que le permet la neutralité – et davantage encore quelquefois, au grand dam du Palais fédéral. Enfin, le rédacteur en chef du Journal de Genève, René Payot, également chroniqueur très écouté de Radio Sottens, est demeuré, en dépit de la guerre, l’un des hommes les mieux informés d’Europe grâce à des relations d’une variété peu commune (qu’il continue, chaque lundi matin, de cultiver en jouant au golf, sur les fairways de Cologny, avec des partenaires de toutes obédiences).
Le bureau de Berne d’Havas Libre ne comptera plus que deux journalistes, accrédités tous deux auprès du Conseil Fédéral et bien introduits au Département politique. En outre, Jean d’Abriès, le directeur d’Havas pour la Suisse – « et le Liechtenstein » comme il tient toujours à le souligner avec le sourire – a obtenu, par l’entremise de Bernard Barbey , d’être accrédité au PC du général Guisan, chef de l’armée helvétique depuis septembre 1939 et qui incarne, non sans quelques errements parfois, la volonté de défense de la Suisse face à quiconque.
Pierre Brossolette a fait augmenter les piges mensuelles versées aux stringers de Bâle, Zurich et Lugano. Ils seraient aux premières loges si le Reich et l’Italie décidaient de violer les frontières de la Confédération.


27 février 1941
Paris
Pierre Laval tient toujours à rappeler son passé d’homme de gauche et le siège conquis à Aubervilliers, dans une commune ouvrière. Mais, en sa qualité de ministre de l’Information, il a fait saisir L’Œuvre, en raison de l’éditorial de Marcel Déat dénonçant « l’absence de social » dans la politique au jour le jour du pouvoir.
Dans son style châtié, qui sert de paravent à la violence de ses idées, Déat s’en prenait « au retour des trusts, qui sortent des placards les fantômes d’un capitalisme à bout de souffle ». Il réclamait, suivant le modèle de l’Espagne, l’avènement d’un national-syndicalisme « qui seul pourra réconcilier, dans la France à reconstruire chaque matin, celui qui travaille et celui qui lui fournit du travail ». Il précisait : « Je dis bien national-syndicalisme, non corporatisme » [Fondées en 1931 par Ramiro Ledesma Ramos, les Juntes d’Offensive National-Syndicalistes (JONS) se sont intégrées à la Phalange de José Antonio Primo de Rivera en 1934. Malgré les réticences de l’Église, qui respirait là comme un fumet de garibaldisme – autant dire une odeur de soufre – elles sont demeurées partie intégrante du Movimiento jusqu’à la fin du franquisme. Ledesma Ramos a été fusillé par les Républicains en 1936.].
« Nos anciens criaient Vive la Sociale ! face aux baïonnettes des soldats qui réprimaient leurs grèves. Comme ils avaient raison ! Disons, et redisons-le sans nous lasser, que le Nouvel État Français, national tant qu’on voudra, sera d’abord social ou ne sera pas » concluait Déat.


5 mars 1941
Alger
Jean Zay réunit au ministère de l’Information les directeurs et les rédacteurs en chef des journaux et magazines publiés en AFN avec le vice-amiral d’Urvoy de Portzamparc, chef du 6e Bureau au GQG et à ce titre responsable des problèmes de presse et de censure. Le capitaine Rémy Roure, chargé de la rédaction du communiqué quotidien, que l’on sait proche du ministre de la Défense, le général de Gaulle, assiste à la réunion. Il s’agit explicitement de trouver les bases d’un gentlemen’s agreement qui permette de concilier les exigences de la liberté d’informer, composante fondamentale des combats pour la liberté que les démocraties mènent contre les dictatures, avec la préservation des secrets militaires et les nécessités de la guerre.
Les leçons de 14-18, oubliées en septembre 1939 du fait des inhibitions du haut commandement et de l’inconscience de Jean Giraudoux, sont cette fois prises en compte par tous, dans un esprit de bonne volonté de part et d’autre qui en surprend plus d’un. On pourrait croire que Jules Romain, apôtre de l’unanimisme, a fait des adeptes à Alger. En moins de quatre heures, outre une pause café, on se met d’accord sur quatre principes.
1) La Presse, écrite ou radiophonique, peut aborder tous les sujets, à l’exception de ceux que les directives biquotidiennes du ministère de l’Information proscrivent précisément.
2) Havas Libre peut diffuser, dans certains cas, des dépêches portant sur des sujets prohibés, afin de fournir un éclairage à ses abonnés. Ces dépêches-là porteront, au début et à la fin, la mention “Embargo absolu - Reproduction interdite”. Tout manquement sera sanctionné, avant même l’intervention de la Justice, par un emprisonnement automatique de trois mois, 50 000 francs d’amende et une interdiction de paraître de deux mois au moins. « Je serai sans pitié » a prévenu Jean Zay.
3) Les journaux et la radio s’engagent à ne pas diffuser de précisions qui pourraient aider l’ennemi dans ses opérations. Ils ne citeront jamais le numéro des unités engagées, ni selon quel dispositif. Exemple: on écrira ou on dira des chasseurs alpins, non les chasseurs alpins du 7e bataillon qui fait partie de la 3e demi-brigade. Autre exemple : les troupes du général X, non la division d’infanterie marocaine que commande le général X. On respectera un schéma analogue pour les événements navals et/ou aériens.
4) Outre le sacro-saint Communiqué, le GQG organisera à intervalles réguliers des points de presse ouverts aux journalistes français, alliés et “sympathisants” [La définition des sympathisants est, volontairement ou non, laissée dans le flou. Dans la pratique,elle s’applique exclusivement aux journalistes américains. Les représentants des autres pays neutres ont droit à des briefings distincts, plus édulcorés sans doute.]. Les règles énumérées ci-dessus s’appliqueront à tous.
L’avenir démontrera que cette charte, inspirée de l’exemple britannique, contribuera à asseoir la crédibilité des journaux et de la radio de la France Combattante sur l’autre rive de la Méditerranée. En sens inverse, les études d’opinion réalisées pour le gouvernement de Pierre Laval démontrent que le public de la Métropole n’accorde pas foi aux informations de ses journaux et de ses radios.


10 mars 1941
Paris
Le tirage de Paris-Soir, publié sous l’œil des occupants qui ont nommé directeur un ancien garçon d’ascenseur alsacien, Pierre Schiessle (que sa rédaction a vite surnommé Pierre Scheise ), s’établissait à quelque 940 000 exemplaires par jour en novembre 1940 avec un taux de bouillon [Le bouillon d’un journal ou d’un magazine désigne les exemplaires invendus. D’une publication qui ne se vend pas, on dira qu’elle bouillonne.] inférieur à 20 %. Faute de lecteurs, Paris-Soir, le plus lu de tous les quotidiens de la capitale avant 1939, ne tire déjà plus qu’à 550 000 exemplaires et le taux de bouillon, en calculant au plus juste, dépasse les 35 %.
Ces chiffres provoquent l’inquiétude, si ce n’est la panique, de l’Oberleutnant Weber, en charge du département de la Presse à la Propaganda Staffel, qui redoute d’être rappelé à Berlin ou même d’être affecté à une unité combattante en Corse ou dans les Balkans. Ils doivent bien sûr demeurer confidentiels, mais ils vont parvenir à Alger grâce à des journalistes et des étudiants qui préparent, sous le masque de leurs activités dans la presse de la Collaboration ou à la Sorbonne, le lancement d’une publication clandestine dont ils cherchent encore le nom. « Ces messieurs de Paris-Soir devraient demander à Goebbels de les subventionner, plaisantera Jean Zay. Nous, nous les aurions aidés. Ils ont raté le coche. »


17 mars 1941
Berne
Un communiqué du Département fédéral de Justice et Police annonce l’expulsion, pour “service de renseignements prohibé” – selon la formulation, mal traduite de l’allemand, de la législation helvétique – de Luc Teilhet [Luc Teilhet, journaliste de l’agence Havas depuis juin 1934, avait appartenu au francisme de Marcel Bucard. Lieutenant de réserve de l’Armée française, il trouvera la mort en 1943, en Russie, sous l’uniforme allemand. Le dossier monté à son encontre par la police fédérale suisse (Bupo), chargée du contre-espionnage, démontrait qu’il travaillait davantage pour le compte de l’Abwehr que pour Havas-OFI.], correspondant en Suisse d’Havas-OFI.
Cette décision met fin à une fiction entretenue par les autorités suisses depuis l’automne 1940, qui attribuait à Teilhet la même appartenance professionnelle qu’aux cinq journalistes d’Havas Libre. Avantage de la fable : elle permettait à la presse suisse d’être représentée sans souci de réciprocité aussi bien à Paris, notamment par un correspondant de la Neue Zürcher Zeitung et un du Tages Anzeiger, outre le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne et le Nouvelliste du Valais, qu’à Alger, où près d’une vingtaine de correspondants helvétiques ont été accrédités par le ministère de l’Information, sur avis conforme des Affaires étrangères.


22 mars 1941
Boston
Chargement, avec plus de neuf semaines de retard sur les prévisions, des éléments de l’émetteur de Tipasa fabriqués par la General Electric à bord de deux cargos, le MS Marvin L. Fishman et le MS Pride of Milwaukee. Ces deux navires, qui appartiennent à la Great Lakes and Ocean Shipping Co. implantée à Savannah, ont été nolisés par la Compagnie Générale Transatlantique aux termes d’un compromis conclu, très laborieusement, entre l’ambassade de France à Washington et le US Department of Commerce : puisqu’il ne s’agit pas d’armements à proprement parler, la clause Cash and Carry du Neutrality Act ne s’applique pas, mais dans la mesure où Casablanca, port de destination, se trouve dans l’une des zones de guerre définies par la Maison Blanche, les risques encourus par les cargos et leurs équipages doivent être pris en charge par la France. Le Marvin L. Fishman et le Pride of Milwaukee feront d’abord route vers New York. Il s’y intègreront à un convoi de dix-sept navires, plus leur escorte, tous destinés à l’Afrique du Nord, qui doivent appareiller le 30 mars.
Selon la General Electric, les processus de fabrication des lampes des deux émetteurs – ondes longues et ondes courtes – se sont révélés bien plus complexes que prévu en raison de la présence d’un système original de refroidissement par eau intégré aux ampoules proprement dites et à leurs culots.


24 mars 1941
Paris
Sous l’égide d’Otto Abetz et de Pierre Laval, l’Illustration et Signal concluent deux accords portant, l’un sur l’échange de photos, l’autre sur l’échange de textes. Cette entente, approuvée par Josef Goebbels, entrera en vigueur dès le 1er avril. Un dîner de gala est organisé le soir même à la Tour d’Argent pour célébrer l’amitié franco-allemande, autour d’un canard au sang arrosé d’un pommard “Les Chaponnières” de 1929.


26 mars 1941
Tokyo
Félix Lobeau, chef du bureau d’Havas Libre au Japon, signale à Pierre Brossolette, par lettre confidentielle acheminée “par la voie habituelle” [Pour des raisons de confidentialité, ou simplement pour avoir l’assurance de l’acheminement, Havas recourt par tradition, en accord avec le Quai d’Orsay, à la valise diplomatique pour la plupart des échanges de courrier entre le Siège et les bureaux de l’Étranger. Chez Havas, on parle de “la voie habituelle”.], que la Presse nipponne paraît avoir reçu la consigne de ne plus utiliser les dépêches envoyées par Alger.
« Je remarque depuis une dizaine de jours que notre service, repris normalement dans celui de l’agence Jiji, est par contre absent de tous les quotidiens, écrit Lobeau. Je ne vois plus une seule reprise de nos nouvelles, même dans les journaux qui, d’habitude, nous utilisent de préférence aux agences anglo-saxonnes et toujours au DNB, tels l’Asahi Shimbun ou le Nihon Kenzai. À mon sens, il fait peu de doute que nous nous heurtons ici à une consigne officielle liée à la montée de la tension en Indochine. »
Pour sa part, l’ambassade va plus loin. Elle estime, dans un télégramme expédié à la Rue Michelet le même jour, que la disparition systématique des nouvelles d’Havas Libre dans la Presse japonaise prélude très probablement à un coup de force des militaires nippons (ou de leurs pions thaïlandais) contre la France en Asie.


2 avril 1941
Paris – Ambassade d’Allemagne
Otto Abetz, au détour de l’une des fastueuses réceptions offertes par l’ambassade au gratin parisien, annonce à Pierre Laval et à Simon Arbellot que le Reich a jugé contraire aux dispositions de l’armistice du 20 août 1940 tout accord entre Havas-OFI, qui avait sollicité la possibilité de se réabonner à Associated Press et à United Press, et ces agences américaines.
En outre, le Reich n’estime pas possible d’autoriser Havas-OFI à envoyer de nouveaux correspondants hors de France, que ce soit dans les pays neutres ou chez les alliés de l’Allemagne. Qui plus est, Havas-OFI devra dans les meilleurs délais rapatrier les trois correspondants maintenus jusqu’alors à Madrid, Stockholm et Lisbonne et dont la censure allemande caviarde d’ailleurs systématiquement tous les envois. Il est vrai que certains rapports de l’Abwehr accusent ces journalistes de collusion avec le 2e Bureau ou – pire ! – avec Havas Libre.
Dorénavant, Havas-OFI dépendra exclusivement du DNB allemand pour tout ce qui concerne l’actualité hors de France, si l’on excepte le dépouillement, forcément tardif, des rares journaux étrangers qui parviennent encore à Paris.


7 avril 1941
Londres
Première mise en ondes dans les studios de la BBC, à Bush House, du canevas d’une émission “noire” destinée aux forces allemandes d’occupation en France et en Wallonie. Cet essai “à blanc”, sans diffusion, sera suivi les jours suivants d’une répétition du programme destiné aux unités de la Wehrmacht stationnées en Flandres et aux Pays-Bas. On affirmera, pour brouiller les cartes, que l’émetteur est situé “quelque part dans le Grand-Duché” – ce qui devrait donner des sueurs froides à ces messieurs de la Gestapo.
Pierre Bourdan et Sefton Delmer prévoient de procéder aux réglages et aux mises au point durant le restant du mois d’avril et de commencer la diffusion proprement dite au cours de la première semaine de mai. Il reste aussi à compléter l’équipe recrutée, pour l’essentiel, dans les milieux juifs de l’émigration allemande et autrichienne en Grande Bretagne.
Les programmes prévus pour les troupes italiennes, nettement moins avancés dans leur préparation, ne devraient pas débuter avant l’été.


11 avril 1941
Stockholm
On apprend, comme pour confirmer les rapports de l’Abwehr, que le correspondant d’Havas-OFI en Suède, Pierre Kariew [D’origine russe par son père et polonaise par sa mère, arrivé en France en 1921, Pierre (Piotr Alexandrovitch) Kariew, ancien de Sciences Po, capitaine de réserve, sera affecté en août 1941 à la 13e DBLE. Il participera à toutes les campagnes de son unité jusqu’à la fin de la guerre.], a rejoint le bureau d’Havas Libre dirigé par le correspondant en chef pour les pays scandinaves et la Finlande, Louis Ronzier, au lieu de rentrer à Paris.
Estimant cette situation gênante pour la politique de neutralité et d’équilibre entre les Alliés et l’Axe qu’il mène depuis 1939, avec d’autant plus de difficulté qu’il a pris parti contre les Soviétiques, aujourd’hui plus ou moins alliés aux Allemands, pendant la guerre d’hiver russo-finlandaise, le gouvernement suédois décide in fine de l’expulser. Il est emmené entre deux policiers, sans autre forme de procès, à bord d’un cargo portugais, le MS Cabinda, en partance pour Porto et dont le capitaine a accepté, sans enthousiasme, de l’embarquer comme passager surnuméraire. Le Cabinda doit (par hasard…) faire escale dans les docks de Londres pour y prendre un chargement de whisky qui sera réexporté vers le Mozambique et l’Angola.


15 avril 1941
Saïgon
Le chef d’escale d’Air France avertit Alger par téléscripteur que l’avion de la liaison hebdomadaire, un Dewoitine 338, n’a plus donné de nouvelles une heure après avoir décollé de l’escale de Kuala Lumpur [L’épave du Dewoitine ne sera jamais retrouvée. On suppose que l’avion a été abattu par la chasse thaïlandaise.]. À bord se trouvaient plusieurs personnalités d’Indochine civiles et militaires et un journaliste d’Havas Libre, Philippe Louis, envoyé en renfort du bureau de Saigon pour faire face au surcroît de travail provoqué par l’affrontement franco-thaïlandais.


18 avril 1941
Rio de Janeiro
Alors qu’il s’est installé depuis peu dans une maison du chemin de la Croix-des-Âmes, sur les hauteurs de la capitale du Brésil, Georges Bernanos décide de quitter ce pays où il était venu en 1938 et de rejoindre l’Afrique du Nord.
Il s’en explique dans un article destiné au Figaro : « Je ne puis, ni ne veux, me vautrer dans le confort intellectuel que m’offre l’Amérique latine, si fraternelle aux exilés mais si loin de la guerre, à l’heure où la France se bat pour sa survie. Au moment, veux-je dire, que la lutte suprême s’est engagée entre le paganisme nazi (car les nazis – quoi qu’en voudraient pouvoir nous persuader certains au Vatican, qui approuvaient déjà les crimes commis en 1936 au nom du Christ-Roi par les phalangistes – ne sont que des païens) et les plus hautes valeurs de notre christianisme. Entendez : de la civilisation. »
Dans ce même texte, il ajoute : « Je n’ai plus la force, à mon âge et souffrant encore de mes blessures de 14-18, d’aller sur les champs de bataille, le fusil à la main et la baïonnette au canon, participer à la boucherie sacrée. D’ailleurs, quelle commission médicale ne rejetterait pas, avec des gros rires de moquerie, le vieillard qu’elle distinguerait en moi ? Mais je mets au service de la Patrie, pour la défense et l’illustration de l’honneur du nom français, ma plume et le peu d’audience que quelques-uns, ici et là, veulent bien m’accorder. Chacun, à son créneau et selon ses moyens, se doit de servir. »
La conclusion de Bernanos ne suscitera la surprise que de ceux qui ignorent sa passion de la vérité, quelle qu’elle soit, et fût-elle, d’aventure, à son détriment : « Édouard Drumont, j’en suis convaincu – je ne parle ici que du vrai Drumont des combats de notre jeunesse, que j’ai raconté à ceux qui ne l’ont pas connu, ou qui l’ont méconnu, dans ma Grande Peur des Bien-pensants, mais pas de celui dont des imposteurs ont donné le nom a une avenue de Paris pour mieux s’annexer sa pensée – m’aurait approuvé. » [Le nom d’Édouard Drumont a été donné en janvier 1941 à l’avenue reliant, à travers le jardin des Tuileries, le Pont Royal à la rue de Rivoli. C’est aujourd’hui l’avenue du Général-Lemonnier après avoir été, en un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître, l’avenue Paul-Déroulède.]


20 avril 1941
Casablanca
Douze des dix-sept cargos composant le convoi NA 37 font leur entrée dans le port de Casablanca. Ils transportent pour la plupart des cargaisons de matériel militaire, notamment des camions PKD pour lesquels une chaîne de montage a été installée sur les quais même de la rade. Quant au Marvin L. Fishman et au Pride of Milwaukee, ils débarquent, outre les éléments destinés à la construction de l’émetteur de Tipasa, des chargements de produits alimentaires, en particulier de l’huile et du sucre, dont la population marocaine commence à manquer depuis la fin de l’hiver, et des bobines de ficelle lieuse – dont toute l’Afrique du nord est dépourvue – en vue des prochaines récoltes.
La traversée s’est déroulée sans encombre, si l’on excepte un mauvais temps tenace et quatre alertes sans suite aux U-Boote. Les cinq autres navires du convoi, deux bananiers, deux pétroliers remplis d’essence d’aviation (indice d’octane 100) et un frigorifique dont les cales renferment plusieurs milliers de tonnes de viande du Middle West, vont poursuivre leur route jusqu’à Oran.


22 avril 1941
Alger
Arrivée du journaliste Hubert Beuve-Méry après une odyssée de plusieurs semaines.
Repéré à Vannes par l’une des polices de Laval, il s’est réfugié chez un neveu, ostréiculteur sur l’île d’Arz, en plein golfe du Morbihan, où la garnison allemande se limite, le jour seulement, à deux Matrosen de la Kriegsmarine qui assurent assez vaguement une mission de guet (pour avertir Kernevel d’on ne sait quoi) et de surveillance de la criée locale (dont la durée moyenne journalière est inférieure à une demi-heure). Beuve-Méry est parvenu à se faire accepter par le patron d’un sinagot [Le sinagot, haut et ventru, est le bateau de pêche typique du golfe du Morbihan. Marchant exclusivement à la voile, avec un gréement de chaloupe de deux voiles au tiers, il avait presque disparu au cours des années 30. La pénurie de carburant a conduit a en remettre quelques-uns en service dès l’automne 1940.], la Marie-Jésus, autorisé par les Allemands à sortir du golfe deux fois par semaine pour aller pêcher le bar, le lieu et la sole du côté de Groix et ramasser ses casiers à crustacés aux abords de la Teignouse.
En réalité, le patron de la Marie-Jésus, Job Kerroc’h, et ses deux matelots avaient, de longtemps, décidé de rejoindre l’Angleterre, en mettant à profit la première nuit de brouillard pour échapper aux assiduités des gardes-pêche à croix gammée, faire route plein ouest durant deux jours et remonter ensuite plein nord. Ce plan a fonctionné par miracle, en dépit des FW-200 Kondor qui ont survolé le sinagot à trois reprises. La Marie-Jésus, au terme d’un voyage de huit jours et huit nuits, est arrivée devant Penzance. Les Britanniques ont apprécié que Job Kerroc’h, par courtoisie, ait pensé à hisser l’Union Jack au mât de misaine.
Après trois jours d’interrogatoires polis mais fermes, Beuve-Méry, Kerroc’h et leurs deux compagnons ont été autorisés à séjourner en Grande-Bretagne. Le journaliste a obtenu assez rapidement une place sur le vol régulier Londres-Alger via Lisbonne. Job Kerroc’h, qui est second maître canonnier dans la réserve, Hervé Le Bihan et Yves Leguen ont été envoyés au dépôt permanant de la Marine nationale de Portsmouth, en attente d’embarquement sur un bâtiment français.
À la demande de Jean Zay, Hubert Beuve-Méry assurera à partir du 10 mai une chronique de politique étrangère sur Radio Alger, tout en donnant des articles à diverses publications à son gré.


27 avril 1941
Châteldon
Pierre Laval, s’inspirant des Premiers ministres britanniques qui reçoivent tout ce qui compte à Londres dans leur résidence campagnarde des Chequers, a pris l’habitude d’inviter les personnalités du Paris de la Collaboration dans son fief de Châteldon, où il possède même la source d’eau minérale. On vient volontiers y passer des week-ends très courus, en prenant à la gare d’Austerlitz une Micheline spéciale, d’autant que l’on mange bien et d’abondance chez le Président, dont la table ignore les restrictions.
Sans craindre un parallèle désobligeant, ni non plus le ridicule, Laval lui-même aime à comparer ces réceptions aux “séries” qu’organisaient Napoléon III et l’impératrice Eugénie à Compiègne et à Saint-Cloud. Josée de Chambrun, sa fille, femme du monde de haute volée, y est une maîtresse de maison appréciée. Et les relations outre-Atlantique que son mariage lui a apportées permettent, à toutes fins utiles, de nourrir la fiction mille fois répétée d’un Laval proaméricain – fiction à laquelle l’intéressé, peut-être, a fini par croire lui-même, sans remarquer que les États-Unis ne sont plus représentés à Paris que par un consul général alors qu’ils ont, dès août 40, installé leur ambassade à Alger.
À suivre les récits de plusieurs participants de ce week-end, notamment les carnets de l’essayiste Ramon Fernandez, Laval tombe des nues quand Simon Arbellot, prétextant de son désir de se consacrer exclusivement à son œuvre littéraire, lui annonce, entre la poire et le fromage du dîner, qu’il démissionne sans préavis de la direction d’Havas-OFI et entend ne plus exercer ses fonctions dès le 1er mai. Mais il se borne à un mélancolique « Arbellot, vous m’abandonnez » en suçotant son éternel mégot.
Plus tard, il commentera à l’attention de Jean Luchaire, non sans fanfaronner quelque peu : « Après tout, il vaut mieux que les rats les plus froussards quittent le navire et que restent seulement avec nous ceux qui ont des tripes et des c. au c. . »


30 avril 1941
Tipasa
Début du montage d’une des quatre antennes de plus de 150 mètres de haut dans le socle de béton coulé depuis deux mois. Les ingénieurs estiment maintenant pouvoir lancer les essais de l’émetteur vers la mi-juin.


1er mai 1941
Paris
Après avoir consulté le gratin de la Presse de Paris et de Province puis obtenu, en toute discrétion, l’aval de la Propaganda Abteilung, Laval, en qualité de ministre de l’Information, a nommé Gabriel Jeantet à la tête d’Havas-OFI. Son décret de nomination, publié par l’Officiel, attribue aussi à Jean Luchaire la présidence de droit du conseil d’administration de l’agence, qu’il n’exerçait jusqu’alors qu’à titre officieux.
Jeantet, issu d’une famille catholique et monarchiste, a appartenu à la Cagoule. Il s’est réfugié en Italie après la découverte du complot, mais il en est revenu à l’automne 1939 pour répondre à son ordre de mobilisation. Il s’est notamment illustré début juin dans la 4e Division Cuirassée du général de Gaulle. Légèrement blessé en juillet et hospitalisé dans un coin de France bientôt occupé, il a accueilli avec satisfaction sa démobilisation par Laval. Depuis, il a lancé un mensuel, France, Revue de l’État nouveau. “National” au sens que le mot revêtait avant-guerre, antisémite à tous crins, il présente, a estimé Laval, toutes les garanties et devrait donner à son nouveau poste plus de satisfactions qu’Arbellot, qui manifestait un fâcheux esprit d’indépendance.
Son frère, Claude Jeantet, venu de Je Suis Partout où il a signé jusqu’à la déclaration de guerre, a intégré la rédaction de L’Émancipation nationale, journal du PPF de Doriot, dont il est membre.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Jan 29, 2009 19:41    Sujet du message: suite de la Chronique de la Presse FTL par M-M Répondre en citant

1er mai 1941
Alger
Le journaliste Jean Queyras est officiellement chargé de lancer le service photo international d’Havas Libre. Remis comme prévu le 15 avril, son rapport a été approuvé non seulement par Pierre Brossolette, mais encore par le Gouvernement, qui en a été informé par Jean Zay au cours du dernier Conseil des Ministres. Comme on aurait pu s’y attendre, il a été soutenu des deux mains par Roland de Margerie et Georges Mandel, ainsi que par le général de Gaulle. Malgré sa discrétion coutumière, Albert Lebrun – qui veille à rappeler toujours les prérogatives que lui accorde la pratique de la République en matière de politique étrangère – lui a apporté un appui remarqué. Ainsi qu’il était prévisible, Vincent Auriol a fait part de ses réticences. Mais chacun reconnaît au ministre des Finances le droit et le devoir de veiller sur les deniers de l’État avec autant de sollicitude qu’un notaire de Balzac.
Grâce à l’aval des autorités, Queyras disposera d’un budget de lancement dont nul à Havas Libre, à commencer par lui-même, n’aurait jamais rêvé. En contrepartie de son soutien et de sa subvention, l’État exige, compte tenu des impératifs de la Défense nationale au sens le plus large, que les premiers clichés soient diffusés dans le monde entier à partir de la première semaine de janvier 1942.


4 mai 1941
Belgrade
L’un des deux journalistes locaux du bureau d’Havas Libre, Mladen Petric, un Slovène, est tué dans l’un des bombardements de la ville par la Luftwaffe.
Étudiant à Vienne avant 1914, partisan d’une union des Slaves de l’Adriatique, Petric avait déserté l’armée austro-hongroise pour s’engager dans les troupes du roi Pierre Ier. Outre le français, l’allemand, le hongrois et le tchèque, il parlait la plupart des langues et dialectes du monde balkanique. Il était en mesure, prétendait-on, de dépouiller et d’analyser la Presse de toute l’Europe centrale « Von der Maas bis an die Memel/ Von der Etsch bis an den Belt » [« De la Meuse à Memel, de l’Adige au Belt ». Ces deux vers du Deutschland Über Alles ont disparu de l’hymne national allemand, pour cause de tonalité pangermaniste, depuis la création de la République fédérale.]. Et l’ambassade de France en Yougoslavie ne se cachait pas de faire appel à lui pour éclairer ses diplomates sur les arcanes de la dispute des Serbes et des Croates.


8 mai 1941
Londres
Sefton Delmer et Pierre Bourdan orchestrent la première émission “noire” de Gustav Sender Eins, l’émetteur soi-disant installé au Grand-Duché de Luxembourg à l’attention de la Wehrmacht. Élevé en Allemagne, Delmer joue, avec un haut degré de vraisemblance, le rôle de der Chef, un nazi fanatique qui, sous couleur de s’en prendre à Churchill (présenté à la fois comme un ivrogne fieffé qui ne sait pas ce qu’il dit et un valet des ploutocrates judéo-maçonniques internationaux), pointe – sans donner dans le raffinement – les tares du régime, de ses bonzes et du commandement de la Wehrmacht.
Der Chef feint de s’attaquer aussi au Parti communiste allemand qui, malgré les succès de la Gestapo, continuerait de s’enkyster, à l’en croire, dans les rouages du IIIe Reich afin d’y fomenter toutes sortes de complots et de sabotages. Delmer et Bourdan, qui ne manquent pas d’humour, s’amusent de retourner contre le Führer et ses sbires le mythe de la Cinquième Colonne.


13 mai 1941
Berlin
Les services du Propaganda Ministerium font approuver par Josef Goebbels le projet d’organisation du Congrès International de la Culture Européenne prévu pour octobre 1941 à Weimar.
Imaginé par Goebbels lui-même, ce congrès exaltera les valeurs du totalitarisme, tout en célébrant la communauté d’esprit des Européens face au communisme et à la ploutocratie. La participation d’écrivains et d’artistes venus des pays occupés – pour la France, le célèbre Oberleutnant Gerhard Heller, de la Propaganda Abteilung, devenu une personnalité du Paris mondain et culturel depuis l’automne 1940, a été chargé d’en établir la liste – permettra de les impliquer davantage, nolens volens, dans la politique de Collaboration.
Goebbels a donné l’ordre de ne pas employer le mot “bolchevisme” dans les documents préparatoires pour éviter de gêner Moscou : le Führer souhaite ménager l’URSS aussi longtemps qu’il lui sera utile de bénéficier des bonnes grâces de Staline et d’endormir le Kremlin dans un sentiment de fausse sécurité. Le ministre a prescrit de lui-même de renoncer aussi à la formule classique de “ploutocratie judéo-maçonnique et anglo-saxonne”. De plus en plus fragile, la neutralité des États-Unis vaut bien ce sacrifice.
On fera en sorte que les participants du congrès ignorent la présence, à huit kilomètres de la ville, du camp de concentration de Buchenwald, dont l’enceinte enferme le fameux chêne à l’ombre duquel Goethe devisait avec Eckermann.


18 mai 1941
Alger
Le 2e Bureau est parvenu à se procurer le numéro 2 d’un journal clandestin, Les Petites Ailes, diffusé dans le nord de la France. Sans citer ses sources, le 2e Bureau croit savoir que cette publication, tirée sur une Gestetner déjà fatiguée à quelque 500 exemplaires, est réalisée par plusieurs responsables des Scouts de France de Lille et de ses environs. Le patron, ajoute-t-on, serait un sous-lieutenant démobilisé de chasseurs alpins, ancien du CEFS, qui n’aurait pas eu la possibilité de quitter la Métropole au moment du Grand Déménagement. Les Petites Ailes, semble-t-il à leur lecture, ont adopté une position originale, mais pas unique, selon laquelle « l’épée de la France » se trouve à Alger, alors que le gouvernement Laval tient lieu de bouclier aux « Français de France ».
S’ils n’ont sans doute pas plus l’habitude de la clandestinité que l’immense majorité des Français, les rédacteurs de ce journal en ont déjà assimilé les règles de base. Ils font figurer en bandeau, sous la têtière, la mention « Lisez attentivement. recopiez copieusement, distribuez prudemment ».


26 mai 1941
Paris
Les auteurs d’outre-Rhin apparaissent de plus en plus souvent dans les publications scientifiques et techniques française.
Le Concours Médical, journal spécialisé le plus lu par les médecins depuis la fin du XIXe siècle, présente cette semaine la traduction d’un article du Dr Josef Mengele, du Kaiser Wilhelm Institut de Berlin-Dahlem, initialement paru dans le Deutsche Zeitschrift der Rasseforschung (Revue allemande de la Recherche raciale). Le Dr Mengele y reprend les conclusions de sa thèse sur l’origine génétique du bec-de-lièvre. L’introduction précise que le Dr Mengele, qui sert actuellement comme médecin de bataillon dans l’une des unités de la SS engagées en Albanie, était déjà titulaire, à 27 ans à peine, de deux doctorats de l’université de Francfort, l’un en médecine et l’autre en anthropologie. « Aux yeux de ses maîtres et de ses collègues, il incarne aujourd’hui l’un des meilleurs espoirs de la Science médicale en Allemagne » affirme le Concours Médical [En revanche, d’autres médecins n’eurent pas l’heur de plaire à l’honorable revue. « Plusieurs journaux médicaux, dont le vénérable Concours Médical, fondé en 1879, décidèrent de suivre les instructions du gouvernement Laval en bannissant les médecins juifs de leurs pages. Il est vrai que l’antisémitisme du Concours ne datait pas de l’Occupation, mais, le pays se retrouvant sous la botte, un peu de patriotisme aurait pu lui éviter de sombrer tout à fait dans l’ignominie. Nos chères Annales, en revanche, décidèrent d’interrompre leur parution plutôt que de se soumettre aux marionnettes des nazis – avant de ressusciter en 1944, au moment où le Concours, frappé par la loi républicaine, sombrait dans l’oubli. » (Discours prononcé en 1993 lors du centenaire des Annales de Médecine par Jean-Pascal Violet, directeur de la publication).].


31 mai 1941
Paris
Gabriel Jeantet déjeune en tête-à-tête chez Lasserre avec Otto Abetz. Autour d’une pièce de bœuf en papillote aux pommes pont-neuf, accompagnée d’un château-margaux 1928 – les restrictions s’appliquent moins que jamais aux restaurants réputés que fréquentent les occupants, les dirigeants du Nouvel État Français et le Tout-Paris de la Collaboration des Arts et des Lettres, sans parler des profiteurs, des BOF et autres rois du marché noir – le nouveau patron d’Havas-OFI interroge son interlocuteur sur la réaction du Propaganda Ministerium et de la Wilhelmstraße à une éventuelle demande d’accréditation d’un correspondant à Berlin. « Une signature française, explique-t-il, donnerait au service de l’agence plus de crédibilité sur les nouvelles du Reich que la traduction des dépêches du DNB. Les journaux ne les reprennent que par obéissance aux consignes officielles ! »
Abetz, qui prend souvent ses désirs pour des réalités, lui répond qu’il appuiera cette proposition de toutes ses forces. « À mon avis, s’exalte-t-il (le bordeaux aidant), rien ne pourrait mieux conforter ces jours-ci l’amitié franco-allemande. Préparez-moi un petit dossier. Je le transmettrai à Berlin avec avis très favorable. »


4 juin 1941
Tipasa
Le montage des quatre antennes de l’émetteur est achevé. Les équipes techniques, qui bénéficient de l’aide – officieuse – de trois ingénieurs de la General Electric arrivés des États-Unis par avion, en toute discrétion, se hâtent de compléter les installations de l’émetteur lui-même dont les lampes, merveilles de la technologie française et du savoir-faire américain, ne cessent cependant de leur poser des problèmes de fragilité et de surchauffe. Néanmoins, il leur paraît possible de prévoir les premiers essais pour le 20 juin au plus tard, avec un objectif de mise en service avant la fin de la première quinzaine de juillet.


8 juin 1941
Paris
Jean Luchaire, déjà rédacteur en chef du Matin et président du conseil d’administration d’Havas-OFI, est nommé par Pierre Laval président de la Corporation de la Presse Française, qui a pour mission d’encadrer les journaux autant que de défendre leurs intérêts. À ce titre, il devient le maître absolu, en dernier ressort, des attributions de papier, de fournitures diverses et de plomb d’imprimerie. Il percevra également des émoluments qui tripleront son salaire.
Il est vrai que Luchaire possède un talent que personne ne conteste, jusqu’à Alger où on déplore d’avoir affaire à un adversaire aussi doué. Il passe aussi pour avoir plus qu’aucun autre l’oreille des occupants, dans la mesure où son ancienne secrétaire, Simone de Bruyker, dont il est demeuré proche, a épousé Otto Abetz.


10 juin 1941
Alger
La liste de la Presse clandestine de Métropole, scrupuleusement tenue à jour par les services de Jean Zay, dénombrait au 1er juin quarante-six publications, dont deux revues. La dernière en date – un seul numéro pour l’instant – a été distribuée à la fin du mois de mai dans les arrondissements populaires du nord et de l’est de Paris. Son titre : Kumanovo, Journal des Combattants – ce qui démontre que l’accent mis sur ce fait d’armes par la Radiodiffusion française, et par la BBC dans une moindre mesure, a été bien compris en territoire occupé.
Kumanovo, encore plus antinazi qu’opposé aux occupants, paraît avoir été rédigé par un groupe d’évadés des Stalags allemands, peut-être d’ex-membres du Parti communiste en rupture de cellule pour cause de Pacte germano-soviétique.


15 juin 1941
Hanoi
Avec l’accord télégraphique de Georges Mandel et de Jean Zay, l’amiral Decoux se résigne à interdire le Clairon du Tonkin. Ce quotidien apparu en novembre 1940 avait été créé avec des fonds provenant des plus grandes entreprises de la colonie, notamment la Compagnie des Charbonnages de Hongaï et la Société des Brasseries et Glacières de l’Indochine. Il tirait à plus de 20 000 exemplaires, rédigés par une équipe de journalistes dissidents, pour la plupart, du très conformiste – et assez ennuyeux – Journal de l’Indochine qui, prétendait-on, ne vivait que des fonds, à peine secrets, du Gouvernement général. Certains typographes du Clairon évoquaient leurs séjours à Poulo Condor, au titre du PCI ou des mouvements nationalistes, comme des briscards étalent leurs états de service. Le lectorat comprenait à part égales des Européens, fonctionnaires en particulier, et des éléments instruits de la population indigène.
Le Clairon s’était tout de suite signalé par ses positions de patriotisme intransigeant, aussi bien à l’encontre de l’Empire du Soleil Levant que face à l’Axe. Mais, exaspérés, les Japonais n’en voulaient plus et avaient fait un casus belli du maintien de sa parution.


17 juin 1941
Tipasa
Début de la première phase d’essai de l’émetteur ondes longues, de 06h30 à 08h00. Le programme se limite à la Marseillaise et à Sambre et Meuse en boucle, entrecoupés des un deux trois quatre cinq de la tradition. Tous les bâtiments de la Marine Nationale, où qu’ils se trouvent, ont reçu l’ordre de brancher un récepteur sur la fréquence et d’envoyer avant 10h30 un compte-rendu d’écoute. La même consigne a été transmise aux postes du 2e Bureau de Métropole.


20 juin 1941
Paris
Otto Abetz, la mine déconfite, annonce à Gabriel Jeantet que Berlin a refusé d’envisager l’accréditation d’un correspondant d’Havas-OFI dans la capitale du Reich. Cette nouvelle – qui n’est une surprise, à la vérité, que pour les deux intéressés – sera communiquée à qui de droit le soir même par deux journalistes de l’OFI, André Dhiver et Louis Palais, pour que Jean Zay en soit informé. Dhiver et Palais appartiennent à une organisation de Résistance fondée par des émissaires d’Alger, le NAP (Noyautage des Organisations Publiques), dont l’appellation est conforme à la finalité. Journalistes d’Havas avant la guerre, prisonniers en Allemagne tous les deux, ils ont accepté à l’automne 1940 d’être libérés de leur Oflag pour intégrer la rédaction de l’OFI.
Cependant, pour apporter une forme de compensation à Jeantet, Abetz lui indique que le Propaganda Ministerium et l’Auswärtiges Amt ne refuseraient pas qu’Havas-OFI détache deux ou trois envoyés spéciaux sur les fronts où combat la Wehrmacht.


21 juin 1941
Alger
Selon une synthèse des premiers rapports d’écoute, les émissions de Tipasa ont été reçues sans difficultés jusqu’à une ligne La Rochelle - Genève, et moins bien jusqu’à la Loire. Des bribes seulement ont été captées à Paris. Ce bilan est considéré comme très satisfaisant, car les installations n’ont fonctionné jusqu’à présent qu’aux trois cinquièmes à peu près de leur puissance “de croisière”, soit moins de la moitié de leur puissance maximale de 2 000 kW.
Les phénomènes de diffusion, de réfraction et de réflexion sur la couche ionosphérique étant ce qu’ils sont à l’époque, c’est à dire assez mal connus et guère maîtrisés, Tipasa a pu être écouté à Beyrouth et Jérusalem un matin sur deux. L’opérateur d’un cargo des Messageries Maritimes, l’Étienne Marcel, à l’ancre dans le Rio de la Plata en attendant de prendre une cargaison de viande et de laine à Montevideo, a même eu la surprise d’écouter l’hymne national durant une minute.
Par contre, l’espoir que les ondes longues qui traversent l’eau puissent être interceptées par le sous-marin de 1 500 tonnes Archimède, en plongée à 25 mètres devant Mers el Kébir, a été déçu. Il est vrai qu’il s’agit d’une possibilité théorique que l’ingénieur Maurice Ponte et son équipe n’ont pas encore réellement explorée.


30 juin 1941
Londres
Der Chef, très en verve, accuse « les Français sournois et les Anglais hypocrites » de conspirer contre le commandement de la Luftwaffe et de tenter d’en empoisonner l’état-major. Il interviewe une soi-disant infirmière – en réalité, la fille d’un ex-banquier juif de Vienne – qui affirme au micro que le Generalluftzeugmeister Ernst Udet, est toujours hospitalisé dans une clinique de Berlin après une intoxication due, jure-t-elle, « à un cognac trafiqué à l’arsenic et à du whisky frelaté ».
Ainsi, les Allemands peuvent comprendre grâce à la radio noire qu’Udet, qui bénéficie, à la différence de nombre de personnalités du régime, d’une popularité authentique, est hors d’état d’occuper ses fonctions, quoi qu’en prétendent les journaux, et boit plus que de raison. « Arme Udet! Die Franzosen und Engländer verzichteten auf die Schlachtung. Sie haben ihm Gift gesendet » [« Pauvre Udet ! Les Français et les Anglais ont renoncé à le descendre. Ils lui ont envoyé du poison. »], feint de déplorer der Chef.


2 juillet 1941
Tipasa
Essai à puissance maximale de l’émetteur pendant une demi-heure. Les ingénieurs sont soulagés de constater que la température des lampes reste à l’intérieur des paramètres prévus. Le système de refroidissement est désormais au point. À midi, les services d’écoute de la BBC envoient un message télégraphique pour indiquer que l’émission – la Marseillaise et Sambre et Meuse, comme d’habitude – a été captée dans d’assez bonnes conditions par Bush House. Le stringer d’Havas Libre à Bâle l’a lui aussi reçue, en dépit du relief. C’est plus que ce que l’on pouvait espérer, même s’il faut tenir compte de conditions de propagation favorables.


4 juillet 1941
Berlin
Heinrich Müller, chef de la Gestapo, doit reconnaître devant Reinhard Heydrich que ses services n’ont pas été en mesure de mettre la main sur Gustav Sender Eins. « Mes hommes ont passé le Grand-Duché au peigne fin durant plusieurs jours pour trouver cet émetteur clandestin, Herr Obergruppenführer, mais ils n’ont rien découvert. En réalité, selon les meilleurs spécialistes du Reichsfunkausspürungsdienst , qui ont effectué des études goniométriques poussées, les installations de Gustav semblent se situer quelque part en Angleterre et paraissent déplacées tous les deux jours. » Müller a soin de n’employer que le conditionnel, car il n’est sûr de rien – surtout pas de certains officiers d’origine aristocratique, dont la fidélité au Führer pourrait bien n’être qu’un leurre en dépit de leur serment, et sans même parler de quelques membres du NSDAP, qui n’ont toujours pas digéré la Nuit des Longs Couteaux et l’élimination de Röhm. Peut-être der Chef, tellement fanatisch und echter Deutsch [Fanatiquement et réellement allemand.] – et d’autant plus dangereux, est-il l’un d’eux.
S’ils ne se l’avouent pas expressément, Heydrich et Müller savent l’un comme l’autre que l’interdiction d’écouter les radios étrangères est de moins en moins respectée, malgré les peines de prison ou de camp de concentration que peut entraîner l’écoute d’un poste prohibé. Alors, une radio qui se présente comme allemande…


8 juillet 1941
Alger
Selon un rapport du NAP reçu par Jean Zay, la soixantaine de journalistes que compte la rédaction d’Havas-OFI se décompose en trois catégories. Il y a d’abord une douzaine de vrais fascistes qui avaient, dès avant la guerre, appartenu à diverses ligues, fronts, faisceaux ou à la Cagoule et militent aujourd’hui chez Marcel Déat, Jacques Doriot ou Marcel Bucard. On dénombre ensuite une trentaine d’attentistes qui, pour des raisons variées, se sont refusés à suivre Havas à Marseille puis à Alger, apparemment seulement soucieux de leur gagne-pain, mais prêts à tourner casaque si la conjoncture évolue. On peut enfin remarquer une vingtaine d’anciens de la maison, libérés de leur camp de prisonniers à l’automne 40 à la demande de Laval ou d’Arbellot, mais pour la plupart considérés comme secrètement favorables au gouvernement d’Alger.
Le même rapport indique que Gabriel Jeantet a laissé parfois échapper quelques mots, ou fait part de certaines réflexions, qui donneraient à penser que le vieux fonds germanophobe de l’Action française ne demande chez lui qu’à se réactiver.


11 juillet 1941
Londres
Première émission “noire” interalliée à l’attention des Italiens. L’émetteur, Italia Libre Uno, se situe, affirme-t-on sur ses ondes, à la frontière de l’Italie et du Tessin.
Sefton Delmer et Pierre Bourdan ont recruté un antifasciste vivant en Grande-Bretagne depuis 1936, Aldo Fenestrellino, qui a trouvé un emploi de répétiteur d’italien à Oxford pour achever une thèse, entamée depuis vingt ans, sur “l’emploi du dialecte vénitien dans la Divine Comédie”. Fenestrellino s’est composé pour le micro un personnage d’ancien des Alpini de 15-18, le tenente-colonello Maurizio De Natale, qui aurait combattu les Autrichiens dans les Dolomites, puis participé, avec Gabriele D’Annunzio, à l’équipée de Fiume. Cet alias revêt d’autant plus de vraisemblance – et, partant, d’efficacité – que Fenestrellino, originaire de Turin, a lui-même servi dans un bataillon des Alpini en 1917 et au début de 1918 avant de rejoindre un reparto d’Arditi sur le Piave.
Le brave tenente-colonello De Natale en a appelé à un sursaut du roi « che porta il nome di Vittorio Emanuele come suo glorioso nonno » pour sauver l’Italie qui court à sa perte. Il n’a pas manqué d’exciper de son passé de scrogneugneu à la lombarde pour vitupérer le Duce « uno facchino incapable de risquer même le cuir de ses bottes d’Arlecchino dans la boue des fronts d’Albanie ou de Grèce ». Il n’a pas eu non plus de mots assez sévères pour dénoncer les traîtres – « tutti questi meschini con stelle e strisce che non fanno niente per la patria » , a-t-il râlé – coupables d’avoir perdu la Libye et l’Afrique Orientale par impéritie ou, il l’a insinué, par vénalité.
Pour le moment, il ne s’agit encore que d’une expérience, étant donné que la BBC, qui doit se multiplier, n’a pu mettre à la disposition de Delmer et Bourdan qu’un émetteur ondes courtes de faible puissance. Mais le ton est trouvé. Fenestrellino, estiment les deux compères, va faire des miracles dès qu’il pourra s’adresser régulièrement à ses compatriotes, militaires et civils, par le truchement des installations de Tipasa. Et l’acidité de ses propos aura de quoi donner de nouveaux cauchemars au commandement de l’OVRA [Fondée en 1927, l’Organizzazione per la Vigilanza e la Repressione dell’Antifascismo était l’équivalent italien de la Gestapo, à laquelle elle a servi de modèle.], déjà tellement inquiet de la désaffection qui semble frapper le Duce dans la population ouvrière du Nord et dans certaines unités de l’Armée.
Dès le lendemain, l’agence Stefani [Agence de presse italienne historique, créée au XIXe siècle. Elle a été remplacée après la guerre par l’agence ANSA.] tentera d’allumer un contre-feu en dénonçant, dans une dépêche datée de Milan, « une mascarade grotesque des Anglo-Saxons ».


13 juillet 1941
Paris
Les consignes diffusées dans l’après-midi par le ministère de l’Information du NEF via Havas-OFI interdisent absolument d’évoquer dans les journaux du lendemain la Fête Nationale, qui ne sera célébrée nulle part, et pour cause, en Métropole. Tout juste Laval ou ses services concèdent-ils aux quotidiens le droit, et leur imposent-ils le devoir, de rappeler à leurs lecteurs que les bals, soirées et surprises-parties, y compris dans les domiciles privés, sont et demeurent interdits depuis août 1940.
Les rédactions n’auront, par ailleurs, nul besoin de consignes pour omettre d’indiquer à leur public que la danse reste pourtant autorisée, comme il va de soi, dans les boîtes de nuit – et les claques – qui accueillent les occupants.


14 juillet 1941
Paris
Distribution à huit cent exemplaires, glissés dans les boîtes aux lettres des immeubles bourgeois des arrondissements du centre de Paris, de l’hebdomadaire que des journalistes et des étudiants préparaient depuis plusieurs mois. Offrant une mise en pages sans défaut, tiré à l’évidence dans une véritable imprimerie de Presse sur douze pages grand format – ce qui suppose des ressources en papier hors du commun –, il a pris un titre qui sonne déjà comme un programme, Défense de la France. L’éditorial, signé seulement des initiales DdlF, reprend les mots d’ordre diffusés via la BBC par le gouvernement d’Alger, notamment “Tous unis pour la victoire”, en mettant toutefois l’accent sur le combat pour la liberté. Une analyse plus serrée du contenu montrerait qu’entre les lignes, Défense de la France, peut-être sensible à certains sous-entendus fréquents dans les journaux de Paris, entend aussi dénoncer le risque d’une dérive autoritaire des institutions provisoires d’outre-Méditerranée.


16 juillet 1941
Alger
Une dépêche anodine d’Havas Libre annonce, en citant un communiqué du ministère de l’Information, que l’émetteur ondes longues de Tipasa commencera de fonctionner à pleine puissance le 29 juillet à partir de 5 heures du matin.


20 juillet 1941
Paris
Avant de partir en permission, le 22, Gerhard Heller met la dernière main à la liste des intellectuels français qu’il juge indispensable de voir invités par le Reich au Congrès européen de la Culture de Weimar. Il la remettra lui-même au ministère de la Propagande, accompagnée de précisions et commentaires de son cru, puis il ira passer deux semaines chez ses parents, à Potsdam. Le choix d’Heller s’est porté sur une huitaine de plumes connues pour un engagement en faveur de la Collaboration, mais en général d’un talent salué à l’unanimité : Louis-Ferdinand Céline, Robert Brasillach, Abel Bonnard, Alphonse de Châteaubriant, André Fraigneau, Abel Hermant, Henry de Montherlant et Ramon Fernandez. Mais puisqu’il s’agit de culture au sens large, il suggère d’élargir la palette et de proposer également le voyage à des peintres comme Derain, à des sculpteurs comme Maillol – d’autant qu’Arno Breker, l’enfant chéri du régime qui apprécie la virilité monumentale de ses œuvres, est l’un des élèves de celui-ci – ou à des musiciens comme Florent Schmitt. Compte tenu des délais d’organisation, Heller fera valoir que les invitations devront être lancées le 15 août au plus tard.


25 juillet 1941
Alger
Un décret d’Albert Lebrun, contresigné par Paul Reynaud, Édouard Daladier, Georges Mandel, le général de Gaulle, Vincent Auriol, Raoul Dautry, Jean Zay et Roland de Margerie, met fin aux fonctions de Léon Brillouin à la tête de la Radiodiffusion nationale. Un autre décret du président de la République, revêtu des mêmes contreseings, nomme Jean Guignebert pour le remplacer.
Choisi par Daladier en 1939, Brillouin, physicien de grand talent mais administrateur couleur de muraille, paie au prix fort l’échec d’une opération préparée depuis des semaines par le général de Gaulle et Jean Zay. Il s’agissait d’inaugurer l’émetteur de Tipasa le 14 juillet par une célébration en grande pompe de la fête nationale à l’intention des auditeurs de Métropole. Aussi populaires l’un que l’autre, le reporter Georges Briquet, par ailleurs spécialiste des Six Jours et du Tour de France, et l’animateur Jean Nohain, dit Jaboune, s’étaient préparés, avec le concours de l’EMGDN, à assurer le compte-rendu radiophonique des cérémonies d’Alger et du défilé des troupes sur le front de mer. Des liaisons en duplex avec plusieurs capitales de l’Empire, y compris Saïgon et Tananarive, avaient été difficilement mises sur pied pour bien démontrer l’unité des forces combattantes. Mais la défaillance de deux condensateurs dans la soirée du 12 a réduit ce projet à néant.
On raconte, dans certains salons de la capitale provisoire, que le général de Gaulle en a été si contrarié qu’il a lancé en pleine rue, par la fenêtre de son bureau, un cendrier empli de mégots de ses éternelles Players.


29 juillet 1941
Paris
Arrêté le 18 mai par le Service de Répression des Menées Anti-Nationales (SERMAN) de la police du NEF, interné depuis à la prison de la Santé, le dirigeant communiste Gabriel Péri, rédacteur en chef de l’Humanité clandestine, est remis aux Allemands.


30 juillet 1941
Alger
Radio Alger, enfin diffusée par Tipasa en ondes longues, annonce que « par l’entremise de leurs complices français, les nazis ont pu mettre la main sur Gabriel Péri, le plus patriote des responsables du PCF ». Le speaker ajoute, en citant « des milieux autorisés », qu’on a des raisons de soupçonner le Komintern de n’avoir pas été étranger à son arrestation.


1er août 1941
Paris
Gabriel Jeantet présente à la Propaganda Abteilung une demande d’accréditation d’un journaliste d’Havas-OFI, Jean Fontenoy, comme envoyé spécial sur le front de Grèce. On lui laisse entendre qu’une réponse positive devrait lui parvenir sous quinze jours.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Jan 29, 2009 20:11    Sujet du message: Répondre en citant

L'arrestation de Gabriel Péri est au moins aussi logique qu'en OTL, car il ne doit pas ménager ses critiques à la direction du Parti, qui suit les ordres de Moscou et ne bouge pas.
Mais il n'est pas impossible que les Allemands tentent d'en faire une monnaie d'échange avec Staline, ou de le retourner, ou...

Qu'en pensez-vous ?
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MessagePosté le: Jeu Jan 29, 2009 23:25    Sujet du message: Répondre en citant

Toujours à pinailler, je signale que l'Archimède est à Scapa Flow depuis l'automne 1940 et qu'il y est toujours début 42.
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 00:21    Sujet du message: Répondre en citant

loic a écrit:
Toujours à pinailler, je signale que l'Archimède est à Scapa Flow depuis l'automne 1940 et qu'il y est toujours début 42.


Tu fais fort bien (de pinailler) !
Alors, le Poincaré devrait convenir ?
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 07:50    Sujet du message: Répondre en citant

Le Henri-Poincaré, pourquoi pas, mais en l'occurence, l'Espoir ferait bien dans une dépêche Smile
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 09:38    Sujet du message: Répondre en citant

Pour les opérations un peu spéciales, il y a trois sous-marins de prévus :
outre le Henri-Poincaré, les Monge et Fresnel.
Un sous-marin à nom de physicien ne ferait pas mal non plus !
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Menon-Marec



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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 09:45    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour à tous.
Folc m'a enlevé le pain de la bouche. Je m'apprêtais à dire la même chose. En ce qui me concerne moi-même personnellement, je donnerais une petite préférence au Fresnel: quand je suis à la barre d'un voilier, la nuit, et que je me repère sur un phare, j'ai toujours une petite pensée pour M. Fresnel, bienfaiteur des navigateurs. Mais je dois reconnaître que L'Espoir ne ferait pas mal non plus.
Amts, ainsi qu'on l'écrivait certainement chez Havas Libre.
M-M.
P.S. J'avais d'abord pensé à l'Andromède.
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 09:53    Sujet du message: Répondre en citant

Menon-Marec a écrit:
P.S. J'avais d'abord pensé à l'Andromède.
Mais, hélas, pas de sous-marin de ce nom dans la Marine.
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 10:15    Sujet du message: Répondre en citant

Sous-marin presque encore virtuel en juin 1940, l'Andromède a tout de même droit à une mention dans l'annexe 40-7-2.
Si ma mémoire est fidèle, ce sous-marin a été terminé après guerre.
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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 10:28    Sujet du message: Répondre en citant

Excellentissime.

Pour Sefton Delmer (un GRAND de la desinformatsija comme on dit dans mon domaine d'études) il prétendait que GS1 signifiait (avec l'accent berlinois qu'il avait excellent, Ein Gurken salat, Ein...) (Et une salade de concombres, une..)

On sait peu que son service et l'IS ont joué un rôle important dans la préparation des complots contre Hitler. Le colonel Treskow, qui fut l'âme véritable du complot (Stauffenberg, physiquement courageux, était moralement hésitant) avait très bien compris comment "lire" entre les lignes les émitions de GS1 et du "Soldatensender Calais".

Pour pouvoir contacter des sous-marins en plongée, il faut des ondes ultra-longues, et beaucoup de puissance et...du morse. La voix ne passe pas.

Pour Gabriel Peri, nous sommes après l'affaire des Balkans. or on sait qu'OTL Staline à cherché à se rapprocher des Alliés dès l'attaque contre la Yougoslavie, ayant considéré cette dernière (à juste raison) comme un signe avant-coureur d'une attaque contre l'URSS.

Compte-tenu de la durée prise par cette opération, il comprend que l'URSS est à peu près sauve d'ici début 42 mais il ne doit plus se faire aucun doute sur les intentions d'Adolf (OTL, et contrairement à ce qui ests ouvent prétendu, il n'en avait guère non plus, de doutes, mais il espérait pouvoir retarder l'attaque jusqu'en 42 car il avait enfin compris dans quel état était l'Armée Rouge début 41).
La consigne du Komintern aux PC de l'Europe occupée doit donc être de se préparer et de préparer les militants à l'affrontement avec l'Allemagne tout en conservant quelques apparences.

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MessagePosté le: Ven Jan 30, 2009 10:36    Sujet du message: Répondre en citant

folc a écrit:
Sous-marin presque encore virtuel en juin 1940, l'Andromède a tout de même droit à une mention dans l'annexe 40-7-2.
Si ma mémoire est fidèle, ce sous-marin a été terminé après guerre.

En effet, mais surtout comme banc d'essai pour les générations d'après (Narval).
Sinon, je lève mon verre au retour de Fantasque ! Ivrogne
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