Fantasque Time Line Index du Forum Fantasque Time Line
1940 - La France continue la guerre
 
 FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer 
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

De Juillet chaud (par Carthage)
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9  Suivante
 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> Récits militaires
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 09:10    Sujet du message: Répondre en citant

Désolé, j'étais pris par des occupations triviales, genre "prise en charge de la broncho-pneumopathie chronique oblitérante en France". Rolling Eyes
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 09:20    Sujet du message: Répondre en citant

La tristesse des Joyeux

Journal du général Brécargue

Le 5 septembre 1945, le général Brécargue décida, pour la postérité, de tenir un journal très personnel que sa famille nous a confié et dont nous citons ci-après quelques extraits.

« 6 septembre – Hier et ce jour, il a été procédé à une reconnaissance approfondie du site, il paraît étrange qu’Italiens puis Allemands l’aient fait garder par divers effectifs sans jamais avoir cherché à y pénétrer, du moins d’après le maire. Les blocs 5 et 6, non reliés au reste de l’ouvrage, font l’objet d’une inspection visuelle soigneuse qui ne donne rien, les doubles des clefs de l’ouvrage seront livrés demain par la DTG de Nice. Point secondaire : on a retrouvé les débris de quatre wagonnets Decauville qui ont franchi en l’écroulant le petit parapet qui fait face à l’entrée du fort.

7 septembre – Le capitaine Roblin, qui commande la reconnaissance des hauts de l’ouvrage, me signale qu’au fond d’un ravin, sous un important éboulis de pierre au-dessous du vieux château, des corps ont été repérés, deux pelleteuses sont affectées à ce chantier de fouilles et peinent à aborder la zone. Les clefs de l’ouvrage arrivent enfin de Nice, elles permettront demain l’ouverture des blocs d’infanterie.

8 septembre – Onze corps réduits à l’état de squelettes ont été dégagés des éboulis sur les hauts du fort, ce sont indubitablement des Italiens, identifiables par leurs plaques d’identité spécifiques, fait étonnant, ils transportaient des bouteilles métalliques sous pression au contenu indéterminé dont on tentera de faire l’analyse. Des portions de tuyaux de caoutchouc armé et des perches creuses et recourbées plus ou moins écrasées sont aussi retrouvées.
Par ailleurs, les blocs 5 et 6 sont ouverts péniblement et l’on découvre dans chacun d’eux quatre corps réduits eux aussi à l’état de squelettes allongés sur le sol, l’un d’entre eux semble encore tenir fermement la crosse de son FM. Les huit corps français sont évacués avec les onze corps italiens vers la morgue sous tente installée dans le village et dirigée par le médecin-général Locard, qui nous est prêté par le ministère de l’Intérieur.

9 septembre – Première tentative d’ouverture du pont-levis, nous essuyons un échec patent, demande est faite à Nice d’envoyer des personnels du génie ayant une connaissance du SFAM, le médecin-général Locard me fait part d’une remarque étonnante : les uniformes français dégagent un vague mais tenace parfum d’ail, je le blague sur la cuisine méditerranéenne, nous sommes justement invités à dîner ce soir chez notre camarade Mathis, qui habite les pentes de Sainte-Agnès.

10 septembre – Arrivée du détachement du Génie commandé par un tout jeune lieutenant, nous lui montrons le pont-levis et il commence à faire installer un échafaudage au fond du fossé diamant sur lequel il appuie deux échelles, il fait alors couper au chalumeau les têtes de vis d’ancrage des premiers maillons, un palan ayant été installé pour retenir le pont métallique qui est lentement abaissé, la porte d’entrée est enfin dégagée ! Nous décidons, sur le conseil de notre jeune collègue du Génie, de l’ouvrir après le repas de midi, les menus servis par les quatre roulantes sont innommables depuis le début de notre séjour en ces lieux, rien à voir avec ce que nous avons pu manger hier soir, notre camarade Mathis, venu partager nos frustres nourritures, me conseille de faire rouvrir le restaurant de l’éperon du Righi, excellente adresse d’avant-guerre, qui avait servi de popote en 38, 39 et début 40 aux officiers du fort, j’approuve chaleureusement ce projet qu’il me propose de porter.
Nous quittons la table de la popote et rencontrons le capitaine Roblin qui précède deux bataillonnaires portant une civière, je les dirige sur la tente infirmerie du Docteur Locard sans écouter le capitaine [Note postérieure : Inattention que, je dois l’avouer, je vais être amené à lourdement regretter]. L’ouverture de cette satanée porte devenant une obsession pour tous, je suis le lieutenant du Génie qui porte deux clefs et ouvre la porte blindée puis la grille quand un orage assourdissant éclate au-dessus du fort, nous faisons trois pas dans l’entrée de l’ouvrage où une odeur d’ail puissante semble stagner et même s’amplifier, le lieutenant et moi-même nous mettons à tousser, le lieutenant fait alors vivement demi-tour et me saisit par un bras, nous courons pour sortir, sous la pluie, nous tombons dans les bras du Docteur Locard qui nous conduit à l’infirmerie, nous place sous oxygène pendant une bonne heure et nous inflige une série d’injections. Le lieutenant me fait alors remarquer que nous ne pourrons explorer l’ouvrage qu’avec des équipements adaptés contre les gaz, j’ai mon idée et fais discrètement placer devant la porte deux sentinelles du bataillon équipées de masques à gaz. Nous gagnons la petite villa qui nous est réservée et dormons d’un sommeil agité tandis que la pluie continue de tomber.

11 septembre – Roblin me réveille dès cinq heures et me fait constater la disparition des sentinelles qui ont dû se réfugier à l’intérieur pour échapper à la pluie qui a pourtant pris fin au petit matin, me rappelant notre aventure d’hier, je fais mander l’officier du Génie qui arrive avec quatre de ses hommes, il les fait équiper de masques et de gants et pénètre avec eux dans le fort, ils ressortent au bout de dix minutes en portant nos deux hommes à dos, mes bataillonnaires, dirigés sur l’infirmerie, sont déclarés morts au bout d’un temps très bref par le Docteur Locard, mon D…, ils avaient survécu à toute la guerre, qu’ai-je fait !
Le lieutenant prend mon masque, je suis équipé du même que mes hommes, il le regarde et lève les yeux au ciel, c’est un ANP 31… C’est alors que Locard, dont je connais la sagacité profonde, me demande de réunir un petit état-major qui organisera, sous ma direction, l’exploration du fort, j’acquiesce, la tête basse. La salle de la Mairie nous est ouverte pour nous réunir, en descendant, nous rencontrons notre collègue Mathis à bord d’un gazogène poussif conduit par le propriétaire du Righi, je fais descendre le général Mathis qui va se joindre à nous et concède au restaurateur un renfort de six hommes et d’un de nos cuistots, les deux cuisiniers tombent dans les bras l’un de l’autre, ils ont débuté ensemble en 29, ils me réclament tous deux des sacs de charbon pour alimenter leur « piano », je cède une fois de plus et fais téléphoner à Nice par Roblin. Locard me demande en outre de faire rechercher et amener sur le site deux hommes dont il me remet, sur une page de carnet quadrillé, les identités et matricules.
Je passe une fin de matinée difficile, me reprochant des faits cruciaux et sentant quelque part que les autres me ménagent, mais le médecin-général Locard passe du baume sur mes plaies, expliquant, je le cite :
1) que nous avions à faire à quelque chose que nous ne connaissions pas ou mal.
2) que nous devions appliquer une méthode d’investigation relevant des techniques de police criminelle, car, il n’en fallait pas douter, l’équipage avait été en quelque sorte assassiné !
3) qu’il semblait certain que l’agent vulnérant fût l’hydrogène arsénié, AsH3, qui avait causé une si grande panique dans le commandement de la ligne en 40 et avait parmi d’autres caractéristiques une odeur d’ail persistante et une inflammabilité avérée.
Notre jeune officier du Génie complète alors vigoureusement les propos du Docteur en nous déclarant que la Commission ayant tous pouvoirs, il faudrait faire une demande de matériels complémentaires que l’on pourrait trouver, par exemple, chez les marins à Toulon, des appareils Frenzy modèle 36, des bonnettes et des collections modèle 39, il s’occuperait des quantités et des références de la commande, le Docteur indique qu’il a entendu parler de douches de décontamination, pourrait-on s’en procurer ?
Un long silence s’ensuit, je m’aperçois alors que tout le monde me regarde avec attention, reprenant mes esprits, je valide à la hâte toutes les propositions, notre collègue Mathis nous dit qu’il est temps de passer à table, le repas au Righi est excellent, la vue est somptueuse, le golfe de Menton scintille à l’infini.
Je donne repos à mes troupes pour trente-six heures.


Dernière édition par Casus Frankie le Jeu Juil 10, 2014 10:04; édité 1 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Duguay-Trouin



Inscrit le: 16 Déc 2011
Messages: 210

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 10:02    Sujet du message: Répondre en citant

Mouais...sache que meme la fin du monde ne ferait pas une excuse valable O Grand Administrateur.

Tu n'as pas le droit d'avoir une seconde de retard sinon nous sombrons dans de profonds abysses de depressions.

Sinon Merci pour cette superbe livraison, j'ai plein d'idee pour certains prelats... Twisted Evil
_________________
Les Hommes bon n'ont jamais sauvé une Nation, car ils n'ont pas en eux la force nécessaire pour mener ces actions.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Wil the Coyote



Inscrit le: 10 Mai 2012
Messages: 1901
Localisation: Tournai (Belgique)

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 11:17    Sujet du message: Répondre en citant

Les Iles Kerguelen ou l'ile du Diables (se serait cocasse) pour l'Abbé, ou plus simple, il rencontre Saint Pierre plus tot que prévu...
_________________
Horum omnium fortissimi sunt Belgae
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
JPBWEB



Inscrit le: 26 Mar 2010
Messages: 4087
Localisation: Thailande

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 13:08    Sujet du message: Répondre en citant

Au fait, quel fut le sort OTL de ces fortifications modernes qui faisaient face a l'Italie ? (et dont je viens de découvrir l'existence (honte a moi).) Embarassed
_________________
"L'histoire est le total des choses qui auraient pu être évitées"
Konrad Adenauer
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Capitaine caverne



Inscrit le: 11 Avr 2009
Messages: 4119
Localisation: Tours

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 13:13    Sujet du message: Répondre en citant

Wil the Coyote a écrit:
Les Iles Kerguelen ou l'ile du Diables (se serait cocasse) pour l'Abbé, ou plus simple, il rencontre Saint Pierre plus tot que prévu...


Je propose plustot de le nommer responsable de la station météorologique de l'Ile Tromelin, un charmant endroit situé dans les TAAF d'à peine 1km2, plat comme planche, aride à souhait et dépourvu d'eau douce. Avec des pointes de température supérieures à 40° tout au long de l'année. Et une rotation d'avion par mois pour ravitailler, si le temp le permet.
_________________
"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Droopy



Inscrit le: 28 Fév 2013
Messages: 14
Localisation: Bordeaux (pas loin)

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 13:25    Sujet du message: Répondre en citant

Juste une petite correction : Fenzy modèle 36 et non Frenzy... A moins que ce soit une allusion hitchcockienne dissimulée.
_________________
"We are here to preserve democracy, not practice it" Capt Ramsey - Uss Alabama
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
Messages: 9993

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 13:27    Sujet du message: Répondre en citant

Pourquoi pas le phare de Tévennec ? 23 gardiens s'y sont succédés en 35 ans... Les vagues qui frappent sans cessent rendent fou et dépressif (bon c'est vrai qu'il est automatisé depuis 1910...).
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ladc51



Inscrit le: 17 Oct 2006
Messages: 1263
Localisation: Paris

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 15:18    Sujet du message: Répondre en citant

Même en gardant en tête l'état physique et psychologique du général Brécargue, je m'étonne de sa capacité à accueiilir sans réaction particulière l'hypothèse (la certitude !) d'une attaque au gaz contre le fort...
A comparer avec la réaction des lecteurs du forum par exemple...
_________________
Laurent
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Fantasque



Inscrit le: 20 Oct 2006
Messages: 1336
Localisation: Paris

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 16:05    Sujet du message: Répondre en citant

Brécargue est un ancien de 14-18. Les gaz, il connait (même s'il ne connait pas nécessairement celui qui fut utilisé dans ce cas). Pour un ancien de 14, le raisonnement est, hélas, limpide.
_________________
Fantasque
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 16:10    Sujet du message: Répondre en citant

N'oublie pas non plus que tous les combattants de la Deuxième s'attendaient à voir l'ennemi (forcément !) utiliser les gaz.
Brécargue, en fait, se reproche de ne pas avoir pensé plus tôt aux gaz, et même à des gaz encore inconnus !
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Capu Rossu



Inscrit le: 22 Oct 2011
Messages: 2530
Localisation: Mittlemeerküstenfront

MessagePosté le: Jeu Juil 10, 2014 19:27    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir JPBWEB,

En OTL, les fortifications face à l'Italie, que ceux soient les vieux forts type Séré de Rivière ou les ouvrages Maginot ont parfaitement joué leur rôle face aux assaut italiens : leur artillerie a aidé les sections d'éclaireurs skieurs et les troupes d'intervalle à bloquer quasiment sur leurs bases de départ les divisions ennemies qui n'ont pu progresser en certains points qu'avec de lourdes pertes. La folie du Duce et l'impréparation du Regio Esercito ont fait que l'Italie a payé le prix du boucher pour des gains dérisoires.
A titre d'exemples, l'ouvrage du Cap Martin a transformé les rues de Menton en antichambre de l'enfer pour les fantassins italiens, le Mont Agel a détruit un train blindé et le petit ouvrage du Pont Saint Louis a interdit le passage de la route côtière aux engins motorisé comme le vieux fort de la Redoute Ruinée celui du col du Petit Saint Bernard tandis que Saint Ours et Roche Lacroix ont verrouillé le col de Larche et La Turra la route du col du Mont Cenis. Ces trois ouvrages, débordés par les fantassins ennemis n'ont pas mis bas les armes et leurs garnisons n'ont rejoints les lignes françaises qu'après l'armistice, des détachements italiens leur rendant les honneurs au moment de leurs départs.
Si tu as l'occasion de trouver le livre du Général Plan et Eric Lefèvre "La Bataille des Alpes 10 -25 juin 1940 - L'Armée Invaincue" aux Editions Lavauzelle (1982) tu auras un bon aperçu de la défense des Alpes en 1940 OTL.

@+
Alain

PS : bel avancement pour Roblin : juteux-chef en 1941 et capitaine ne 1946 !
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Duguay-Trouin



Inscrit le: 16 Déc 2011
Messages: 210

MessagePosté le: Ven Juil 11, 2014 09:21    Sujet du message: Répondre en citant

Casus, Casus, Casus, O Grand Administrateur je suis en train de convulser car je suis en manque, j'implore ton indulgence, donne moi l' episode de ce jour.

Un accro des recit en manque (ok ok je Arrow )
_________________
Les Hommes bon n'ont jamais sauvé une Nation, car ils n'ont pas en eux la force nécessaire pour mener ces actions.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Juil 11, 2014 09:28    Sujet du message: Répondre en citant

12 septembre – Le Docteur Locard entreprend d’autopsier mes pauvres bataillonnaires en refusant toute aide sauf celles de deux de nos infirmiers, notre lieutenant du Génie s’échine sur ses listes en geignant, Mathis a à faire autre part et Roblin me propose de visiter le ravin où il a découvert le dernier corps italien, je cède !
La nature, ici, est tout simplement magnifique, je comprends tout à fait mon collègue Mathis qui a décidé d’y poser son sac dans une maison fort commode, aux vues somptueuses sur le massif et le golfe de Menton, il a même une cuisine qu’il dit d’été où il concocte des grillades savoureuses sur une sorte de brasero alimenté au charbon de bois, le paradis en somme ! Roblin m’emmène jusqu’au vieux château en compagnie de deux bataillonnaires, nous avisons les hauts du bloc 3 qui veillait au nord et descendons par un chemin très escarpé, je m’arrête pour souffler un peu et allumer une cigarette quand l’un des bataillonnaires, qui me suivait, me rentre dedans et manque me faire tomber, il s’excuse platement dans un sabir franco quelque chose, je le rassure et lève la tête pour rallumer ma cigarette, c’est alors que j’aperçois à mi-pente une masse noire retenue par un buisson, je la montre aux deux bataillonnaires qui grimpent la chercher, ils nous rejoignent au fond du ravin et posent à nos pieds un grand sac de caoutchouc, je vais pour l’ouvrir quand Roblin me retient le bras en me disant qu’il faut réserver tout ça au médecin-général.
Nous redescendons tranquillement par le ravin et croisons le général d’aviation Mathis, en tenue civile quoique militarisée, qui se promène avec un petit fox noir et un bien beau fusil visiblement anglais, devant mon ébahissement il me déclare solennellement que la chasse est rouverte depuis le 2, soit trois jours avant notre arrivée, que le fort est une emprise militaire à l’accès réservé, qu’il s’y est fait concéder le droit de chasse par la DTG de Nice, que les lièvres y pullulent mais qu’il lui faut se dépêcher parce qu’avec tous les collets posés par mes Joyeux il ne va plus rien rester !
Stupéfait par tant d’ingéniosité humaine mise au service d’une cause qui peut sembler secondaire à des observateurs superficiels, nous abandonnons le général à sa passion toute cynégétique et progressons lentement vers la tente-infirmerie qui se trouve libre de tout médecin, la vacuité du lieu nous étonne fort, seules une dizaine de formes recouvertes par des draps reposent sur des brancards que nous n’allons pas voir de plus près. Nous reprenons notre errance qui nous rapproche de l’éperon du Righi, je pousse la porte du restaurant et tombe sur le bon Docteur qui paraît plongé dans une profonde réflexion que je finis par troubler d’une petite toux discrète, il s’ébroue et je lui narre la découverte fortuite du sac en caoutchouc qui, d’un coup, semble l’intéresser prodigieusement, il se jette sur le pauvre Roblin qui porte le sac et le lui arrache positivement des mains pour repartir vers la tente-infirmerie en nous demandant de le suivre, cela me contrarie quelque peu car il flotte dans tout le restaurant une odeur délicieuse, promesse olfactive du repas de ce soir, nous arrivons à l’infirmerie devant laquelle sont en train de se garer deux petits camions et une voiture légère, les camions portent les marques certaines de leur appartenance à la Marine Nationale.
Seize hommes descendent de ce convoi automobile, neuf fusiliers, trois matelots, un officier marinier, un médecin en chef de marine et deux civils dont le plus âgé se présente comme le préfet Escande, il me tend un document sous enveloppe qui résume les dernières instructions de la commission d’enquête et me dit qu’il doit rentrer sur Nice tout en me présentant ses plus plates excuses, tout le monde salue et le véhicule s’éloigne dans le soir qui vient, le médecin chef se présente à son tour comme le Docteur Laborit et me tend une autre enveloppe, bigre, chaussant mes lunettes, je peux lire : « Brécargue, Chambrée 5, Ingolstadt ». C’est bien pour moi personnellement !
Effaré, je prends connaissance des contenus des deux missives, celle de la Commission est légèrement contredite par celle du président du Conseil, ce vieux Charles qui trichait si bien à la manille et qui n’a pas la main sur ce coup ce me semble, je convoque illico une petite conférence d’état-major au Righi dans la petite salle à manger du fond, la porte close gardée par deux fusiliers et deux bataillonnaires, je veux faire mander le général Mathis mais on m’informe que c’est inutile car il est déjà bien présent quoiqu’en cuisine, il nous rejoint illico dans sa tenue tartarinesque.
Je donne mes ordres, nous ferons une reconnaissance exhaustive du fort dès demain sept heures, une équipe de reconnaissance ad hoc sera formée avec des militaires du Génie et des fusiliers, elle aura pour tâche de reconnaître tout l’ouvrage dans ses tréfonds les plus secrets, toute la journée y sera consacrée. Par ailleurs, nous commencerons le recensement et l’évacuation des corps dès le lendemain suivant une procédure qui sera établie par le médecin-général Locard, pour des raisons qui me sont toutes personnelles, je passe commande à notre officier du Génie de trois cent vingt cercueils à doublure de plomb qui doivent être livrés dans les meilleurs délais, comme il semble vouloir me poser, comme les autres, quelques questions, je lui dit que ce sont là mes ordres et qu’ils ne peuvent être discutés ! Puis, l’air grave et martial, j’invite tout le monde à passer à table, civet de lièvre à la royale au menu ce soir, la troupe mangera la même chose mais issue de nos roulantes, il est bon que l’officier mange la même chose que le soldat, l’armée nouvelle en quelque sorte ! Le repas et la soirée sont d’anthologie mais le vieux soldat que je reste pressent, je ne sais pourquoi, d’autres événements funestes à venir.

13 septembre – Au matin, seize hommes équipés d’incommodes collections anti-gaz et d’appareils respirateurs pénètrent dans les entrailles du fort, leur autonomie respiratoire étant d’une heure, l’officier du génie leur donne rendez vous vers 08h15, ils ressortent tous dès 08h00 en nous avouant qu’ils n’y voient rien et qu’ils ont piétiné des amoncellements de corps, ils sont visiblement très émus. Le lieutenant lit alors le plan grande taille qu’il a reçu et, après m’avoir consulté, décide de rétablir l’alimentation électrique civile, pour ce faire, il part à la recherche du transformateur fournissant l’énergie qui doit se situer du côté de la mairie, le médecin-général lui rappelle les risques d’explosion dus à l’hydrogène arsénié ce qui arrête d’abord le lieutenant mais, après réflexion, le temps étant sec, il est décidé de prendre le risque.
Là où je suis placé, juste après le pont-levis, j’ai la surprise de voir les lumières intérieures du fort s’allumer comme par magie et j’entends même un bourdonnement de moteur électrique, un fort courant d’air sort des galeries du fort, l’odeur d’ail est omniprésente ce qui m’étonne cinq ans après la chute de l’ouvrage, même pendant l’Autre Guerre, les gaz n’étaient pas si persistants ! Nerveux, je tripote nerveusement la bonnette de mon masque, le lieutenant, revêtu d’une collection anti-gaz et portant un appareil respiratoire, suivi de trois hommes pareillement équipés, pénètre à son tour dans le fort.
Il en ressort au bout d’une heure avec ses compagnons, se fait enlever sa collection 39 par deux de mes bataillonnaires gantés et portant tabliers et s’en va sous la douche sans avoir dit un mot, l’attente me crucifie, j’enlève mon masque, il me fait enfin un petit rapport oral que je n’ai, hélas, pas pu transcrire littéralement, il est visiblement très secoué, il me dit qu’il y a des corps dans tous les coins et des munitions, sans doute par tonnes, qu’il va falloir évacuer avant de pouvoir relever les dépouilles et procéder à leur identification, je fais mander les médecins à qui il réitère son récit en ajoutant qu’il lui semble bien qu’il y ait un autre agent vulnérant, certains corps témoignant d’une plus ou moins longue agonie, d’autres semblant avoir été foudroyés sur place dans des postures de combat. Locard regarde Laborit qui ne dit rien mais baisse la tête avec un air plus que soucieux, Locard lui parle alors du grand sac en caoutchouc que j’ai trouvé sur les bords du ravin et du cadavre solitaire que l’on a trouvé séparé des autres, ils partent tous deux vers la tente-infirmerie et je les suis, accompagné du lieutenant, nous rencontrons bien évidemment le général Mathis sur la route, en petite tenue mais toujours accompagné de son fox noir, je les invite à nous suivre.
Tout irait bien sans le fox qui nous fausse compagnie en courant vers l’entrée du fort, à notre grand étonnement, le chien s’arrête pile au milieu du pont-levis, s’assoit et se met à hurler à la mort, nous nous envisageons tous avec un air navré, Mathis s’approche, le calme et le prend sous son bras, le chien pousse de petits gémissements plaintifs qui nous accompagnent tout au long du chemin, j’en ai plus qu’assez, je n’ai pas les idées claires et leur donne à tous rendez-vous dans la salle du conseil à la mairie dans la demi-heure, il faut absolument que je voie le maire, nouvellement élu en avril. Monsieur Jean Gaudo me reçoit chaleureusement mais je perçois quelque inquiétude dans le ton de sa voix, je tente de le rassurer en lui produisant les documents de la Commission qui m’accréditent en quelque sorte auprès de lui, il se détend lorsque je lui annonce que mes prérogatives s’arrêtent là ou commencent les siennes, à lui sa commune, à moi le fort et ses emprises pour la durée de ce qu’il faut bien appeler mon enquête, il en convient tout en me recommandant de faire garder militairement mon périmètre, les choses n’en seront que plus claires, selon lui, les pires dangers viendront de l’extérieur, l’ordre public pourrait en être troublé, il me garantit par contre son concours par la prise d’arrêtés municipaux visant à simplifier ma mission, conquis, je lui tend un formulaire de la Commission l’associant à nos tâches tout en subordonnant cette association aux exigences d’une confidentialité des plus strictes, il soupire et le revêt d’un large paraphe accompagné d’un coup de Marianne sèche, voilà, c’est fait !
La porte s’ouvre alors sur des officiers qui le dévisagent, je le présente et tous s’apaisent, après un bref silence, je dicte à Roblin de nouveaux ordres sur la garde du périmètre, rappelle la confidentialité de tout ce que nous faisons et les précautions élémentaires à prendre vis-à-vis des habitants. Puis chacun prend la parole librement pour apporter à tous les lumières du savoir, notre jeune collègue du Génie parle en premier, rappelle son exploration avortée du fort et souligne les différences de posture de l’équipage, il demande en outre de sortir les munitions du fort avant toute autre opération, ce que je valide bien volontiers, nous profiterons du retour de la rame de camions qui nous apportera les cercueils plombés pour évacuer le plus possible d’obus, le médecin-général Locard poursuit en réclamant le redémarrage complet de la centrale de ventilation en marche forcée pour aérer l’ensemble tout en demandant l’interruption de l’alimentation en eau et la vidange complète des réservoirs du fort, je valide également, le médecin-chef Laborit, lui, sort la fameuse bouteille sous pression du sac de caoutchouc, il nous la montre en la faisant tourner sous la lumière et arrête sa rotation sur un secteur précis, bien qu’elle ait été peinte, des lettres apparaissent, presque illisibles. Le médecin-général bloque la rotation de la bouteille pendant qu’au dessus le médecin-chef taille inlassablement la mine de son critérium, je m’apprête à protester devant cette occupation puérile quand Locard nous fait signe d’approcher, stupéfait, je peux lire comme tout le monde, grâce à la poussière de mine de plomb, deux mots indubitablement allemands : ACHTUNG – TABUN, encadrés de deux têtes de mort.
Laborit prend la parole et nous demande d’oublier ce qu’il va dire, le produit actif, le tabun en question, certainement obtenu par les Italiens auprès de leurs alliés nazis, n’est autre qu’un organophosphoré proche d’un produit bien connu des services français, l’éther carbamique de la choline ou B31, découverte du laboratoire du Bouchet, expérimenté sur le site de Béni-Ounif, il a téléphoné au Professeur Baranger de l’IEEC qui lui a donné, sous le sceau du secret, les informations qu’il nous transmet : ce produit est un inhibiteur du système nerveux central qui dérègle toutes les fonctions vitales et a un effet foudroyant, il n’y a pas d’antidote, cependant, il ne persiste pas au delà d’un mois dans l’air, il faut par contre se méfier des résidus déposés sur les surfaces métalliques. Roblin a arrêté de prendre des notes. D’une voix étranglée, le maire demande s’il y a des risques pour la population, Laborit le rassure.
A la lumière de tout ce qui nous a été dit, je demande au maire de prendre un arrêté municipal interdisant l’accès du fort à toute personne non autorisée et facilitant son accès aux véhicules militaires, il s’exécutera dès demain et communiquera son arrêté au préfet Escande, nous quittons la salle du conseil pour aller manger au Righi, j’invite le maire, nous dînons fort bien mais en silence.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Juil 11, 2014 09:47    Sujet du message: Répondre en citant

@ Capu Rossu : Roblin est passé sous-lieutenant en raison de sa belle conduite qui a permis la prise à l'abordage du fameux navire turc (plutôt rare au XXe siècle !).
Il a été nommé lieutenant à la suite, notamment, de l'intervention des Joyeux à Limnos, épisode qui n'a pas été narré en détails, mais vous vous doutez que leurs talents de croque-morts ont été bien utiles là-bas.
Pour devenir capitaine, il a bénéficié de la grande générosité qui s'est manifestée au lendemain de la Victoire (et de ses états de service exemplaires).
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> Récits militaires Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9  Suivante
Page 5 sur 9

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum


Powered by phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Traduction par : phpBB-fr.com