Fantasque Time Line Index du Forum Fantasque Time Line
1940 - La France continue la guerre
 
 FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer 
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

Divers épisodes "Les oubliés" - 1942/1943
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, ... 22, 23, 24  Suivante
 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> 1943 - Discussions
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Sam Jan 13, 2018 10:07    Sujet du message: Répondre en citant

oups Very Happy on va dire que c est pour vérifier si quelqu'un suivait Smile merci Anaxagore
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Hendryk



Inscrit le: 19 Fév 2012
Messages: 3240
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Jan 13, 2018 13:22    Sujet du message: Répondre en citant

Je me demande si un de ces quatre un pilote abattu ne va pas être récupéré par le père Elzéard Bouffier, un autre habitué des montagnes de ce coin-là...
_________________
With Iron and Fire disponible en livre!
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Lun Jan 15, 2018 17:03    Sujet du message: Répondre en citant

Ce furent successivement le bruit de pas dans l’escalier, le grincement de la porte, puis la voix du Père Bugot, qui réveillèrent Margin des ténèbres dans lesquelles Morphée l’avait fait tomber.

« Oh bé comment ça ronfle les aviateurs ! C’est le soir ! Tu devrais plutôt manger ça, ça va te requinquer tiens … »


Il lui tendit une gamelle en Inox qui contenait un mélange de légumes et de pommes de terre, nageant ensembles dans un brouet clair et semblables à une ile sur l’océan. Signe de luxe, et pour faire bonne mesure, on avait adjoint une cuisse de lapin à l’ensemble.

« Prend quatres patates c’est bon pour la trippe ! Zêtes bizarres les avionneurs, je pensais qu’avec … (grand geste de la main en direction du plafond) … avec l’altitude là, vous seriez plus habitué à la Montagne ! »

Peu disert et guère enclin à argumenter sur les différences entre climat, pression atmosphérique et stress post-combat, Margin se contenta de remercier son guide, et entreprit d’attaquer le plat. Qui se révélait suffisamment consistant pour son appétit creusé par les émotions de la journée.

« L’es bon le lapin ? J’ai dû batailler pour l’avoir, ta pas idée … Et je t’ai même trouvé ça pour passer la soirée ! Cadeau de la maison ! » Une bouteille en verre jaunie, contenant un liquide tirant sur le verdâtre, s’écrasa lourdement sur le sol à proximité. Il y avait un brin d’herbe à l’intérieur ? Margin écarquillait les yeux dans la pénombre pour mieux voir … Non … Une vipère !

« C’est bon pour ce que tu as … Goute donc tu vas voir ! Je t’accompagne tiens mais tu sers ! » Dis le père en lui tendant deux petits verres hexagonaux et jaunis par le temps.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le pauvre lieutenant avait été circonspect. Le père Bugot avait beau avoir avalé son verre en premier, il pressentait que leurs constitutions étaient différentes, et que ce dernier avait dû ingurgiter moultes nourritures qui n’auraient même pas été servies dans les bataillons disciplinaires d’Afrique Equatoriale Française. « Demain, on te descend par Briançon, mais là j’ai tout mon temps ! »

Lassé par la journée et radouci par le breuvage, le lieutenant s’était laissé aller avec son complice, et le commun du monde passait entre eux, malgré les notables différences de cultures : passés, familles, origines, projets, femmes … pas de curiosités particulières, mais le simple intérêt pour autrui dans une vallée quelque peu isolée. Des rires se mirent à fuser.

« C’est pas un peu fini ces Co…ries ! » Un pas lourd et forcé montait les marches. Un fois que ce pas eut atteint le haut des escaliers, une silhouette épaisse et ramassée apparu à la porte.

« Dis donc Bugot ! Faut que je donne à manger aux bêtes demain ! Moi je travaille ! »

« Oh Robert ! Viens ici tiens ! »
Le père sourit d’un air complice à Margin et souffla. « C’est Robert Prat, l’un des fils de la maison. Je sais comment l’amadouer … »

Une fois Robert avancé à sa portée, le père Bugot reprit « Tu tombes bien ! Va chercher un de tes cousins, mon ami aimerait bien jouer une ou deux manches de belottes ! »

Cette dernière phrase parut faire tomber les défenses du Robert, qui sortit l’air renfrogné, mais d’un pas rapide, vers l’escalier.

« C’est un bon gars. » Reprit Bugot « Un gentil, bosseur comme tout, mais pas très débrouille. Et puis il est trop gentil avec les femmes, ça lui jouera des tours. T’inquiète pas, il dira rien, si jamais il se rend compte de qui tu es. Tu passeras pour un ami. » Margin se retourna : dans la pénombre, avec l’unique lueur de la lampe à pétrole parmi les boiseries, son blouson d’aviateur et son équipement étaient invisibles …

Le Robert était remonté avec un quatrième larron. C’était peut-être un gentil garçon, mais il savait jouer aux cartes, et Margin n’était pas sûr de sa totale honnêteté à ce jeu. Carreaux/Cœur, Neuf/Huit, comment faire la différence, dans l’obscurité et empégué dans l’alcool vipérine ? Dieu merci, on ne jouait pas d’argent comme au mess ! Margin perdait, perdait, se faisait couper, sous les soupirs de Bugot et les vivats des 2 autres acolytes. Eux aussi étaient échauffés par la boisson, et parmi ces excités, dans une bâtisse en bois remplie de foin et à côté d’une lampe à pétrole, le lieutenant se demandait s’il ne prenait pas plus de risques qu’en étant resté dans son pauvre Mustang …

Une phrase alors que l’on se resservait « On dira ce q'on veut, on peut encore profiter comme ça en France, c’est bien ! Heureusement qu’il y a eu le Maréchal, sinon on ne sait pas ce qu’on serait devenu ! » Margin sursautait, mais n’alla pas plus loin. A quoi bon ? Ici, on ne devait rien savoir de plus que ce que le Nouvel Etat Français diffusait à la radio. Pourquoi vexer ses hôtes ? Il était fatigué et la soirée s’acheva concomitamment avec la bouteille …

Cette même bouteille le fit se réveiller en pleine nuit, sous le besoin impérieux de boire, de préférence de l’eau liquide. Margin prit sur lui d’aller jusqu’au balustre qui courait sous le toit, et saisit de la neige pour s’en frictionner le visage. Relevant la tête, il contempla le paysage, d’une beauté inattendue, accompagné par le concert de craquellement des bois centenaires qui servaient de plancher. Il devait être 5 heures du matin, la pâleur grise de la neige reflétait les rares rayons de la lune dans la nuit qui s’achevait. Prenant le temps d’une cigarette, Margin se disait que ce pays n’était pas si antipathique après tout …

Le père Bugot rentra en trombe dans le grenier, réveillant en sursaut son invité qui finissait sa nuit accolé derrière une botte de paille.

« Debout là-dedans ! Faut partir de suite ! »

Margin était embrumé. « Comment ça ? Nous avons de la compagnie ? »

« Pire ! Robert a parlé de toi à la Lucie, et maintenant elle raconte dans tout le village qu’il y a un étranger caché dans la maison qui fait chanter le père Alfred et mange à l’œil ! Attend encore une heure, et on te rajoutera une histoire de fesses avec la voisine ! »

Margin, interloqué par cette nouvelle, regardait son guide d’un air interdit.

« Quoi ? J’ai dit qu’il dirait rien, pas qu’il ne parlerait pas ! »

Sur cet sentence de bon sens, la voix de Robert Prat résonna à travers la cour.

« Vla le boucher ! »

« C’est lui qui va te descendre vers tes collègues ! Tu me suis ! »


Dévalant les escaliers quatre à quatre, et alors que la voix du Robert continuait de résonner, le lieutenant demandait :

« Pourquoi il crie comme ça ?»

« Oh, il s’est engueulé avec sa famille ce matin ! Il boude ! Mais comme il tient quand même à manger ce midi, il les prévient sans aller les voir ! »


Décidément, il y avait ici-bas tout une étiquette sociale qui échappait à un citadin comme lui …

L’affaire fut vite réglée. Désormais à l’abri à l’arrière du commerce ambulant, Margin regardait défiler le paysage. La Vallée de la Clarée, étroite bande de terre parmi les rochers, était silencieuse en cette matinée, indifférente aux déchirements du monde qui se poursuivait partout aux alentours. Sur les hauteurs, et semblant le saluer pour un « Au Revoir », les conifères et sapins dont le vert disputait à la blancheur de la neige déposée sur leurs cimes. Ce chœur était fort proche de la route, et semblait presque tomber dans la rivière. Arrivé à un village dénommé « Le Rosier », les reliefs et forêts se touchaient presque, et un unique champ permettait de voir en avant du chemin, avec la route départementale évidemment. Un joli endroit, Margin se demandait s’il reviendrait un jour.

Une fois à Briançon, « on » le mit dans une autre carriole, qui contenait elle aussi des victuailles et descendait vers le Sud. Mieux valait ne pas poser de questions sur l’origine ou la destination de tout cela. Passant par le Col du Lautaret et en direction de Grenoble, le lieutenant d’origine bordelaise eut tout loisir, à l’allure sénatoriale de son transport, d’admirer les Ecrins, puis la descente vers le Freney-d’Oisans, le sommet de la Meije. Puis, les gorges se firent de plus en plus étroites, par la cascade « de la pisse » et jusqu’au lieu-dit « du Chambon » (1). Encore plus loin, le spectaculaire des falaises céda à l’humidité de la Vallée de l’Oisans, après Villard-de-Lans. Féru d’architecture, il nota la présence d’une curieuse maison à Livet-et-Gavet, avec une avancée en demi-lune donnant sur le fleuve, à proximité d’une centrale hydroélectrique (2).

Le lieutenant arriva juste à temps pour la libération de Grenoble, évitant par la lenteur de son transport les horreurs qui avaient déferlées sur la région à la fin de l’année 1943. Réintégré dans son unité, il acheva son service avec les honneurs, mais n’oublia pas son escapade montagnarde. Aussi, quand son ami pyrénéen vint le voir dans les années 60 pour évoquer avec lui les possibilités d’investissements touristiques en Montagne, il sut spontanément où se tourner. Acquéreur d’un chalet, puis d’un camping au lieu-dit « Les Alberts » près du « Rosier », il vit de près la révolution apportée par l’Or blanc ainsi que l’enrichissement de la vallée, qui s’accompagna toutefois d’une certaine densification, et même d’un projet autoroutier heureusement déplacé grâce à la féroce opposition des habitants (3). L’ensemble fut définitivement sanctuarisé par la création d’un parc naturel couvrant toute la vallée. Mal vu à son installation comme tous les étrangers, il se fit accepter avec le temps, et alors que l’âge emmenait un par un les premiers paysans des environs (4).

Le père Bugot retourna à son anonymat, et disparu sans laisser vraiment de traces. Sans vraie attache, il avait toujours passé pour un original, voire un type un peu louche. Il faut dire aussi que l’on était proche de la frontière avec l’Italie, aisément franchissable par le col de l’Echelle …

Le (désormais) père Robert poursuivit sa vie de villageois ancrée dans son quotidien simple et de labeurs, alternant les saisons chaudes à cultiver les champs et les hivers à travailler aux remontées mécaniques. Durant les premières décennies du XXIème siècle, il s’éteint chez lui, un pain au chocolat à la main et sur ces terres qu’il avait tant aimé. Pilier historique du village, son enterrement rassembla de très nombreuses personnes, qui saluèrent en lui le témoin affable d’une époque qui disparaisait petit à petit.


(1) Noyé par un barrage hydroélectrique depuis, et situé en contrebas de la station des 2 Alpes.
(2) Cette maison fut ultérieurement utilisée pour le tournage d’un film fantastico-policier « Les rivières pourpres. »
(3) Relaté notamment dans le livre « Une soupe aux herbes sauvages. » d’Emilie Carles.
(4) Un cadre de la compagnie des Alpes « Val des près : le village le plus fermé de la région : celui où si il y a 4 sous à se faire mais qu’il y en a un qui va à un étranger, on préfère que rien ne se fasse. »
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Clappique



Inscrit le: 05 Mar 2017
Messages: 212
Localisation: Sud de la Durance

MessagePosté le: Lun Jan 15, 2018 22:08    Sujet du message: Répondre en citant

Merci pour l'évocation de coins que j'aime bien, et d'un bouquin (j'étais gamin citadin) qui m'avait fait forte impression
_________________
Si on ne croit à rien, surtout si on ne croit à rien, on est obligé de croire aux qualités du coeur quand on les rencontre, ça va de soi.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Mar Jan 16, 2018 18:46    Sujet du message: Répondre en citant

You re very welcome Smile ! La semaine prochaine on repasse sur du plus « spectaculaire »… Mais j'aime bien évoquer et imaginer (encore qu il y a beaucoup de vécu !) comment les gens pensaient et vivaient car l'histoire, matière vivante, et pour moi tout sauf uniquement étudier l événementiel
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Etienne



Inscrit le: 18 Juil 2016
Messages: 2837
Localisation: Faches Thumesnil (59)

MessagePosté le: Mar Jan 16, 2018 20:04    Sujet du message: Répondre en citant

En 43 FTL, même dans les Alpes, on doit savoir que le Maréchal n'est plus là... Think
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Mar Jan 16, 2018 20:30    Sujet du message: Répondre en citant

On ne dit pas qu il est encore vivant, mais on cultive son image de sauveur de la France ... avec la bénédiction du NEF
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 17:02    Sujet du message: Répondre en citant

Nouvel épisode de ma série "Les oubliés", pour un sujet moins personnel. Et moins joyeux aussi ... Sad

Comme une odeur de Soufre

A quelques milles marins de Sète, le 2 Décembre 1943

Le SS John Harvey était un « Liberty Ship » parmi tant d’autres qui parcouraient le globe en ces temps-ci. Depuis son chantier-naval de Wilmington (1), d’où il était sorti le 9 janvier 1943, il avait fait de nombreuses fois la navette entre l’ancien et le nouveau monde, apportant munitions, armes et soldats (2), en tout endroit où ces derniers étaient requis. C’est-à-dire un peu partout en Europe et Méditerranée. En cette fin d’après-midi hivernale, et alors que le vent d'autan soufflait à coups redoublés sur le golfe du Lion, sa coque « 878 », confortablement insérée au sein d’un convoi dûment escorté et protégé par l’aviation, approchait le secteur entre Sète et Perpignan afin d’y débarquer une cargaison attendue alors que l’occupant germanique paraissait se ressaisir, voire même contre-attaquer.

Le bureau du Colonel Wilkins était un champ de bataille, même si ce dernier était fort éloigné de la ligne de Front. Parmi l’agitation, la paperasse et l’urgence que lui imposaient successivement ces interlocuteurs, ce responsable du « Logistical Corps » avait bien du mal à hiérarchiser ses priorités et à maintenir une organisation efficiente dans les ports français libérés. A fortiori alors que ces derniers recouvraient peu à peu leurs capacités, qui se révéleraient de toute façon toujours inférieures aux besoins des armées alliés en campagne. Il fallait donc faire un choix parmi les nouveaux arrivants. Le S.S. John Harvey n’était pas le premier arrivé, et pas le plus gros transport non plus. Que disait son manifeste ? « Ammunitions for the 3e Chemical Mortar Battalion » sans plus de précisions. Ca attendrait demain, les obus AC et les armes légères étaient prioritaires. De toute façon, il y aurait de l’attente. Qu’il jette donc l’ancre pour la nuit, et bien au large, éloigné des autres transports en instance de déchargement. Il ne manquerait plus qu’il explose et ce serait le bouquet !

Douloureusement et profondément fichée dans la vase du sol marin, la mine magnétique SN° 142 118 observait passer les loups et maquereaux qui vivaient leurs vies aquatiques et sauvages. Tous semblaient l’ignorer majestueusement, indifférents à sa dangerosité. Certains coquillages, tels des moules et autres bernacles, avaient même poussés l’audace jusqu’à s’accrocher à sa carapace, sans évidemment atteindre son déclencheur. Cela faisait maintenant presqu’un an qu’elle avait été larguée un peu trop vite par un Consolidated PB4Y-1 « Libérator » pressé, lors d’une campagne de minage réalisée de nuit et sous la prédation des BF 110, espèces de rapaces nocturnes anciennement installés à proximité. Abandonnée et loin de ces camarades, depuis détonnées par les équipements spécialisés de l’armée alliée, qui n’avaient même pas poussés jusqu’à elle tant sa position restait ignorée de tous. Ainsi, et tout équipement inerte et dénué de réflexion qu’elle était, la mine s’ennuyait. Aussi, quand le cargo S.S. John Harvey passa au-dessus d’elle, ce fut l’évènement le plus intéressant de son existence. Pour fêter cette occurrence, elle détonna.

Le matelot Griffin Wilson Jr et son collègue pensaient effectivement à profiter du bleu de la Méditerranée après leurs quarts. Néanmoins, ils auraient souhaité que ce soit plus tard dans la saison, et de préférence sans avoir à se jeter à l’eau. Ou alors pour le jeu à la limite. Esquivant les nappes de Kérosène, comme tous leurs acolytes autour d’eux, ils nageaient à coups redoublés pour s’éloigner du navire en perdition, qui était secoué par les explosions. Il ne semblait pas y avoir de pertes, du moins à vue d’œil. Œil qui grattait justement, surement la chaleur. Sauter comme ça au milieu de nulle part ! On en plaisanterait presque. Du moins, si on avait le souffle pour parler. Les secours seraient vite là, on avait dû entendre l’explosion des miles à la ronde. Curieux, l’eau de mer semblait se colorier en orange autour de l’épave. Et quelle était cette F..ing odeur d’œuf pourri ? Et pourquoi ses parties le grattaient de plus en plus ?

Marcelin Guillemon était un vieux languedocien, très vieux même selon son petit-fils. Vaches de jeunes … Assis au rebord de sa fenêtre sur le port de Sète, il observait avec satisfaction les navires alliés qui allaient et venaient pour décharger le matériel nécessaire aux libérateurs. Spectacle reposant pour lui après trois pénibles années d’occupation ! A la fin de la 14-18 et les champs de batailles de la Somme, il s’était justement installé dans la région pour oublier la guerre et les allemands, et profiter de la mer. Et voilà que ces derniers s’installaient en bas de chez lui ! Il passa le bras à la taille de sa compagne. Dieu merci, il y avait Simonne, rencontrée sur le port. Avec elle il avait tenu le coup. Maintenant, les teutons étaient repartis, encore quelques mois et il pourrait de nouveau jouir d’un calme … Cette odeur rappelait quelque chose … Mon Dieu, Simonne, éloigne toi de la fenêtre !

Le Capitaine urgentiste John Malvil avait craint ce jour, et secrètement prié pour ne pas avoir à traiter ce genre de cas. La guerre conventionnelle apportait déjà son lot de douleur et de mort, il n’était pas nécessaire d’y ajouter la cruauté. Les râles s’élevaient des lits de campagnes, souillés par un liquide orange. Alors que son personnel débordé tentait de laver ses patients sans s’exposer eux aussi, il considéra la tente de l’hôpital de campagne. Des militaires, jeunes et en bonne santé, du moins avant l’évènement. Ils avaient été rapidement pris en charge. Et avaient de bonnes chances de s’en sortir (3). Il tourna la tête et regarda dehors. Mais combien de civils et de non-combattants exposés, et qui restaient chez eux sans savoir la raison de leurs maux ? Ou peut-être même de personnes déjà décédées chez elles, sans que nul ne soit au courant (4) ? Quel carnage, et celui-là ne devait rien aux allemands, mais plutôt au vent du Sud !

La main droite plaquée sur son bureau en bois laqué, le Colonel Wilkins observait son pouce qui tapait nerveusement et mécaniquement sur le meuble. Il attendait le coup de fil qui scellerait sa carrière. Car, quel que soit sa responsabilité effective, il ne savait que trop bien qu’on lui mettrait tout sur le dos. Il faudrait un coupable pour l’absence de procédure et de gestion différenciée des munitions chimiques. Et pour l’absence de transparence vis-à-vis des alliés français aussi, qui demanderait des têtes pour les morts de Sète … La transparence alors qu’il n’était même pas informé de la nature des munitions ! Amère, et se sentant vaguement coupable, il se dit qu’à ce compte-là, il faudrait pendre la majorité de ses collègues de l’USAF, et notamment les pilotes de quadrimoteurs. C’en était trop. Il se leva, réajusta sa cravate, signa sa lettre de démission et sortit son pistolet d’ordonnance.

L’affaire du SS John Harvey jeta une ombre sur les relations entre l’US Army et les autorités civiles de la République Française, vite dissipée par la force des circonstances, la disparition ou la mutation des principaux responsables et évidemment la stricte nécessité de collaborer face au Reich. Il est vrai que l’arc méditerranéen n’en était hélas pas à sa première exposition aux gaz durant le conflit, même si pour une fois on ne pouvait pas accuser les italiens. On peut aujourd’hui légitiment s’insurger sur ce qui peut passer pour de l'indifférence, voire de la complaisance. Mais, alors même que le conflit avait déjà ravagé le territoire et provoqué tant de morts, y compris parmi les civils, de quelle marge de manœuvre disposait la France vis-à-vis de son puissant allié ? Et ce alors même qu’elle restait terriblement dépendante de ce dernier sur tous les plans ? Quoi qu’il en soit, ce dramatique incident démontrera à tous les protagonistes que le stockage d’armes chimiques sur la ligne de Front, parfaitement logique dans le cadre d’un plan de riposte face à une éventuelle initiative allemande (5), ne pouvait se faire sans précaution supplémentaire et sans information du pays les accueillant. Faute de quoi, l’on s’exposait à certains désagréments en cas d’utilisation accidentelle … Des procédures communes d’inspection et de stockage furent donc mises en place au niveau interarmées. Elles restent encore en vigueur à ce jour au sein de l’OTAN, et font l’objet de remise à niveaux régulières.

(1) Le North Carolina Shipbuilding Company.
(2) Capacité théorique de transport : 504 passagers.
(3) OTL, le sinistre fit tout de même 69 morts parmi 628 victimes. Parmi eux, essentiellement des marins des navires à proximité.
(4) OTL, ce nombre reste à ce jour impossible à évaluer.
(5) OTL, lors de la campagne d’Italie, les services de renseignement italiens et les interrogatoires de prisonniers de guerre tendaient à faire croire que l’Allemagne prévoyait d’utiliser les gaz de combat sur son ancien allié, à titre de vengeance et/ou si la situation sur la péninsule évoluait par trop défavorablement à l’axe. Même s’il n’en fut heureusement rien, on comprend que le commandement américain ne souhaitait pas prendre cette menace à la légère, et se réservait le droit de riposter avec les mêmes armes en cas d’intensification du conflit.
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste


Dernière édition par demolitiondan le Sam Jan 27, 2018 20:35; édité 20 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Dronne



Inscrit le: 30 Jan 2014
Messages: 620
Localisation: France

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 18:01    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
la tramontane soufflait à coups redoublés sur le golfe de Lyon,


Bonsoir,
Golfe du Lion

demolitiondan a écrit:
Certains coquillages, tels des moules et autres coques, avaient même poussés l’audace jusqu’à s’accrocher à sa carapace, sans toutefois atteindre son détonateur.

Un détonateur est une des pièces internes qui composent le dispositif de mise de feu
_________________
Cinq fruits et légumes par jour, ils me font marrer! Moi, à la troisième pastèque, je cale..


Dernière édition par Dronne le Ven Jan 26, 2018 18:12; édité 1 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
houps



Inscrit le: 01 Mai 2017
Messages: 1845
Localisation: Dans le Sud, peuchère !

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 18:06    Sujet du message: Répondre en citant

Shocked Souffrez, cher demolitiondan, que l'on ampute votre titre d'une consonne surnuméraire...
Et puis, tant qu'à faire, je suggère de remplacer la coque, qui n'aime pas trop qu'on la mène en bateau (un comble!) et préfère s'enfouir dans le sable , par des bernacles, voire des huîtres....
Ceci dit, bravo pour ce travail pédagogique!Very Happy
_________________
Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
Messages: 10079

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 18:11    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
, lors d’une campagne de minage réalisée de nuit et sous la prédation des BF 110 de chasses de nuit installés à proximité


Nocturne est un si joli mot, pourquoi s'en priver ?
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Imberator



Inscrit le: 20 Mai 2014
Messages: 5466
Localisation: Régions tribales au sud-ouest de Nîmes.

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 18:39    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Aussi, et tout équipement inerte et dénué de réflexion qu’elle était, la mine s’ennuyait. Aussi, quand le cargo S.S. John Harvey passa au-dessus d’elle, ce fut l’évènement le plus intéressant de son existence.

Répétition.
_________________
Point ne feras de machine à l'esprit de l'homme semblable !
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 18:56    Sujet du message: Répondre en citant

Oups, merci pour ces quelques coquilles, qui vont avec le sujet quelque part. Mention spéciale au golfe de LYON qui sent bon la praline que j'ai en cuisine Very Happy ! Sinon, Dronne, je cherche en fait l'élément magnétique déclenchant la mise à feu ... dont je ne connais pas le nom ! Si quelqu'un connait le terme, et que ce dernier n'est pas trop obscur, je suis preneur !

Je vais modifier également le dernier paragraphe, une tournure me déplait à la réflexion !
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Finen



Inscrit le: 17 Oct 2006
Messages: 1947

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 19:23    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
Oups, merci pour ces quelques coquilles, qui vont avec le sujet quelque part. Mention spéciale au golfe de LYON qui sent bon la praline que j'ai en cuisine Very Happy ! Sinon, Dronne, je cherche en fait l'élément magnétique déclenchant la mise à feu ... dont je ne connais pas le nom ! Si quelqu'un connait le terme, et que ce dernier n'est pas trop obscur, je suis preneur !

Je vais modifier également le dernier paragraphe, une tournure me déplait à la réflexion !


Pour ta question, il s'agit d'un déclencheur magnétique. Cela dit, c'est surement une pièce interne à la mine.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9357
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Ven Jan 26, 2018 21:08    Sujet du message: Répondre en citant

Ce qui ne pose pas fondamentalement de problème Very Happy Merci bien je modifie !
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> 1943 - Discussions Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, ... 22, 23, 24  Suivante
Page 2 sur 24

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum


Powered by phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Traduction par : phpBB-fr.com