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Mai 1944, petites nouvelles du front
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Auguste



Inscrit le: 17 Jan 2018
Messages: 329

MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 16:19    Sujet du message: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

Super, époustouflant! Un peu plagiat de San Antonio (je n'ai lu qu'un seul bouquin dans le train qui m'emmenait à Toul pour la caserne du GT 516, devenu 516ème rgt du train, sans doute dissous, à Ecrouves) mais super quand même. Du coup je renonce à mes coloriages: trop édulcorés, sans grand intérêt pour vous car pas le moindre degré de Résistance: simplement des français détestant les "B...", passés sans s'en rendre compte de Pétain à De Gaulle, pas vraiment résistants mais cachant au besoin un aviateur allié... Le tout avec un patois normand d'avant 1955 que j'ai entendu mais perdu et que je ne saurais rendre avec le brio nécessaire.
Vive houps! Et bien à vous!
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 16:26    Sujet du message: Répondre en citant

Faut pas dire ca Auguste. Houps a son phrasé bien à lui et ses anecdotes ... mais tout le monde a quelque chose à raconter !
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 16:53    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
Faut pas dire ca Auguste. Houps a son phrasé bien à lui et ses anecdotes ... mais tout le monde a quelque chose à raconter !


Bis !
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
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Auguste



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Messages: 329

MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 17:10    Sujet du message: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

Tu as raison Imberator, j'ai regretté le message dès que je l'ai lancé car j'ai réalisé à quel point le terme plagiat était inadéquat et même offensant, je m'en excuse plus que platement auprès de Houps; j'apprécie trop ses écrits. En parlant de l'auteur de San Antonio dont j'ai oublié le nom (j'ai lu le bouquin dans la nuit du 1er au 2 juillet 1972!!!), je faisais plutôt référence à un type de style aussi particulier que savoureux.
Houps puissent-tu pardonner à un vieux dinosaure qui n'a plus grand chose à dire, ou tout au moins qui n'a pas les moyens techniques de le faire à la vitesse d'une pensée qui se perd dans les limbes de la vieillesse: j'avais préparé un long message (1 heure 30 de clavier, c'est beaucoup pour mes yeux) pour aborder les différents aspects évoqués par dmz dans ses sujets "Loire-Nieuport" etc... une mauvaise manip, envolé (comment garder les messages sur le forum au brouillon...); j'ai une doc assez abondante mais dispersée sur le 88, il me faudrait des heures pour la retrouver et la regrouper puis faire la synthèse (que j'ai grosso modo en tête encore faudrait-il justifier les
références...). Bref, je rejoins le général: la vieillesse est un naufrage...
Bien à tous.

PS. encore heureux que je me sois relu, j'ai failli envoyer le message avec "la vieille" au lieu et place de la "vieillesse"! :oops: :cry: :( :shock:
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Auguste



Inscrit le: 17 Jan 2018
Messages: 329

MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 17:13    Sujet du message: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

"Bis", bah oui, j'ai bien mérité une volée de bois vert.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 17:20    Sujet du message: Répondre en citant

Mais non, Auguste, ce n'es pas une volée de bois vert, au contraire !
"simplement des français détestant les "B...", passés sans s'en rendre compte de Pétain à De Gaulle, pas vraiment résistants mais cachant au besoin un aviateur allié... Le tout avec un patois normand d'avant 1955"
ça peut faire un très bon coloriage !
Chacun son style.
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Casus Frankie

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DMZ



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MessagePosté le: Dim Mar 10, 2019 18:28    Sujet du message: Re: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

Auguste a écrit:
j'avais préparé un long message (1 heure 30 de clavier, c'est beaucoup pour mes yeux) pour aborder les différents aspects évoqués par dmz dans ses sujets "Loire-Nieuport" etc... une mauvaise manip, envolé (comment garder les messages sur le forum au brouillon...)
Oh, ça m'est arrivé aussi au début. Depuis, avant d'envoyer en prévisualisation, je fais un CTRL+A (sélectionner tout), CTRL+C et si on me demande gentiment de me reconnecter, je le fais sans vouer aux gémonies tous les administrateurs de sites... Wink Autre solution,je passe par un éditeur de texte : correcteur orthographique et syntaxique, sauvegarde automatique...

Pour le LN 161, si tu as le courage de reposter, je suis preneur. Very Happy
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Alias



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MessagePosté le: Lun Mar 11, 2019 06:44    Sujet du message: Re: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

Auguste a écrit:
En parlant de l'auteur de San Antonio dont j'ai oublié le nom (j'ai lu le bouquin dans la nuit du 1er au 2 juillet 1972!!!), je faisais plutôt référence à un type de style aussi particulier que savoureux.


Les San-Antonio ont toujours été écrits par... San-Antonio. Il a fallut un certain temps pour que les gens sachent que c'était Frédéric Dard qui se cachait derrière ce pseudonyme.

C'est aussi une de mes inspirations principales en écriture.
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Stéphane "Alias" Gallay -- https://alias.erdorin.org
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Auguste



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MessagePosté le: Lun Mar 11, 2019 14:56    Sujet du message: Mai 1944, petites nouvelles du front Répondre en citant

@Alias
Merci de m'avoir rafraîchi la mémoire: Frédéric Dard bien sûr...tout comme le défunt Jean Richard est indissociable de Berrurier dans les adaptations télé...
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houps



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MessagePosté le: Mar Mar 12, 2019 15:59    Sujet du message: Répondre en citant

Petit retard dû à une excursion à caractère médical à Marseille.
Auguste, de dinosaure à dinosaure, y'a pas de mal. Surtout pas de bois vert !
Very Happy
Quant à San-Antonio, merci, c'est trop. J'en lus un ou deux dans mes folles années, quand rouler en 4 L suffisait pour courir après les filles.. Razz
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Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Mar 18, 2019 10:43    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis sûr que vous vous demandiez ce que devenaient Marie-Sophie et sa maman Eulalie, non ?



8 mai 1944
Une affaire de famille
Cotentin, 05h00
– Eulalie repoussa les draps et s’assit sur le bord du lit.
Une aube grise pointait par les interstices des volets : même sans César, elle était plutôt matinale. Néanmoins, c’est avec l’esprit encore passablement embrouillé qu’elle se mit en quête de ce qui lui tenait lieu de pantoufles. Déjà que trouver chaussure à son pied devenait compliqué si l’on tordait le nez sur les semelles de bois articulées – une invention sûrement destinée à étouffer dans l’œuf les cors aux pieds – dénicher des pantoufles, ou prétendues telles, tenait de l’exploit. De plus, certaines d’une quasi-impunité, les choses en question prenaient un malin plaisir à s’intervertir ou à se faufiler sous le lit durant la nuit.
Ayant une fois de plus triomphé de l’adversité, et enfilé sa robe de chambre, Mme veuve De Fresnay traîna savate jusqu’à la cuisine et entreprit de l’éveiller. Elle appréciait ce moment de liberté pendant lequel le rassurant automatisme des tâches domestiques tenait encore le quotidien à l’écart.
Elle alluma le feu – faudrait fendre du bois – mit l’eau à chauffer pour l’ersatz de café – même ça, “ils” le prenaient – et ouvrit la porte de service. Car, évidemment, il fallait bien composer avec divers désagréments naturels et des inconvénients du genre de ceux qu’induisait une alimentation riche en topinambours, tapioca et autres rutabagas, ce qui obligeait à mettre le nez dehors, quel que fût le temps. Pour sûr que des toilettes à l’intérieur ne serait pas un luxe, tiens ! Et même un bout de salle de bains, ce qui tenait du rêve. Ah, et puis l’eau à l’évier ! Chaude, tant qu’à faire…
Mais vu les circonstances, on pouvait déjà s’estimer heureux d’avoir un toit.
Wouf vint la saluer – bon chien – tandis qu’elle trottinait en godillots mal lacés vers les lieux idoines. La cour était sèche. Encore heureux : d’expérience, elle savait que perdre une chaussure dans la fange n’avait rien de drôle.
En parlant de drôle… Elle regagna sa cuisine avec un sentiment bizarre, au point de s’immobiliser sur le seuil pour jeter un regard au ciel. La journée s’annonçait belle. Il y avait cependant quelque chose dans l’air… Des vrombissements d’avions… Mais des avions, il en passait de plus en plus, ces derniers temps… Elle écouta mieux… non… rien…
En s’asseyant devant son bol et son unique tartine, il lui semblait quand même avoir manqué quelque chose.
Le premier coup frappé à la porte inonda la toile cirée de lavasse et son cœur rata un battement. Les appels d’Albertine, alors qu’on redoublait, ne la rassurèrent qu’en partie : Albertine ? A cette heure ? Une mauvaise nouvelle ? Le Père ? Il n’était plus tout jeune… Fébrile, elle fit jouer la serrure.
– Ah, Madame ! Madame ! Si vous saviez !
La vieille bonne pleurait et riait tout en même temps, elle en était incompréhensible. Eulalie s’évertua à la calmer pour avoir le fin mot de l’affaire.
‒ Ah, Madame, Madame…
Elle en bégayait, le visage enfoui dans le tablier dont elle se tamponnait les yeux. Il allait falloir employer les grands remèdes.
Le vacarme de deux avions surgissant au ras des toits n’arrangea rien. Elle leur jeta un regard noir. Ils étaient si bas qu’elle vit nettement l’un des pilotes, les grandes lettres mates sur les carlingues étincelantes dans le soleil levant, les larges bandes noires et blanches. Et l’étoile. On en voyait de temps à autre, certes. Mais bas à ce point… et intacts, apparemment…
Les appareils s’éloignant, elle perçut au loin des sons qu’elle avait déjà entendus, près de quatre ans auparavant. Elle fit asseoir la vieille femme. Additionnant le passage des Américains aux bruits des explosions, elle pensa avoir enfin deviné les raisons de cet émoi.
‒ Tout va bien, Albertine ! Tout va bien. C’est un bombardement. Remettez-vous. Tenez, buvez…
‒ Ah, Madame, si vous saviez ! Ils sont là, madame ! Ils sont là ! Je les ai vus ! Y en a plein ! J’ai fait aussi vite que mes pauv’ jambes…
‒ Calmez-vous Albertine ! Qui est là ?
‒ Les Américains, Madame ! Les Américains ! Y en a partout ! Il faut vous cacher ! Ça tire de partout ! Ils nous ont amené la guerre ici ! Y’a même des noirs !
‒ Des Sénégalais (1) ?
‒ Point non, Madame ! Des tout noirs, comme le Diable ! Et dans l’chemin, tantôt, un Allemand, tout raide ! C’que j’ai eu peur, Sainte Vierge !

D’un récit décousu et passablement emberlificoté, Eulalie déduisit que des soldats américains (?) et des Allemands s’affrontaient un peu partout (?) dans la campagne. Et il y avait des parachutistes (??). La chose méritait d’être tirée au clair. Mais avant cela, s’il y avait une chose à tirer, c’était Marie-Sophie, de son lit. C’était vraiment pas le jour à faire la grasse matinée.
Eulalie poussa la porte de la chambre, la bouche ouverte sur la phrase rituelle… et resta sans voix. La cage était vide, l’oiseau s’était envolé.
Pour le coup, il fallut recourir aux très grands remèdes.
Deux bonnes rasades de l’avant-dernière bouteille de production locale (une pour Eulalie, une pour Albertine) en tinrent lieu. Conséquence immédiate, le reste de sommeil qui traînait encore derrière les yeux de la maîtresse de maison s’esquiva prudemment pour laisser place à une lucidité suspicieuse.
Une nouvelle tournée du redoutable mélange chicorée / orge torréfiée / glands grillés matinal ayant botté les fesses de la suspicion, les deux femmes conclurent que – a) les bêtes n’attendaient pas : Gertrude et ses oisons s’impatientaient, Carolus appelait, les lapins frisaient la sédition, et Wouf réclamait ; – b) Albertine avait pris de gros risques à s’aventurer ainsi, si la campagne, selon ses dires, s’était changée en champ de tir : il ne servait à rien d’ajouter des cibles ; – et pour finir c) comme on ne savait pas où pouvait être Marie-Sophie (2), a et b commandaient de rester ici.
D’autant plus que (a) permettait à Eulalie de combattre les scénarios que son cerveau de mère s’imaginant au courant de choses dont elle ne savait rien (3) ne cessait d’échafauder. Preuve que l’ambiance était sereine, Albertine cassa un plat, tandis que Gertrude signifiait fermement que laisser sans soin une jeune mère de famille nombreuse la mettait inévitablement en rogne.
Alors qu’elle pansait Carolus, un ronflement de moteur de voiture propulsa notre “veuve” dehors. Hélas, le véhicule avait déjà disparu à toute allure. Et le ciel était quasiment plein d’avions. Et un sourd grondement, d’intensité variable, provenait de la côte.
………
En fin de matinée, un second bruit de moteur l’arrêta dans sa séance d’épluchage (4). Un bruit curieux, qui, manifestement, se rapprochait. On aurait dit une motocyclette. Elle passa prudemment un œil dehors. Dans la cour apparut le surprenant équipage d’un soldat juché sur un engin qui ressemblait en effet à une moto, mais n’avait rien à voir avec celles des vert-de-gris. Un soldat en kaki, qui se retourna pour regarder arriver… Marie-Sophie ! Une Marie-Sophie en pantalons d’homme, ce qui est quand même pratique quand on est en bicyclette, (mais Eulalie n’avait jamais osé) et qui semblait avoir quelque familiarité avec le militaire, ce qui était préoccupant mais que son retour faisait quand même passer au second plan.
Eulalie bondit dans la cour. Marie-Sophie eut le bon goût de montrer un instant une figure penaude avant de se précipiter vers elle. En un éclair (et des heures passées à ruminer) sa mère envisagea de lui en coller deux (ça soulage, mais Marie-Sophie n’avait plus dix ans), de l’agonir de remontrances (mais il y avait un témoin, et ça ne menait à rien) ou d’avaler la couleuvre. Bon, tant pis pour l’ophidien.
De son côté, Fifille n’en menait pas large, à l’étroit dans ses petits souliers, voire ses sandales de gamine, et tout un pensionnat d’angelots passa sous le regard interrogateur du 1ère classe Ronald “Red” McFiggel avant que les deux femmes, la jeune et la vieille, ne s’étouffent réciproquement. Trop poli, et peu au fait des rituels autochtones, malgré le mode d’emploi distribué avant son envol, le soldat se garda bien de se manifester jusqu’à ce que Marie-Sophie daigne faire les présentations, d’autant plus qu’un chien inspectait le bas de son treillis.
D’un commun accord, mère et fille décidèrent de remettre les explications à plus tard. Côté fille, parce que le côté romantique de la chose discutait ferme avec, à ma droite, une “bonne” éducation et à ma gauche, refaisant surface, une pointe de bon sens. Côté mère, on en était à se dire que si certains secrets de l’une des deux parties allaient être éventés, l’équité voulait qu’il en soit de même pour ceux de l’autre, ce qui obligeait à poser, dans un plateau de la balance, près de quatre ans de dissimulations – autant dire une seconde nature – et de l’autre, une mère et une épouse.
Conclusion : il était urgent d’attendre.
Pour couronner le tout, on avait de quoi s’occuper, car le soldat, reparti sur sa petite moto façon trottinette améliorée, s’en était revenu accompagné d’un véhicule rudimentaire (quatre roues, un avant carré, un volant façon De Dion-Bouton (5), pas de portière, une grande antenne, et surtout quatre occupants dont trois en triste état). Vers les deux heures de l’après-midi, les stalles voisines de celle de Carolus abritaient une poignée de blessés à des degrés divers (6). La cour recelait deux autres de ces “jeeps”, collées contre les murs, et que Wouf s’était dépêché de s’approprier. Des soldats avaient pris position un peu partout, pas trop nerveux, mais pas trop détendus non plus.
Mis à part le fait qu’il avait fallu accepter un examen minutieux des moindres recoins de la ferme, expliquer cent fois, avec force gestes et mimiques diverses, qu’on n’avait pas de vin, ni de lait, ni de pain (7), que Carolus était trop vieux pour être mangeable, que Gertrude faisait partie de la famille, qu’Albertine était terrorisée, que oui, c’était mieux de faire bouillir l’eau du puits, et que non, il n’y avait pas le téléphone… la situation n’était pas trop grave.
Les combats semblaient se dérouler plus loin. Des chars, ou du moins des blindés, étaient passés à toute allure, tandis que d’autres véhicules – dont une brouette – continuaient d’amener des blessés. Blessés auxquels la simple présence de Marie-Sophie était un réconfort. La jeune fille découvrait à cette occasion que l’anglais du Couvent des Oiseaux (8 ) était assez éloigné du jargon nasillard dorénavant pratiqué en ces lieux. Habituée depuis son enfance à la chose militaire, et confrontée à la rigueur germanique des dernières années, elle trouvait que ces militaires-ci faisaient preuve entre eux d’une certaine… décontraction.
On remarquera au passage que “Moineau”, “Corbeau”, “Héron” et autres volatiles n’avaient pas trouvé l’option “infirmerie” très virile, et que si quelques-uns s’étaient offerts pour guider les nouveaux arrivants dans le dédale des parcelles, d’autres avaient jugé plus utile d’aller parader à peu de frais dans des endroits plus aptes à admirer leur attitude martiale.
Tandis que Marie-Sophie s’essayait à l’anglo-américain, à la gomme à mâcher et aux joies du pansage (9), Eulalie reconvertissait le linge de maison en bandages de fortune et découvrait qu’un grand drap blanc, assisté de pansements sanglants, pouvait aisément signaler un poste de secours, précaution utile car des avions en maraude ne cessaient de survoler la campagne. Et tout en s’occupant ainsi, elle pestait en son for intérieur, coupée comme elle l’était de contacts qui lui auraient été bien utiles pour savoir à quoi s’en tenir ultérieurement.
………
Le soir vint.
Loin de se calmer, l’agitation s’accrut. De vraies ambulances apparurent, croix rouges sur cercles blancs, mais sans les sirènes, les unes emmenant des blessés, les autres en amenant. On dressait des tentes dans le pré voisin. Une quantité de jeunes gars se croisaient, s’interpelaient, couraient, bref, s’activaient en tous sens. Le parc automobile s’étoffait. Wouf ne savait plus où lever la patte et allait se trouver à cours de munitions.
Summum de l’intelligence militaire, des panneaux aux inscriptions ésotériques fleurirent soudainement.
Il fallut confiner Gertrude et sa progéniture avant qu’elles ne s’évaporent. Et puis le chien, qui traînait aux abords de certains récipients. Il avait beau être bien élevé, les restrictions l’avaient affecté, lui aussi. Autant éviter les tentations et les histoires.
Quant à trouver cinq minutes pour des explications familiales…
Un officier dûment estampillé “MP” plaça deux sentinelles devant leur porte, ce qui n’était qu’à demi-rassurant. A la lueur de la lampe-tempête, les trois femmes agrémentèrent leur souper d’ingrédients made in America avant d’aller se coucher, Albertine acceptant bon gré mal gré le lit de la chambre inoccupée.
Pour Marie-Sophie et elle, le sommeil ne tarda pas à venir (l’une pour cause de journée bien remplie et l’autre pour cause de surdité – « Ne criez pas, je ne suis pas sourde ! Mais répétez, car je n’ai pas compris. »). Il n’en fut pas de même pour Madame Mère, mais la raison n’en était pas l’animation proche. Jusqu’à fort tard dans la nuit, elle se demanda comment faire sentir à la demoiselle qu’elle n’avait pas apprécié d’être prise pour une cruche, tout en lui annonçant avec ménagement que feu son père n’était tout compte fait pas si feu que ça. Et même si ça avait été mentir pour la bonne cause…


Notes
1- Eulalie ne connaissait que ceux-là, et Albertine, “Y’a Bon Banania” et braves tirailleurs obligent, de même.
2- Chacune gardait pour soi que la gamine avait bien choisi son jour pour découcher. Et se défendait bien d’aller plus avant dans ce que sous-entendait ce verbe.
3- Vous suivez ?
4- Des salsifis, si vous voulez tout savoir. Ch… à éplucher, et encore plus à cuire.
5- Mme De Fresnay, n’ayant encore jamais vu de Jeep, jugeait selon des critères personnels, soit à l’aune d’Hotchkiss. Le modèle 686 GS, s’il vous plaît. A chacun ses références.
6- Ça allait de la jambe fracturée au trou béant sur des organes qu’on savait exister, mais plutôt chez les lapins. Ou les cochons.
7- Ni de béret.
8- On ignorera l’auteur de ce qualificatif, merci.
9- Et aux blondes, elle qui était auburn (mais ne le dites pas à sa mère).


Dernière édition par Casus Frankie le Lun Mar 18, 2019 11:03; édité 2 fois
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Alias



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MessagePosté le: Lun Mar 18, 2019 10:52    Sujet du message: Répondre en citant

Du grand spectacle au ras du sol, félicitations à l'auteur!
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Stéphane "Alias" Gallay -- https://alias.erdorin.org
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Lun Mar 18, 2019 10:55    Sujet du message: Répondre en citant

Ca y est, on connait la date du débarquement en Normandie! Very Happy
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"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
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Anaxagore



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MessagePosté le: Lun Mar 18, 2019 13:51    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent texte !
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Mar 18, 2019 14:01    Sujet du message: Répondre en citant

Alias a écrit:
Du grand spectacle au ras du sol


Exactement ça ! Et une narration cinématographique, je trouve. Vous entendez la musique du Jour le plus Long dans le fond, vous aussi, non ?
(Ce écrivant, je réalise qu'en dehors d'Auguste et de rares autres, je dois être le seul ici à avoir vu Le Jour le plus Long au cinéma… ) Crying or Very sad

Alias a écrit:
félicitations à l'auteur!


Houps, dois-je le rappeler ! Very Happy
_________________
Casus Frankie

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