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Julius, pilote de guerre - par Etienne
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
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MessagePosté le: Lun Fév 20, 2017 13:16    Sujet du message: Julius, pilote de guerre - par Etienne Répondre en citant

Hé oui, Etienne poursuit les histoires de ses Gens du Nord - après les débuts de la famille Nordinaire, ceux des mémoires de Julius, pilote.

« Il est normal que les aviateurs fassent du zèle, puisqu’ils en ont déjà sur leurs insignes. » (E.D.)

Juillet 1940
Aux environs d’Alger
– Je m’appelle Julius.
Pas Caesar, non.
Celle-là, je l’ai entendu maintes et maintes fois à l’école, et je suppute que ça se reproduira…
C’est le prénom de mon grand-père, fusillé par les Allemands pendant l’occupation de Lille en 14-18. Mon père m’a donc baptisé ainsi en souvenir du sien, même s’il ne sait pas très bien pourquoi mon grand-père est mort, car lui était mobilisé dans l’armée d’Orient, très loin, comme son cousin qui était mécano dans l’aviation.
Je n’aime pas trop ce prénom, il fait flamand, ce qui reste normal vu nos ancêtres, ou allemand, ce qui est pire… Alors en ce 1er juillet, devant le sergent recruteur, tout en lui présentant mes papiers, j’explique que je préfère être inscrit sous un nom d’emprunt, rapport à ma famille qui est restée en zone occupée, et dans la case « Alias » du formulaire, le brave sergent note « Jules Houbois ». C’est fou comme avec si peu de choses, on se sent un homme neuf !
Je réponds aux questions du sergent, entre autres sur mon parcours scolaire, dont je ne peux hélas fournir les justificatifs, restés à la maison. Et comme, devant l’avance allemande, j’avais précédé l’appel de quelques jours, le CR [Centre de Recrutement] de Lille, tout aussi inquiet de l’arrivée imminente des panzers, m’avait illico fait transférer sur Arras, je n’avais pas pris le temps d’aller les rechercher. Par la suite, comme je n’avais pas encore l’âge légal à un mois près, les CR s’étaient tous refilé la patate chaude, me trimbalant de l’un à l’autre, jusqu’à ce qu’on finisse par me Déménager à Alger, où je suis enfin en instance d’inscription, ayant passé mi-juin l’anniversaire de mes 18 ans. Le sergent sourit.
Il me pose la question de l’Arme dans laquelle je voudrais servir, et je réponds « L’Air ».
Comme tous, soupire t-il…
Oui, mais moi j’ai ma licence de pilote, que je lui tends. Je suis breveté grâce à la Popu, l’aviation populaire, où j’ai pu commencer dès mes 16 ans.
– Combien d’heures de vol ?
– A peu près une centaine, faudrait faire le compte…
– Et je suppose que vous n’avez pas votre carnet de vol, comme tout le monde ?
– Ah si, ça j’allais pas le laisser à la maison, le voici…

Surpris, le sergent prend le carnet et l’ouvre : « Comment ça marche ? C’est le premier que je vois ! »
– Je suis le premier aviateur à passer devant vous ?
– Oh non, mais bizarrement, aucun n’avait son carnet, ils le laissaient à l’aéro-club, paraît-il… Un officier pilote m’a expliqué qu’en fait, ils devaient probablement gonfler leurs heures pour être admis plus facilement.
– C’est bête, les instructeurs s’en rendront compte vite… Donc voilà : Sur chaque page, une ligne correspond à un vol, avec la durée. En bas de page, on fait le total de ces durées, qui est reporté sur la page suivante, et ainsi de suite. Sur l’avant-dernière page, le total est de 96 h 18 mn, et sur la dernière, il y a… Voyons, je compte… 2 h 35 mn, soit 98 h 53 mn à ce jour. Pas loin des cent.
– D’accord. Je note la présence des justificatifs, avec les numéros des documents. Il vous reste la séance des empreintes digitales et votre dossier est complet. Il passera chez l’officier des affectations, mais a priori vous êtes bon pour l’école de l’Air.

………
Le lendemain, je prends le train pour Fès, où je rejoins une Ecole Élémentaire de Pilotage (EEP). Là, passage chez le fourrier, on me donne enfin mes tenues militaires, dont une combinaison de vol, un casque/serre-tête et des lunettes de vol, équipement qui ne servira pas de suite, car j’ai droit à mon mois de classes !


Août-septembre 1940
Fès
– A l’issue de mes classes, entretien avec le capitaine responsable de l’EEP, surpris lui aussi de trouver un carnet de vol ! Après quelques questions basiques sur la théorie du vol, il m’ordonne de m’équiper, nous allons faire un test en vol sur un Caudron Luciole, avion qui figure sur mon carnet…
Un peu d’appréhension tout de même, car avec la déclaration de guerre, je n’ai pas piloté depuis plus d’un an ! Mais c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, et même si je n’ose pas de figure d’acrobatie, tout se passe bien pour mes tours de piste et prise en mains à 1 500 mètres.
Si bien qu’au retour, en descendant du biplan, le pitaine hèle un autre officier devant les hangars, et lui dit de s’occuper de moi pour intégrer l’Ecole Auxiliaire de Pilotage, l’étape suivante du cursus pilote, tout en précisant qu’à son avis, je pourrais tout aussi bien aller direct en école principale de pilotage (EPP) ! Mais bon, jugulaire-jugulaire, quelques tours sur Aiglon calmeront les instances supérieures, et puis, je dois aussi faire le peloton des élèves gradés (PEG), de ce fait !
………
Un des moments forts de ce PEG est la marche d’orientation, où l’adjudant-instructeur nous explique toutes les subtilités de l’orientation en nous emmenant sur un terrain d’exercice. Je dois couper court à ses explications, car vers 7 heures nous marchons face au soleil, qui commence à taper, alors que nous sommes sensés nous diriger vers le sud… Petit écart de route, mais avoir remis l’instructeur dans le droit chemin me vaut des yeux noirs et une certaine inimitié durant tout le stage, d’où je sors néanmoins avec la promesse des galons de sergent si j’arrive au bout de la formation EPP. Le minimum pilote, quoi, malgré les bonnes notes théoriques et des prouesses dans certains domaines, notamment au tir. Mais bon, chétif et ironique, les chefs n’aiment pas trop ça.
………
En EAP, la reprise des cours théoriques “avion” et surtout des vols est un réconfort, d’autant plus que l’EAP dispose de deux Caudron Aiglon, monoplan biplace plus rapide que le Luciole ou le Romano 82, autre biplan-école utilisé à Fès. Mon instructeur en vol est l’adjudant Becquet, qui est du Nord comme moi, ce qui facilite nos rapports. Non qu’ils auraient été difficiles, car l’adjudant est d’une amabilité sans pareille, sans jamais mettre en avant son statut d’As. Au GC II/1, il a abattu 5 appareils sur son Bloch 152, mais la plupart en collaboration, « parfois faible » dit-il. Il officie aussi au sein de l’EPP et du CIC de Meknès, je devrais continuer à le voir quelque temps…
Si les instructeurs en théorique ont fait la moue à cause de mon passage au PEG qui m’a fait louper quelques cours, force leur est de reconnaître que je n’en ai pas trop besoin et que je mérite mon brevet civil, donc militaire ! Et comme Becquet confirme mes aptitudes en vol par des commentaires élogieux, je rattrape directement la session EPP-chasse qui vient juste de commencer. L’air de rien, j’ai gagné cinq mois, à ce que l’on me dit…


Septembre-novembre 1940
Fès
– En EPP, ça devient sérieux : on passe sur Morane MS-230 pour la voltige entre autres, et sur Caudron Simoun pour le pilotage sans visibilité (PSV). Ne manque plus qu’un avion à train rentrant, et on aura fait le tour du sujet.
Après la prise en main des appareils, et entre les toujours fastidieuses séances de cours théoriques, on passe de la technique du vol en soi à celle du vol militaire en alternant séances d’acrobatie en individuel et vols en formation – faut avouer que dans ce dernier cas, on a tendance à serrer les fesses et à épier les moindres mouvements du ou des voisins. Ce n’est pas mon fort, et apparemment, je ne suis pas tout seul ! Je préfère à la rigueur le PSV, tout aussi rigoureux cependant, car ne voler qu’aux instruments réclame pas mal de sang-froid et d’attention. Ce qui est amusant, c’est que nous devons faire les exercices PSV avec une bâche sur le cockpit pour ne pas voir l’extérieur : la faute au Déménagement des écoles en AFN, où la météo n’est pas assez mauvaise ! Enfin, pour le moment, paraît que ça va changer avec l’hiver… Juste au moment où on devrait arriver en Centre d’Instruction à la Chasse (CIC), bien ma veine habituelle ! Enfin, ce sera formateur, comme dit Becquet, philosophe.
Anticipant quelque peu le CI de Meknès, Becquet emprunte un MS-225, utilisé habituellement pour l’entraînement des pilotes confirmés ou même des instructeurs, et me le confie, après un rude amphi-cabine et des consignes à tout-va. Il se fait néanmoins enguirlander par le capitaine, mais réplique en souriant que d’abord j’ai un niveau au-dessus de la moyenne, ensuite que, vu le peu de disponibilité des 230, on ne va pas faire la fine bouche, de toutes manières, ils finiront un jour à la casse ! Le capitaine repart en maugréant que si on laissait faire ces foutus instructeurs, tout le monde serait déjà sur MS-406 ! Moi, je trouve que ce serait une bonne idée, au moins pour apprendre à avoir les réflexes complets pour les circuits de piste sur des avions modernes, où il faut penser à plus de choses (train, volets, pas variable), et c’est ce que pense aussi Becquet. Mais on parle de nouveaux appareils pour remplacer les MS-230 et Simoun, des T-6 Harvard américains, dérivés des NA-57 à train fixe déjà en service chez nous ; ils ont tout ce qu’il faut et sont aussi en double commande, contrairement au 406. Toujours est-il que nous faisons ainsi quelques sorties en double, sous prétexte de renforcer mon entraînement au vol en formation, provoquant quelques grimaces chez les copains moins veinards. Mon carnet gonfle tranquillement à quelques 250 heures, mais c’est logique vu mon brevet civil, les autres sont autour des 210-220 maxi.
Parmi les autres stagiaires, je me suis fait un pote de mon voisin de chambrée, dont le nom commence par un H, comme moi : Martin Hazel, un pur titi parisien. Je n’ai rien dit en voyant son nom, mais on a le même humour à peu près, et surtout plein d’à-peu-près ; nous formons « la plus belle paire de Fès » dit Becquet qui apprécie aussi ce genre de blagues. Donc quand il a dit un jour qu’il était normal qu’il devienne aviateur vu qu’il s’appelle « A z’ailes », je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander si son père avait de l’humour.
– Bah pourquoi ? Il ignorait que je deviendrais aviateur !
– Non, c’est pas ça, mais il n’est pas d’origine flamande, au moins ?
– Lui non, mais mon grand-père est né quelque part sur la frontière belge, pas loin de Dunkerque, un nom bizarre à prononcer, Gode quelque chose…
– Godwaerswelde ?
– Oui, c’est ça ! Tu connais ?
– Oui, c’est en plein pays flamand, je comprends mieux…
– Quoi ?
– Ton nom ! Tu sais ce que ça veut dire en flamand ?
– Euh, non…
– Bin ça veut dire : âne… Mais un âne qui s’appelle Martin, soit c’est du hasard, soit c’est de l’humour !

Là, je vois mon Martin blêmir, il ouvre la bouche comme un poisson asphyxié et s’assied, ou plutôt tombe sur son lit.
– C’est donc ça…
– Quoi donc ?
– Mon père est fâché avec mon grand-père depuis ma naissance, et on n’a jamais trop su pourquoi, du moins je n’en ai jamais rien su…
– Bon, c’est déjà ça, ce n’était pas une plaisanterie de la part de ton père, par contre ton grand-père a dû en rire, d’où leur fâcherie.
– Sûrement… Dis Jules, s’il te plaît, promets-moi de ne rien dire aux autres !
– D’accord, mais tu arrêtes de m’appeler César !
– Promis, juré !


Novembre-décembre 1940
Meknès
– Fin novembre, c’est sous la pluie et en train que nous rejoignons Meknès, pour intégrer le CIC. Becquet nous accompagne (et nous encadre pour le voyage), il a sorti comme argument de suivre ses élèves jusqu’à la fin, ce qui n’est pas bête en soi, mais je le soupçonne plutôt d’en avoir sa claque du capitaine de l’EPP, pète-sec et doté d’œillères qui ne dépareraient pas un cheval de trait de 14.
Il y a de tout à Meknès. Enfin, comme avions de chasse sur la base, car au niveau de la ville, ça sent plutôt le bled. C’est pas plus mal, va falloir être en forme. Je me demande quand même si la multiplicité des avions sur le parking est une bonne chose. Il y a là des avions d’entraînement biplaces, les fameux NA-57, mais aussi d’anciens chasseurs, MS-225 et Dewoitine D-501 et 510, et puis des MS-406 (en pagaille), quelques Caudron 690, 720 et 714 (un seul), et même des avions modernes, Dewoitine 520, Curtiss H-75 et Bloch 152, en quelques exemplaires seulement. On ne va quand même pas voler sur tous les types ? Je m’en ouvre à Becquet, qui sourit.
– A priori, et pour ce que j’en sais, uniquement du NA-57 en double commande, puis du MS-406 pour l’apprentissage à la chasse même. A la fin du stage, après les résultats et affectations, des vols sont prévus sur les engins des Groupes de destination.
Bon, m’étonnerait que je vole sur les Caudron, dont j’adore les formes fines et pures… Bah, on se contentera du D-520, après tout ! J’apprends que les MS-225 ou D-501 sont utilisés pour peaufiner les ceusses qui ont du mal avec les trains d’atterrissage escamotables avant de passer aux “lourds”, mais en fait ils servent plutôt pour l’amusement, euh pour l’entraînement des pilotes plus anciens ou au repos.
A présent, les cours théoriques parlent plus de tactique de combat que de technique, même si l’on doit apprendre par cœur les procédures au sol et en vol, mais ça c’est vrai pour tout type d’avion. Et puis il y a la technique spécifique : collimateurs, armes, radios, inhalateurs. Les instructeurs sont d’ailleurs un peu soucieux à cause du matériel qui risque de changer : les fournisseurs français ont rarement pu être évacués, et il y aura bientôt du matos américain. « Faudra que vous vous y fassiez lorsque ça arrivera en escadrille, mais en attendant, apprenez avec ça, c’est toujours utile. »
Le plus gros morceau, ce sont les formations de combat. Les anciennes préconisations sont ouvertement contredites par les pilotes qui se sont battus, comme Becquet. Avec une patrouille de trois avions, lors d’un virage pour engager l’ennemi, si l’équipier à l’intérieur du virage a toutes les chances de suivre son chef de patrouille, celui à l’extérieur a neuf chances sur dix de perdre de vue les deux autres et de se faire tirer comme un lapin par l’adversaire. De toute façon, il paraît que dès le mois de juin dernier, les patrouilles doubles n’étaient déjà plus de deux fois trois avions, mais de trois fois deux avions.
Les vols se succèdent, même par mauvais temps (enfin pas trop mauvais quand même), afin d’améliorer nos aptitudes au PSV. Je n’ai pas trop parlé des incidents mécaniques qui émaillent nos sorties, mais ce que je pressentais lors de nos vols en formation serrée se produit lors d’une journée plutôt pluvieuse, où deux de mes compagnons se heurtent en vol. Si l’un d’eux parvient à poser son avion endommagé sur le ventre et s’en sort avec des blessures qui l’immobilisent quelques semaines, l’autre périt carbonisé dans son appareil. Le moral devient aussi plombé que le temps, nous ne sommes pas encore au combat que déjà la mort nous côtoie et nous frappe, et il faut les fêtes de fin d’année pour l’oublier. Oublier, un mot qui reviendra souvent dans notre carrière, mais nous ne le savons pas encore.
Passation de pouvoir pendant la période des fêtes : c’est le capitaine Williame, un as aux huit victoires sur MS-406 et patron du GC I/2 (les prestigieuses Cigognes de la Spa 3), qui reprend la tête du CI après la dissolution de son groupe. Il aura son quatrième galon lors de notre cérémonie de remise des ailes. Comme quoi, le 406 n’est pas si pourri qu’on le dit, suffit de bien le piloter.
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GUY2LUZ



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MessagePosté le: Lun Fév 20, 2017 22:38    Sujet du message: Répondre en citant

Merci Etienne,

Cela prends le chemin d'une petite guerre...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 11:08    Sujet du message: Répondre en citant

Suite du feuilleton.


Janvier 1941
Meknès
– Le 4 janvier, surprise, le patron me convoque. Je suis un peu surpris, car il n’y a pas que Becquet pour me soutenir, la plupart des instructeurs ont l’air de m’apprécier, malgré mon côté moqueur. Qu’ai-je bien pu faire ? J’envisage les trucs les plus niais et les plus improbables en me rendant à son bureau, sans vraiment trouver quelque chose de plausible…
– Mes respects, mon capitaine !
– Ah ! Houbois, repos, entrez donc.

Petit silence gêné, de part et d’autre.
– Je suis embêté…Je vois dans votre dossier que vous n’avez pas effectué la visite ophtalmo obligatoire à l’intégration, probablement une lacune due au Déménagement, mais c’est bien sûr à moi qu’on demande des comptes. Allez donc à Marrakech faire cette visite, qu’ils arrêtent de me les briser avec ces c…ries.
Je tombe des nues.
– Mais mon capitaine, j’ignorais qu’il y avait cette formalité ! Comme j’avais mon brevet civil, je pensais que ça valait fonction…
– Je le pensais aussi, et visiblement – si je puis dire – ça va pour vous si je vois tous les commentaires élogieux à votre sujet, du moins en qui concerne la partie pilotage ou théorique, mais bon, l’administration était déjà implantée ici avant notre arrivée précipitée… Enfin, allez-y, ça les calmera.
– A vos ordres, mon capitaine.
– Ah ! Restez une journée de plus là-bas si le cœur vous en dit, vous le méritez, on invoquera un souci de transport…
– Merci mon capitaine !

Voilà un supérieur qui me change de ceux de Fès ! Je comprends mieux l’attitude de Becquet. En sortant du bureau, je me dis qu’en fait, je vais avoir quelques jours de repos, les copains vont encore être jaloux !
Evidemment, je ne pense pas une seule seconde qu’il pourrait y avoir un problème. Je n’ai aucun problème de vue, mais il y a des normes et il faut y entrer. Comme je l’ai précisé au capitaine Williame, j’ai passé avec succès les tests pour mon brevet civil et le déchiffrage du tableau militaire ne me pose pas plus de problème. Seulement voilà, les médecins militaires ou chargés d’expertises militaires (en ces temps de guerre, on ne voit pas trop la différence, à un moment ou un autre, ils portent tous des galons) se sentent obligés de pousser leurs investigations plus loin qu’il n’est besoin et il faut que l’ophtalmo me fasse un fond d’œil. Déjà, je déteste ça, et le toubib s’en rend vite compte, vu la difficulté qu’il a pour me mettre une goutte dans chaque œil, ma paupière se fermant instinctivement à l’approche du liquide étranger à mon intégrité. Et supporter un rai de lumière à travers une loupe, c’est pire…
– Mais ne fermez pas votre œil si souvent ! Vous avez quelque chose de bizarre dans l’œil droit, et je n’arrive pas à voir correctement !
Je dois me mordre pour ne pas lui demander s’il a besoin de lunettes…
– Avec votre lumière, mon œil sèche, donc j’humidifie par instinct.
– (Soupir) Oui, mais bon, là il va falloir que je fasse une photographie, c’est trop rare…
– Quoi donc ?
– Vous avez deux artères dans l’œil droit !
– Ah ? Et alors ?
– Normalement, il n’y en a qu’une.
– Et c’est gênant ?
– A priori non, mais lorsque j’aurais fait cette photo, on fera un test d’acuité plus poussé.
– Bah, puisque je vois clair ?
– Sait-on jamais, je dois vérifier.

Je soupire… Après avoir passé un quart d’heure à essayer d’avoir un cliché correct – du moins espère-t-il, vu le nombre de fois où j’ai battu de la paupière au moment crucial – il me fait faire un test d’acuité avec des cercles non fermés à la place des lettres habituelles et détermine ainsi une acuité de 6/10e à droite au lieu des 10/10e préconisés. En fait, seul un léger point central est plus flou que le reste…
– Ah, mais vous ne pouvez pas devenir pilote !
– Trop tard, j’y suis déjà…
– Alors vous ne pourrez plus continuer !
– Vous foutez pas de moi, on ne pilote pas en fermant un œil, et avec les deux, j’y vois très bien !
– Peut-être, mais je me dois de faire un rapport à votre supérieur.

Il est probable que les mots qui sortent alors de ma bouche lui plaisent pas et ne font qu’aggraver mon cas, quoiqu’il reste calme, il doit avoir l’habitude. Je sors du cabinet médical en fureur, et abattu à la fois.
Que faire ? J’avais envie de rentrer à la base, de prendre un zinc et de venir lui montrer mes talents en rase-motte, à ce briseur de carrière ! Je choisis cependant une méthode plus calme quoique non pondérée, à savoir ce que j’avais prévu initialement : faire la fête en ville, mais j’y mets beaucoup plus d’ardeur, noyant mon chagrin dans le champagne frelaté des bars pour finir entre de tendres bras réconfortants.
A mon arrivée à la base, on met d’ailleurs ma tête d’enterrement sur ce compte et je ne dis rien de plus, préférant montrer une gueule de bois que des pleurs. Becquet seul se rend compte d’une anomalie, car après le vol de l’après-midi, il me dit qu’il ne m’a jamais vu prendre autant de risques en voltige : « Pourtant, t’es pas bourré… Qu’est-ce qui t’arrive ? » Je serre les dents et ne réponds pas, mais en partant, je sens son regard fixé sur moi…
L’instant fatidique de la convocation du capitaine arrive bientôt, le toubib a donc envoyé son rapport. Je trouve la porte de son bureau ouverte, et il me fait signe d’entrer avant même que j’aie pu esquisser un salut.
– Entrez Houbois, fermez cette porte derrière vous, qu’on soit au calme, et asseyez-vous.
– Euh… Merci mon capitaine.
– Qu’est ce que c’est que cette histoire d’œil droit à 6/10e ? Vous n’avez pas une vue correcte ? J’ai pourtant sur cette feuille les résultats de vos essais de tir en vol, vous faites un score que je ne suis pas sûr de pouvoir reproduire !
– C’est à dire, mon capitaine, que si je ferme le gauche et que je regarde votre casquette sur le bureau, le centre de votre insigne d’ailes est un peu flou, mais tout le reste est net, et avec les deux yeux, il n’y a pas de souci. Je n’y avais jamais prêté attention, du reste. Car même les lettres sur leur tableau de lecture, je les vois toutes. Il a fallu qu’il fasse un examen poussé pour s’apercevoir de mon défaut…
– Je vois… Foutus toubibs ! Toujours à chercher la petite bête pour nous empêcher de voler, à croire qu’ils sont jaloux.

J’acquiesce en silence… Que dire de plus ?
– Le hic, c’est qu’il y a copie à l’état-major… Et m… ! On a besoin de pilotes, et pour une fois qu’on en en tient un hyperdoué, il faut qu’un imbécile vienne foutre un grain de sable dans la machine !
– Hyperdoué ? Moi ?
– Mais oui, vous ! Je ne devrais pas le dire maintenant, mais vous êtes le major de la promotion, depuis le début, et de loin ! Alors ça m’énerve que nous ayons tous fait des efforts pendant tout ce temps pour rien. Je suis persuadé que vous ferez un excellent chasseur, car en plus d’être doué, vous comprenez vite et bien. Je vais me faire taper sur les doigts, mais… Dites-moi, avez-vous parlé à quelqu’un de ces résultats d’ophtalmo?
– Non, mon capitaine, pas même à Bec… A l’adjudant Becquet. Tout le monde pense que je fais la tête à cause d’une biture que j’aurais prise en sortant le soir de la consultation.
– Et vous l’aviez prise ?
– Euh… Oui mon capitaine.
– Mouais… C’est pas plus mal, ma foi, même si ça n’arrange rien. Bon, on est à peine à quinze jours de la remise des ailes, vous allez aller jusqu’au bout, que diable ! Qu’au moins vous puissiez les obtenir, ils ne pourront pas vous les enlever.
Donc, vous, vous faites semblant de rien, vous ne dites rien. Moi de mon côté, la lettre du toubib va passer en dessous de la pile de courrier, je jouerai l’imbécile quand ils me demanderont des explications et je leur sortirai un rapport blindé sur vos aptitudes, dont je suis persuadé de toute façon. J’ai peur que ça ne suffise pas aux planqués des bureaux, mais même si vous n’obtenez pas la chasse, il faut au moins que vous ayez un manche entre les mains ! Au pire, du convoyage…
– Du convoyage ?
– Oui, de chasseurs neufs vers les unités. Ça permettrait d’utiliser vos compétences acquises, d’acquérir de l’expérience sur les machines en question, et le jour où l’opportunité se présentera de rencontrer un Boche sur le trajet, vous le descendrez, histoire de prouver que vous avez une vue bien suffisante pour être chasseur ! Après, ça devrait être plus facile pour convaincre les badernes.
– Mon capitaine, je ne sais que dire…
– Alors ne dites rien… Surtout ne dites rien ! D’ailleurs moi-même, je n’ai rien dit ! Vu ?
– Vu, mon capitaine, mais merci tout de même !

J’ai presque les larmes aux yeux en sortant du bureau du capitaine Robert Williame, mais ce sont des larmes de joie.
Je reprends les cours regonflé à bloc, nul doute qu’un tel As saura se faire entendre. Et Becquet voit avec satisfaction le sourire revenu sur mon visage, sans poser plus de question. Avec amusement, je me rends compte que les vols qui ont suivi la consultation, empreints de témérité dans un contexte quasi-suicidaire, m’ont en fait montré aussi les capacités et les limites, à la fois des avions et du pilote. Après une analyse froide et rétrospective de ces vols, je recommence à pousser les limites, mais cette fois avec la tête reposée et calme, ce qui me donne une efficacité grandie, à tel point que lors de la dernière simulation de combat avec les instructeurs en face, dont le capitaine, je sors « intact » tout en ayant « abattu » mon cher adjudant, qui ne s’est pas du tout laissé faire, et ce sous les yeux du capitaine, qui a bien essayé de m’avoir. Les félicitations au retour laissent entendre aux copains que le résultat du stage ne fait aucun doute, et tous me congratulent avec envie mais sans jalousie, nous avons réussi à former une équipe assez soudée.
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JFF



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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 11:14    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent texte, merci Etienne

mais c'est dangereux de nous écrire de si bonnes histoires, car après on devient accros, et on en redemande Smile
_________________
"Ne doutez jamais du courage des Français, ce sont eux qui ont découvert que les escargots étaient comestibles"
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Toubib



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Messages: 82

MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 11:42    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent récit.
Petite précision corporatiste mais qui est souvent source de malentendu. L'aptitude délivrée par un médecin militaire n'a de valeur que d'avis. Il ne s'agit pas d'une décision. C'est le commandement qui a le dernier mot et peut ou pas choisir de suivre l'avis du service de santé.
Généralement il suit l'avis des spécialistes mais pas toujours...
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loic
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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 13:56    Sujet du message: Répondre en citant

Le récit pourrait aussi évoquer les conversions en MS-410.
_________________
On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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Etienne



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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 14:57    Sujet du message: Répondre en citant

JFF a écrit:
Excellent texte, merci Etienne

mais c'est dangereux de nous écrire de si bonnes histoires, car après on devient accros, et on en redemande Smile


Merci, mais ça va la suite est prévue...

Citation:
Excellent récit.
Petite précision corporatiste mais qui est souvent source de malentendu. L'aptitude délivrée par un médecin militaire n'a de valeur que d'avis. Il ne s'agit pas d'une décision. C'est le commandement qui a le dernier mot et peut ou pas choisir de suivre l'avis du service de santé.
Généralement il suit l'avis des spécialistes mais pas toujours...

Pour les ophtalmo, c'est rare que ça ne soit pas suivi, hélas pour moi!

Citation:
Le récit pourrait aussi évoquer les conversions en MS-410.

A quel niveau? pour ce texte-ci et sa suite, c'est trop tard, mais ça peut se faire dans un autre récit?
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bonatti



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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 17:59    Sujet du message: julius pilote de guerre Répondre en citant

j ai poussé un ouf de soulagement a la fin car je n avais pas venu venir du tout ces avatars

MERCI
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loic
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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 19:39    Sujet du message: Répondre en citant

Pour les MS-410, étant donné que le MS-406 représente pour notre pilote à ce stade ce qui se rapproche le plus d'un chasseur "pour de vrai", on peut penser qu'il va développer une affection pour l'appareil. Un instructeur pourrait lui donner l'info que l'avion a été amélioré et se trouve déployé dans le Dodécanèse (GC I/39). À partir de mars 41, il pourra évoquer l'Indochine et en avril le Levant.
_________________
On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...


Dernière édition par loic le Mar Fév 21, 2017 22:09; édité 1 fois
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Etienne



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MessagePosté le: Mar Fév 21, 2017 19:48    Sujet du message: Répondre en citant

Je note ça dans un coin, mais ça ne sera pas pour Julius Whistle
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Fév 22, 2017 14:10    Sujet du message: Répondre en citant

Février 1941
Meknès
– Le 1er février, cérémonie de remise des ailes (les macarons) aux élèves par le ministre de l’Air en personne, avec annonce des résultats et grades, et demandes d’affectation. C’est l’occasion aussi pour Williame de recevoir sa quatrième barrette, et Becquet est nommé adjudant-chef.
Je suis major de la promotion, ce qui n’est plus une surprise ; avec grade de sergent, ce qui fait un peu tiquer les huiles, à qui Williame doit expliquer mes déboires en classes et au peloton. « Bah, vous progresserez vite, j’imagine ! » conclut le ministre, souriant. Prioritaire, je demande mon affectation à la 3e EC sur Dewoitine 520, actuellement en Corse.
Avant de partir rejoindre nos unités respectives, quelques vols sont nécessaires pour nous familiariser avec notre futur matériel, et je récupère le sergent-chef Pierre Boillot comme instructeur pour le 520. Il vient du GC II/7 et a remporté 9 victoires et 3 probables, dont 2 sûres et une probable depuis le début du Déménagement. Comme la plupart des groupes sur D-520 sont en réserve, les CIC récupèrent quelques As en attendant leur reformation. Comme Becquet désire repartir au combat mais qu’il n’y a plus de Bloch en production, il s’intéresse à la chose et nous faisons un petit groupe d’instruction, avec Hazel qui a aussi obtenu la 3e EC.
Nous sommes lâchés rapidement. L’avion est assez fin et capricieux aux basses vitesses, ce n’est pas une sinécure au décollage et surtout à l’atterrissage : sa charge alaire est élevée, et il bouffe de la piste. Par contre, en vol, c’est une merveille : un taux de roulis incroyable, un bon taux de virage, et une capacité à grimper aux arbres qui change du 406. Une belle tendance au piqué aussi, c’est un avion à manœuvrer sur le plan vertical, ça !
J’effectue une dizaine de vols dessus, dont quelques exercices de tir particulièrement réussis, quand le couperet administratif tombe à nouveau. Les résultats de la promotion et les demandes d’affectation sont arrivés sur les bureaux de l’état-major et en préparant les dossiers, les gratte-papier sont retombés sur le rapport médical de l’ophtalmo. Enquête auprès de Williame, qui joue le chef débordé qui n’a pas eu le temps de s’occuper des broutilles, mais qui confirme l’excellente tenue du pilote concerné (moi) et fait un véritable plaidoyer en ma faveur !
Le verdict est hélas administratif, sec et sans appel : pas de pilote de chasse sans une vision à 10/10e sur les deux yeux. Williame a beau objecter que certains chasseurs, réputés et confirmés comme As, sont borgnes, rien n’y fait. Il s’agit là d’accidents sur des pilotes confirmés, rien à voir avec un jeune pilote dont la vue est insuffisante…
Le commandant propose alors le convoyage des avions neufs vers les unités, mais si l’idée intéresse les responsables de l’état-major, rien n’existe pour le moment, et je suis affecté au Transport, provisoirement, me dit-on. La seule chose qui me console un peu, c’est que ma place dans la 3e EC est récupérée par Becquet, qui n’en demandait pas tant !
Le 10 février, pour rejoindre Relizane, où se trouve le CI Transport, le commandant me confie un NA-57 : l’EPP local en réclame à cor et à cris et Meknès devrait récupérer des NA-59 à train rentrant, les AT-6 américains, achetés à prix d’or et censés arriver bientôt. Un peu plus de deux heures de vol à rajouter sur mon carnet pour faire les 600 bornes qui séparent les deux bases, c’est déjà ça de pris. Dernier cadeau du commandant qui, d’une façon peu militaire, me serre la main dans son bureau quand je prends congé.
Le trajet est une sinécure. Beau temps, léger vent d’ouest, belle visibilité. Cap au 070, je survole d’abord Fès, petit battement d’ailes au-dessus de la base pour les copains encore sur place, et je continue sur le même cap vers 2 000 mètres, histoire de ne pas avoir trop chaud, jusqu’à apercevoir la mer par le travers d’Oujda. Mon vol a beau avoir été signalé à toutes les instances de contrôle d’AFN, j’ai de temps en temps la visite d’une patrouille venant renifler l’oiseau solitaire. A chaque fois, petit battement d’ailes à leur approche, histoire de calmer des doigts trop fébriles sur le bouton de tir. Puis, c’est Tlemcen, Sidi bel Abbès et Oran, où je passe entre les deux, bientôt Perrégaux, et enfin Relizane. Je n’ai pas trop de mal à repérer l’aérodrome, le beau temps permet les envols. Par contre, leur radio est muette, et je dois faire un passage au ras du contrôle pour me faire repérer et avoir le feu vert pour l’atterrissage. Pas de difficulté pour celui-ci, la piste se fait au hasard du vent, suffit de bien visualiser la biroute et le T. Je rejoins le parking, où un rampant me donne une place. Ayant tout coupé, je confie le zinc aux mécanos qui sont venus renifler ma monture qu’ils ne connaissent pas encore, du moins en vrai. « Prenez-en soin, les gars, il est à vous, maintenant ! » Arrivé au PC, je pose mon sac et demande au sous-off de service où je peux trouver le commandant du CIT. Une voix de stentor rugit de derrière un fauteuil de cuir très anachronique pour le pays.
– C’est moi ! Et que lui voulez-vous au commandant du CIT ?
– Heu… Mes respects mon Commandant. Je suis le sergent Houbois, affecté au Transport, et je dois faire un stage chez vous.
– Ah oui, on m’a prévenu de l’arrivée d’un pilote de chasse qui ne voit pas clair, c’est vous ?
– Oui, mon commandant, mais je vois très bien, c’est un toubib qui m’a trouvé une paille dans l’œil…
– Ouais, on dit ça… Bah ça sera facile à vérifier. Mais pourquoi êtes-vous en tenue de vol ? Vous ne croyez tout de même pas que vous allez commencer de suite, non ?
– Euh non, mon commandant, c’est parce que je vous ai amené un avion de Meknès.
– Un avion, quel avion ?
– Un NA-57.
– Où est-il ?
rugit-il encore, à croire qu’il ne sait faire que ça. En fait, j’apprendrai plus tard qu’il est devenu un peu sourd à cause du bruit des moteurs. Il se précipite vers la porte, l’ouvre et fonce sur le parking à grandes enjambées, jamais vu un type marcher aussi vite ! Je le suis, bien sûr. Son arrivée écarte les mécanos contemplatifs, il s’approche de l’appareil et commence à l’examiner sous toutes les coutures, puis il se tourne vers moi : « Pas mal… Il est récent ? »
– Je ne crois pas, mon commandant, mais c’est du solide, il reste en bon état tant qu’on ne l’esquinte pas trop.
– Je vois ça. Bon, je n’ai plus qu’à appeler mon pote Robert pour le remercier, ça fait des mois que j’en demandais, j’espère qu’il m’en transfèrera d’autres.
– C’est prévu, d’après ce que j’ai compris, mais il vous faudra des pilotes pour aller les chercher.

Il me regarde d’un drôle d’air, bouche tordue, les yeux pincés.
– C’est un appel du pied ?
– Euh non, mon commandant, juste un message du commandant Williame, enfin plutôt… C’est ce qu’il m’a dit.
– Je vois. Bon, allez au mess voir le lieutenant Gerlot, il vous attribuera une chambre. Posez-y votre sac et revenez au PC dans une demi-heure, je vous y attends. Et gardez votre tenue de vol.
– A vos ordres, mon commandant.

Je récupère une piaule dans un baraquement en tôle, c’est déjà chaud en cette saison, ça doit être intenable en été ! J’espère bien ne plus être ici… Je me rafraîchis un peu, puis retourne au PC, quelque peu inquiet sur la suite des événements. Je franchis le seuil une dizaine de minutes avant l’heure prescrite.
– Ah ! Houbois, j’ai failli attendre ! Bon, on y va !
Et il sort du PC comme si on était en alerte. Je lui emboîte le pas, difficilement. A ma stupéfaction, on se dirige vers le NA-57, dont des mécanos complètent le plein. Il veut me tester dessus alors que je l’ai amené seul ?
– Bien ! Houbois, faites-moi un amphi-cabine de l’appareil, et après on décolle.
Et il s’installe en place avant. Je lui explique donc les caractéristiques de l’avion, vitesses, etc. Puis il boucle sa ceinture et me fait signe d’aller à l’arrière. Je monte donc… en place instructeur, c’est pas banal ! Il met en route, on teste l’interphone qui fonctionne parfaitement et on prend la piste à la fusée verte. Il décolle rapidement, et grimpe tout aussi vite. Inquiet, je suis la position des commandes sans y toucher et je surveille les instruments, mais je me détends très vite. Il a tout retenu et possède une belle maîtrise. D’ailleurs, arrivés en altitude, il me gratifie d’une belle séance de voltige après une prise en mains classique mais rapide. Le lascar connaît son affaire !
– Ça va, Houbois ?
– Oui, mon commandant, pas de problème !
– Pas trop secoué ?
– Non, ça va, vous le tenez bien !
– Alors à votre tour, puisque vous venez de la chasse, montrez-moi ce que vous savez faire !

Et il lâche les commandes ! L’avion embarque un peu, je le récupère vite et j’entame une session d’acrobatie, en faisant entre autres des figures que lui n’a pas faites, histoire de lui montrer les capacités de l’avion, ce qu’il semble avoir recherché. Au bout d’une quinzaine de minutes, les écouteurs grésillent : « C’est bon pour la démonstration, Houbois, vous me le rentrez au terrain, maintenant. »
– D’accord mon commandant.

En me rétablissant en vol horizontal, je m’aperçois que je n’ai pas trop fait attention à la direction prise à l’aller, ou vaguement. Regardant au sol tout autour de moi, je n’aperçois que le relief, mi-sablonneux mi-rocailleux, quelques buissons épars, mais aucune piste ni construction humaine, nous sommes en plein désert. Je reprends un peu d’altitude, histoire de pouvoir repérer quelque chose, tout en prenant un cap Nord au pire, et j’essaye de me remémorer les premières minutes de vol, quand je vérifiais les instruments… Me semble me souvenir d’un cap 150, donc je mets au 330 tout en continuant de grimper, jusqu’à ce que le commandant me dise de stabiliser mon altitude. Ce doit être ça le test : nous ramener à la base sans problème ! Mais avec ce que moi je lui ai imposé en acro, pas sûr non plus qu’il puisse s’y retrouver lui-même. D’autant plus que nous sommes proches de midi, le soleil est à son zénith, il ne va pas être d’une grande aide. Bah, avec ce cap, je suis sûr de retrouver la côte, après je me débrouillerai, même sans carte, ma mémoire de ce matin devrait suffire. Je suis à peu près dans l’axe d’une vague vallée, bientôt quelque végétation au loin indique un village qui marque l’ouverture d’une plaine plus vaste et verdoyante. Une route ou piste semble tracée bien droit sur ma gauche, une autre à l’horizon traverse des champs… Et il me semble voir une ville sur ma gauche, à l’ouest. D’instinct je vire vers cette ville. Un avion se pose au loin, serait-ce notre terrain ? Je continue sur ma lancée sans dévier et j’entame ma descente. Pendant ce temps, aucun son ne provient du poste avant, mais lorsqu’on approche du terrain, la voix du commandant se fait entendre.
– Je reprends la main pour l’atterrissage, Houbois, je veux savoir comment se comporte ce piège.
Je relâche les commandes et le commandant fait deux tours de piste, un premier classique, puis en deuxième en présentation de chasse. Satisfait, il ramène le zinc au parking, et coupe tout. Nous descendons. Il a le sourire aux lèvres, c’est déjà ça !
– Bon avion, ça… Et bon travail, Houbois. Vous vous débrouillez bien, Robert avait raison. Mais comment avez-vous fait pour nous ramener aussi directement ?
– J’avais regardé le compas à l’aller, mon commandant. Même avec nos évolutions, avec un cap inverse je devais pas être trop mal, et au bout d’un temps, j’ai aperçu la ville et le terrain au loin.
– Le terrain ? Diable ! Il n’est pourtant pas très visible…
– Oui, mais un avion qui s’y pose l’est plus.
– Ah ! Là vous m’épatez, je ne l’ai même pas aperçu. Pas de doute, votre vue est correcte. Je comprends votre déception et celle de Robert. Bon, je vois avec les instructeurs lequel pourrait vous prendre en main, vous commencerez directement sur Goéland. On n’a malheureusement pas plus gros, ils sont tous réquisitionnés depuis belle lurette, mais en escadre on se chargera de vous former sur les appareils utilisés. Vous ne resterez pas longtemps ici, je pense.
Ah ! Ce soir, c’est moi qui régale au mess, pour fêter notre nouvel avion que vous avez ramené !

Pas si mauvais bougre que ça, le chef, mais apparemment il ne croyait pas à mon histoire avant ma démonstration. Faudra que j’en tienne compte pour la suite, je risque de devoir faire mes preuves systématiquement.
Mon séjour au CIT est en effet assez court, moins de quinze jours, et encore a-t-il fallu compter avec la météo déplorable les trois jours suivants et aussi un jour peu après, mais aussi un aller-retour sur Meknès pour y ramener six pilotes ayant convoyé des NA-57. C’est l’exercice qui conclut ma formation bimoteur !
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Wil the Coyote



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MessagePosté le: Mer Fév 22, 2017 14:22    Sujet du message: Répondre en citant

Dommage pour la chasse...je pensais à un happy end...comme quoi, meme en pleine guerre ces messieurs des bureaux font des ravages...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Fév 22, 2017 14:38    Sujet du message: Répondre en citant

Heu, Wil…
Nous en sommes à peine à la moitié de ce qu'Etienne a déjà rédigé, et tel qu'il est parti, il est loin d'avoir fini !
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Casus Frankie

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Wil the Coyote



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MessagePosté le: Mer Fév 22, 2017 14:42    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Heu, Wil…
Nous en sommes à peine à la moitié de ce qu'Etienne a déjà rédigé, et tel qu'il est parti, il est loin d'avoir fini !


Ah ok...merci...j'étais déjà à me morfondre à sa place 8) Embarassed
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MessagePosté le: Mer Fév 22, 2017 17:38    Sujet du message: Répondre en citant

Un moment ou un autre, cela va aussi chauffer dans l'administration.
refuser a un bon pilote de chasse de pouvoir voler juste parce que un ophtalmo a vus un tout tout petit défaut, absolument pas gênant pour le pilote et en période de guerre à un moment ou on manque de pilote et de bon pilote.

Autant en temps de paix, cela peut se comprendre mais quand tu es en guerre et dans la merde, surtout dans la situation FTL ou le système D français fait force de loi, je vois mal un ophtalmo causer autant d'ennui, (c'est limite un acte de trahison, ou du moins désobeissance) sauf si il a une dent ou de la rancune contre les pilotes.

D'ailleurs, vus que le ministre de l'air était présent lors de la remise des ailes, on peux supposer ou dus moins imaginer qu'une enquête va suivre cet incident, ou que "quelqu'un" fera remonter les info sur la réussite de notre élèves pilotes.
( ben, si cela arrive a d'autres élèves pilotes, se serait gâcher des talents pour des broutilles de personnes frustrées)
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