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La Guerre en Maison (par HOUPS)
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demolitiondan



Inscrit le: 19 Sep 2016
Messages: 9250
Localisation: Salon-de-Provence - Grenoble - Paris

MessagePosté le: Sam Aoû 03, 2019 16:45    Sujet du message: Répondre en citant

Tout cela me rappelle les histoires du Père Albert, individu bienheureux qui avait longtemps fait le missionnaire en Afrique avec de jeunes séminaristes congolais. Il était en recherche d'un but. Il me disait même qu'il était en quête. Et il concluait 'Je suis en quête. Une grosse quête. Une énorme quête même. Oui mais quel quête ?'.

La dernière fois que je l'ai vu, c'était dans son confessionnal mobile garé dans la ruelle derrière l'ambassade de Russie ...
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Imberator



Inscrit le: 20 Mai 2014
Messages: 5424
Localisation: Régions tribales au sud-ouest de Nîmes.

MessagePosté le: Sam Aoû 03, 2019 17:23    Sujet du message: Répondre en citant

Ma regrettée grand-mère dans son adolescence, elle n'avait alors pas tout à fait 17 ans, en assistant sa propre mère, mon arrière grand-mère donc, a servi comme bonne dans différentes maisons de maitres dans le sud de la France. Et elle nous a bien expliqué que les patrons et leurs rejetons y étaient effectivement bien souvent un peu trop entreprenants.

Il se trouve que dans une maison ou elle a exercé, c'était en début 42 dans les Bouches-du-Rhône je crois, Jean Moulin aurait séjourné quelques temps, et que lui-même...


Il semblerait qu'à ce moment-là elle ne l'ait pas connu sous son vrai nom et ce ne serait que plus tard, après la libération, quand il est devenu un héros célèbre de la République, qu'elle sut de qui il s'agissait véritablement.

Le point le plus important c'est que dans ces dernières années, après le décès de son époux, mon grand-père donc, elle nous à clairement laissé entendre qu'elle n'avait pas totalement résisté longtemps aux avances de celui qui deviendra le chef de la résistance, même si cette liaison (dont il ne fut pas précisé si elle avait atteint un niveau "biblique") ne dura que quelques jours dans la discrétion traditionnellement commune à ces masures bourgeoises.


Ce récit nous laissait quelque peu circonspect mon père et moi sauf que la sœur cadette de ma grand-mère, ma grand-tante donc, elle aussi malheureusement disparue depuis, qui avait elle-même servi dans la même maison au même moment, nous laissa bien comprendre dans un grand sourire approbateur et en hochant la tête de façon répétée qu'effectivement ce n'était pas là une pure affabulation.

Mais bien sûr on ne dispose pas dans la famille de la moindre preuve et on préfère en fait ne pas s'étendre sur le sujet avec les étrangers. Ici je me le permet sous couvert de l'anonymat de nos pseudos. Mais de grâce soyez sympas, ne répandaient pas cette information qui, si elle revenait par chez nous et finissait par échoir dans des oreilles proches, pourrait me causer des disputes familiales sur mon manque de discrétion de celles dont je me passerai bien volontiers...
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Point ne feras de machine à l'esprit de l'homme semblable !
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FREGATON



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Messages: 3994
Localisation: La Baule

MessagePosté le: Sam Aoû 03, 2019 17:32    Sujet du message: Répondre en citant

Et dire qu'ils y en à qui pensent que ce sont les marins qui ont besoin de faire des phrases... Smile
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La guerre virtuelle est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux civils.
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Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
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MessagePosté le: Sam Aoû 03, 2019 17:37    Sujet du message: Répondre en citant

Ne pas confondre héros et saint.
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Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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Archibald



Inscrit le: 04 Aoû 2007
Messages: 9239

MessagePosté le: Dim Aoû 04, 2019 08:53    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
pour moi, les marmottes c'est https://www.france.tv/france-3/marmottes-france-3/replay-videos/


J'ai vu la version Grand Bleu l'autre jour... j'ai dit à ma compagne "ouah, il y a de la bonne drogue qui circule sur le Service Public" mdrrrr

"Boro pour la signature" Mulet comme il est celui-là, en FTL il refusera de quitter la métropole, avec toute sa joyeuse équipe...
_________________
Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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houps



Inscrit le: 01 Mai 2017
Messages: 1809
Localisation: Dans le Sud, peuchère !

MessagePosté le: Lun Aoû 05, 2019 16:17    Sujet du message: Répondre en citant

Merci à tous.
Pour cause d'estivitude, de canicule et de famille, je ne suis chez moi que par intermittence. Eh oui, Loïc, les poules ont suivi. "Madame" Erika, n'a pas pour autant disparu dans les limbes. Un cahier, deux stylos et des rafraîchissements, voilà de quoi faire, entre ponçage de volets et petits-enfants.
Bon été à tous.
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Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
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MessagePosté le: Ven Sep 20, 2019 13:48    Sujet du message: Répondre en citant

Comme suggéré dans son dernier post, HOUPS a repris le fil des Mémoires d'Erika.
Savourez !



« Ah ! Léa ! Entre, entre… Ne fais pas ta timide ! Le Colonel s’en allait. N’est-ce pas, Colonel ? Léa : le Colonel, un vieil… ami. Colonel : Léa, une jeune personne qui me replonge dans mes souvenirs. C’est ça, « le bon vieux temps ». Mes amitiés à votre dame, Colonel… Voilà… Bon… Assieds-toi… Oh… lui ? Un ami, un ami… Je dirais plutôt… une bonne relation suivie. Je l’appelle “Colonel” depuis… un bail. L’est monté en grade, depuis, si mes souvenirs sont bons. « Le bon vieux temps ! » Tu parles, vieux schnok ! Connaît même pas le goût des rutabagas ! »
(…)
« Comment ça, « plein de colonels ? » D’abord, lui, il ne l’est plus, je t’ai dit. Ensuite, « plein », ça m’étonnerait. L’Américain ? Quel Américain ? Oh ? Çui-là ? Qui est-ce qui t’en a parlé ? Moi ? T’es sûre ? Ah oui… C’est bon. D’accord… Un, tu trouves que ça fait « plein » ? Et puis, tu sais, un colonel, c’est quoi ? Pas grand-chose ! Un troufion amélioré, et encore ! Vaut mieux un rond-de-cuir d’état-major, crois-moi. Sauf qu’avec certains, tu te retrouves embringuée dans des histoires… Bon… Tu sais, à l’époque, on redémarrait, fallait pas faire la fine bouche. C’étaient les plus nombreux. Et puis, tu m’énerves, avec tes questions !
Allez, on va changer de sujet. Ça te dirait, de sortir ? C’est à la Nouvelle Part-Dieu, la Rétrospective de l’Art Contemporain du Grand Palais, l’an passé. Y’aura pas tout, mais quand même… Ça te dit ? T’y comprends rien ? Raison de plus ! Si tu crois, que moi, j’y pige plus que toi… En fait, j’aime bien me rendre compte par moi-même. J’ai essayé d’être dans le coup dans les années 50, faut pas croire, mais… Oh non, y’aura pas foule : soirée privée, j’ai deux cartons… Rien que des gens bien. Ce sera pas la cohue, t’inquiète ! Bon, on s’ra obligées de se taper le discours du maire, du député, le Préfet, et tout le bazar, faut pas croire. Mais si j’y vais pas, je vais vexer quelqu’un… Voilà, me faut un chaperon… Tu m’y vois avec le Colonel ? Des “copines” à moi ? J’en ai plus des masses, et déjà que ce sera plein de vieilles rombières, si on en rajoute encore … Alors ? Et pis, ton patron, y serait pas pour un petit papier ? Ah ?… Bon. Alors, pour ton éducation, hein ? Après, on aura l’impression d’être moins bêtes. Oh, et puis, ça me fera prendre l’air. La télé, c’est bien beau, mais… Et à mon âge, les occasions de sortir se font rares. Et les concerts, ou le théâtre, toute seule…
Tiens, je vais te faire du chantage : si tu m’accompagnes, je te reparle de la fin 40… Oui ? T’es un amour… Ah, oui, faudra te trouver quelque chose… T’as que ton tailleur de l’autre jour ? C’est tout ? Tu mets quoi, le reste du temps ? Des sacs ? C’est que je ne peux rien te prêter, j’ai que des loques de vieille… Tiens regarde ces photos, ça, c’est ce qu’on portait en 70. Par là. Oui, faut pas avoir de varices ! Jolies gambettes, hein ? Nadia, qu’elle s’appelait. Et ça, c’est moi. De beaux restes, non ? Bon, t’es sûre, t’as que ce tailleur ? Tu peux essayer de te trouver autre chose ? C’est pas pour demain, hein, mais quand même… Ta copine, là, elle peut pas t’aider ? Ça sert à ça, une copine. Si t’as honte, t’as qu’à lui dire que c’est pour lever un nouveau jules…
Et puis, il te faudrait des chaussures. Des vraies. Avec du talon. Pas des échasses à se casser la figure, hein, faut pas croire, mais un peu, ça serait bien. Si si, t’as des jambes pour…
Bon. Repasse-moi l’autre album. Voilà. Voyons… Tiens… Tu reconnais ? Eh oui, c’est moi ! Je t’ai raconté, pour le notaire ? Et pour la voiture ? C’est lui qui a dû prendre le cliché, je ne vois pas qui ça pourrait être d’autre. Et la voiture, c’est la sienne. Fallait des bras, pour les créneaux. Remarque, vu la circulation de l’époque… Ah oui, tout l’monde s’imagine qu’on roulait en 15-Six à l’époque. En 15-Six ! Bon, en Traction avant, si tu préfères. Ça te parle ? Tu piges ? T’as déjà vu des films de gangsters, quand même ? Mon fameux notaire s’était payé une des premières, une 7-A. Quand il a perdu ses roues en emmenant bobonne à la campagne, ça lui a fait tout drôle. Ça l’a vacciné aussi sec : des Citron, il n’en a plus jamais voulu.
Tiens : ça me fait penser… ‘tends voir… Non, ça doit être dans l’autre, là… Passe-le moi, s’il te plaît… Voilà… regarde : une folie. Je me la suis payée en… en… en 52 ! Une Sprint. Une occasion de rêve : un client dans la dèche. Quand même… On sortait de la guerre, enfin, on essayait… et les Ritals fabriquaient ça ! Faut pas croire ! Serge m’a fait la gueule pendant trois semaines, au moins. Mais quand je débarquais à Monaco, tu vois…
Bon, fin 40, on a dit. Que veux-tu savoir ? C’est loin, tu sais. Même avec des photos… Et encore… Ce qu’il est devenu ? Qui ça ? Le notaire ? Ben ma pauvre, qu’est-ce que j’en sais ? L’a dû passer, comme tout le monde. Dans son lit, si ça se trouve, vu que la “maison” a disparu… Je t’ai raconté ? Oui ? Oh, oui, je suis repassée à Tours. Et même dans le quartier. Ça a changé, j’ai plus rien reconnu. Rien que du neuf. Du moderne, quoi. Pas de… de… Ah !… De personnalité. De caractère ! C’est ça ! Ici aussi, c’est moderne. Enfin, ça l’a été. Mais ça avait de la gueule. Faut pas croire ! Ça en a toujours, non ? Hein ? Comme quoi, quand on veut… Tout ça pour te dire que le notaire, ma fois… Tu te rappelles ton premier mec ? Copain ? Quoique ce soit un mauvais exemple : t’es jeune, ça doit pas être bien vieux… On en reparlera dans cinquante ans, tiens.
Bon, qu’est-ce qu’on a d’autre ? Des canards et de la flotte… La flotte, ça doit être la Loire. Mais les canards ? Pourquoi j’ai gardé ça, moi ? Y’a rien, derrière ? Septembre 1939… Rien à faire, je sèche. P’t’être que ça va me revenir. Septembre 39… Il s’est passé quoi, en septembre 39 ?
Ah oui ! La guerre ! Tu vois, ma pauvre, je perds la tête ! Attends… Passe-moi le bleu, là. C’est celui des articles de journaux… Tiens ! Ouest-Eclair ! Je l’avais oublié, çui-là ! Mais si je l’ai gardé, c’est que… La « Déclaration de Guerre » ! On n’y croyait pas vraiment. Les pioupious les premiers. « Le colonel était dans la finance… » Ah, le Maurice… qu’est-ce que c’était poilant ! Et en 40, qu’est-ce qu’ils ont bien rigolé ! Et nous, donc !
Et ça, c’est quoi ? « L’Ecole des Cadavres retiré des ventes… » Céline… Tu connais ? Céline !… Ah, au moins ! Mais L’école des cadavres… Si je l’ai lu, ça ne m’a pas marquée… Par contre, Voyage au bout de la nuit… Tu l’as lu ? Non ? Tu lis, des fois ? Mouais…
Tiens : le prix Goncourt. On s’étripait en Pologne, et moi, je m’intéressais au Goncourt. Le jour où on fera un Goncourt de la connerie… A cause de Madame Adélaïde, le Goncourt ? Oh oui, certainement ! Avant elle, j’étais sans doute plus Le Cheik que le Goncourt, faut pas croire. Le Cheik ! Tu connais pas ? C’est pas grave. Cartland, ça te parle ? Quand même ! Voilà… Mais t’en as jamais lu ? Oh, là, t’as rien perdu. T’es quand même pas fleur bleue à ce point… Tu lis quoi ?… Connais pas. Mais vu qu’il en sort tant et plus… Renaudot d’un côté, Médicis de l’autre, et l’Interallié, et le Grand Prix de l’Andouille de Vire… On se croirait à la Foire aux Vins. Alors, tu vois, j’ai mon libraire, un ou deux critiques littéraires, je ne me casse plus trop la tête. J’ai mes insomnies, faut bien que je m’occupe. Bon, où on en était ?
39… 40. Tiens, la Drôle de Guerre ! Regarde, comme on y croyait ! C’est la carte du Tour de France 1940 ! Ah non, il n’a jamais eu lieu ! Remarque, Lille-Marseille, y’en a un paquet qui l’ont fait ! Et même Lille-Alger, carrément ! Pourquoi donc j’ai gardé ça ? Mmoui, t’as p’têt raison : il devait passer à Tours. On aurait eu du monde… Comme quoi…
Tiens, la mode de cette époque… Regarde-moi ces épaules ! On dirait qu’on a enfilé le cintre avec la veste ! Et les galures ! Pour rentrer dans les voitures, j’te dis pas ! Quand même… Oh ! Une Bugatti ! Tu vois, je ne rêvais pas qu’à des fringues ! Quand je te disais que j’ai toujours aimé les vraies voitures ! Faut pas croire, j’avais du goût ! Regarde-moi cette gueule ! Ça, c’était de la bagnole ! Evidemment, c’était pas mon notaire qui pouvait se la payer… Alors, moi… Bon, ça nous avance guère, tout ça… Mais tu vois comme ça me préoccupait, la guerre, à c’t’époque ? Et j’étais pas la seule !
Et voilà, on saute à 46… Faut croire que j’avais pas trop eu la tête à découper les journaux, entre… Repasse-moi l’autre… Merci. Tiens ! Ça, c’est Noël 39 ! Je reconnais le hall. On avait fait le sapin, avec les filles. J’me rappelle plus, mais je pense que le Père Noël s’est bien rincé l’œil, à minuit. Regarde dans le tiroir, là, y doit y avoir une loupe… Qu’est-ce que tu vois, dans le coin, au fond ? Fais voir… Oui… C’est que c’est loin, tout ça… Mais ce gros paquet, ça me dit quelque chose… J’ai le vague souvenir qu’on avait empaqueté une des filles, il me semble… Sans doute pour un client. Oh, tu sais, c’était gentillet… J’me demande… j’invente peut-être, hein… mais c’était des bidasses… p’têt des officiers… ou des élèves-officiers… qui s’étaient cotisés, pour le Noël ou l’anniversaire d’un des leurs. Quelque chose comme ça… En tout cas, crois-moi, on a bien contribué à entretenir le moral des troupes. C’est pas qu’on aurait dû nous refiler une médaille, mais pas loin…
Ah ! Juanita ! Alors, ce petit ? Je dis “petit”, mais il a quel âge, maintenant ? Dix ans ? Onze ! Déjà ? Le temps passe vite, hein ! A peine au berceau, déjà au service militaire… Ça va mieux, alors ? Très bien ! Vous avez raté le colonel, Juanita. Oh, ne vous cassez pas la tête ! Juste le repassage, et la salle de bain. Et puis, notre eau chaude, tout à l’heure, merci… Bon.
On reprend… Noël 39. On a dû faire le réveillon… Faut pas croire. Si on s’était douté de ce qu’allait être 40… Oui, t’as raison : avec des si… Remarque, c’est vers cette époque qu’on a commencé à parler des cartes. Et que des petits malins ont commencé à stocker de l’huile, de la farine, du sucre. Et de l’alcool ! Ça me revient ! Bon, nous, chez Madame Adélaïde, on avait ce qu’il fallait. Faut pas croire.
Les cartes ! Les cartes pour la viande, le pain… tu pouvais plus acheter tout et n’importe quoi n’importe quand. Evidemment, il a fallu que les gens râlent. Sauf qu’en décembre, en décembre 40, tiens, le bon vieux temps, c’était six mois plus tôt. Ç’aurait pu tout aussi bien être six ans. Bon sang, ma p’tite, ce qu’on l’a sautée, tout ce temps-là ! Et dire qu’en 41, on pensait toucher le fond ! Ben, on n’avait pas tout vu. Y’avait encore des sous-sols ! Même qu’on a pris l’ascenseur, pour descendre, mais qu’on est remontés par les escaliers !
Et encore, moi, ça pouvait aller… Mais pour Adrienne et Henriette, et pas mal d’autres… Tu peux pas t’imaginer. Encore, Henriette, elle était à la campagne, alors… mais Adrienne… Déjà, elle avait rien trouvé de mieux que d’habiter Margny. Margny ! Tu connais ? Non ? C’est tout près de Compiègne. C’est pas loin de la rivière, là… comment qu’elle s’appelle ? L’Oise ! C’est ça ! D’un côté, t’avais donc la flotte, qui rentrait dans la cave dès qu’elle pouvait, avec des écluses et des péniches qui n’attendaient qu’un signe pour faire boum ! Et de l’autre, le bout de la gare, qu’attirait les bombes comme une lanterne les papillons. Ça avait commencé en 40, ça a dû s’arrêter en juin 44. C’est pas qu’une bombe qui doit encore traîner dans l’coin, si tu veux mon avis. Ceux qui veulent planter des patates dans le secteur ont intérêt à y aller mollo de la pelle… Sûr qu’elles seront sautées, les patates… Bref, ajoute le pont en vrac façon crèche à écrevisses – la môme des voisins se coltinait tout l’trajet à pied pour aller à son école, en haut de la côte. Vu qu’elle devait descendre sur trois planches pour traverser et remonter de l’autre côté, l’était pas question qu’elle y aille à vélo. De toute façon, de clou, elle en avait pas. Oh, elle ne se plaignait pas, l’Adrienne. Tu parles : fallait vraiment être c… être gourde pour écrire certaines choses noir sur blanc. Mais entre ce qu’elle ne disait pas dans ses lettres et ce qu’on voyait tous les jours… A Noël 42, j’ai pu lui faire passer trois bricoles par quelqu’un qui allait dans le coin. Et qu’a été réglo, en plus !
Bref, le Nouvel Etat pouvait bien faire des “soupes populaires”, des “aides aux réfugiés” et des “colis aux nécessiteux”, y’en a qui ont crevé de faim. Pour de vrai. Si, crois-moi. Oh non, pas chez nos clients, ça non. Et pas dans les coins qu’on fréquentait. Mais si tu t’écartais un peu… Les mômes, surtout. Les mômes. Ça leur faisait des yeux… Non, c’était pas le ghetto de Varsovie, non. On savait pas, de toute façon. Mais la faim, oui, la faim, pas le petit creux avant de passer à table, la vraie… crois-moi, pour pas mal, c’était pas qu’un mot, tu vois. D’accord, ça allait pas jusqu’à boulotter l’herbe des chemins, comme au Moyen-Age, hein, faut pas croire, mais se battre pour un quignon, une salade ou deux navets, oui. Ça s’est fait. J’ai vu des bonnes femmes se crêper le chignon dans la queue pour une salade. Et encore, si t’avais vu la tronche de la salade !… Bel effort, aux Tuileries, on remplaçait les parterres de fleurs par des patates. Tout juste si c’était pas le ministre de l’Agriculture qui se retroussait les manches ! Jamais vu la couleur de ces patates du NEF. On a essayé d’avoir des lapins, dans la cour, nous, chez “Madame”. Z’ont crevé avant qu’on les passe à la casserole. Paraît que ça n’aime pas les courants d’air, ces bestioles. Et tu vois, je te raconte ça, et on est là, toutes les deux, à grignoter nos tartelettes… Enfin…
Ah non ! Pas sur la table ! Descends ! Ouste ! Non mais…
Regarde-moi ce gangster, s’il n’a pas l’air vexé ! Tu sais que c’est un cadeau de Serge ? Enfin, presque… Il m’avait offert sa mère. Non ! Sa grand-mère ! Tout Serge, ça. Un coup des fleurs, un coup des emmerdes, un coup une bague, et cette fois-là, un chat. J’ai sa photo, là. Tiens. Une persan. Hein qu’elle était belle ? Avec un pedigree long comme ça. Comète, qu’elle s’appelait. Jalouse, tu peux pas savoir. Quand on l’a perdu, Serge, il ne me restait plus qu’elle. Alors j’ai gardé une de ses filles. Déjà, le pedigree en avait pris un coup. Alors, avec lui, hein, va savoir… Croisé porte-et-fenêtre, on va dire. Et risque pas de courir la gueuse, j’ai fait ce qu’il fallait. Sa mère aussi, le deuxième coup. Oh, la première portée, on a tout gardé. Quatre. C’est Françoise qui voulait. Mais au second tour, j’ai décidé qu’on n’allait pas repeupler le quartier, tu vois.
Tiens, c’est comme ça que je suis retournée en Suisse… Comme ça… Oh là là, je débloque complètement ! Tu vois, le cerveau, c’est bizarre… Comme ça ! Y’a de ces mots ! Une chose en appelle une autre… On en reparlera un autre jour…
Dis donc… je pense à aut’chose… Tu tailles du combien ? Et tu fais quoi ? 1,65-70 ? 72 ? Tttt… Je connais peut-être quelqu’un qui peut te dépanner, pour l’autre soir, là… Penses-tu !… Mais non ! J’te rends juste service !… Et puis, c’est pas sûr que ça marche. Demande toujours à ta copine ! Tu comptes revenir quand ?… Ah non ! Pas jeudi ! Juanita fait ma chambre et le salon ! Un sacré chantier, tu peux me croire ! C’est tout juste si j’ai pas droit au palier ! Mais vendredi ?… Bon, c’est bon pour vendredi, alors. »
………
« Encore un peu, et je ne t’attendais plus ! Encore ces foutus travaux ? Qu’est-ce qu’ils nous fabriquent ? Une bombe ? Encore un “souvenir” ? Juanita, vous êtes au courant ? C’est loin d’ici ? Parce que, si ça se trouve, ils vont m’évacuer ! Non ? Ah, j’aime mieux ça ! Bon. Alors, si on entend “boum !”, on saura d’où ça vient. Tiens, ça me rappelle… Je l’ai vu passer en t’attendant… Voilà. Le tas de cailloux, sur la photo, c’était un claque. Les morts ? Surtout des Allemands… Ah, et un flic. « En service commandé » qu’ils ont dit, les journaux. Enfin, les journaux, à l’époque… Et les filles, elles étaient pas « en service commandé », elles ? Toutes des gosses du pays. Oh oui, c’était connu ! Une jolie devanture, style Arts Déco. C’était bien moins rose dedans. A chaque fois que je passais devant, je me disais que j’avais de la chance, moi.
Exprès ? Oh non… Faut pas croire. Y faisaient dans le bombardement de précision : tu vises Feyzin et vlan, t’as Fourvière qui trinque au passage. Voilà… Par distraction.
Et là, le Major me ramenait, on s’est arrêtés, y’avait les gendarmes, les Français, hein, et des soldats boches partout. Et des ambulances. Et ça fumait encore. Ce qu’on voyait aux Actualités, là, c’était pour de vrai. Et pourtant, on savait que ça arrivait. Tous les jours. C’est comme la grippe : on en parle, tes voisins la chopent, et toi, tu passes à côté… ou pas.
Là, tu vois, je me suis posé des questions. Tu vois, les filles… cinq ou six, je ne sais plus, plus les blessées… bon, elles n’avaient pas tiré le meilleur numéro, mais elles avaient quand même un toit, un lit, l’eau courante, l’électricité, bouffaient presque un peu mieux que la plupart, travaillaient pas en usine, parce que les usines, hein, à c’t’époque… Le seul risque qu’elles couraient, c’était une dérouillée ou une saloperie. Elles étaient tranquilles, quoi. Et là… Boum ! Je me suis dit que si ça se trouvait, moi aussi… Surtout que le major, quand il m’emmenait, c’était du côté de la Normandie. C’était très vert, plutôt calme, sauf que des fois, la nuit, il y avait de sacrés feux d’artifices. Mais une fois que tu t’es dit ça, hein, qu’est-ce que tu fais ? Tu te caches sous le lit ? Et après ? Bref, ça pouvait arriver n’importe quand. De quoi devenir philosophe. Ou bredin en plein. Ou les deux.
Ce qui m’a le plus foutue en rogne, c’était pas que ce soient des Ricains, des British ou des Africains qui aient fait ça. Ça, c’était ce qu’on lisait dans les feuilles de chou d’alors. On faisait avec. De toute façon, pour faire autrement… Non, c’était une vieille bique sur le trottoir d’à côté qui disait que c’était bien fait ! Pas pour les Chleus qui y étaient restés, hein, faut pas croire, mais pour « les filles de mauvaise vie ». Vieille peau ! Je lui aurais arraché les yeux. Devait cotiser pour les LVF… LVF ! D’où tu sors ? LVF : Laval Vieux Fou, Laval Vend la France : t’as l’choix, y’en a d’autres, je me rappelle pas tout…
Comment “et moi” ? Ma p’tite, t’es mal rencardée ! Jamais tenu d’maison, moi. Faut pas croire ! “Madame” m’avait donné des idées. Remarque qu’avec l’aut’cruche de Marthe, là, j’ai eu du nez. Mais j’croyais que tu voulais que j’déballe sur la guerre ? Quoique, tu sais, la guerre, moi, je l’ai vue par le petit bout, on pourrait dire. A part les bombardements, les uniformes et les pékins qu’étaient dedans et que je voyais souvent sans, la guerre… J’ai flingué personne. J’ai pas posé de bombes, ni distribué de tracts, ni collé d’affiches. Les petits trucs en Suisse, ça ne compte pas, j’avais pris aucun risque. J’ai essayé de vivre, c’était déjà pas si mal, et sans trop emmerder le monde. Tout l’monde était pas de la Résistance, faut pas croire. Ni du côté de Laval et compagnie, remarque. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, hein… Jamais écrit de lettre anonyme non plus… Tiens, ça me rappelle…
Attends. J’ai pas pris mon infusion, du coup, mais on pourrait peut-être se permettre un petit porto ? Tu fais le service ? Oui mon minou, on pense à toi… Quand je te dis qu’il est jaloux. Oui Monsieur, un gros jaloux !
Alors… On s’est repointés à Paris quelque chose comme en mars ou avril 45. Oh oui ! Pas avant. Faut te dire qu’entre le moment où Ricains, Africains, Belges, British et tutti quanti sont arrivés, et la fin de la guerre, ça a épuré sec. Après aussi, laisse-moi dire. Faut pas croire. Bon. C’était pas le moment de trop se faire voir dans la capitale. Douze balles, et encore, ça, c’était pour ceux qui avaient droit à un jugement – enfin, à passer devant des juges, quoi. Y’en a qui sont encore au fond de la Seine, et ceux-là, des magistrats, y z’en ont pas vu la couleur. Dans l’tas, y’avait des salauds, c’est sûr. Mais aussi des qui en savaient trop, faut pas croire. Et parmi ceux qu’on a jugé, certains s’en sont tirés sans mal, alors que d’autres… bref…
Printemps 45, ça s’était calmé. Pour les gros poissons, on était dans les « procès exemplaires », tu vois. Photographes, presse, correspondants étrangers, actualités Pathé, public qui se tenait… Pour les autres, et ça faisait du monde, il n’y avait plus que des « commissions d’enquête ». Vu la quantité de boulot qu’il y avait…
Nous, profil bas, on a juste dû passer au commissariat du quartier, trois questions et bonsoir M’sieur-dame… On était des réfugiés, non ? Coup de bol, on logeait dans un lycée : les gars d’un côté, les femmes de l’autre. Pourquoi coup de bol ? Parce que pour certains, c’étaient des camps limite camps de prisonniers. Faut pas croire. Serge faisait ses affaires de son côté, et moi, je faisais les queues pour les bons, les papiers, les colis… Serge a pu remettre la main sur Trois-Pattes, qui venait d’être élargi. Une fournée. Tu parles, il aurait fallu mettre des ridelles aux prisons ! Mario, lui, il avait fait partie d’une charrette, terminus le Bois de Boulogne. Quant à l’Ange, on n’a plus jamais eu de nouvelle.
En cherchant bien, Serge et Trois-Pattes ont fini par dégotter juste le petit nid qu’il nous fallait, dans une banlieue chic. Le voisin le plus proche était un procureur de la République. Un veuf récent. Figure-toi que sa femme faisait la queue, et… Boum. Voilà : au mauvais endroit, au mauvais moment. Comme quoi, quand c’est ton jour… Bref, un voisin qui pouvait être intéressant.
Mais ça s’est pas fait en un jour ! Alors, tiens-toi bien, v’là qu’à l’été, on me convoque à la Préfecture. On v’nait juste de nous trouver une piaule. Vu qu’on était « un jeune couple », l’avenir de la Nation… Miteuse, hein la piaule… La villa, c’était en cours, mais fallait rien brusquer. Bon, j’me dis : encore des paperasses, une matinée de fichue. La Préfecture, c’était quand même pas la mairie du coin, mais, bon… J’entre, je tourne, je vire. Du monde, des gus dans un sens, dans un autre… Bon… j’finis par mettre la main sur un binoclard derrière un guichet qui me dit que le bureau… 112, ou 912… j’sais plus… c’était tout en haut, sous les toits. Sous les toits ? Bon… Trouve le bon escalier, ma fille, et va-z-y, grimpe ! J’arrive… En bas, ça grouillait, là, c’était le Père Lachaise un jour d’hiver. Une porte, une autre… ouvertes, toutes les deux, et à part les moutons, rien. Je pensais m’être gourée, que tout ce que j’allais trouver, c’était le berger et la collection des placards à balais, quand je finis par tomber sur une qui avait un bout de carton : bingo !
Je frappe. Faut dire que je commençais à trouver ça un peu bizarre. Faut pas croire. Je me répétais bien que la Gestapo, c’était plus dans l’air du temps, mais quand même… « Entrez ! » Bon, j’entre. Une table, deux chaises, un gars sur l’une, avec un calepin, une chemise en carton, un stylo, une lampe, et rien d’autre. Le gars se lève : « Bonjour Mademoiselle Erika, ravi de vous rencontrer, veuillez vous asseoir. » « Mademoiselle Erika » ! Ben dis donc ! Ça commençait bien ! Et c’était pas fini : « Mademoiselle Erika, ou plutôt… Mademoiselle Rhusmapry, n’est-ce pas ? » Merde ! Pas la Gestapo… J’en suis restée comme deux ronds de flan. Alors, il a continué : « Ne faites donc pas cette tête ! Regardez, il n’y a pas de baignoire, et si le plancher n’est pas très propre – nous sommes un peu juste question budget – il n’y a pas de traces de sang. J’ajouterai même que si vous voulez repartir, la porte n’est pas fermée. Asseyez-vous, asseyez-vous… Cigarette ? » J’ai pensé que malgré ses bonnes manières, si je faisais demi-tour, je risquais de plus revoir le jour d’un moment, hein, faut pas croire. Je les connaissais, ces types. Enfin, je croyais. Des fois, tout miel, et d’autres fois… La cigarette, c’est lui qui l’a allumée. Moi, je pouvais pas. Et ça le faisait sourire !
En fait, il m’a gardée deux bonnes heures. On n’a plus reparlé de « Mademoiselle Rhusmapry ». Il m’a fait voir des photos. Des photos de types… et de bonnes femmes. Et si je le connaissais. Et où je l’avais vu. Et quand. Et combien de fois. Et avec qui. Et comment il s’appelait. Ou elle. Et si je ne l’avais pas connu sous un autre nom. Et la Suisse, évidemment ! Et patati, et patata… J’en avais la tête à l’envers ! Oh oui, j’en ai reconnu, des têtes ! Des clients. Des amis des clients. Des clients des autres filles. Des amis de “Madame”. Des Français – un paquet – des Boches – certains – des civils – beaucoup – et des militaires, tu t’en doutes… Mais ça voulait pas dire grand-chose : un militaire, c’est jamais qu’un civil déguisé, et un civil, c’est pas autre chose qu’un militaire de carnaval. Lui, je suis sûre qu’il était civil comme un mulet est le gagnant du Grand Prix d’Amérique, tu vois. Quand je suis ressortie – libre ! – j’étais tout étonnée de voir que le soleil était encore haut dans le ciel. Ç’aurait été nuit noire que ça ne m’aurait pas surprise : il me semblait être restée là-haut des heures. J’étais lessivée, et j’avais une de ces soifs !… Tiens, si t’en profitais pour me resservir ? »
………

(suite et fin - peut-être provisoire - demain)
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Hendryk



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MessagePosté le: Ven Sep 20, 2019 17:55    Sujet du message: Répondre en citant

C'est toujours un régal à lire.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Sep 20, 2019 21:38    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Exprès ? Oh non… Faut pas croire. Y faisaient dans le bombardement de précision : tu vises Feyzin et vlan, t’as Fourvière qui trinque au passage. Voilà… Par distraction.


Comme c est bien dit. Je t envie Houps de ta gouaille, de ta manière de nous mettre dans l ambiance d une époque. Je me doutais bien que mademoiselle Erika était pas aussi blanche qu une oie - enfin façon de parler. Et en parlant de parler elle a beaucoup à dire - ce qu elle veut ... ce qu elle peut... ce qui dérange pas ... qui sait ce que "toi" pourrait raconter des rêves de sa Madame !
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Sam Sep 21, 2019 10:05    Sujet du message: Répondre en citant

« Hou ! T’es gelée ! Fais si froid que ça ? C’est déjà l’hiver ? C’est toujours l’bazar, sur les quais ? Toujours leur foutue bombe ? Qu’est-ce qui z’attendent pour la faire péter ? Que les hirondelles le fassent à leur place ?… Oh, tu sais, je sors plus guère, je lis plus les journaux, et comme Juanita passe pas par là… Ben, on est à Lyon : si ça bouchonne, faut pas s’étonner. Aussi, s’ils l’avaient fait, leur fichu tunnel, quand ils ont commencé à reconstruire… Le boulot était plus qu’à moitié fait…
Allez, tiens, tu tombes à pic, viens voir, j’ai une surprise pour toi… Léa : Camille, une magicienne… Camille : Léa, la victime du jour ! Léa, Camille a une petite boutique, vers les Jacobins. C’est elle qui m’habille depuis un bail… Mais non, c’est un service contre un autre… Regarde… Qu’en pensez-vous, Camille ? Si, si, passe-la !… Ben oui, ici. T’essayes jamais tes robes ? Y’a longtemps que les voisins font plus de trous dans les murs ! Fais pas ta nunuche !… Eh bien, tu vois !… Tourne-toi un peu, voir… Camille ?… Relâcher un peu là, non ? Et l’ourlet ?… Quoi ? Tu t’es trouvé aut’chose ?… Non, non, ça, c’est un prêt. Ou plutôt un échange de bons procédés : tu portes l’ensemble une soirée, t’inquiète, on va te demander d’où ça vient. Pour une fois que je peux rendre service à Camille ! Hein, Camille ? Ça lui va pas mal… Oh, c’est pas pressé… Evidemment, pas avec ces choses que t’as au pied. Ah ben non ! Hein, Camille ? Camille fait pas dans les pompes, faudra te débrouiller. Mon petit doigt me dit que tu meurs d’envie de te payer de vraies chaussures, non ? C’est le moment ou jamais ! Profites-en ! »
………
« Mais non, je ne t’ai pas piégée ! Je t’ai juste trouvé une tenue correcte ! T’aurais voulu quoi ? Du Dior ? Non ? Bon. De toute façon, ç’aurait pas été adapté. On voit bien que ça ne sort pas de Fashion and Works, non plus, non ? C’est le principal. Si on t’interroge, tu diras que ça vient de chez Camille. C’est le but… Allez, te fâche pas et arrête de t’en faire avec ça ! Tiens, reprends donc un bout de gâteau. Elle a du goût, c’te Camille, et pas que pour les frusques, hein ? Et de l’or dans les doigts. Elle ira loin…
Et maintenant qu’y plus que nous deux, allez, de quoi veux-tu qu’on cause ? Ou plutôt, de quand ? La Libération ? Tu sais, à l’époque, Lyon, on n’y était pas. Alors… Y’a sûrement plein de gens qui seront ravis de t’en dire plus. Pour Paris aussi, hein, faut pas croire. A ce moment, on était perdus en pleine cambrousse, je te rappelle. La fin de la guerre ? Ah, c’est sûr que ça a été la fiesta dans le moindre petit bled ! Et des baloches, et des gars et des filles qui s’embrassaient partout ! Suffisait de porter un uniforme, et hop, ça emballait ! Et sans regarder les galons !
Dire qu’on croyait tous qu’on allait nager dans la crème dès le lendemain ! Moi la première. Tu parles ! “La guerre est finie”, oh oui ! Mais ça n’a pas remis les routes en état et rempli les épiceries pour autant, faut pas croire ! Le réveil a été douloureux. La gueule de bois, sans le jaja. Et puis, y’avait tous ces gens… Si t’avais vu ce… excuse-moi, mais y’a pas d’aut’mot – ce merdier !
Ben oui, qu’est-ce tu crois ? Dans un sens, t’avais ceux que les combats avaient chassés et qui essayaient de rentrer chez eux. Dans l’autre, t’avais les premiers touristes qu’avaient passé quatre ans chez Adolf et qui revenaient au pays. Ah, y’en a qu’en ont profité !… Oui, nous, d’accord. Mais y’a eu pire. Y’en a, des salauds, qui sont passés au travers !
Encore, les premiers qui revenaient, c’était pas les plus amochés. Parce que… bon… Alors, tu vois, par exemple, y’avait Roméo, qui retrouvait sa Juliette… avec un marmot. Y’en a, ça leur a fait drôle. Remarque, certains n’ont retrouvé personne, hein… La paix des ménages, ça a été duraille ! Tiens, ça me revient : « LVF, Laissez Vos Femmes » ! Un tract des Cocos, si je ne me goure pas. Comme quoi…
Bon, nous, on faisait nos affaires dans not’ coin. Hein ? T’imagines la suite ? Ouais, le kaki a remplacé le vert-de-gris. Pas aussi longtemps, mais quand même…
L’Epuration, je t’en ai parlé ? Oui ? Bon. Alors, t’imagines, toutes ces bonnes femmes dont le jules était pas rentré, ou qui les avait foutues dehors ?… Oh oui, t’inquiète, y’en a eu, et pas qu’un peu ! Et puis, aussi, tout de suite, t’as eu celles qui se sont retrouvées sans boulot. Les dactylos, par exemple, qu’on a viré du jour au lendemain « en attendant d’examiner leur cas », parce qu’elles avaient tapé des pages dictées par des mecs qu’on retrouverait plus tard, eux, toujours bien assis derrière leurs bureaux. Après, ça a été celles des usines, parce que Marcel revenait de son séjour en Bochie, et qu’il fallait le caser. Mais ça, c’était plus tard.
Voilà, ça me fout en rogne. Non, c’est pas ça qui me fout en rogne, c’est la suite. Ça, tu vois, c’était normal, si “normal”, ça veut dire quelque chose. J’en ai rencontré une, de ces mômes. Tiens, c’était en sortant de la Préfecture. Je l’avais déjà remarquée, en venant. Elle était là, sur le Petit Pont, à regarder la flotte. Bon, la première fois, j’y avais pas fait attention. J’allais à mon rendez-vous, hein… Donc, je ressors, toute chose quand même, et je marche, là, en reprenant mes esprits… en essayant, au moins… et là, je la remarque. A quoi ? Va savoir… Y’avait pas foule… Je passe. Je m’arrête. Je fais demi-tour. « Cette gosse, que je me dis, elle va faire une connerie… » Tu vois, elle regardait l’eau, mais d’une drôle de façon. Alors je lui dis : « La Seine, c’est pas une solution. » Et on a parlé. Même que je lui ai offert un verre. Un Vichy. Si, j’te jure ! Bon, on a parlé, et ça s’est fait comme ça. J’avais bien deviné. Elle était mignonne, n’avait rien bouffé depuis la veille, et surtout, elle parlait l’allemand – à l’époque, hein… – et l’anglais. Pas comme une Angliche, faut pas croire, mais toujours mieux que moi. Disons : de bonnes bases.
Dès qu’on a eu notre petit pied-à-terre, ça a été une de nos premières “cousines”. Et ce qui me fout en rogne, c’est que certains bons samaritains nous ont cherché des poux pour ça. Ils auraient préféré que ces gosses se fichent à l’eau ? Ils savent combien il y en a, qui ont sauté ? Ils étaient où, eux ? A faire des bouées en plomb, si ça se trouve ! Tiens, regarde : même encore aujourd’hui, ça me travaille… Oui, t’as raison, on va parler d’autre chose… Chiffons ? Si tu veux, pour calmer la vieille pie… »
………
« Alors ? Toujours pareil ? L’ont toujours pas fait péter ?… A cause de la pluie ? Ils espèrent quoi ? Qu’elle rouille ?… Ah,ils ont peur qu’il y en ait d’autres ? Mouais… Possible. Faut croire que ça se reproduit, ces saletés… Oh, laisse, Juanita va apporter une serpillère. T’as pas pris froid, au moins ?… Bon, alors, où tu m’emmènes, aujourd’hui ?… La Suisse ? Encore ? Tu sais, Kurt, François… Comment ? J’ai dit ça ?… Mais c’est que tu me ferais du chantage, dis donc !…
Oui, oui, j’y suis retournée, en Suisse… Mais c’est pas bien, ce que tu fais, tu vois… J’avais presque oublié… Comment dire… Bon… Tu t’en doutes, à force de faire des galipettes, eh bien… y’avait parfois des conséquences, on va dire… Avant la guerre, on pouvait toujours placer le gosse, tu vois. La famille… des bonnes sœurs… Je t’ai raconté, pour Mado ? Les filles, ça les faisait réfléchir… On se passait des recettes… Efficaces, pas vraiment, hein… La pilule, y’en avait pas – je sais pas si les filles de ton âge peuvent imaginer ça… Et les chaussettes anglaises, les clients étaient pas toujours très chauds… Bon, moi, je suis passée à travers… Un peu le bol, un peu le savoir-faire, et un peu que ces messieurs avaient quand même la trouille de chopper la chtouille comme le dernier des bidasses, peut-être. Même que je me disais que peut-être, on sait pas, il me manquait quelque chose…
Bon… Arrive la fin de la guerre, 46… Et paf ! Je gagne à la loterie, et au plus mauvais moment. Comme quoi… Pourquoi mauvais moment ? Ben, on redémarrait tout juste… Oh, c’était Serge, y’a pas de doute là-dessus. On en a parlé et… Bon, tu sais, pour “ça”, c’était comme avant. Déjà, Laval et l’autre, là, j’ai oublié son nom… La chasse aux faiseuses d’anges était ouverte. Il fallait des Français, plein de petits Français… C’était pas eux qui les pondaient, tiens ! Alors, pour le faire “passer”, restait la Suisse… Ouais, comme les rupins. Ben, rupins, on l’était… enfin, presque. J’te passe les détails, mais j’ai atterri dans une petite clinique tout bien comme il faut, du côté de Zurich. Et voilà. Ça s’est très bien passé, vu qu’on a eu Françoise, plus tard… Des experts ! Y’avait du beau linge. Une comtesse italienne, on a sympathisé tout de suite… Ça m’a servi, plus tard. Par contre, y’avait une aut’ bonne femme… le bruit courait qu’elle était parente du roi de Grèce. Mais tu sais, les bruits… Enfin, parente ou pas, Madame nous prenait de haut, même la comtesse ! Et la fille d’un gros industriel… Bref… Voilà. T’as bien de la chance, toi… C’est pas gai, tout ça… Et avec cette flotte, ça va me foutre le moral à zéro. Déjà que la guerre…
Ah, ça ? Eh bien, c’est notre maison ! Chouette petite villa, non ? C’était à un avocat, avec un nom comme Cohen, ou Rosenbaum, tu vois ? Dans ce genre… Il avait « disparu », tu vois… « Disparu », comme plein d’autres. Z’ont pas « disparu » tout seuls… Bon, un seul héritier, qui voulait tourner la page. On le comprend…
Bon, ça nous éloigne du truc. Qu’est-ce que tu veux que je te raconte ? Sur la villa ?… On a habité un temps dans les gravats, vu qu’elle avait été perquisitionnée, puis réquisitionnée, puis re-perquisitionnée… C’était pas Versailles, mais c’était mieux que beaucoup, qu’avaient juste une cave – un trou, quoi, avec deux tôles par dessus. Faut pas croire… Je lavais les murs et les sols, ça me rappelait des choses… Le jour, Serge et Trois-Pattes montaient des cloisons, bricolaient la plomberie…
Les “cousines” donnaient la main. Les “cousines” ? Ben, tu sais, la guerre finie, les maisons se sont pas retrouvées debout comme ça… Je t’ai parlé des camps ? Un peu ? Ceux qui avaient de la place se poussaient pour des de la famille… ou pas. Y’a eu des qui avaient du cœur, faut pas croire. Et puis, surtout, “on” incitait les gens à être accueillants. Alors, nous, on a accueilli des “cousines”, tant qu’à faire. Quatre, vu qu’on avait de la place.
La première, ça a été Josette, celle du pont. Quand j’en ai parlé à Serge… La première chose, c’est que je lui ai parlé du gars de la Préfecture. Ça l’a pas trop ému. J’aurais pu tout aussi bien lui dire qu’il avait plu ! Non, j’ai jamais cherché à savoir, même bien après la guerre. « Mêle-toi de tes affaires », hein… Ensuite, je lui ai parlé de la môme. Et là, on s’est vraiment mis au boulot.
Le Serge, il pensait rapport immédiat, tiroir-caisse et oseille à la demande. Il m’aurait bien vu tenir un claque – huppé, hein. Faut pas croire ! Mais un claque. Le travail à façon, comme disait “Madame”, il trouvait que c’était une lubie, mais que ça n’allait pas loin. « Serge, que je lui ai dit, des filles, y’en a à la pelle, et des macs, va y’en avoir autant que de puces sur un corniaud. Tiens, une image : ces gosses, c’est des bécanes, si tu veux. Un claque, c’est de la Juvaquatre. “Madame”, excuse-moi, c’est de la Nervasport. Mais moi, je veux Bugatti et Rolls-Royce ! »
Quand il a vu que je lâcherais pas le morceau, on s’y est mis : quand ? où ? combien ? qui ?… Les pattes à graisser, tout ça… Evidemment, fallait trouver des fonds. La maison, on l’avait. Presque. Les filles, je m’en chargeais, le carnet d’adresses, ça pouvait se faire. Mais fallait de l’oseille. Le Serge, il y a vu un côté pratique : y’aurait guère de concurrence. Les macs allaient foncer direct au plus fastoche. Ces types-là, ils avaient un côté tire-au-flanc. Pas de plan de carrière, et vue courte. « T’inquiète pas, qu’il m’a dit, on va s’arranger. »
Et on a démarré. Au début, y’avait que la Josette et moi. On a commencé par les bars “branchés”, comme on dit aujourd’hui, et aussi par les caves, les premières, et par un ou deux salons où j’avais pu mettre les pieds.
Quand on a eu toutes les “cousines” qu’il fallait, d’après moi – quatre, ça n’a guère posé de problème, même si j’étais exigeante – je les ai réunies pour mettre les points sur les i, avec Serge dans le coin pour faire bon poids. Conduite à tenir, frusques, tarifs, hein… Faut pas croire ! J’ai jamais changé.
Et je leur ai toujours dit : « Coucher, c’est vous qui voyez. Moi, je vous mets pas en relation pour ça. Je fournis des filles intelligentes, qui savent tenir une fourchette, s’habiller, danser, et parler sans dire trop de conneries. Si le client veut plus, faites-le casquer, mais attention ! Faut du doigté – pourquoi vous rigolez ? Pas assez, vous flinguez la marchandise, trop, vous faites fuir le client, ça fait mauvais effet. Il veut votre cul, mais vous, vous avez une tête. C’est à l’autre bout, ça compense. Vu ? Tiens, j’y pense : évitez les mecs en vue : acteurs, sportifs, artistes… Moins on vous verra dans les journaux, mieux on se portera tous. Distinction et discrétion, rappelez-vous ça. On vise la crème, ceux qui ont du répondant, du solide, pas de l’attrape-couillon. Ceux-là, ils aiment pas trop les projos. Ou juste un peu, dans les journaux bien comme il faut – les leurs, où vous ne serez pas.
Les cadeaux seront pour vous, tout bénef, je prendrai juste une commission sur le liquide. Soyez pas trop gourmandes, là aussi. Le manteau de vison, le premier soir, oubliez. Et puis, espérez pas la bague au doigt : ces types seront sans doute tous mariés, et puis, on est pas là pour briser les ménages. Ça se saura, ce sera de la bonne publicité. Bobonne, ça peut vous pourrir la vie. Si vous restez dans votre coin, elle vous fichera la paix. Espérez pas trop tomber sur des réguliers, non plus, même si on vous demande souvent : c’est pas une occupation de rentière, faut pas croire. Gardez la tête froide.
Si vous tombez sur un barjot, foutez le camp, appelez Serge, ou Trois-Pattes, ou un autre gars – on vous filera le numéro – et on vous en voudra pas. Si vous tombez sur un “spécial”, appelez-moi, on avisera. Si on vous embarque, un : vous avez rien à vous reprocher ; deux : fermez-la ; trois : appelez-nous. Compris ? Si on vous pose des questions sur un client, jouez-la ni oui, ni non, et venez nous le dire illico.
Si vous avez un béguin, ça vous regarde, mais faut pas mélanger le boulot et les sentiments. A vous de voir. Dans cinq ans, si vous voulez vous barrer, vous pourrez.
Dernière chose : c’est moi qui ai le carnet. Si vous voulez jouer solo, venez en discuter. Mais vous avisez pas de me faire un enfant dans le dos ! Vu ? Je vous fournis le toit, les frusques, l’assurance de pas finir sur le trottoir et de quoi mettre de côté, pour plus tard vous trouver un gentil petit mari, ou un bar-tabac, ou les deux. J’estime qu’on y gagne toutes. »

Voilà. T’es contente ? Tu vois, en quatre-cinq ans, j’en avais vu suffisamment, et j’avais eu le temps de gamberger. “Madame” m’avait ouvert la porte d’un monde que même chez “Madame Adélaïde” j’imaginais même pas. Cette porte, j’allais pas la laisser se refermer.
Ah oui, ça a fait des jaloux. On a eu deux procès, qu’on a gagnés, tous les deux. Pour « proxénétisme aggravé ! » Tu parles ! Des jaloux. Des hypocrites. Un ramassis de mal baisées et de petites bites, grenouilles de bénitiers et timbrés de la calotte, du genre à te jeter l’anathème à longueur de temps, mais à entrer au claque par la petite porte de derrière. Foutues punaises !
Mais y’a eu des bons moments. Un soir de Noël – en 52 ou 53 – on toque à la porte. L’heure était tardive, et le jour, incongru. Solange – c’était une sorte de femme de chambre – ouvre : un colis, par livreur spécial. Deux homards, des fleurs, et deux roteuses, un cadeau de Nathalie, une fille qui était à l’époque quelque part au soleil. Et c’était ni la première, ni la dernière. T’en connais beaucoup, qu’auraient fait pareil, dans un autre métier ?
Mes règles d’or pour les choisir : pas de “revancharde”, ça fait mauvais effet. Pas de mineure (à l’époque, moins de 21 ans, hein) : les pisseuses, c’est que des histoires. Pas de culotte en feu, ça fait désordre. Pas de came, ça abîme la marchandise. Du châssis – quand même, un bon fond – pourquoi tu souris ? – et de la caboche. Important, le ciboulot. Des potiches, les clients ont les mêmes à la maison : pour un soir, c’est pas ce qu’ils veulent. Du chic et du charme. Et voilà… Mais ça s’est pas fait comme ça du premier coup.
D’où le colonel… l’Américain, là. Pareil qu’un Boche : « Vrançaises, betites goquines » c’était devenu « French girls, oh là là ! » Faut de tout. Bon. Un pied dans la place. A l’époque, il était commandant. M’emmène à un dîner avec son colonel. Le colonel voulait épater un collègue… Très vite, je me suis retrouvée avec Josette dans des salons tout pareils à ceux que j’avais déjà fréquentés. Et avec les mêmes tronches, quasi ! On jouait à “je sais que tu sais que je sais que tu sais…” Oui, embrouillé, mais avec de l’habitude… Le plus dur, c’est de démêler le vrai du faux. Faut pas croire, mais les arnaqueurs, ça poussait comme les champignons après la pluie. Dame, si en bas, ça arrosait chiche, en haut, les robinets étaient grand ouverts. Alors, forcément…
Oh si, on a misé deux ou trois fois sur le mauvais cheval. Mais, bon, sans trop de dégâts : c’est pas nous qui casquions. Tu veux que je te fasse un dessin ? Qu’est-ce tu crois ? Ces types-là allaient pas se pointer en blouse et espadrilles pour plumer le pigeon ! Leur fallait une belle tire, un costard, des biftons gros modèle, et, tant qu’à faire, une greluche pour compléter le tableau. Qu’est-ce qu’elle risquait, elle ? On la payait d’avance.
Et, tu sais, ça n’a pas changé. Faut pas croire. Et je ne te parle pas des années 50 ou 60, non ! Ivan et l’Oncle Sam commençaient à peine à se regarder de travers que la foire battait son plein. T’as qu’à ouvrir un pot de confiture : les guêpes mettent pas des plombes à se radiner ! En fait, à bien y réfléchir, ça s’était jamais arrêté. Ralenti, peut-être. Et encore… Sauf qu’on circulait plus facilement que pendant la guerre, quand même. Encore qu’il y avait des coins, on en faisait, des tours et des détours…Y’en avait, de la casse ! Et du bricolage, j’te dis pas. Y’a des endroits, tu priais Saint-Antoine et tu fermais les yeux…
Oh… des banquiers, des industriels, des avocats… des avocats d’affaires, hein, pas de l’avocaillon commis d’office… des diplomates… Pas mal, le diplomate. Tu vois du pays. Jamais pris l’avion : la trouille. C’est comme ça, j’peux pas. Ça ne m’a pas empêchée d’aller en Suisse, note. Ni à Monaco, ou sur la Riviera… Ou en Allemagne… Baden-Baden : encore une ville d’eaux, à croire que j’étais abonnée… Pas trop esquintée, pas comme d’autres villes… Et puis Anvers… Ha ! Anvers… un joaillier… Si tu m’avais vue… Une gamine chez un confiseur… Je l’avais croché au Casino, à Monte-Carlo. Jamais joué, moi… Misé un peu, comme ça, parce qu’il faut bien, mais j’ai toujours arrêté à temps… J’étais là pour gagner ma croûte, pas pour flamber !
Et puis, Serge, le jeu, il pratiquait un peu – d’ailleurs, il pratiquait pas mal de choses ! Ah, Serge et ses “affaires”… Entre 45 et 50, il ne craignait rien, vu que les flics avaient bien d’autres chats à fouetter et qu’il avait su miser sur le bon cheval au bon moment, tu vois ce que je veux dire. Mais ensuite… à force, l’a fini par tirer cinq ans. Faut pas croire. On allait le voir, à la Santé, avec la môme… De 58 à 63, avec remise de peine…
Enfin bon, le jeu et les joueurs, il connaissait : de quoi te défriser, quand tu l’écoutais. En revanche, bon coin pour moi, les casinos. Un peu pointu question clientèle, parce qu’on y croise de tout. Par la route, Monaco, c’est rien du tout. On partait à deux, je conduisais. La Sprint, au début, et puis après, une Pontiac. Pas du tout la même chose. On mettait deux jours, faut pas croire. Des fois, les motards nous coinçaient : « Vous rouliez pas un peu vite, Mesdames ? » Un beau sourire : « Oh, Monsieur l’agent ! » – ou « Maréchal », ça les faisait bicher – « Pour une fois qu’on a une belle route ! » – « Faites tout de même attention ! » Et hop-là…
A Monaco, j’avais un client – un fidèle, quasiment de la famille – qui me laissait son pied-à-terre, s’il n’était pas là. Si t’avais vu son garage… Un collectionneur. Et pas que les bagnoles. – Ah non, à ce niveau, c’est plus de la clientèle qu’est-ce que tu crois ! Quand même ! – Et ça continue, avec son fils, c’est pareil : Lamborghini, Ferrari, Maserati… Plus maintenant, je peux plus, mais à l’époque, il me disait : « Erika, regarde ce que je me suis payé. Tu veux l’essayer ? » Et on allait sur un circuit… C’était le bon temps…
Bon, c’est pas tout, ça, mais on parle, on parle… T’as vu l’heure ? »

(Désolé, pour le moment, c'est fini !)
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Anaxagore



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MessagePosté le: Sam Sep 21, 2019 13:45    Sujet du message: Répondre en citant

Cela me rappelle certaines histoires que me racontait une amie... une ancienne Call-girl.
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 09:44    Sujet du message: Répondre en citant

Bon, comme vous avez été sages, encore un épisode, aujourd'hui et demain. Merci qui ? Merci Houps !


« Ben dis donc, t’es chargée comme une mule ! Fallait prendre une brouette ! Pose tes paquets là et ferme la porte, les courants d’air, à mon âge, c’est pas bon… Bon. Me dis pas que c’est tout des gâteaux, hein, faut pas croire… C’est à cause de moi, ce déménagement ? Ah ! C’est tes chaussures ! Ça tombe bien ! Tant qu’à déménager, j’ai un paquet pour toi : Camille a fait porter ton tailleur. Tu devrais l’essayer. Suis-moi, c’est dans la chambre de Françoise. Enfin, son ancienne chambre. Elle la retrouve encore quand ça lui prend de faire un saut à Lyon pour venir me voir, mais c’est pas prévu d’un moment.
Tu connais le chemin de la salle de bain et des toilettes… Et là, avant, c’était la chambre d’amis. Quand Françoise et son mari venaient nous voir avec les gosses, c’est là qu’on les mettait, les moutards. Au début, ça paraissait suffisamment grand. Depuis, ils ont poussé, bien sûr. Faut pas croire ! Julien est au Salvador, ça doit faire trois ans maintenant, et avant, le Guatemala. La Croix Rouge, un truc comme ça… Emma est en Espagne, elle passera sûrement l’été prochain. En coup de vent. Autant te dire, Mamy Sylvie, elle les voit plus beaucoup, les mouflets. Alors, maintenant, c’est surtout ma bibliothèque, hein. Et aussi mon débarras, faut pas croire. Heureusement qu’il y a Juanita. Voilà… Tu vois, ça, ça se déplie, et t’as un lit. Au cas où…
Et voilà pour toi… Bon je te laisse, je suis au salon. Ah ! Tant que j’y pense : Monsieur sait ouvrir les portes… Oui, Monsieur Toi ! C’est pour ça que je ferme à clef. Après, Juanita trouve des poils partout. Alors, si tu veux pas un tailleur en angora… La nuit, je suis obligée de bloquer ma porte, sous peine d’être étouffée. J’te jure… »
(…)
« Alors, qu’est-ce que tu as donc apporté ? Ça ressemble pas trop à des pâtisseries. T’as investi dans l’escarpin ?… Un magnétoscope ? Oui, oui, Françoise m’en avait offert un… Regarde dans le meuble, en bas. Par contre, je ne sais pas s’il est branché. Tu sais, je m’en sers guère… Ces trucs modernes, moi… Ah, Toi, viens pas fourrer ton museau là-dedans ! Laisse Léa travailler en paix, sinon, je t’enferme dans la cuisine ! Non mais…
Alors, qu’est-ce qu’on va regarder ? Des cassettes ? Pas La Grande Vadrouille, encore, hein ?… Des images d’archives ? Bon, ça changera de mes photos. D’autant qu’on a bientôt épuisé le stock… Ça marche, ce truc ? Ah, on dirait… Ho ! Oh… Oh, dis donc, ça me rajeunis pas, tout ça !… Oui, oui, je reconnais… Bien sûr que je reconnais ! Mais ça va trop vite… Les calèches ! Ben dis donc, j’avais oublié les calèches !… Ah oui, “romantique”, pour sûr ! Le romantisme du courant d’air, tu m’en diras des nouvelles, tiens ! Et encore, ça, c’était quand il faisait beau ! Et pis, les canassons, fallait les nourrir. Et fallait avoir des canassons, aussi. On voit bien qu’on est au début… Remarque… avec eux, au moins, on savait pourquoi on était dans la m… dans la crotte !
Oh, ça, je me rappelle ! L’Opéra ! C’est l’Opéra, avec sa collection de panneaux ! Remarque, après, on y faisait plus gaffe… Tiens, et les gretchen ! J’les avais oubliées, celles-là. Faut dire que c’était pas le genre de la maison… et qu’elles sortaient moins.
Tu vois la circulation de l’époque ? Et la tronche des bagnoles, après la greffe des gazogènes ! Tu parles d’une amélioration aérodynamique ! Et encore, si t’avais vu… Oh là là… On peut revenir en arrière, avec ce truc ?… Oui… Non, encore avant… quand on est place de la Conciergerie… avec les trois zigs de dos, là… Là !… Zut, loupé ! Reviens… C’est toi qu’as arrêté ?… Un peu plus loin, alors… Là !… Ah… non… Figure-toi que j’ai cru voir Serge ! Le type, là, à droite du Boche à lunettes… Ben non, tout compte fait, c’est pas lui… Trop court sur pattes. Dis donc, tu vois pas que j’y sois, dans ta boîte ? Hein ?
Tiens ! Les Restaurants Communautaires ! Non, rien à voir avec les cocos. Quoique… C’est ce dont je te parlais l’autre jour, tu sais ? Soupes populaires et “aide aux nécessiteux”… “Inscription obligatoire” – ben oui, hein. Y’avait du monde, faut pas croire. Et pis, fallait trier… Tu t’appelais Blum ou Rosenberg, tu pouvais toujours te brosser… Tiens, regarde donc nos vainqueurs, là, s’ils ont pas l’air de touristes bien sympas ! C’est vrai que je me souviens bien qu’il y en avait, des bouffeurs de pellicule ! Si on m’avait dit que cinquante ans plus tard…
Ben, d’abord, t’avais les officiels. Ceux des Actualités, par exemple. Ceux-là, ils débarquaient avec des gros trucs, des trépieds, du matos, quoi, et les zigs qu’allaient avec. Forcément. Y’avait tout un cirque autour, parce qu’après, ça passait au ciné. Et pis, t’avais les autres, là, avec des caméras bien plus petites… Tiens, comme lui, là… A Tours, on avait un client, il avait filmé le mariage de son neveu. Et puis il était venu voir Madame Adélaïde pour un truc un peu moins familial, tu vois… Je t’ai parlé de la glace sans tain ? Il voulait filmer de là… Seulement Madame Adélaïde, elle a pas voulu ! Elle voulait pas que ça se fasse en douce. Pas d’histoires avec les autres clients ! Alors les filles se dessapaient dans une chambre, façon artistique, et lui, il tournait. On a vu plus bizarre, faut pas croire.
Bref, alors, des fois, tu te promenais dans Paris, et paf, tu tombais sur un Teuton avec sa petite boîte, et que je te filme les copains devant la Tour Eiffel, ou les “betites Barisiennes” à la terrasse du bistrot… Surtout au début. Après, l’espèce s’est raréfiée.
Y’en avait qu’avaient des flingues, y’en avait qu’avaient des appareils photo, y’en a d’autres qu’avaient des caméras. Voilà… c’était comme ça. Si c’est pas qu’ils étaient en vert-de-gris et que dans le décor, y’avait aussi du rouge et noir, et des écriteaux… Ha, leurs foutues pancartes ! Tu sais, l’allemand, c’est une langue un peu… forte, on va dire, hein… Gutturale ? C’est ça, gutturale. Hé bien, ils s’étaient débrouillés pour avoir une écriture qui collait à ce qu’ils disaient, dis donc ! A la façon dont ils te parlaient. Agressive, faut pas croire ! Rien qu’à la voir, tu savais que ça rigolait pas ! Regarde-moi ça ! Le gothique, ça s’appelle. Pas comme les Italiens, tiens. Personne aurait l’idée d’écrire de l’italien en gothique ! Quoique… Tiens, c’est comme le grec. J’ai connu un ou deux Grecs, et quand tu vois du grec, ben… y’a comme une idée d’embrouille derrière… Bon, je dis pas que j’ai connu assez de Grecs pour me faire une idée sur tous, hein… Faut pas croire… Mais quand même.
Début ‘41, on a vu arriver des touristes d’un autre genre : les éclopés qui venaient se refaire une santé à nos frais. Et ceux-là, on en a vus de plus en plus. Oh, y’en avait certainement eu avant, mais moins. Ou bien à présent, on les cherchait mieux. C’était défendu d’écouter la BBC ou Radio-Alger, mais y’avait des trucs qui… qui transpiraient, on va dire. Tu vois, en juillet 40, tout le monde pouvait situer Constantine, Oran ou Bizerte, par exemple. Mais le Kent… Ou, mieux, Porto Torres… Moi, un nom comme ça, je l’aurais plutôt vu en Patagonie ! Fin novembre, seul un imbécile aurait été incapable d’associer Porto Torres et la Sardaigne. Remarque, y’en a qui ont découvert du même coup où était la Sardaigne, hein… Faut pas croire !
Alors, oui, les Boches, les Frisés, les Chleus… On a commencé à voir des touristes un peu particuliers. Toujours touristes, tu vois, mais avec un autre air… Des aviateurs, surtout… On m’en a collé un, oh, pas un avec des galons partout et blessé au fondement par son fauteuil, non, un qu’avait morflé du côté de Londres… Juste le bras, apparemment, mais je suis sûre que dans la tête, il se passait des choses… Tu vois, je ne sais pas comment le dire, mais… Il était assis à côté du chauffeur, et moi, derrière, je le regardais… On aurait dit qu’il voyait certaines choses pour la première fois. Et après… Oh non, l’a pas été méchant… ni bloqué… mais… ben, il avait un drôle d’air, voilà… Non, je ne lui ai pas demandé. Madame nous avait fait la leçon… Mais à le voir, de toute façon, j’aurais jamais eu l’idée.
Mais dis donc, on va pas regarder toutes tes boîtes, non ? T’en aurais pas une sur l’Art, tant qu’à faire ? Une expo, un salon… Ça doit exister, parce que, crois-moi, des expos, des salons et des premières, on en a fait, avec Suzy ! Ah oui, c’est pas thématique… Ben, si tu les connais pas par cœur, ça va être coton !… Ah ? Ah bon ! … Ah oui, t’as raison !… Oh dis donc, ça ne me rajeunit pas tout ça !… Et c’est pas que des bons souvenirs… “La France Européenne” ! Oh oui, on y était… on y était. Pas à l’inauguration, non, tu parles ! Mais lui, là… Comment c’est son nom, déjà ? De Biron ? Ah ! De Brinon ! Oui, De Brinon… On l’a croisé une ou deux fois, après, de loin… Je sais plus ce qu’il est devenu… Ah ? Fusillé ? Les risques du métier, en quelque sorte…
Mais pour l’inauguration, ça rigolait pas, dis donc ! Regarde-moi cette collection de constipés ! Va moins vite !… Je suis pas… Ah oui, sûr qu’il y avait du monde ! On était fin novembre et c’était chauffé. Alors, t’avais le choix entre te geler les miches chez toi, le ciné – mais faut payer – ou les expos : et celle-ci, c’était entrée gratos. Faut pas croire ! Z’avaient pas lésiné sur le spectacle ! Pour ça, z’avaient l’pognon ! Regarde ça : canassons, veaux, vaches, cochons, poules… poules de luxe, mais pas seulement… On se croirait au Salon de l’Agriculture ! Tiens, l’est pas trognon ce petit cochon ? L’a pas dû s’appeler Adolf, çui-là ! P’têt Paul. Ou Charles… Sûrement Toto Abetz qui l’a bouffé, le goret. Ou Laval, si ça se trouve…
Ah, le balcon ! Regarde bien, tu vas peut être me voir… Zut !… Oh, le petit train ! J’avais oublié… T’as vu le populo ? Tu parles : comme on se doutait bien que le Père Noël serait dans la dèche, on emmenait les mioches… Toujours ça de pris. Et ça pouvait leur faire oublier le reste… Quelle époque ! Faut pas croire… Si ça se trouve, on les y a traînés pendant l’école. Et puis, après, ils ont dû se cogner une composition française. Dix ans : « Racontez votre visite à l’exposition La France Européenne ». De quoi te freiner ton enthousiasme… T’en as fait, des compositions françaises, toi ? Non ? C’était déjà passé de mode ? Une rédaction, ça te dit quelque chose ? Non plus ? A l’époque, on faisait des compositions françaises… Je me rappelle d’une… ça m’est resté : « Pendant l’absence de votre mère, vous êtes chargée du ménage et du… du… et des détails de la vie domestique ! » J’avais dix ans, je torchais mes petites sœurs, pendant que ma mère frottait les parquets. Tu me vois raconter ça ? La fête de famille, passe encore, mais là… J’ai oublié ce que ça a donné… Bon…
Nous, tu vois, on avait l’expo, et tout le reste… Mais ceux d’ailleurs, qu’avaient que ces images aux Actualités, qu’est-ce qu’ils en pensaient ? Qu’eux se serraient la ceinture pendant qu’à Paname, c’était restau et fiesta tous les jours ? Ça devait faire drôle, de voir ça dans un ciné de Brest, de Bordeaux ou de Tours, tiens… Remarque, à l’époque, on n’y pensait pas non plus, nous… Oui, t’as raison. Sûr que les gretchen qui regardaient ça à Berlin, elles devaient penser que leur petit copain se la coulait douce en France. T’inquiète : c’était fait pour… Remarque bien qu’on n’a droit qu’au gentil pioupiou en goguette, sur la pellicule. Les rigolos en manteau de cuir, on les voit pas trop, hein… ça ferait peut être tâche dans le tableau. Enfin, quand je dis “rigolos”, je me comprends… Les musées ? J’me rappelle pas y avoir trop mis les pieds. Tu sais, d’un côté, pas mal de choses avaient été mises à l’abri, et de l’autre, y’avait beaucoup trop d’uniformes pour qu’on s’y sente à l’aise.
Par contre, j’ai fait les salles des ventes. Avec des clients. Ou avec Serge. Drouot, tout ça… C’est pas ce qui manquait. J’aurais eu du répondant, de l’oseille, quoi, et de la place… Parce que j’en ai vu passer, des "exemples de l’art dégénéré" - ou "judéo-nègre" … Mais j’te prie de croire qu’il y en a un paquet qui se sont sacrifiés pour la bonne cause et "épurer" le marché de l’Art en garnissant leurs salons. Oh oui ! Faut pas croire… Ah, et puis, d’un autre côté, on restituait des œuvres que les mauvais Français – surtout des Juifs, hein, tant qu’à faire – avaient thésaurisé, « spoliant le peuple de ses chefs d’œuvre »… Tu vois, y’a des trucs, des fois, ça m’revient… Mais ces tableaux-là, je crois pas que le bon peuple en ait plus vu la couleur après. Et y’avait pas que les tableaux… Tiens, prends “Madame”, par exemple : elle s’est offert un très joli bureau chaipasquoi qu’arrivait tout droit de chez un vieux médecin qu’en avait plus besoin… Oui, « disparu », c’est ça… T’as compris d’où ça venait, tout ça ? Remarque, çui-là, il est resté en France. Parce que le plus gros, c’est par pleins wagons qu’ils ont pris la direction du pays de nos sympathiques touristes, là. Devaient avoir de sacrées cheminées, pour stocker tout ça…
Serge ? Ah oui, Serge… Serge aussi traînait dans les salles de vente. J’le trouvais très intéressé par les tableaux, tiens, justement. Et p’têt bien qu’il l’était encore plus par leurs acheteurs… Surtout si c’était pas des Allemands… Mais, hein, p’têt bien que je me faisais des idées…
Tu sais, l’oseille avec laquelle nous nous sommes “installés”, j’ai jamais cherché à savoir d’où qu’elle venait. Ça n’empêche pas que j’avais des idées, hein, mais comme ça, quand on me posait des questions là-dessus – et on m’en a posé, bien sûr, faut pas croire – j’avais rien à répondre. Ah, ben tu vas pas t’y mettre toi aussi ?! Ecoute, on en parlera plus tard… Ho ! Ho ! Arrête ton truc !… Reviens… Tu vois, on parle, on parle… Tu voulais des détails sur ma vie d’avant ? V’là un truc dont je me rappelle, tiens ! La messe pour le Maréchal ! Oh oui… Mais t’aurais pas une petite soif ? Et un p’tit creux ? On se garde le Maréchal pour plus tard ? Et pis, faut qu’on s’mette d’accord pour le grand raout de mercredi. »
(…)
« Tu vois, heureusement que t’étais là… C’est plus d’mon âge, des trucs comme ça… Oui mon brigand ! On ne t’as pas oublié, mais laisse-moi m’asseoir, j’ai plus de jambes… Non, non, ça va, ça va… Mais piétiner comme ça… Et toi ? Mal aux pieds, hein ? Je t’avais dit, pourtant, de les casser avant ! Tu veux boire quelque chose ? Une infusion ? Pour faire passer le reste… Avant de rentrer chez toi. Remarque, si tu veux passer la nuit ici… Non ? Oh ! Moi, ça ira, va, ça ira bien… Toi veillera sur moi, hein, canaille ? Viens pas demain, je risque quand même de pas être trop présentable. Ne te fais pas de souci : Juanita s’en fait pour trois, elle sera là en avance… La prochaine fois, promis, je réponds à tes questions. Mais là, tu vois, excuse-moi, mais j’ai eu ma dose. J’ai plus vingt ans… Et à te voir, c’est pas la grande forme non plus, hein ? Bon… Au fait, t’as tout compris ?… Moi non plus. On en reparlera un autre jour… Je te mets pas dehors, mais… »
(…)
« Pfff ! C’est rien ! « Repas trop riche », qu’il a dit, le toubib. Quand je te disais que je n’avais plus l’habitude… Dis donc, t’as pas apporté de gâterie, au moins, hein ? Juanita est capable de les fiche à la poubelle ! C’est tout juste si elle me fait pas la gueule… Mais non, tu peux rester ! Je ne suis pas malade ! Un petit coup de fatigue, c’est tout. Le monde, rester debout, parler à droite à gauche… J’ai perdu l’habitude… Le champagne ? Oh, dis, hé… J’ai pas dû vider trois coupes… Pas comme certaine… T’as pas le coup, ma petite ! T’en étais pas à monter sur les tables pour chanter Frida Oumpapa, mais y’a pas que le Prince qui t’a fait de l’effet, hein ? Faudra que je te montre deux ou trois trucs qui pourraient t’aider. Tiens, en voilà un gratos : prends un gros verre, dans le buffet, là. Oui, un à whisky… Voilà. Ça, c’est d’la tisane, tu vois ? Regarde… deux doigts… Mets-y deux glaçons et t’as un pur malt “on the rocks” ! C’est encore mieux avec un thé léger. Le beau monde ira pas renifler ce que tu écluses, et le loufiat de service, il en a vu d’autres. Faut pas croire… Si t’as pas de thé, le jus de pommes, c’est pas mal aussi. Les mecs ont l’arithmétique courte, n’oublie pas ça : gros verre plus glaçon plus couleur égale whisky, puisque c’est ce qu’ils boivent. Evidemment, pour le champ’ et les bulles, faut faire autrement…
Le Prince ? Bien sûr que non, j’étais pas au courant ! Je ne suis plus abonnée au télégraphe lyonnais et je ne sors quasiment plus. Comment j’aurais pu savoir ?… Sûr que j’étais contente d’y dire deux mots, faut pas croire ! Oh, je l’connais, je l’connais… J’ai surtout connu son père… C’était quelqu’un, l’Emir ! L’est encore de ce monde, je crois. Le Prince ne serait pas ce qu’il est si l’Emir n’avait pas été là, hein… Je l’ai rencontré pour la première fois dans les années soixante. Et pas à Monte Carlo ! A la Bourboule ! Si ! Quand je te dis que j’y étais abonnée, aux villes d’eaux ! Tu ne me crois pas ? Prends donc l’album bleu, çui des journaux… doit y avoir un article du Canard… fais voir… Là, tiens ! « Penser à préparer la chambre de l’Emir et de ses femmes. » C’est un lecteur qui leur a envoyé le tableau de service de l’hôtel. Mais pour dessiner un grand traversin et un minuscule oreiller au milieu, comme ça, même moi j’aurais pu. Pas de quoi scandaliser grand monde, sauf ceux qu’attendent que ça, et l’Emir, il en avait vu d’autres. L’a même dû sourire, si ça se trouve… Je ne sais plus laquelle de ses femmes était venue prendre les eaux, comme on disait autrefois. Tu connais La Bourboule ? Non ? Alors, Vichy, Baden-Baden, La Bourboule, Evian, tout ça… ça ne te dit rien ? Ben, ça veut peut-être simplement dire que t’es en bonne santé ! Quoique, jeudi …
Et donc, les occasions de rire étaient plutôt rares, à La Bourboule. Déjà que les baraques sont en pierre locale, qu’est couleur cimetière… Restait le casino, puisqu’il y en a un dans chaque coin comme ça. Et comme il ne pouvait pas y aller avec ses deux moukères… Je ne dis pas qu’il était là incognito, hein. Disons qu’il était moins connu, et que la tranquillité du coin lui plaisait. Et pour ce qui était d’être tranquille… Un bon client. Bonne… très bonne éducation. On peut dire que c’était devenu un habitué. A chaque fois qu’il venait, soit en France, soit en Suisse, soit en Angleterre, il m’appelait. Je faisais très attention aux filles qui allaient l’accompagner, et ça s’est toujours très bien passé. C’était un passionné de courses. Mais pas d’automobiles, hein ! Faut pas croire ! Lui, c’était les chevaux. Et pas les percherons qu’on a vus l’autre jour, là. J’y connais que pouic, moi, aux canassons. Serge jouait un peu. Mais on avait une “cousine”, Nathalie, qui était une mordue. La perle… Pas mordue des courses, mordue des bêtes. Elevée quasiment sous une jument. Moi, tu vois, je pouvais parler cylindrée, vitesse, rapports de boîte, tenue de route… Elle, elle te parlait chanfrein, robe, encolure et te faisait l’article ou te descendait le bourrin comme une pro. Elle s’est très vite fait connaître dans ce milieu. Des gens quand même un peu bizarres, si tu veux mon avis. J’ai rien contre les tenues sélect, hein, ni les uniformes, mais… Bon, bref…
Et en plus, bien sûr, elle montait ! Tu vois, c’est p’têt parce que ce sont des bestiaux qu’ont le sourire de Fernandel, j’ai rien contre eux. J’admets qu’on puisse leur trouver un intérêt… Chacun voit midi à sa porte… Mais rien qu’à l’idée de grimper là-dessus… Le vélo, à la rigueur. Mais le canasson… Y’as pas de volant, les freins répondent mal, ça accélère quand ça veut, et en plus, ça te fout en l’air ! Merci bien !
Ben, t’imagine : on avait des filles qui étaient de vraies dactylos, et les clients, ça leur arrivait souvent d’avoir un courrier à faire loin du bureau… C’est ce que j’ai toujours visé : joindre l’utile à l’agréable. Elle, ceux qui investissaient dans le pur-sang sans rien y connaître, ils étaient très reconnaissants qu’elle leur évite d’acheter une trapanelle repeinte de frais à la place du bolide qu’on leur vantait. On a eu un client, comme ça… Une fortune du caoutchouc ou du cacao. Ou des deux, un truc dans ce genre. ‘Tends voir… Zut ! Bon, ça va me revenir… Normand, ou Breton, à ce qu’il disait… Pas blanc-bleu, faut pas croire… Bref, voulait carrément se payer la totale : une écurie et donc des chevaux de course… Un placement, qu’il disait ! Côté terres et bâtiments, ça collait, mais côté canassons… Nathalie est passée. Dix ans après, quand il allait voir courir ses poulains à Auteuil ou Vincennes, il l’invitait toujours. Grand seigneur. Des filles comme ça, tu vois, ça vaut de l’or. L’autre, là, le Prince… Il t’a fait quelle impression ?… Mouais… Timide, je dirais… En tout cas, tu lui a tapé dans l’œil !…Oh si ! Et la façon dont tu te tortillais… Ma fille, va falloir gommer certains tics… T’étais limite vulgaire… Si ! A ton âge, on minaude pas comme une pisseuse qu’a la culotte en feu comme seule éducation…
Bon. C’est pas tout, mais on devait pas plutôt regarder tes images ? Ah ! Juanita ! Vous voyez, même Léa s’y met : pas de pâtisserie ! Même pas un petit biscuit ! Et eau chaude pour tout le monde !… Oui, je sais : camomille et tilleul… Thé, Léa ?… Bon, ça y est ?… Bien, bien…

(fin de l'épisode demain)
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lbouveron44



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MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 14:05    Sujet du message: Répondre en citant

Pas mal 😊
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demolitiondan



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MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 17:02    Sujet du message: Répondre en citant

Toujours truculent cher Houps !
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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houps



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Messages: 1809
Localisation: Dans le Sud, peuchère !

MessagePosté le: Sam Nov 02, 2019 18:10    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
Toujours truculent cher Houps !

Merci Dan, mais c'est bien moins de travail qu'une campagne dans les Balkans...
_________________
Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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