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La Guerre en Maison (par HOUPS)
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Capu Rossu



Inscrit le: 22 Oct 2011
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MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 18:58    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir

Houps a écrit :

Citation:
Merci Dan, mais c'est bien moins de travail qu'une campagne dans les Balkans...


Pourtant c'est simple une campagne dans les Balkans : tout le monde trahit tout le monde !

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Alain
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demolitiondan



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MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 19:43    Sujet du message: Répondre en citant

Merci au carré - mais le travail ne remplace pas le talent. Et ton travail est talentueux. Ceci étant dit, en exclusivité rien que pour vous, une vue depuis l'intérieur du palais blanc de Belgrade, où Pierre se balade dans les couloirs à la recherche d'une idée pour vaincre ses multiples adversaires ...


_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Casus Frankie
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Messages: 13715
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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 08:54    Sujet du message: Répondre en citant

Ça, tu vois, même sans les titres, je t’aurais donné la date sans problème ! La messe anniversaire de la mort du Maréchal ! Regarde donc s’il y a du beau linge ! Moi ? M’étonnerait que je me retrouve ! Mais sûr que j’allais pas manquer ça ! J’étais tout dans le fond, bien contente d’être à l’intérieur, tiens ! Tiens, regarde : Baudrillart, Suhard, Mayol de Lupé… Des Monseigneur en veux-tu en voilà ! La crème ! Dommage qu’on n’ait pas la couleur ! Si t’avais vu ! Eux, et les enfants de chœur, donc ! Et tout ça qui brillait… Et la musique ! De l’orgue ! Les grandes orgues ! C’était d’un solennel ! Oui, Juanita, la messe. Mais quand j’étais jeune. A Paris. Oui, il y avait du monde ! Regarde-moi cette collection d’uniformes ! Hein, y’en a des Boches, pour celui qu’était de ceux qui leur avaient foutu la pile en ‘18 !
Bon sang, ce qu’il en parlait, mon paternel, du Maréchal, les rares fois où il l’ouvrait sur “sa” guerre ! Je t’ai dit qu’on a failli avoir un p’tit frère ? Non ? Oui ? Le prénom était déjà choisi. Devine… Oui, gagné : Philippe. Voilà… Bon. Alors, la messe…
On en a pris plein les yeux. Remarque, on était venues pour ça, Suzy et moi. Et plein les oreilles, mais c’était pas qu’à cause de l’orgue ni de la chorale ! Tiens, regarde, sur le parvis… Ah mais… on n’a pas droit à plus ? Ben, je comprends bien qu’on n’ait pas eu toute la messe, y’en avait bien pour deux bonnes heures… mais le discours de Laval ? Au moins celui de Laval… Pas tout, hein, juste un ou deux plans… Ah oui, devant la cathédrale ! Fallait pas que le public s’échappe, des fois qu’on serait venu juste pour les vitraux. Remarque, côté discours, il n’arrivait pas à la cheville d’Adolf, hein, le père Laval… Quand on voit les meetings des Nazis ! On y avait droit, aux Actualités. Impressionnant. Tout juste si tu prenais pas les postillons dans l’œil ! D’un autre côté… Enfin, je crois bien qu’on a eu droit à Doriot, en plus… Fromage et dessert. Juste quand tu viens d’entendre un cantique en latin, ça fait bizarre… Ça, c’était en ‘41. En ‘40, ils avaient manqué le coche… Ben oui, c’était allé trop vite, et comme qui dirait qu’il y avait de l’eau dans le gaz…
En ‘42, rebelote, avec grande prière « pour la France levée contre le bolchevisme ». Pas mal, y paraît, mais je n’y étais pas. Et en ‘43, quasiment plus rien. Plus de Laval, plus de Boches, et plus de cardinaux. Curieux, hein ? Seulement Baudrillard. Ou Suhard ? Tiens, je ne me rappelle plus… Ah, non, Suhard : Baudrillard est mort au printemps ‘42, par là. Y’a quasiment eu que ça à la radio, ce jour-là. Ça lui a évité des désagréments, au cardinal. Donc, mois, je ne suis allée qu’à la première messe. Après… j’étais occupée ailleurs. Et puis les grands discours à la gloire du Maréchal, de l’amitié franco-allemande, de la lutte contre le judéo-bolchévisme… ben, ça ne te remplissait guère l’estomac. Faut pas croire. C’est sûr que ça faisait bien de faire la claque, mais ça, c’était plutôt le problème de nos clients, hein, nous, tout juste si on ne dérangeait pas, dans ces trucs-là. C’était pour ça qu’ils nous voulaient, les zigs : ici, je te montre, là, cache-toi. Des présences à “géométrie variable”, quoi, comme on dit aujourd’hui… Oh, sûr qu’il y en avait qui y croyaient dur comme le fer, au renouveau de la « Vraie France » ! Heureusement. Enfin, heureusement, je me comprends ! Vu ce qui s’est passé, tu te rends compte, si personne n’y avait cru ? Tous ces types qui se sont écharpés là-dessus avant, pendant et après, et même encore maintenant ?
Nous, hein, là-dessus… Donc, sacrée cérémonie, la messe anniversaire du Maréchal. Sûr que ça a dû lui plaire, au vieux, d’où il la regardait, tiens. Surtout connaissant le bonhomme. Faut pas croire. J’ai toujours apprécié ça, les messes à Notre-Dame. Quand je pouvais… Et les Noëls, donc !… Ah oui, les Noëls, même à l’époque… Y’avait des lumières, de la belle musique… Et tout ça en latin, t’y comprenais que dalle, c’est pour ça que c’était chouette, peut-être. Tu vois, ça me manque… Et… Lemhinou ! Ça me revient ! C’était Lemhinou, son nom, au gonze des pur-sang, tiens ! Va savoir pourquoi ça ressort maintenant !… J’en étais où ? Ah oui : la messe, et Baudrillard. Drôle de coco, çui-là. Oh non, le pauvre ! C’était pas un client ! Faut pas croire ! Qu’est-ce tu vas t’imaginer !? Un cardinal ! Enfin ! Un curé, un évêque à la rigueur, mais un cardinal !…
On n’a pas tout su, mais paraît qu’après la guerre, tout de suite après, si pas pendant, y’a eu comme qui dirait des différends entre ceux comme lui et ceux comme Tisserant qu’étaient du côté d’Alger… Et c’étaient tous des catholiques ! Comment tu veux qu’on s’y retrouve, nous ?
Tu sais, les occasions d’oublier les tickets et le couvre-feu, elles étaient plutôt rares. Pour les cinés, fallait aimer, pour les caf’conc’, fallait du pèze, et pour les cafés, fallait un estomac blindé, vu ce qu’on te servait comme ersatz… A part les vichy-fraise sans fraise… Les stades, d’après Serge et Mario, ça ne valait pas l’avant-guerre ; et Auteuil, on y organisait des courses de chèvres, c’est tout dire… Alors, une grand-messe, avec tout le tralala, et gratos – y’avait du monde ! La plupart, d’ailleurs, le reste du temps, tu ne les voyais guère… Faut pas croire ! Et puis, Notre-Dame, quand même, ça impressionne. Mais question tranquillité et recueillement, y’avait mieux : les vert-de-gris, ils y venaient par fournées entières… A force, il y en a eu que ça a indisposé…
Compte pas sur moi pour savoir ce qui se passait dans l’arrière-cuisine : soit mes clients s’en foutaient, soit ils n’en disaient pas assez pour que ça soit intéressant. Et puis, ça ne portait pas à la rigolade. Tiens, prends Hermine, c’était une fille qu’était là avant qu’on arrive, Suzy et moi. Elle avait un régulier, un Portugais qui était de leur ambassade. La messe tous les dimanches, les fêtes, et même carême – ça lui a fait des vacances, à Hermine, elle retrouvait son béguin – mais jamais il a mis les pieds à la Madeleine ou à Notre-Dame ! Et s’il est monté une fois à Montmartre… Donc, il l’avait emmenée cette fois en voyage, dans le sud. Qu’est-ce qu’elle était contente, l’Hermine ! Ah oui, elle nous en a parlé, de son voyage ! Faut pas croire ! Avant, évidemment. Même que ça frisait la provoc’ et qu’on se retenait de ne pas lui en coller une… Et après ! Ah oui ! A Lourdes, qu’il l’avait emmenée ! Bon, Hermine, elle faisait ses Pâques, Noël, une messe de temps en temps, hein, comme tout le monde… Mais là… Ça a été l’indigestion, si tu veux. L’était un peu frappé, quand même, l’autre. Bizarre… Pas méchant, mais bizarre, d’après ce qu’elle nous a raconté. Mais à l’époque, le bizarre, c’était quasiment du normal, tu vois…
Tiens, pour changer de sujet, t’en as pensé quoi, de la rétrospective ? Pas du Prince, hein… de l’expo… Parce que moi, même si Véronique s’est pas mal débrouillée pour faire simple, y’a des trucs… comment dire… l’abstrait, je vois bien, mais là… S’il faut se taper une édition en trois volumes pour comprendre une, comment déjà, une « installation » ! Véro ? Ah, mais c’est la nièce de Wilma, Véro… Wilma ! La dame qui nous a sauté dessus dès l’entrée ! Comme vieilles peaux, on faisait la paire ! Ça m’a fait du bien de la revoir, après tout ce temps… Je ne savais pas qu’elle s’était reconvertie dans la galerie d’art. Ça aurait intéressé Serge, ça, tiens ! Oui, bien sûr, c’est une “cousine”. Non, pas une cousine, une “cousine”. Je t’ai expliqué, non ? Ah, t’avais pas tout compris.
Bon, juste après la guerre, tout le monde s’est retrouvé à l’étroit. Enfin, presque tout le monde. Un tas de monde, en tout cas. Fallait que ceux qui avaient un toit et un peu de cœur se serrent. En plus de se serrer la ceinture. Et nous, alors, on a accueilli des “cousines”. Des filles, oui. Mais moi, “filles”, je trouvais que ça faisait un peu trop bordel et chandelle, tu vois. Pas trop classe. Et puis, je ne voulais pas de “filles”. Je voulais des nénettes avec un beau cul, pas de doute, mais un cerveau, de la jugeote et des bonnes manières. Je ne faisais pas dans le pensionnat de jeunes filles de bonne famille, hein, faut pas croire, mais y’avait un peu de ça. Alors, “cousine”, ça passait mieux auprès de tout le monde. Et ceux qu’étaient pas dupes, hé ben, ils faisaient comme si. Tiens, ça me rappelle…
On a eu un client, du genre vieille aristocratie et bon portefeuille. Il s’invitait chaque année chez des parents à lui, quelque part du côté de Perpignan, je crois. Et il s’amenait chaque fois avec une nouvelle, et à chaque fois, il la présentait comme “Jeanne”. Les vieux faisaient la tronche, mais comme c’est lui qu’avait le pognon… Il faisait ça rien que pour les faire bisquer ! Et les gamins, ils étaient ravis de voir débarquer une “tante Jeanne” qu’avait vingt ans de moins que le tonton, les emmenait à la plage, faire du ski nautique, danser le jerk et cavaler dans la garrigue… et s’ils avaient eu quelques années de plus… Bref… Je te dis pas ce qu’en pensaient les autres. Quel vieux salaud, quand même !… L’a raté un virage, un printemps, du côté de Limoges. Deux “tantes Jeanne” se sont libérées pour l’enterrement. Pour les gosses. On leur devait bien ça… Quand même, quelle époque… Enfin, on rigolait plus qu’en ‘40 !… Donc, voilà pour les “cousines”. En 45-46, ça se justifiait, et puis, c’est resté…
Si c’est Wilma qui m’a fait passer les cartons ? Tiens, je ne le lui ai pas demandé… J’aurais pu… C’est possible… Bah, quelle importance. Dis donc, si t’avais beaucoup de fric, tu te paierais un de ces trucs ?… Mais non, pas ça ! Il te faudrait un salon grand comme la place de la Concorde, le genre de truc qui fait nouveau riche… Voilà, un des bronzes… Humm… Moi ? Où veux-tu que je le mette ? Et puis, non, je n’apprécie pas. Je ne dis pas que c’est moche, hein, note bien ! Je dis que je n’aime pas. C’est tout. Comme je n’aime ni les rutabagas, ni le style Henri IV, ni les boîtes automatiques. Toi aussi, y’a des trucs que tu n’aimes pas, sans pouvoir dire que tu les détestes, non ? Je préfère Turner, tiens… ou les impressionnistes. Au hasard : Monet… Pas la même époque, je sais. Tiens, lève-toi et va donc regarder de plus près ce qui est au mur, là… Une reproduction ? Ben, ma fille, va falloir t’éduquer !… Ah non, ce n’est pas un vrai, non plus. Quand même ! Faut pas croire ! C’est mieux… ou pire. C’est un faux. Mais un vrai faux. Ou un faux vrai. T’as entendu parler de Stein ? Oui ? Bon… et…’tends voir… Van… Van Miguerenne ? Quelque chose comme ça… Un Hollandais. Alors, lui, c’était quelqu’un… Tu sais qu’il a réussi à fourguer un Vermeer au gros Hermann en personne ? Je crois bien qu’on n’a pas retrouvé toutes ses œuvres. Surtout qu’il y en a que ça gênerait aux entournures, tu vois… Non, ça, ce n’est pas de lui. Ben, chacun sa spécialité. Disons qu’il a fait des émules. Je t’en reparlerai plus tard… »
(…)
« Entre, entre… Tu vois, je vais mieux ! Trop fait la fête, c’est tout ! Tu verras, pour fêter ça, Juanita nous a acheté une petite tarte. Si elle a accepté, c’est que je vais pas si mal, non ? Pas de crème, hein, faut pas exagérer, quand même ! Ah, et puis, tant que j’y pense : t’as les remerciements de Camille. Va voir dans la chambre… La Véro a rappliqué chez elle. Pas folle, la guêpe : elle avait compris le truc, le coup du tailleur. Et puis l’autre grande bringue, là, celle en rouge, elle a déboulé hier soir. Voilà. Y’en aura d’autres… Du coup, la Camille te retourne le tailleur… Ben, qu’est-ce tu veux qu’elle en fasse ? Le refourguer à une cliente ? Ça va pas ! Où t’as vu ça, toi ? Tu veux quoi ? De quoi payer ton loyer ?… Ben si, ma petite, toute peine mérite salaire ! T’as subi, quand même, un peu, non ? Le représentant du Ministre, faut se le supporter ! Con, je sais pas, mais pénible ! Toujours à parler de lui… Oh là là, ma pauvre ! L’est connu comme le loup blanc ! Allez, c’est pas bien de dire du mal… Tiens, Juanita m’a aussi pris le Progrès, pour l’article… Non, t’inquiète, t’es pas sur la photo. Le Prince non plus. Juste Wilma et l’autre imbécile, devant le grand machin avec les cailloux et les ficelles…
Alors, de quoi je te cause ? De Wilma ? Bah, y’a pas grand-chose à en dire… Elle a été l’une des quatre premières “cousines”. Elle sortait plus de chez elle, on allait la fiche à la porte… « On » : des « bons Français », tu peux me croire. Bon, faut pas trop leur en vouloir, ils ont pas cherché à comprendre. L’ont pas dénoncée pour se faire bien voir, non plus. Juste qu’elle devenait encombrante. Faut dire, la pauvre, qu’elle avait de sacrées casseroles, mais c’était pas vraiment de sa faute, hein, faut pas croire… Ah, oui, Wilma, c’est son vrai blaze.
Allemande ? Non, quand même ! Tiens, si tu devines d’où elle venait, je ferais un effort de mémoire… Alsacienne ? Non plus. Autrichienne ? Comme Marie-Antoinette ? Nnnon… Mais tu chauffes… Hollandaise ? Pas du tout ! Bon, allez, tu trouveras pas : Italienne !… Remarque, moi aussi, ça m’a surprise. Tu vois, Italie, tu penses Toscane, Venise, Florence, Naples, Sicile, Etna, Rome, tout ça… Elle, ses parents habitaient près de la frontière suisse. Et puis, le père n’a pas fait partie des copains de Benito, les Suisses n’ont pas voulu d’eux, alors, sont arrivés chez nous. Avec le nom qu’ils portaient, qui faisait pas du tout Spaghetti, Menton ou le Pays Basque, c’était pas fait pour eux. D’autant qu’ils ne jargonnaient pas gros de français. Alors, se sont retrouvés en Alsace. Donc, en ‘40, rebelote les valises. Sauf que le paternel a gentiment été signalé à la Gestapo et qu’on ne sait pas trop ce qu’il est devenu. Restaient la gamine, sa frangine et leur mère, paumées dans Paname. La gamine a fini par trouver un job, vu qu’elle se débrouillait aussi bien en français et en allemand qu’en rital. La mère a pas traîné longtemps, tuberculose, je crois… Alors, la gosse, évidemment, en ‘44, elle était comme qui dirait dans la mouise, surtout avec la petiote, qu’on voulait lui enlever et qu’était mal partie dans la vie, hein… L’aurait pu mal tourner, la Wilma, ç’aurait été un sacré gâchis, faut pas croire ! L’avait fricoté un temps avec un Frisé, Gunther je sais pas quoi. Un drôle de coco aussi, tiens… Voilà. Tu vois, hein… Et Véro, c’est sa nièce. Une vraie nièce, pas une “nièce” ; la fille de sa sœur, qu’a fini par se tirer d’affaire et épouser un garagiste. Tu sais tout…
Mais dis donc, où est passé l’autre feignant, là ? T’as pensé à refermer la porte, au moins, tout à l’heure ? Oui ? Bon… Ah, faut aussi que je te dise deux mots sur le Prince. Figure-toi qu’il paraît que tu lui as fait bonne impression… Mon p’tit doigt… Et prends pas cet air avec moi, ma p’tite ! Donne-moi donc ton avis sur lui. Après tout, c’est de bonne guerre ! Et puis, va pas te faire des idées, il est marié. Remarque, ça ne veut rien dire, faut pas croire, mais y’a un rapport. Tu vois, il est déjà reparti, pour Londres je crois, un sommet quelconque. Sauf que Fatiha, sa femme, elle est restée là. Pourquoi, j’en sais rien, je veux pas le savoir. Mais elle aimerait bien visiter Lyon, tant qu’à faire, parce que, une suite au Bellecour, c’est peut-être bien, maintenant qu’il a été refait de neuf, mais elle s’y emm… quiquine, vu qu’elle ne connaît personne. Et pas question qu’elle sorte seule, hein, t’imagine… Par contre, si une jeune femme bien sous tous rapports pouvait l’accompagner dans quelques boutiques… Vous avez presque le même âge, ça devrait coller ! Et tant qu’à faire, du côté des Jacobins, oui, t’as pigé… En plus, ça te changera les idées. D’une pierre deux coups ! C’est pas comme si t’allais en boîte avec lui, non ? Qu’est-ce t’en penses ?… Pas samedi, y’a trop de monde, ses gardes du corps vont choper une attaque. Ah ben oui, ils sont compris dans le lot… T’inquiète, savent être discrets, vont pas se promener en djellaba façon Tintin au pays de l’or noir, ça, c’est bon pour les paparazzi et les touristes. Tu pourras remettre ton tailleur, si l’autre gangster te l’a pas pourri… Non ? L’a pas transformé en plumard ?… C’est un signe ! »
(…)
« Des petits gâteaux ? Oh ? Fallait pas ! Pose-les là, pour tout à l’heure… Dis donc, ça va ? T’as l’air toute chiffonnée. Y’a un truc qui te tracasse ? Ne me dis pas que tu digères mal, hein… C’est en rapport avec avant-hier, que t’as pas pu venir ? Ton chef qui te fait des misères ? Pas lui, çui d’en dessous ? C’est les pires ! L’est pas un peu “promotion canapé” ? Si ? Tous pareils ! Les p’tits gâteaux, ils ne seraient pas un peu pour toi, par hasard ? Hmmm ? Pour compenser ? Bon, on va laisser l’eau chaude pour un doigt de porto, le Docteur le saura pas, Juanita ira pas cafter. Mais rien de plus raide ! Déjà que je vois que t’as opté pour le baba au rhum, et que ce truc-là, il fleure le Grand Marnier… Tu veux pas ma mort, après l’autre jour, non ? Faut panser, pas noyer ! Mouais… Je vois qu’il va falloir que je fasse ton éducation. Excuse-moi, mais t’es un peu Bécassine sur les bords et cruche dans le milieu. Je croyais pas ça de toi. Et va pas te jeter sur le chocolat ou à la tête du premier mec qui passe pour faire passer le truc, hein ! Mamy Erika va t’apprendre d’autres ficelles, à commencer par celles d’un type qui a dit « Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde ! »… Et un point d’appui, oui, c’est vrai. Je vais t’expliquer comment trouver les deux, t’inquiète… Décidément, le monde n’a pas fait de progrès depuis un moment… Ah bon, t’es pas venue pour ça ? Oh, tu peux, hein… Si tu veux… Boulot-boulot, hein ? On peut faire les deux… D’accord, d’accord…
On reparlera de ça tout à l’heure, entre le baba et le Grand Marnier. Et puis, faut voir pour ta virée des boutiques avec la Fatiha. T’y as réfléchi ? Comme tu feras pas que passer devant, faut prévoir un circuit… On fait pas les escarpins avant les parfums… Bien. En attendant, tu veux quoi ? Que je t’en dise plus sur la toile, là ? Bah, pourquoi pas…
Tu sais, dans Paname en ‘40, et après, et avant aussi, remarque, il traînait des drôles de zigues… Ceux qui voulaient rester tranquilles, il fallait qu’ils se trouvent une occupation, si j’ose dire. Une bonne occupation. Tiens, aujourd’hui, on parlerait de “niche écologique”. Alors, le Stanislas – on va l’appeler Stanislas, c’est plus pratique – il avait commencé dans les faux papiers, avant-guerre. Mais comme c’était un artiste, il a vite laissé tomber les fausses cartes d’identité pour des trucs plus décorés : bons du Trésor et fausse monnaie. La guerre est arrivée au bon moment : il avait beau faire de l’excellent boulot, ça sentait le roussi. En plus, Juif, Polonais… Alors, il a disparu. Ah non, pas “disparu” comme beaucoup d’autres : disparu… Fondu dans la foule. Une ombre… Et puis, Paris, c’était son chez lui. Il ne se voyait pas à Bayonne, dans la Creuse ou à Mostaganem, faut comprendre. Ce sont les Allemands qui lui ont fini par lui remettre la main dessus, et s’il n’a pas “disparu” comme les autres, c’est qu’ils l’ont embauché pour fabriquer… de faux francs d’Alger. Sous surveillance, bien, entendu, des fois qu’il lui vienne finalement l’envie d’aller prendre des vacances sous le soleil, maintenant qu’ils l’avaient retrouvé… Note qu’ils lui fournissaient tout ce qu’il voulait. Et qu’ils ont expliqué à Déat, ou à je ne sais plus qui, que “pas touche”.
Bon, le Stan’, c’était loin d’être un imbécile. Il se doutait bien qu’une fois que ces messieurs n’auraient plus besoin de lui… Mais pour se mettre à l’abri, il lui fallait deux choses : des contacts, et de la fraîche. Les contacts… il s’est débrouillé. Et pour la fraîche… C’était un artiste, le Stan’, avec de l’or dans les doigts… Alors, en douce, il s’est mis à peindre, son violon d’Ingres… Les autres, ce qui les intéressait, c’étaient les biffetons. Le reste… Tu comprends, ils n’allaient pas poireauter dans son dos à le surveiller nuit et jour… Le travail n’avançait pas aussi vite qu’ils le voulaient, mais ce n’était jamais de sa faute : un coup le papier convenait pas, un coup les encres n’étaient pas bonnes, des bricoles dans ce goût là… Donc, ça lui laissait des loisirs. Me demande pas comment il faisait, hein… Oh, il n’en a pas fait non plus des mille et des cents, faut pas croire ! Peut-être une petite dizaine… D’abord, ça aurait mis la puce à l’oreille des amateurs, et ensuite, il lui fallait quand même du temps, il allait pas se fournir chez Ripolin… Bref, il s’est acheté une autre vie avec quelques toiles… Tu comprends, les billets, ça prend de la place et ça s’évapore… La monnaie, il était bien placé pour savoir ce qu’elle valait ! Et tu fais moins gaffe à un carton à dessin qu’à une valise pleine à craquer…
Non, juré, aucune idée de ce qu’il est devenu. Il peut tout aussi bien être à Belleville qu’à Buenos Aires. Je ne sais même pas s’il est encore vivant, ni même si il a survécu à la guerre, tu vois… La toile ?… Bon, on dira “pour services rendus”, hein ? Ça te va ? Non ? C’est pareil ! En tout cas, ça nous a aidés pour payer la maison, celle des débuts. C’est le genre de caution qu’un banquier accepte sans trop discuter, tu vois, surtout à l’époque… Ça a de la gueule, non ? C’est ma fenêtre, si tu vois ce que je veux dire… Bouge pas, je vais chercher quelque chose dans ma bibliothèque… Tu trouverais pas… Voilà. C’est qu’il pèse son poids, le bestiau… J’ai pas toute la collection, hein, seulement ce qui m’intéresse. Tiens, zyeute : Monet, la totale. Des reproductions, mais de qualité. L’ennui, c’est que t’as pas les vraies dimensions… T’es déjà allée au Louvre ? Voir la Joconde ? Ah, il faut, ma fille, il faut ! Mais attends-toi à une surprise… Moi, j’ai été déçue, ma pauvre, la première fois que je l’ai vue en vrai. C’est pas une miniature, note… Mais dans mon idée, elle était plus grande. Par contre, Le radeau de la Méduse… Bref, tu vois, ils y sont tous, avec le pedigree – enfin, tous… Regarde celle-là : Voiles à Etretat. C’est un Monet-Stanislas, d’après une expertise faite après la sortie du bouquin. Autant te dire que dans le lot, il y en a sans doute d’autres. Sachant, en plus, que celles-ci sont publiques, on va dire. Tu parles que celles qui sont planquées dans un coffre en Suisse ou accrochées dans un salon privé, on ne va pas en entendre parler d’un moment. Voilà, tu sais tout sur Stan’. Enfin, tout ce que je sais. Je ne l’ai jamais rencontré, l’était pas du genre à se montrer. Personne ne sait même s’il préférait les filles ou les garçons, c’est tout dire ! »

(Fin… de l'épisode)
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Capu Rossu



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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 09:38    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour,

Ah les Tantes Jeanne de Gilbert Bécaud !

@+
Alain


Dernière édition par Capu Rossu le Dim Nov 03, 2019 15:13; édité 1 fois
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houps



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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 10:28    Sujet du message: Répondre en citant

Ah, Casus, on a oublié celles-là:
"...Donc, mois, je ne suis allée qu’à la première messe...."
"...A force, il y en a eu que ça a indisposé…..."

mea culpa...
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Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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Hendryk



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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 11:19    Sujet du message: Répondre en citant

Le bagout de Madame Erika est toujours savoureux.

A ce rythme-là elle va finir par donner une nouvelle vocation à la journaliste.
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With Iron and Fire disponible en livre!
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Tyler



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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 14:34    Sujet du message: Répondre en citant

Applause Applause Excellent!
C'est aussi divertissant que profond(au vu des nombreux éléments abordés). Et c'est très bien d'avoir des "histoires du quotidien"
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Nov 03, 2019 19:48    Sujet du message: Répondre en citant

Ach le tourisme à Paris sous l'occupation. Sad Sad Sad Sad Sad Heureusement pour elle, elle n'est pas tombé sur les Manoukians.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 00:34    Sujet du message: Répondre en citant

La suite, hé oui !
Je n'indique pas le titre de cette partie…



« Bonjour ma petite ! Excuse-moi de t’avoir fait attendre : j’étais au téléphone !… Françoise. C’est elle qui a appelé. Pour avoir de mes nouvelles. Quand même, hein… Voilà… Bon. Alors, et toi ?… Ah… Ça, c’est Juanita. Ne te dérange pas : elle a sa clé…
Bonjour Juanita. Sale temps pour les piétons, hein ?… Le petit va bien ?… Qu’est-ce que vous m’avez préparé de bon pour ce soir ? Plus d’artichauts, hein ? Ça me donne des gaz.
Dis donc, gros flemmard, tu pourrais pas te pousser ?…
Alors, ça va ?… Me fait plus attendre : cette virée dans les boutiques, c’était comment ? Heureusement que tu te débrouilles en anglais ? Ben ça, je le savais, merci ! Lui parle bien le français, mais elle… Tu vois, j’aurais pas pu lui tenir la jambe. Ça fait un bail que j’ai plus pratiqué. Tu sais, moi et les langues étrangères… L’allemand, c’est bien parce qu’il fallait. Et l’américain, les bases. Cours accéléré. Et encore ! Vu ce qu’avait donné le boche après quatre ans d’études sur le tas… Alors, t’imagines, depuis le temps… A part « Bonjour », et encore, en lui écorchant les oreilles…
Bon. C’est pas tout. Vous êtes bien allées chez Camille, hein ? Bon, bon… Comment ? Elle a trouvé que ça manquait de choix ? Chez Camille ? Ah non, tu lui as expliqué que c’est Lyon, et pas la place Vendôme ? Faut pas croire ! Vous ne deviez pas faire que les fringues et les chaussures ? Pour le reste, faudra qu’elle revienne ! Mais pas ici ! Et à part ça, ça s’est bien passé ? Oui ? Elle t’a pas mangée ? Non ? Les autres non plus ? Alors, tu vois, qu’est-ce t’es donc allée t’imaginer ?
Alors, figure-toi que pendant que tu courais les boutiques, eh bien, j’ai travaillé, moi. Enfin, « travaillé », faut pas exagérer, tout de même… Juanita m’a bien aidée, elle m’a tout expliqué – elle a une de ces patiences ! – et je me suis repassé une de tes cassettes. Entre nous, faudrait que t’y mettes un peu d’ordre, c’est un vrai bazar ! Au moins, si tu y collais des étiquettes ! C’est partout rangé pareil, chez toi ?
Ah oui, ça m’a bien passé le temps ! Y’a des trucs, tu sais… J’en ai appris, des choses … Ou réappris. Va savoir… Tiens, ‘tends voir… C’est là-dessus… Bouge pas… Je voulais te montrer… Du coup, j’ai pas rangé la cassette ; mais j’ai pas ta… comment dire… ta dextérité… L’école… Voilà… C’est après… Qui c’était le ministre ?… Ben, il m’a pas laissé beaucoup de souvenirs. Faut dire que l’école, à l’époque, c’était pas la première de mes préoccupations, hein… J’avais passé l’âge, quand même ! Non, mais ça m’a rappelé un truc… Je t’en reparlerai plus tard, si j’oublie pas en route…
Tu sais, la messe… enfin, les messes au Maréchal, d’en avoir causé, ça m’a fait me souvenir d’un autre événement. Bon, là, c’était pas chauffé. Pas plus qu’ailleurs, et même plutôt moins. On était en pleins courants d’air, c’était aux Invalides… Ça te dit kékechose, les Invalides, fin novembre 42 ? Oui, quand même ? Bon, doit y’avoir des images sur ça, dans une de tes boîtes, non ?… Dans les archives allemandes ?… Si tu veux, mais ça m’avance pas… C’est écrit dessus ? Sur la cassette ? Pas sur la boîte ? C’est malin, tiens ! Tu te vois acheter des conserves où on marquerait « haricots » ou « raviolis » à l’intérieur ?
Doit y avoir aussi des « Actualités Françaises », je peux te l’assurer… De quoi je me rappelle ? A part qu’il ne faisait pas chaud ? Bon sang ! Je crois bien que c’était ma dernière paire de bas de l’année que je portais, ce jour-là. Bon, on était plus en janvier, hein, faut pas croire. Ah oui, dis donc, l’hiver 42… Les zigs qui cassaient la glace au pic et à la hache sous le Pont Neuf… et ceux qui faisaient du ski à St Cloud ! Crénom, c’qu’il a fait froid c’t hiver-là ! On ressemblait à des oignons, tiens. Valait mieux dormir à deux, tu peux me croire ! Tout ça pour dire qu’en novembre… ‘tends voir… fin novembre ?… Entre un bas avec échelle ou de la teinture au brou de noix, t’avais vite choisi. Faut pas croire ! On était plantés comme des santons… Pourquoi que j’y étais ? A cause de mon Major. Tu te rappelles ?… Oui, c’est ça, celui qu’enlevait son alliance pour aller faire youplaboum avec la « Betite Barisienne ». Je sais pas si on va le voir sur ta machine, là, mais on va sûrement voir le carrosse. C’était son unité qui l’avait fourni. Faisait pas le pied de grue avec moi, hein, quand même. Devait avoir le palpitant qui prenait des tours ! A la première connerie, major ou pas, il trinquait. Et puis, t’inquiète, à cet instant, on n’avait pas mélangé les serviettes et les torchons. Ça risquait pas ! Frisés d’un côté, la clique – ou la claque – à Laval de l’autre, et le populo… enfin, ceux qu’avaient eu envie de venir ou qu’avaient pas eu le choix… le populo, à l’autre bout.
Ça y est ? T’as trouvé ?… Une qui trouve, dix qui cherchent… Pousse-toi un peu, Toi… Viens-là, gros père… Là… Sur mes genoux. On va regarder la télé… Tu crois qu’il y comprend quelque chose ? Doit s’en passer, des trucs, dans cette caboche de Turc ! Oui Monsieur ! Un cabochard !…
Ah ! Voilà ! C’est ça ! Regarde-moi ce peuple ! Ah, ils avaient pas mégoté sur la figuration ! Ça, c’est les gars de Doriot, tu vois, qui font la police. Déjà à l’époque, le ridicule ne tuait plus. Dommage… Ah, non, parce que les policiers, les vrais, ils sont sur l’avenue, des fois qu’un gamin aurait envie de venir jouer aux billes sous les roues du tracteur. Enfin, sous les chenilles… Mais nous, là, on le sait pas, vu qu’on est là comme des cruches, à se demander ce qui se passe. Tu vois, je dois être par là. Pas devant, hein, faut pas croire.
Quand « Madame » est venue nous annoncer qu’on avait besoin de nos services, c’était le matin, on se levait à peine. Et pour aller où ? Elle en savait guère plus que nous. Enfin, si, certainement, mais c’était pas nos oignons. Fallait qu’on soit aux Invalides. Drôle d’endroit pour un cinq à sept, hein ? Qu’est-ce tu crois ? On y est allées. Cinq, qu’on était, sans la compter. Et là-bas, c’était le bazar. T’imagines ? Les Boches, les gars du SONEF, les invités de tout poil – je sais de quoi je parle – et les gardes républicains. Ah, ceux-là ! Si tu les avais vus ! En grande tenue. Gants blancs. Et fourbis mieux qu’un cul de casserole à la Tour ! Pareil pour les chevaux ! Tiens, regarde… Bon. Ça nous disait toujours pas pourquoi on était là. Note qu’on voyait bien qu’il allait se passer quelque chose, mais quoi ? « Madame » a montré patte blanche. Je te prie de croire qu’en face, ça rigolait pas. Et puis Hermine a retrouvé son Portos, tiré à quatre épingles. Moi, mon major, je le trouvais pas. Pourtant, je devais lui tenir compagnie, du peu que j’avais compris. Vu le tableau, je me posais des questions : je me voyais mal participer à un défilé ! Surtout de ce genre-là ! Bref, nous, on nous a fait filer dans le fond. Ça, ça m’allait mieux. Je t’ai expliqué ? Oui ? C’est pas que je radote, hein, faut pas croire ! Mais des fois, y’a des trucs, faut bien les comprendre, pour la suite. Et on a fait comme tout le monde : on s’est gelé. Encore, ceux de devant, ils avaient un peu de soleil.
Tu vois, ça tombe bien : l’arrivée du train à Saint-Lazare, je découvre… Question courants d’air, devaient pas être en manque non plus. Ah oui, ils sont tous là, les seconds couteaux, regarde ! Et certaines têtes aussi. Tiens, ça c’est Benoist-Machin, enfin, Benoist-Méchin ! Je me goure tout l’temps… Pis c’est comme ça qu’on l’appelait, à l’époque. Après, ça a été « Benoist-Méchant ». Faut pas croire !
Pendant ce temps, nous, on poireautait. Ça papotait. Guitry devait faire du Guitry, j’étais trop loin. J’étais derrière un journaliste qu’arrêtait pas de taper du pied pour se réchauffer. Comme tout le monde, quoi. J’ai son nom sur le bout de la langue… Un du genre à Rebatet… qu’était à la gare, lui… Zut ! Bon… On se connaissait comme ça… Ça tombait bien, histoire de passer le temps, je lui ai demandé qui il y avait, et ce qu’on faisait là. Mamy ! Mamy, le gars. Je ne connaissais pas tout le monde, et j’étais pas la seule, faut pas croi… Arrête !
Arrête… Reviens… Là, tiens, ceux-là, devant : oui, eux… Hé bien, c’étaient des membres de la famille !… Mais non ! Tu le fais exprès ? Sa famille à Lui ! Arrière-arrière-arrière petits neveux, ou je sais plus. C’est comme ça que j’ai appris qu’il en existait encore. De l’école, il me semblait que ça s’arrêtait avec le numéro Trois, tu vois. L’a pas eu de gosse lui, non ? Le Trois… Si ? C’est pas vrai ?… Chez les Noirs ? Ah oui, ça expliquerait… D’ici qu’ils nous envahissent aussi rien que pour nous le rendre… J’aurais appris ça de plus aujourd’hui, tiens !
Bon, on en revient à notre cérémonie. Vas-y, remets en route… Et voilà l’engin… Tu vois, y manque le son. On a d’abord entendu la musique… Très teutonne. On commençait juste à s’y habituer. Mais là, c’était plus solennel, on va dire. Puis le bruit du tracteur… Pour le recueillement et le solennel, les chenilles, y’a mieux…Voilà… Ils vont s’arrêter là, et le Bougnat va y aller de son petit discours… On va y avoir droit : « l’affirmation de la réconciliation de nos deux peuples »… Et patati, et patata… J’espère que c’est coupé, hein. Comme littérature… Ah oui !

(La suite dès que vous m'aurez donné l'événement dont il s'agit. Je doute que ça tarde… Même si la date FTL n'est pas OTL.)
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Tyler



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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 00:51    Sujet du message: Répondre en citant

Le transfert des cendres de l'Aiglon?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 01:13    Sujet du message: Répondre en citant

Je savais que ce serait vite fait !

Bon, on en revient à notre cérémonie. Vas-y, remets en route… Et voilà l’engin… Tu vois, y manque le son. On a d’abord entendu la musique… Très teutonne. On commençait juste à s’y habituer. Mais là, c’était plus solennel, on va dire. Puis le bruit du tracteur… Pour le recueillement et le solennel, les chenilles, y’a mieux…Voilà… Ils vont s’arrêter là, et le Bougnat va y aller de son petit discours… On va y avoir droit : « l’affirmation de la réconciliation de nos deux peuples »… Et patati, et patata… J’espère que c’est coupé, hein. Comme littérature… Ah oui ! « Nous t’accueillons ici, noble duc de Reichstadt, symbole de l’amitié indéfectible qui lie désormais nos deux destinées, pour qu’au côté de ton père… » C’est pas du Laval pur jus, ça. Le bruit a couru que c’était Faÿ qui l’avait écrit, le discours. Voilà… Et nous, on continuait à se geler… Remarque, même lui il a la goutte au nez, regarde… Et maintenant, tout le monde dans l’église ! Où on n’aura pas plus chaud, tiens !
Un requiem ! Chanté par la maîtrise des concerts Pierné, s’il te plaît ! Pouvaient difficilement nous faire la Marche nuptiale, hein… Avec Suhard et Baudrillard, évidemment, qu’ont essayé de pas faire trop long. Devaient avoir la dalle, comme nous… Tiens, je me demande ce qu’est devenu le tapis, là. Et où ils l’avaient trouvé. Pas aux Galeries-Lafayette, ça, c’est sûr. P’têt dans un musée ?…
Ah, ben, c’est pas du sapin, faut pas croire ! C’est du bronze ! Et astiqué, je te dis pas ! Fallait que ça brille, et pour briller, ça brillait ! Devait peser son poids, la boîte. Imagine qu’il y en ait un qui se soit emmêlé les pinceaux ! Dire que les aut’, là, d’un côté, ils le fauchaient partout, le bronze ! Même les cloches ! Et de l’autre, ils nous rendaient ce petit bout !… Ah ben si ! Par rapport à tout ce qui partait chez eux…
Bon, après, tout juste si c’était fini, on est venu nous chercher. Et c’est comme ça qu’on est arrivées dans les premiers à l’ambassade d’Allemagne, pour le petit gueuleton… Donc, on en a raté un bout, un bon bout. Encore qu’il fallait aimer les marches militaires. Mais on n’a pas pleurniché après, faut pas croire !
Tiens… Ah non, comme c’était le banquet avec les Actualités, tu vas pas nous voir ! Regarde : Guitry, qui y est allé de sa tirade – il arrêtait pas de répéter que c’était son père qui avait créé le rôle de Flambeau en 1900 – Arletty… là… Celle-là, c’est la Popesco… Nous, on est dans une autre salle, avec mon major, Hermine et son Portugais, Olga… Je t’ai déjà parlé d’Olga ? Oui ?… Et puis le pote à Rebatet… Deux vieux beaux qu’étaient de la noblesse d’Empire, il paraît. Il paraît. Moi, hein, pour ce que j’y connaissais… On devait être une grosse vingtaine. En tout cas, pas plus de trente.
Tu sais, les canassons, z’ont pas dû recevoir double ration de picotin et les Chleuhs qui portaient le cercueil, les musicos de la Garde Républicaine, tous les autres sous-fifres, y z’ont pas dû avoir grand-chose de plus, eux. Même s’ils se sont farci en plus une revue. C’est pour ça que Laval, Stülpnagel et les autres grosses légumes sont arrivés un peu en retard. Encore un peu, et le Guitry avait boulotté tous les amuse-gueule dis donc ! Alors, si on n’était pas dans le grand salon, au moins on s’en mettait plein la lampe. On n’allait pas se plaindre ! Et puis, on rigolait nettement plus ! Faut pas croire ! A côté, z’étaient bien obligés de se tenir ! Y’avait les caméras ! Remarque, personne n’a roulé sous la table, chez nous non plus. Faut pas croire ! On se tenait aussi, quand même ! Mais c’était moins guindé.
Le seul qui a fait grise mine, c’est le Major : on est venu le chercher au beau milieu du repas. Boulot-boulot ! Et le soir, on a remis ça, mais c’était pas les Allemands qui régalaient. C’était plus à l’ambassade, y’avait plus les pique-assiette de la Propaganda Abteilungen ! A l’Elysée, que c’était, s’il te plaît ! Bien la seule fois où j’y ai mis les pieds ! Faut pas croire ! D’ailleurs, on était pas nombreux. Et eux, encore moins. Abetz, bien sûr. Çui-là… Et quelques autres, soi-disant des « civils ». Mouais, « civils »… Ah non, pas le Major. Ma pauvre : trop petit fretin ! Même pas Stülpnagel, c’est tout dire ! Du coup, moi, j’aurais dû retourner chez moi. Mais comme le Mamy a vu que j’étais toute seule, il a tenté le coup. Tu parles que j’allais rater ça, un repas gratos ! J’ai pas dit non, même si je savais que tout ce qu’il allait me promettre, c’était de « tourner un bout d’essai ». Je comprends pas qu’il ait cru que ça pouvait marcher ! Il devait me prendre pour une gamine montée à Paris la veille ! J’avais autant envie de « faire un bout d’essai », surtout avec lui, que de cirer la moustache d’Adolf ! Evidemment, si j’avais su… Heureusement qu’il ne m’en a pas voulu !
Hermine est restée, elle aussi. Le Sacha a fait le siège de Déat, d’Abetz et de je sais plus qui quasiment toute la soirée… Ben tiens, il voulait remonter L’Aiglon, puisque c’était de circonstance.. Ça lui avait pris comme ça. C’était Guitry, hein ! Faut pas croire ! Il était en train de finir son film, là… En remontant les Champs-Elysées. Non, c’est pas une blague. Le gars, à côté, c’est un d’une boîte allemande avec qui il faisait son film, Suzy l’a eu un temps comme client. Il a dû leur courir sur le haricot, le Guitry. A vouloir trop en faire, ça lui est retombé dessus. Pas comme Marquès, qui était là aussi et qu’a fini par le faire, son film, lui. Avec Mamy. Z’étaient pas les seuls. Faut pas croire ! La journée avait mis le Bougnat de bonne humeur, fallait en profiter ! T’aurais vu c’te collection de mouches autour du pot de confiture !
Ah, son film ? Forces occultes. Ça te dit quelque chose ? Non ? M’étonne pas. C’était… spécial. Ah non, va pas te gourer ! Pas « spécial », avec les frères Karamazov en plan américain et Bouclette au charbon en gros plan ! Non, non, pas ce spécial là ! Un spécial bien dans l’air du temps, je dirais. Je sais pas si on peut le trouver quelque part. Faudrait essayer Saint-Ouen, sait-on jamais… Et quelquefois, ils en passent un extrait à la télé, dans les émissions sur l’Occupation, ou sur… Enfin, l’est sorti fin ‘43, par là. A peu près au moment où les Africains et les Amerloques sont revenus mettre le bazar à Marseille. J’étais à l’avant-première… C’qu’il fallait pas faire, à l’époque ! C’était pas Hôtel du Nord, faut pas croire ! Si tu veux mon avis, à côté de Forces occultes, Maciste et les Amazones, c’est du Victor Hugo… Mais je parle, je parle… Ça donne soif !
Qui y’avait d’autre ? Quand ça ? Le soir des Cendres ? Pff… Le Tout-Paris de l’époque, tiens ! Tous ceux qu’on croisait à l’Etincelle ou à l’Ecrin. On remarquait plutôt ceux qui n’étaient pas là ! Ça pouvait vouloir dire des choses… De qui je me souviens… Voyons… Devait y avoir la Josée, hein. Normal, elle était chez elle… Sa copine Arletty. Qui d’autre encore ?… Greven ? P’têt ben. Je sais plus… C’est que c’est pas d’hier, tout ça… Peut-être, vu qu’il y avait Marquès…. Ah, un gars de l’ERR, mais pas Lhose, un remplaçant… La Balin, mais sans son jules, comme l’Arletty… Du monde, quoi…
Et puis, y’avait des Suisses, des Suédois, des Portugais, des Italiens, des Espagnols… Comme « avant ». Fallait faire comme « avant », à cette époque. Manquait plus que les Angliches et les Amerloques ! Enfin, quand je dis « des » étrangers, va pas t’imaginer qu’ils étaient des mille et des cents, hein… Et puis, ils n’étaient peut-être pas tous là. Je veux dire, les Portugais, d’accord. Au moins un, vu qu’il y avait Hermine… Mais pour les Suédois… Ou les Espagnols… Tu sais, c’est pas d’hier, tout ça… Y’aurait même eu un Japonais, un Turc, ou le Chah d’Iran, que je serais incapable de te l’assurer… Manquait la Darrieux, ça c’est sûr. On l’aurait vue avant, à midi, t’inquiète. Non, ils l’avaient pas oubliée. Ça m’étonnerait ! Devait être fatiguée, la pauvre… Ou bien, comme y’avait déjà Arletty et Balin, ça pouvait faire des étincelles… Ah non, pas avec nous ! Chacune sur son terrain. On n’était pas dangereuses, pas du tout le même univers. Mais entre elles… Hou là là !
Suzy et moi, on est retournées aux Invalides, le lendemain, vu que c’était ouvert au public l’après-midi, parce que le matin, c’était réservé à nos nouveaux « amis » vert-de-gris. Y’avait pas la queue. Oh non ! Les aut’ jours non plus, remarque, même si Paris-Soir affirmait le contraire. C’était la première fois que je rentrais là-dedans. Impressionnant, y’a pas à dire. Ça change des cimetières qu’on voit partout ailleurs – il y pleut moins, mais, y’a pas, ça reste un cimetière. Et ce genre d’endroit, c’est pas ma tasse de thé… Mais bon, on est resté plantées là un moment, à regarder ce gros machin brillant à côté de l’autre tout noir, les gerbes et les drapeaux. On savait pas trop quoi en penser. Faut pas croire ! Enfin, un type, à côté de nous – et sans doute parce que c’était nous, des filles, et qu’il n’y avait que nous trois – a lâché un truc du genre « Plutôt que des cendres, z’auraient dû nous ramener du charbon ! » L’avait pas tort. Bon. C’est pas tout. Porto, ou eau chaude ? Au fait, t’aurais pas la crève, des fois ? Non ? Sûr ? La dernière fois qu’il est venu, Julien m’a laissé un petit rhum « couleur locale », qu’il a dit. Locale de je sais plus où, de par là-bas. Connaissent pas trop le vin, mais se défendent pour le rhum, y paraît. Y paraît. J’ai encore jamais eu l’occasion de le goûter – ça serait le moment où jamais, non ? Va finir par s’évaporer, à force. On pourrait se faire un grog, tant qu’à faire chauffer de l’eau… Mais attention, hein, léger ! Juste pour goûter… Non ? Rien qu’une lichette, pour parfumer la tisane ? On est quand même pas des poivrots… poi… vrotes ? Ça se dit, ça, « poivrotes » ? Faudrait d’mander à Pivot… En bas, derrière, au fond, la bouteille verte… Tu trouves ?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 12:10    Sujet du message: Répondre en citant

« Entre, entre… Brrr… T’es gelée ! Fait si froid que ça ? Ça sent l’hiver, non ? Et même Noël… Qu’est-ce t’as amené ? Oh ! Des chocolats ! Fallait pas ! Et puis des bons, dis donc ! C’est bien, t’as du goût ! On leur dira bonjour tout à l’heure. Les mets pas là, ils vont prendre chaud. T’en donneras pas à l’autre arsouille, là. C’est pas bon pour lui. Je te préviens, parce qu’il va venir te faire son cinéma dès que la boîte sera ouverte…
Qui ça ? Un vieux monsieur avec une petite barbiche ? Au premier ? Ah ! T’as croisé Bernstein. Le Professeur Bernstein. C’est lui qui s’est occupé de Serge, sur la fin. Tiens, c’est lui que tu devrais aller interroger ! Encore que… L’était planqué dans le Limousin, avec ses parents et sa petite sœur. C’était plus un gosse, mais il n’était pas très vieux quand même. Un soir, on a frappé à la porte. Une dénonciation, pour sûr ! Et hop, un aller simple pour l’Allemagne ! Quand ça s’est fini, il n’avait plus qu’une tante en Espagne et un vague cousin aux USA comme seule famille. Sacrée casserole à tirer toute sa vie, hein ? Ça ne l’a pas empêché de devenir ce qu’il est devenu. En tout cas, ça l’a marqué : tu vois, t’as cru qu’il était plus vieux que moi. Il n’en parle pas beaucoup, de tout ça. On peut le comprendre. Doit pas y avoir deux personnes de l’immeuble qui soient au courant. Il fait pas de bruit. Ses gosses sont grands, ils vivent leur vie. Il a pris sa retraite pour s’occuper de sa femme. Elle a traîné deux ans. Cancer… Un truc comme ça. Comme Serge. Sauf que lui, c’était le foie. Il n’a guère traîné, lui. Ça valait peut-être mieux… Voilà… Et moi, je suis encore là. Quand tu vois ça, tu te dis que des fois, la vie… Bon… Finalement, les chocolats, c’était pas une si mauvaise idée.
Allez, on va parler d’autre chose. Enfin, on va essayer. T’as une idée ? L’école ? L’école ! Ah oui ! L’école, la cassette ! Faut la retrouver… Doit toujours être dans le truc. Non, j’ai plus rien regardé depuis l’autre jour. Hier ? Le « colonel » est repassé. C’est tout lui, ça. Des fois, je ne le vois plus d’un an, et tout d’un coup, il passe deux fois par mois. S’est pas attardé. On a parlé de tout et de rien. Bon… Ah, voilà, on y est !
Tu vois, quand on a quitté Paris avec Serge, on a tournicoté dans la cambrousse – parce qu’on s’était paumés, à dire vrai. Faut pas croire ! On est tombés chez des bou… des fermiers qu’étaient vachement fiers, leur gamine avait eu le premier prix de ramassage des doryphores… Sois pas si pressée, j’y viens ! Tiens, c’est ça : on est en ‘42, je crois. Tu vois, ça fait bizarre de revoir des trucs comme ça. Là, maintenant, tu sais qu’il n’y en a plus que pour deux ans. Mais à l’époque, deux ans, c’était ce qu’on venait de se farcir, et rien ne disait que ça allait s’arrêter. Tu piges ? Oh oui, on savait que ça s’étripait partout. Mais ça allait dans quel sens ? On n’avait pas lu toutes les pages. Ça pouvait encore continuer un moment – de quoi te fiche le moral à zéro – ou bien s’arrêter, et on en restait là. Pas plus réjouissant, hein. En attendant, fallait faire avec. Faut pas croire !
Et pour se faire des idées, on avait surtout des trucs comme ça. L’est pas belle, la France de 42 ? On croisait des vert-de-gris à tous les coins de rue, on était bombardés, y’en a qui étaient fusillés, on faisait la queue pour des topinambours gros comme des noisettes, et on allait voir des trucs comme ça. Regarde ça comme c’est beau, la cambrousse ! Sont pas chouettes, tous ces champs ? Ça te donnerait presque envie, non ? La campagne anti-doryphores ! A se demander s’il n’y avait pas un comique planqué au gouvernement et payé pour sortir des trucs comme ça ! La campagne anti-doryphores ! Rien que ça ! Bon, je veux bien que ces saletés de bestioles boulottaient nos patates, mais de là à ce qu’on n’en voie plus la couleur ! Remarque, les gosses ont l’air ravis d’y couper, à l’après-midi de classe, non ? Moi, ça m’aurait bottée ! Attends, arrête le truc, là … Quoique, entre le maître, le maire et le Fridolin qui supervisait tout ça, ça m’aurait p’têt bien défrisée… Donc, la gamine, là, elle avait eu un prix. Remis par le maire ! T’imagines ? Non, vrai, tu imagines ? Au lieu de te taper un problème de robinets, ou bien une dictée-questions-rédaction, on te file une boîte en fer blanc, et va-z-y ! A çui qu’en ramasse le plus ! Et pour finir, podium, comme au Tour ! Bon. On en a su un peu plus, le soir. Ça a fait un sujet de conversation « neutre », comme qui dirait… Remarque, finalement, on apprenait des choses…
Mais je vais trop vite. Attends voir… On s’est donc sortis de Paris en voiture, et Serge a roulé jusqu’à un bled où on devait prendre le train. Pas une grosse ville, il pensait qu’il y aurait foule. Juste qu’on avait roulé moins vite que prévu, et raté un croisement. Et raté le train… Une carte ? Et puis quoi encore, qu’on d’mande notre chemin à un feldgendarme ? Ma pauvre, une carte routière, à l’époque… L’a donc fallu trouver un endroit où crécher, et espérer qu’il y en ait un autre le lendemain, de train. Et laisser la tire. Oui, la laisser, comme ça, alors qu’on aurait pu la négocier. N’importe quoi ! Sauf que les clients… On a récupéré nos affaires, trois fois rien : chacun sa valise, mon sac à main, et Serge, sa musette. Et un feu qu’il avait planqué sous son siège. C’était pas qu’il avait envie de jouer au cow-boy, note… Et je le savais pas ! Quand je l’ai vu, bon sang, je lui en ai dit quatre ! Et dire qu’il avait dans la tête qu’on passe pour des « réfugiés » qui voulaient être discrets ! Il était pas parti comme ça, le Serge, sur un coup de tête. Le flingue, c’est sans doute qu’il était un peu sur les nerfs, lui aussi. Pour le reste, il y allait pas au pif. Faut pas croire…
Rien qu’un pistolet à bouchon, et on te collait contre un mur ! Alors, un vrai… Remarque, il avait aussi deux bouteilles et un salami. C’était moins bruyant, et ça pouvait se montrer plus efficace. Tout dépendait du contexte, on va dire. De qui on avait affaire. Faut pas croire ! Mais un flingue ! J’y ai dit : « C’est marrant que tu aies pris ce côté maquisard ! T’es en manque ? Regarde donc comme ça me fait rire ! T’as pas passé l’âge des mômeries ? Ah, bonjour la discrétion, tiens ! T’aurais dû prendre un panzer, tant qu’à faire ! » Bref, j’avais une trouille bleue, mes nerfs m’ont lâchée. Note qu’il aurait pu m’en retourner une. Ou deux, hein… S’il l’a pas fait… Bon… Je te passe les détails. Le salami et une bouteille ont fait qu’on n’a pas dormi à la belle étoile. Et le lendemain, on a pu monter à bord d’un train qui filait dans la bonne direction. Au début. Ah, et pas en première classe, non ! Et le salami, on l’a regretté…
Le flingue ? Serge l’a planqué là-bas. Si ça se trouve, il y est toujours. Mais si tu me coupes tout le temps, je vais perdre le fil, moi ! Donc, en voiture Simone, nous v’là dans le pullman. Enfin, pullman… C’était pas l’Orient-Express, hein ! Faut pas croire !
J’aurais préféré une voiture, comme tout un chacun. Même une troisième classe. Mais on a eu droit à un wagon à bestiaux, tout juste si y’avait pas encore les vaches avec nous ! Manquaient les bouses, mais pour l’odeur… Bon. Je ne la ramenais pas, hein. On était pas seuls, bien contents de pas être à pinces. Y’avait de tout. Des familles, avec des mioches. Des vieux. Des un peu moins vieux. Des comme nous. Direction… ailleurs. Y’avait une bonne femme qui pensait comme moi, mais qui le disait. Et tout le monde en profitait. Alors, à côté de nous, y’avait deux petits vieux, elle en noir, lui je sais plus trop comment… Casquette… veste en velours… et une grosse moustache ! Des pros de ce genre de voyage, d’après ce qu’on a compris. Z’avaient déjà fait un tour en ‘40. Alors, ils n’avaient que deux petites valises. L’habitude. Ou p’têt bien l’expérience… Ou qu’il ne leur était pas resté grand’chose, la première fois. Va savoir ! Quand l’autre pimbêche a eu bien soûlé tout le monde, le papy lui a dit : « Ma p’tite dame, vous serez certes mieux dans un des wagons de tête, mais si jamais on est bombardés, croyez-moi, on sort plus vite de notre boîte à vaches que d’un seconde classe ! Y’a qu’à sauter et cavaler. » Ça lui a rabattu son caquet ! Elle n’avait pas vu la chose sous cet angle. Moi non plus, note.
On n’a pas eu à cavaler, mais des arrêts, ça, on en a faits ! Et des marche-arrière donc ! Tout d’un coup, on ralentissait, puis on s’arrêtait. On roulait avec une porte ouverte, sinon, c’était pas supportable. On avait essayé les deux, mais ça faisait trop courant d’air. Au début, tout le monde sortait, prêt à filer vers le premier talus. Y serait passé un moineau que certains auraient gagné les Jeux Olympiques ! Après, y’avait que ceux qui avaient envie d’aller aux toilettes ou de se dégourdir les pattes. Et puis ça repartait. Des fois, on avait droit au coup de sifflet, et des fois, sans crier gare. Deux ou trois gars et une bonne femme sont remontés de justesse. Ça allait bien qu’on roulait pas trop vite. Le truc, c’était de descendre dès l’arrêt, faire ce que t’avais à faire et remonter fissa, sans cueillir les coquelicots. Et t’avais pas intérêt à faire la fine bouche sur la qualité des buissons, hein. Faut pas croire ! Et si y’en a qu’ont vu la lune, et ben, sont pas venus se plaindre ! Et on n’avait rien pris pour becqueter ! La dernière boutanche a fait qu’on a pu se partager deux bricoles. Et pour boire, on a eu de l’eau, à une gare. Merci la bouteille vide ! Remarque, on n’était pas les seuls dans ce cas. C’est pas qu’on était partis sans un casse-dalle, les uns comme les autres, faut pas croire ! Mais on devait tous penser que ça durerait pas, déjà, et qu’on trouverait facilement à se mettre sous la dent, vu qu’on allait à la campagne, et que c’était de là que venaient les patates – quand y’en avait – la farine, et tout le reste. Disons qu’on a été pas mal à déchanter. Et je te dis pas, ceux qui avaient des mioches… Bon, tout le monde s’est serré les coudes. Ça s’est à peu près bien passé.
Et puis le train s’est arrêté pour de bon. Et alors là… Déjà, avant, c’était le bo… bazar, mais là… Le bruit courait que les Boches raflaient des civils et les faisaient passer devant eux, pour pas se faire tirer dessus. D’autres disaient qu’ils dépouillaient les civils pour leur faucher leurs frusques. Sans compter ce qui se disait sur le sort réservé aux bonnes femmes. Serge m’a tirée à part, et m’a dit : « Faut qu’on se planque. » Bonne idée, mais plus facile à dire qu’à faire ! Bref, je te la fais courte : on s’est trouvé une maison à l’écart, un truc qui payait pas trop de mine, mais c’était plus le jour ni l’heure de chercher le Ritz, ou l’Hôtel du Commerce et des Voyageurs réunis… Il avait bien fallu qu’on se décide : la nuit tombait, on était au milieu de nulle part… On avait vraiment la gueule de ce qu’on voulait être : des gens « bien », mais pas de la Haute, et dans la mouise. On a frappé. Et on y est allé de notre petit numéro. Tu sais, c’est pas qu’il y avait comme de la méfiance réciproque, faut pas croire ! Mais… Nous, on arrivait ils ne savaient pas trop d’où, et nous, on tombait chez on ne savait pas qui, hein… Parce que les recommandations d’un gars qui connaissait quelqu’un qui…, hein… Faut pas croire !
Alors, y’avait le gars et sa bonne femme, la gosse, et un aut’ gamin, il me semble. Lui, le père, pas le gosse, il avait un truc. Une histoire de polio, je crois. C’est pour ça qu’il était encore là, lui, et pas chez Adolf comme d’autres. Remarque, pour les travaux, ben, ça l’aidait guère. Du coup, on a évité de boire de l’eau, hein. Faut pas croire ! Alors on a trinqué avec la piquette maison. Rien qu’en la voyant, les microbes devaient se carapater fissa ! Enfin… Passons. Alors, la gamine, toute fiérote, elle nous a sorti son diplôme. C’est qu’il n’y avait pas grand-monde à qui le montrer, le placard ! Et voilà. Tu sais que ceux qui gardaient leurs moutards au lieu de les envoyer en « promenade aux doryphores », ils chopaient une amende ? Si, si, le père nous l’a affirmé. M’étonnerait qu’ils l’aient gardé, le diplôme. L’autographe de Laval « par délégation » ça a dû leur faire une belle jambe, par la suite, tiens ! Déjà qu’à l’époque… Voilà. P’têt que c’étaient des lavalistes convaincus, p’têt que c’étaient des Résistants, p’têt que c’étaient des pauv’gens qui se dém… brouillaient comme ils le pouvaient : on n’a pas cherché à savoir. On a dormi dans du foin, ça nous changeait de la paille : il était propre, lui, au moins. Il sentait presque bon. Ça remuait plus. Ça nous changeait : presque on s’était habitués.
On est restés là deux ou trois jours. Deux fois, on a fichu le camp pour aller se planquer dans les bois, la famille d’un côté, nous de l’autre. Puis Serge partait aux nouvelles, et revenait nous chercher. Il s’est même risqué jusqu’au bled, où il a pu trouver un bout de pain. Sans doute « trouvé » à sa façon, mais, hein… J’étais pas trop tranquille. Ça avait beau être Serge, débrouille et magouille, comme ça bougeait tout le temps… Tu risquais autant d’être plombé par un pruneau made in Germany que par une bastos made in America. Rassurant, non ? Bref, l’est revenu, avec des trucs, qu’on a partagés, bien sûr. Puis on est tombé sur une patrouille… ou le contraire. Plutôt le contraire… Ah non, pas des Boches ! Des kakis ! Fouille. Pas au corps, z’avaient pas le temps. Z’ont tout inspecté, dans la maison, et comme on n’était pas du coin, ils nous ont dirigés vers un « centre ». La place du bourg. Où on nous triait. Faut dire qu’on n’était pas les seuls… Passons.
Une pièce intéressante ? Quelle pièce ? La grange ? Ah non, le diplôme ! « Intéressant », si tu veux. Mais tu vois, on pensait pas trop à collectionner les souvenirs, à ce moment, hein. Faut pas croire ! On n’est pas restés là-bas très longtemps. D’abord, visiblement – passe-moi le terme – on les emmerdait. Ensuite, de temps à autre, il tombait des obus par ci, par là. Faut pas croire ! La première fois, ça m’a remuée, tu penses ! Pas tant le bruit que le fait de savoir que c’était pas le 14 Juillet, tu vois. Bref, tout le monde dans un camion, bien serrés, pire que des sardines, et ouste ! T’imagines, si on s’était foutu en l’air ou si on avait pris un obus ? Dire qu’aujourd’hui on t’en met une pleine page lorsqu’un platane traverse sans prévenir devant un gonze qui sait à peine tenir un volant !
Et après, ben, je te l’ai déjà raconté : Vichy. En route, on avait gagné des papiers supplémentaires qui avaient plus qu’un air de « faits dans l’urgence ». Des trucs à présenter à tout bout de champ. Je pense qu’avec deux pommes de terre et une machine à écrire, même moi j’aurais pu en pondre un tas. Avec ça, on n’était pas perdus : on venait d’un coin où tu te baladais avec des Ausweiss plein ton sac rien que pour traverser la rue, et on tombait dans un coin où il te fallait des laissez-passer grands comme un mouchoir de poche rien que pour aller toucher ta ration. Et encore, sans oublier les bons qu’allaient avec ! Ah oui, parce que côté tickets aussi, c’était du pareil au même. Même la couleur, dis donc ! Bref, à part celle des uniformes, de couleur, ça nous changeait guère. Les flics français – y’en avait ! – avaient le même uniforme que de l’autre côté, sauf qu’ils faisaient pas la circulation devant l’Opéra. Quant à l’Allier, c’est pas la Seine, et voir de l’eau sans péniche, ça me faisait drôle…
Pourquoi Serge n’a jamais eu de problèmes ? Quels problèmes ? Il avait tous ses papiers. Son livret militaire était authentique. Juste le nom qu’avait changé. Ben oui, fallait s’adapter. Et sa feuille de démobilisation, authentique aussi. Et ses cicatrices. L’avait bloqué de la ferraille en 40. Bon, p’têt que si on l’avait repassé à la radio, on aurait vu que l’histoire de l’éclat logé près du cœur c’était du flan, mais qui aurait été assez chien pour aller em… bêter un ancien combattant ? Tu sais, ils lui ont sauté dessus quasi tout de suite, lorsqu’ils nous ont ramassés. Manquaient de personnel, à l’époque. Mais c’est pas allé plus loin qu’un déshabillage. Comme il avait été rafistolé à la va-vite… Lui ont même proposé un emploi « à l’arrière ». Je sais pas trop ce qu’il leur a répondu, mais après, on nous a fichu la paix. Et personne n’est venu s’étonner de le voir faire le maçon, ensuite, à Vichy. Tu comprends ?
Voilà. Et si on parlait un peu de toi ? T’as quelqu’un ? Toujours pas ? Tu sors ? Pour oublier l’aut’ con, là. Et la vieille qui te raconte la Préhistoire. L’a continué à t’embêter, fesse molle ? Ecoute, s’il cherche les ennuis, je connais un avocat qui serait ravi de me rendre un petit service. Surtout un service comme ça. Non ? Penses-y, on sait jamais. D’un autre côté, tu pourrais peut-être lui faire croire… Laisse-moi finir ! Tu vois, sans lui dire non, mais sans lui dire oui non plus. Histoire de tester deux ou trois restaus – des bons, hein, quand même ! Sortir en boîte… Ça, c’est pas mal : il a dans l’idée de te ramollir avec une bonne bouteille, mais avec ce que je t’ai montré, t’as de quoi l’envoyer cuver dans les bras de Morphée et rentrer en taxi peinarde. Réfléchis-y…
J’allais oublier ! Va voir dans la chambre, y’a quelque chose pour toi. Une bricole. A pas peur, ça ne te mangera pas !… Tu trouves ? Qu’est-ce que c’est ?… Ha, ben, c’est une jolie… Quoi, « t’en veux pas » ?! T’as pas passé l’après-midi avec elle pour rien ! Tu voulais quand même pas de la fraîche pour payer ton loyer, non ?! Moi, je dis qu’elle a bien choisi, la Fatiha. Un sac à main, ça oui, ç’aurait été trop. Mais une jolie pochette comme ça… Comment ça, tu peux pas la garder… C’est un cadeau ! Dans un an, tu le revends, mais en attendant, tu t’en sers. P’têt pas pour aller au restau avec l’autre abruti, là… Mais si « on » t’invite à une soirée correcte. On sait jamais…

(fin de l'épisode…)
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demolitiondan



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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 20:02    Sujet du message: Répondre en citant

Que dire sinon vivement la suite !
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Hendryk



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MessagePosté le: Mar Nov 26, 2019 21:14    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Pas « spécial », avec les frères Karamazov en plan américain et Bouclette au charbon en gros plan !

Imagé, comme expression...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Déc 24, 2019 11:34    Sujet du message: Répondre en citant

Pour Noël, un petit cadeau de Houps…


Erika réveillonne


« … Attrape-le ! Il va encore f… le camp, et après, Monsieur se perd et c’est la croix et la bannière pour le retrouver ! Non mais, sale bête ! Mais t’as plus vingt ans, mon pauv’ minou ! T’es pas bien, ici, au chaud ? Tu le crois, toi, que cet âne a en tête d’aller courir la gueuse, alors qu’il est coupé ? Le retour d’âge, je veux bien, mais là, c’est un peu fort ! Mais qu’est-ce t’as donc dans ta caboche, sacripant ?… Et avec tout ça, je n’ai même pas dit bonjour à Léa ! Oh oui, tu peux faire la tête ! File dans ton panier ! Regarde-le donc… Mais c’est qu’il m’en voudrait presque !…
Bon, c’est pas tout… Tu vas bien ? Bon… Allez, on s’installe… Ah oui, t’as vu mon philodendron de Noël ? Que veux-tu, je ne vais quand même pas m’installer un sapin !… C’est Juanita qui y tient… Oui, Juanita, je sais, sinon, c’est triste… On le fait toutes les deux, un peu à la fois. Il sera fini bientôt. Faut pas être pressé ! Faut bien que je m’occupe. Après, on s’attaquera à la crèche. Et toi, Noël ? T’as encore tes parents ?… Où ça ?… Ça va, c’est pas trop loin. T’y vas, au moins, non ?… Moi ? Bah… Toi me tiendra compagnie… Non, Françoise pourra pas venir. Trop occupée, qu’elle a dit. Après les fêtes. J’ai l’habitude. Je verrai peut-être la petite, Emma, en coup de vent. Et pour le Réveillon, que fais-tu ? T’as prévu un truc ? Tu sors ? Non ? Tu devrais. A ton âge…
Bon, moi je fais comme les autres années. Ben oui, hein, tant que je peux. J’arrive encore à tenir le passage de l’an, hein. On se retrouve entre vieilles peaux. Et autres peaux pas si vieilles… Ce n’est pas une soirée privée, faut pas croire ! Ah, c’est sûr que c’est plus ce que c’était ! Mais moi qui ne sors quasiment plus, je peux revoir un peu du monde. Tu devrais venir, tiens. Y’aura des que tu connais déjà : le Colonel, Camille… D’autres que je te présenterai. Ça peut servir. Tiens, j’avais invité la Wilma, mais elle est prise ailleurs. Remarque, Camille n’est pas bien vieille. Doit pas avoir cinq ans de plus que toi, tu vois. Y’aura sans doute quelques truands, d’anciens amis de Serge… Non, je plaisante ! Fais pas cette tête ! Mais tu nous vois « en boîte » ? Même si on danse. Faut pas croire ! Qu’est-ce tu veux ? Qu’on reste chacun dans not’coin, devant Drucker, un verre de bulles et une part de bûche ? Je me répète : tu devrais venir… Ah non, pas ici ! Quand même ! Non, non ! Y a des trucs sympas à Lyon, ou autour. Et y’aura pas que des vieux, je te dis ! Juanita laisse son môme à sa sœur, elle y sera avec son mari. Une figure, le Rosé ! Et un sacré bon danseur ! Remarque, si tu veux rester en tête à tête avec une roteuse, ça te regarde, mais tu serais ben bête, ma ch’tiote… Tu sais, les noëls tristes, à ton âge, j’ai connu. Même si je n’étais pas seule. Tu sais qu’on peut être seule au milieu de plein de monde ?
Tiens, tu te rappelles, la photo où on est à poil ? C’était pour un Noël, ou un Jour de l’An… Tu crois que c’était si rigolo ? Bon, ils n’ont pas tous été comme ça, faut pas croire, mais ils n’ont guère été mieux. Assieds-toi comme il faut, l’autre gangster a fini de bouder. D’ici qu’il se venge sur la guirlande ! Alors, où j’en étais… Ah oui ! On a fait un réveillon chez la comtesse, et ça devait être le Premier de l’An 42.
La comtesse… Tu parles d’une comtesse ! Tu connais peut-être… attends voir, j’me goure, l’était pas comtesse, mais baronne. La daronne était baronne. Olla, qu’elle s’appelait. Baronne Olla… Olla… Olla la… Olla Beck de Beaufort ! Ça te dit ? Ça en jette, non ? C’est pas mal, le Beaufort. Et celle-là, le fromage, elle connaissait ! Ça te dit rien ? Non ? L’était en cheville avec Fuchs, de l’ambassade. Couchait pas qu’avec lui. Faut pas croire ! L’a mis toute la Vermarre dans son lit, ou quasi. Y’a pas eu qu’un seul grand Frisé pour lui ôter ses toiles d’araignée, crois-moi ! Et pas de la bidasse de fond de caserne, hein, faut pas croire ! Même le major, c’était pas assez bien pour elle. Remarque, fricotait pas qu’avec l’Armée. L’avait pas d’a priori sur l’uniforme, et même le pas d’uniforme. Bref… On peut pas dire qu’on était en concurrence, mais presque. Sauf qu’elle travaillait en solo, alors que nous, on rendait des comptes à « Madame ». Et comme « Madame » n’avait pas le bras aussi long, elle était bien obligée de faire avec. Bref, des fois, on jouait les extras. Chez elle. Ailleurs aussi, hein… Bon, faut reconnaître qu’y avait de la place pour tout le monde, mais quand même, elle exagérait ! Ah oui, passque, figure-toi que Madame la Baronne était « journaliste » ! Si ! A Paris-Soir ! Moi, j’aurais été journaliste, bon, sûr que j’aurais peut-être pas dit non à un petit à-côté, hein ? Fallait bien vivre. Mais quand même !
Enfin, c’était une drôle d’époque, et c’était un drôle de monde, faut pas croire ! Tu comprends bien que c’est pas en faisant le pied de grue à une terrasse qu’on risquait de trouver du colonel. Ou mieux, hein. Fallait se montrer dans les bons coins. Les premières, c’était pas tous les jours, et les cabarets à la mode, fallait casquer. Des coins où il valait mieux être invitée, quoi. Et un pesage à Longchamp, en 42… Je t’ai raconté, pour les salles de vente ? Oui ? Ah oui, le Stan’… Bon, mais c’était quand même pas le meilleur endroit. Tu comprends, ça n’a pas changé : ces messieurs, le jour, ils travaillent. C’est le soir que le gibier sort du bois. C’est l’heure où les grands fauves… ça te fait rire ? T’étonne pas, on a eu… j’ai eu… un client, qui avait été chasseur en Afrique. Ah non, pas chasseur en caserne ! Chasseur « pan ! pan !», et pas mignons petits lapins, hein… Faut pas croire ! Lions, éléphants, panthères… C’était ce qu’il racontait, hein ! Avant. Autrefois. Avant la guerre. Même pendant, je crois. Valait p’têt’ mieux, au fond. Pour lui. Le fin fond de la savane, c’était sans doute mieux qu’un coin de France où y’avait moins de bestioles qu’avaient envie de te boulotter, mais sûrement plus de mauvaises fréquentations. Et au moins, là-bas, tu pouvais manger, même si c’était des chenilles et des trucs bizarres…
L’avait une grande bicoque, dans le sud, pleine de bestiaux empaillés. Ça faisait tout drôle, tu dînais en face d’une tête de grosse vache avec des cornes comme ça, tu jouais au docteur devant la cheminée, sur un tapis qu’avait des griffes, matée par une caboche avec des dents comac… Enfin, tu jouais au docteur… Pas beaucoup. L’avait souvent le fusil enrayé, le chasseur ! Alors, il parlait. Et il buvait. Et pas que de l’eau ! Sacrée descente ! Jamais compris comment il n’a pas fini par nous rejouer Jeanne d’Arc ! Tu parles que tout le monde les connaissait, ses récits de chasse, à force. Alors restait plus que nous pour l’écouter. C’était ou moi ou une cousine qui nous farcissions les porteurs qu’avaient la trouille, le pisteur écrabouillé, le lion qui sautait des buissons… et pour finir, il embrayait sur les petites négrillonnes. Là, il te prenait par la main, tu te disais « Ça y est, on y a droit… » et paf, oui, t’y avais droit, mais pas vraiment à ce que tu croyais. La première fois, en tout cas. Après, tu savais. Au lieu de te culbuter dans un plumard grand comme une pelouse à Roland-Garros, il te collait devant des cure-dents en ferraille avec des piquants partout, ou un truc en bois et ficelles à te fiche la pétoche les nuits d’huîtres pas fraîches, ou encore un pot à parapluies qu’avait des ongles comme ta main. Et ça repartait. Tu me diras, après tout, s’il casquait… Certes, mais à force, c’était usant. Faut pas croire ! Et Dieu sait qu’on en a vus, des bizarres, mais des comme ça, heureusement qu’y en a eu qu’un !
L’a fini par aller chasser les pissenlits, et dans les bras de Claudia, encore ! Ou quasi. Une grande fille, Claudia, papa café foncé, maman castillane, je crois. Superbe. L’avait presque fini par s’enticher d’elle. Il a manqué de temps. Ça lui rappelait sa jeunesse. Moi, ça me faisait des vacances. Moi, et les autres ! Mais même avec elle, ça n’allait pas bien loin. Pourtant, l’était habile, la Claudia. Mais rien à faire ! Remarque, l’était sur la fin, le pauv’ vieux, finalement. L’est p’têt’ parti content. Va savoir… En tout cas, la Claudia, paniquée ! Au bigophone j’arrivais pas à entraver ce qu’elle disait ! Terrorisée, la pauv’ gosse ! Y’avait de quoi, hein, faut pas croire ! Tu comprends, elle avait fini par s’apercevoir qu’il était froid. Rien que ça, déjà, ça l’avait remuée. Faut pas croire ! Ensuite, elle connaissait pas toute la maison ! Le minimum, tu vois. Alors, le temps qu’elle retrouve son chemin, le téléphone, que le courant revienne – ah, ben oui, y’avait de l’orage ce soir-là, sinon ç’aurait pas été rigolo – elle s’était cognée le gorille, le guépard et je sais plus quoi. De nuit, avec les éclairs, et l’aut’ là-haut, tout raide. Pour une fois… Enfin…
Où j’en étais ?… Dis donc, l’animal, tu crois que je ne te vois pas ? Regarde-moi cet hypocrite ! C’est parce que je parle de lions et de panthères ? Ça te donne des idées ? Va te cacher, et reviens quand ça t’aura passé ! Non mais…
Les Noëls ? La baronne ? Ah oui, la baronne Olla ! Madame la baronne recevait. Y’avait du vert-de-gris, du gris-bleu et du noir partout. Tout à galons et petites bordures brillantes… Et les costards de ceux qui voulaient « faire bien ». Les pires. Tiens, v’là un endroit qu’ils auraient dû bombarder, les autres guignols, avec leurs avions ! Oh, ben, on y était pas tous les jours, hein, faut pas croire ! Alors, un qu’on aurait été ailleurs… Paf ! Là, dis donc, ça aurait fait un sacré ménage ! Au lieu de ça, zont flingué Renault. Enfin, c’est ce qu’ils ont dit. Parce que, l’usine, à Billancourt, les bombes, elle n’en a guère vu. Deux-trois, pas plus. Pas de bol pour ceux qu’étaient dessous, je dis pas. Par contre, autour, qu’est-ce que ça a dégusté ! Si t’avais vu ça ! Des maisons entières. Vlan, par terre ! Et comme c’était de nuit… Les jours d’après, ça n’a pas arrêté de défiler. Ceux qui cherchaient des parents. Ceux qui cherchaient des survivants. Y’en a eu. Qu’on a sortis presqu’une semaine après, deux ou trois, coincés dans les caves. Ceux qui ramassaient les macchabées. Les Allemands, pas fous, y faisaient faire le boulot par des prisonniers, on disait qu’il restait des bombes pas explosées. Ça n’empêchait pas les curieux, t’imagines… Et ensuite, t’allait au ciné, et bing, on t’en remettait une couche ! Comment vous dites, dans les journaux ? « Anxiogène » ?
Le claque ? Quel claque ? … Ah oui, çui-là… C’est p’têt ben à cette occasion qu’il y a eu droit, oui. Tu sais, j’ai pas tout noté. Faut pas croire ! Ça revient par bouts. Un truc en appelle un autre… Mais quand on me dit que c’était des bombardements de précision… La preuve, ils ont fini par faire faire le boulot par la Résistance.
Remarque, à propos de bombardement j’ai bien failli y passer… Ben non, quand même ! Billancourt ! Et quoi encore ? Mais ma p’tite, on n’avait rien à y faire ! Même pas en promenade ! Faut pas croire ! Qu’est-ce tu veux, c’est pas là qu’on risquait de tomber sur un monsieur bien sous tous rapports, sourire de requin, flouze, bagouzes, beurre, jaja et bidoche plein les poches !… Non, en Normandie non plus. Voilà. Laisse-moi.
Alors… je devais partir à la cambrousse, avec un gus de chez… de chez… Ah ! Tu sais, l’usine, là… Qu’a un nom boche… Ah ! Ça va me revenir… Bon, je devais, mais ce jour-là, ça tombait mal, tu vois. C’était pas le bon moment pour moi, tu vois ce que je veux dire ? Alors le gars part, avec des Boches, d’autres comme lui, une histoire de moteurs, je sais plus. La suite, on l’a apprise chez la comtesse… Non, pas la baronne, la comtesse, une autre, mais déjà que j’ai du mal, si en plus tu m’embrouilles… Donc, sont là-bas, à l’écart de la ville, en pleine nature, petits zoziaux, cochonnailles, sûrement bon vin, cigares, hein, tant qu’à faire… Sont loin de l’usine, peinards, un coin facile à sécuriser, on sait jamais, avec ces terroristes… Z ‘entendent à peine les sirènes… Il fait beau. Y’a des avions qu’arrivent. Ça change des corbaques. Et là, boum ! Le feu d’artifice ! Loin, là-bas, sur la ville, et un peu sur l’usine, quand même. Ah ben si, quand même ! Devaient peut-être compter les coups au but, eux, peinards, tu parles, cinq-six kilomètres… J’imagine très bien : « Hache, la kerre, grosse malheur… Un cognac, monsieur l’officier ? » Et là, paf ! La maison en l’air, les bagnoles qui voltigent… Pas de bol pour eux, hein. Pour moi, oui. Mais pour… ‘tends voir… Emilie ? Oui, Emilie ! Ma remplaçante, une nouvelle… Et une dizaine de pauv’ bougres autour… Combien de morts ? Je sais plus. Tu crois qu’on tenait la comptabilité, nous ? Si ça passait à côté, et si tu connaissais personne parmi les victimes, tout allait bien. Faut pas croire ! Et bien fait pour les Fridolins. Sauf que c’était pas toujours les Fridolins qui dégustaient. Et encore ! Si ça avait été des Gris !… Oui, les Gris ! Le SONEF ! Les gars de Laval, Doriot et compagnie ! La môme, Emilie, la nouvelle, elle s’en est tirée. Amputée. Et la gueule en biais. Des fois je me dis…
Bref, les Noëls, à cette époque, c’était pas gai pour tout le monde. Ah oui, Monsieur le Curé pouvait faire sa crèche, l’évêque doré sur tranche chanter et les enfants de chœur faire valdinguer leur truc à encens à se le fiche dans la figure, tout le monde montrait qu’il était content, mais en dedans… Pour le réveillon, à l’époque, la dinde, fallait pas y compter ! Déjà que tu voyais quasiment plus un pigeon depuis un moment… Bon, y’avait des restaus qui te proposaient un menu « de restrictions de fêtes » on va dire. Ou « de fêtes de restrictions ». Bref. Des restaus qu’avaient l’autorisation. Faut pas croire ! C’est que ça rigolait pas, avec les restrictions ! Vu qu’on te pesait tout au milligramme, que t’avais des tickets pour tout, tu risquais pas de venir t’empiffrer ! Pour ça, fallait du pèze, tu t’en doutes. C’était pas la soupe populaire. Et comme dans le lot, y’avait de tout, à commencer par du noir, plus t’avais de fraîche, plus te pouvait t’offrir les spécialités qu’étaient pas sur la carte. Mais avec le risque de voir débarquer des « Bons Français », pas tous en uniforme, même rarement déguisés, plutôt, qui rallongeaient la note. Et bien content si on t’embarquait pas !…
C’est ça, ma petite, du racket. C’est un truc qui marchait, à l’époque, le racket. Tu peux pas savoir ! C’était devenu le sport national. Mieux que le tiercé ! Ticket gagnant à tous les coups, et sans canasson à améliorer, ni jockey à conseiller. Mais c’était pas donné à tout le monde. Serge, Mario, Trois-Pattes, ils s’y risquaient pas. A côté de certains, c’étaient des enfants de chœur. Et puis, Serge, au moins, les Boches, il les fréquentait pas de trop. Mario, bien plus, lui. Y’a qu’à voir comment qu’il a fini. Au rasoir national… Quant à nous – écoute, je te l’ai déjà dit : moins on en savait… Nous, on faisait que passer dans leurs lits, et encore, pas de tous. Y’avait des chasses gardées… Faut pas croire ! Ça n’empêchait pas qu’on en entendait de drôles…
Fichue époque !…
Comment elle a vécu ça ? Qui ? Françoise ? Vécu quoi ? La guerre ? Elle est née après ! Ah ! « Ma vie ! » Comment qu’elle l’a vécue ? C’est à elle qu’il faudrait le demander, tiens ! Bon, toute môme, elle avait les « cousines » qui la chouchoutaient. Après, à l’école… avec un père en taule… Encore, la primaire, c’est allé. Plus tard, on lui a trouvé une pension. On a toujours veillé à ce qu’elle ait le meilleur. Mais sans la pourrir, hein ! Faut pas croire ! Bien sûr, il a fallu lui expliquer des trucs. Serge en cabane, les procès… Ah non ! Il n’a jamais été question qu’elle prenne la suite ! Sauf si elle avait demandé, évidemment… Quand elle a été plus grande, on a bien dû lui expliquer, t’imagines. Et puis, y’avait pas de honte à avoir. Après tout, j’ai jamais mis une seule fille sur le trottoir, et Serge n’a jamais tué personne. Enfin, pas que je sache. Tu sais, son truc, je peux te le dire, avant, c’était plutôt le jeu, les casinos, un peu des trafics – mais jamais la came ! Plutôt les cigarettes. Les casses… Franchement, je sais pas. C’est possible… J’ai des doutes, mais j’y ai jamais demandé. Chacun chez soi. Des trucs louches, oui, si tu veux. Mais, hein, ce que j’en sais, moi… Et puis, avec la petite, il s’est plutôt calmé. Alors, bien sûr, elle nous a fait sa crise, Françoise. Mais dans l’ensemble, ça s’est plutôt bien passé. Elle ne nous en a pas voulu de trop. D’ailleurs, elle est entrée dans la banque. « Conseillère en patrimoine », qu’on dit, maintenant. Alors, tu vois…
Donc, à cause d’elle, Serge, il a essayé de se ranger, hein. Faut pas croire ! A sa façon. Presque tout de suite à la fin de la guerre, il a monté une entreprise de récupération de matériel militaire, quelque chose comme ça. Tu vois, plus de casino, pas de bar, pas de tentation, quoi… Des armes ? Oh non ! Sûrement pas ! Tu vas trop au ciné ! Tu vois, pour ça, les flingues, y’avait trop de concurrence. Pas que ça manquait, t’en trouvais partout. Suffisait juste de chercher au bon endroit. Faut pas croire ! Comme pour les champignons. Regarde, même encore pas plus tard que la semaine dernière, paraît qu’on a mis la main sur une « cache d’armes » dans les Pyrénées. T’as vu passer l’info ? C’est Juanita qui m’en a parlé. Une « cache d’armes » ! Va savoir quand elles ont été cachées, les armes. Et par qui ! Et puis quoi ? « Cache d’armes », ça veut dire quoi ? Une pétoire et deux grenades planquées sous un tas de pierres, ou huit ou dix caisses de flingues bien emballés sous le plancher de la cuisine ? Le jour où un couillon remet la main sur le feu de ce pauvre Serge, paix à son âme, ce sera une « cache d’armes ». Tiens, tu crois qu’ils me le rendraient, comme souvenir ? Non, je plaisante… Non, Serge m’a toujours dit qu’il n’y touchait plus. Pourquoi je l’aurais pas cru ? Donc il s’était lancé dans la récupération de véhicules. Pas trop les bagnoles. Sauf les jeeps. Plutôt camions, trucs à chenilles, ce genre de machins. D’un côté, t’avais de la demande, de l’autre, t’avais le matos. Lui, il était au milieu… Oui, t’as raison, milieu est peut-être pas le terme adéquat…
Faisait un peu dans le particulier, tu vois : transporteurs, maçons… Surtout au tout début. Mais c’était pas le plus gros. Il avait démarré avec, hein, faut bien toujours démarrer… Après, il a eu des clients qui ne cherchaient pas qu’un seul GMC, tu piges ? Vendait en Espagne, au Maghreb, en Extrême-Orient… En Afrique… Pas des milliers, non plus, hein, faut pas exagérer ! Surtout que l’Etat faisait de la concurrence. Quasi déloyale, d’ailleurs ! Cassait les prix ! Enfin… Ah non, il ne touchait pas à la mécanique, Serge ! Lui ? Surtout pas ! Heureusement ! Import-export. Réglo, quoi. Pas pignon sur rue, hein, faut pas croire ! T’as pas besoin d’une belle vitrine, une secrétaire sapée ras la salle de jeux et une plante verte pour ce genre de négoce. Vendait pas des Ferrari ! Remarque, moi j’aurais préféré…
Les tout débuts, il circulait un peu partout, pour trouver ses bahuts. L’était toujours par monts et par vaux. Ça lui prenait du temps. Surtout qu’à l’époque, il fallait, je sais pas moi, plus d’une douzaine d’heures pour aller à Strasbourg, et presque trois jours pour Biarritz. C’est bien, Biarritz. Tu connais ?… Alors, pour revenir avec ses trouvailles… T’imagines… C’est qu’il y avait des priorités, et des prioritaires. Surtout des prioritaires. Et c’est pour ça que souvent, il avait besoin d’un de mes clients.
Et puis, tu sais, c’était du matériel militaire, et l’Armée, elle avait des fois du mal à le lâcher, surtout là, quand on ne savait pas trop à qui c’était. C’est que tout était mélangé : l’américain, le boche, l’italien même… Y’avait des endroits, ils avaient stocké à la va-vite, sans trop faire de paperasse… Des fois, il n’en revenait pas. Il me racontait de ces trucs ! Trois bahuts au bord d’une route, sous les buissons, plus personne s’en rappelait. Va savoir à qui c’était, tiens ! Une moto au fond d’une mare, mais y’avait aussi le gars sur la selle, plus un machin à six roues, sans les roues, mais pas trop esquinté. Un stock de pneus et de bidons d’huile, comme ça, sous un préau d’école. Un gars qu’avait récupéré cinq camions-citernes, mais qui savait plus quoi en faire… Un collectionneur, peut-être ! De ces trucs… J’avais du mal à y croire, même en les ayant en face de moi, ses trouvailles. Et alors, pour tout ça, parfois, fallait un coup de pouce, faut pas croire ! Et puis, l’était pas le seul…

(suite et fin de l'épisode, demain)
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