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L'économie mondiale post-FTL

 
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 17:31    Sujet du message: L'économie mondiale post-FTL Répondre en citant

Pour changer un peu de décor…
Le texte qui suit est garanti sans fusillés, ni égorgés, ni pendus… Sans Tiger ni T-34 ni Sherman… Sans généraux ni simples soldats…
Mais il n'en est pas moins d'une grande importance.
Rédigé par TYLER, il a été relu et remanié par FANTASQUE en personne, qui y a ajouté un épisode supplémentaire (le dernier).




15 janvier 1944
Passage de relais Daladier/Darlan
Ambassade de France aux États-Unis (Kalorama Road, Washington DC)
– C’est une des soirées les plus courues de la semaine : le départ de l’ambassadeur de France, Edouard “Bull” Daladier (1), qui retourne sur ses terres natales dorénavant libérées et qui est remplacé en grande pompe par l’amiral Darlan, le chef d’orchestre de Dragon – sous la supervision de Dwight Eisenhower, bien entendu (l’Américain est presque aussi cocardier que le Français). Ainsi, après avoir été en quatre ans Amiral de la Flotte, ministre de la Marine, Chef des Opérations Combinées, François Darlan est maintenant Ambassadeur auprès du « plus vieil allié de la France ». On comprend qu’il rayonne de satisfaction…
Il y a aussi de quoi rayonner pour Daladier, qui aura dignement représenté la France auprès d’États-Unis entrés en guerre peu de temps après son arrivée à Washington. Un retour dans son Vaucluse natal est une perspective réjouissante… Tout comme est réjouissante celle de remettre la main sur son Parti radical alors que des élections devraient être organisées dès la Libération du territoire national. Le “Taureau du Vaucluse” va pouvoir retrouver l’arène parlementaire de la Troisième République !
Mais derrière les sourires de façade, les toasts à rallonge et les flashs des photographes, Daladier et Darlan ont bien du mal à sourire franchement.
Le premier n’est pas sans savoir que d’ici quelques mois, à Washington, se tiendra une grande conférence diplomatique entre les Cinq Grands, censés organiser les futures institutions mondiales devant supplanter la Société des Nations. Le genre d’événement qui marque l’Histoire mondiale. Et qui aurait pu lui faire oublier une certaine conférence bavaroise… Le second, qui a déjà dû partager la gloire de la réussite de l’opération Dragon avec Eisenhower, voit celle qu’il prévoit pour l’opération Overlord lui échapper totalement au profit de son ancien second, l’amiral Ramsay. Et lui, ce n’est pas cette conférence de diplomates qui le consolera, pas plus que la conférence économique prévue dans quelques semaines !
Ce soir, pour des raisons différentes, le nouvel ambassadeur de France aux États-Unis partage avec le sortant l’impression qu’ils vont encore rater le train express de l’Histoire et devoir se contenter d’un tortillard…



22 mars 1944
Quelle économie pour l’après-guerre ?
Bretton Woods (New Hampshire)
– Harry Dexter White, assistant au Secrétaire au Trésor des États-Unis, affiche une mine épuisée mais néanmoins soulagée. Les photographes font leur entrée pour immortaliser cet instant où lui-même, le chef de la délégation britannique John Maynard Keynes, le grand économiste, et celui de la délégation française, Pierre Mendès-France, le ministre des Finances de son pays, prennent la pose pour diverses poignées de mains et autres signes de fraternité illustrant la cohésion entre les Trois Grands occidentaux. Pourtant, cohésion n’est pas le premier mot qui viendrait à l’esprit de White s’il devait décrire les négociations qui ont eu lieu en banlieue de Washington DC depuis le début du mois.
Quelques semaines plus tôt, lors de la conférence de Québec, il avait dû assister au rejet de ce que tout le monde appelait “Plan Morgenthau” (2), mais dont il était en fait à l’origine, et White commençait à se demander s’il ne courait pas à un nouvel échec.
Keynes – comme on s’y attendait – s’était montré opiniâtrement opposé à un libre échange dérégulé tel que le souhaitaient les Américains. Mais pour White, la surprise était venue de Mendès-France, un petit jeune de quinze ans son cadet, qui lui avait également tenu tête. La perspective de la libération prochaine et complète du territoire français, probablement… Et cela avait même fini par donner des idées à T.W. Sung, président du Yuan exécutif (Premier ministre chinois), chargé des Finances de son pays ! Ce dernier, pourtant formé aux États-Unis, avait même fini, sur la fin des négociations, par vouloir amender plus que de raison les propositions généreuses et mesurées (du point de vue américain…) de White.
Malgré tout, les États-Unis sortent vainqueur de cette conférence censée remodeler l’organisation du commerce international à partir de la fin de la guerre, à présent prochaine.
L’évolution du conflit a vu naître une amitié franco-britannique dont la solidité étonne la plupart des autres puissances mondiales, il a vu une Chine en proie aux Seigneurs de la Guerre commencer à se relever et à devenir un pays stable et organisé et une URSS que l’on jugeait faible militairement préserver l’essentiel de son territoire face aux Allemands tout en exportant son blé aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Les États-Unis n’ont donc pas une mainmise complète sur le commerce mondial. Ils sont aussi contestés sur les conditions à venir de la liquidation du Prêt-Bail, et en particulier par les Français. Jacques Rueff a visiblement poussé sa délégation à durcir le ton sur ce point. Rueff formait avec le chef de la délégation, le jeune Pierre Mendès-France, un duo improbable, mais qui s’est avéré une source constante d’opposition pour les Etats-Unis, même si, à l’évidence, leurs positions divergeaient sensiblement.
Pourtant, leur influence reste majeure et leur leadership économique incontesté. Ainsi, le Bancor, la valeur refuge voulue par Keynes, est mise au placard, et l’étalon-or fait place au dollar américain, dont le cours est tout simplement indexé à celui de l’or. Le Prêt-Bail, quoi que l’on puisse en penser, a été un sésame qui a permis à de nombreux pays des Nations Unies de tout simplement survivre pendant pratiquement quatre ans, argument assez puissant pour qu’on finisse par écouter puis accepter la position américaine.
En revanche, les négociations ont permis la création de trois organismes supranationaux de régulation : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), le Fonds Monétaire International (FMI) et le Bureau Mondial du Commerce. Les modalités concrètes de la création de ces différents organismes seront néanmoins débattues une fois que le monde ne sera plus en guerre. Pas avant un an, voire deux, estiment les plus optimistes.
Enfin, on soupçonnait la Banque des Règlements Internationaux d’être impliquée, au minimum tacitement, dans le pillage de l’Europe Occupée – et ces soupçons se confirment. Alors que les États-Unis voulaient sa disparition et que les Britanniques temporisaient, les Français préféraient préserver la BRI et leur obstination a prévalu. La raison est bien simple : il semble que le Reich et, dans son ombre, le NEF, se soient servi de l’institution pour certaines transactions financières. Du côté français, avec la Libération, on veut sévir contre les bénéficiaires : et quoi de mieux, pour ce faire, que de s’appuyer sur une institution en pleine possession de ses moyens plutôt que sur une banque dont la disparition serait actée.
………
« Bretton Woods sera considéré par les livres d’histoire comme la conférence ayant entériné la vision “américaine” du commerce, malgré les amendements franco-britanniques. L’issue aurait-elle pu être différente ?
Malgré des liens resserrés entre Français et Britanniques, il semble clair que la position américaine était tout simplement trop forte, comparée à un bloc franco-britannique valeureux et source de propositions, mais lui-même divisé par les dissensions internes, y compris au sein de chaque délégation. Ainsi, la présence de Jacques Rueff, souhaitée par la Présidence du Conseil, au sein de la délégation française, a pu quelque peu diviser la représentation tricolore. Rueff était un farouche opposant à la plupart des idées keynésiennes et son action devait amoindrir l’impact des propositions du duo Keynes et Mendès-France.
On peut en effet parler ici de duo : la relation entre Keynes et Mendès fut telle que le Britannique devait affirmer, après la crise cardiaque subie à l’été 1944 : « Sans Mendès-France, je pense que j’aurais fait cette crise en plein Bretton Woods ! ». La complicité rapide entre les deux hommes peut paraitre surprenante eu égard au quasi quart de siècle de différence qui les sépare (Keynes est né en 1883 et Mendès France en 1907), mais elle l’est moins si on se souvient que Mendès-France fut l’un des seuls politiciens à citer Keynes à la tribune de la Chambre en 1935 et 1936. Cette complicité fut le ciment du bloc qui s’opposa à White lors des négociations de Bretton Woods.
Les points les plus débattus, souvent avec énergie, furent la nature de l’instrument de référence, la nature des règles financières et les règles commerciales. Le dollar, la livre sterling et le franc furent certes promus « monnaies internationales de réserve ». Néanmoins, c’est bien la parité-or du dollar qui devint la base du système mondial. De même, si un FMI devait bien naître de Bretton Woods, ce faut une institution éloignée des aspirations de Keynes et Mendès-France, qui ne pouvait jouer le rôle de régulateur de la liquidité internationale, ce rôle incombant de facto au Trésor américain. Enfin les règles commerciales, et surtout les régulations voulues par les Franco-Britanniques, ne furent pas abordées, repoussées à une future conférence qui aurait lieu après la guerre (en fait, le sujet fut traité par les conférences de Savannah et de La Havane). »
(Jacques Alexandre, Gagner la paix, 1944-1948, Ed. Economica)



7 juin 1944
Un Conseil pour la Sécurité
Dumbarton Oaks (quartier de Georgetown, Washington DC)
– Depuis fin avril, les représentants des délégations des principaux Alliés ont discuté, échangé, proposé. En deux temps : d’abord, Américains, Britanniques et Français ont négocié avec les Soviétiques pendant un peu plus d’un mois. Puis, durant une dizaine de jours, les trois Occidentaux ont négocié avec les Chinois. Pas de réunion à cinq à ce stade : la faute à des relations diplomatiques plus que fraîches entre Staline et Tchang, en raison de l’affaire du Xinjiang et des questions mongoles (Mongolies Intérieure et Extérieure). Et, pour l’instant, l’URSS préfère ménager le Japon, archi-ennemi de la Chine – qui sait, les Allemands éliminés, Tokyo pourrait se tourner vers Moscou pour s’épargner une défaite trop humiliante.
La délégation britannique a d’abord été dirigée par Sir Alexander Cadogan, sous-secrétaire d’État aux Affaires Étrangères, puis, une fois l’essentiel réglé, par l’ambassadeur Halifax. Côté français, le tout nouvel ambassadeur, l’amiral Darlan, n’a pas connu l’honneur de diriger les débats, sinon en titre, étant chaperonné tout du long par le sous-secrétaire d’État Roland de Margerie. Les Soviétiques étaient représentés par l’ambassadeur Gromyko et les Chinois par leur ambassadeur à Paris… Alger… Marseille… et Paris à nouveau : Vi Kyuin Wellington Koo (3). Les hôtes de la conférence étaient quant à eux représentés par le numéro 2 du Secrétariat d’État, Edward R. Stettinius, Jr. Cordell Hull s’est contenté de participer aux cérémonies d’ouverture et de clôture de la conférence.
Aujourd’hui, enfin, les résultats sont présentés en grande pompe à la presse.
L’objectif de la négociation était d’élaborer et d’organiser le futur organisme qui remplacerait la Société des Nations pour régir les relations internationales après la guerre. Selon le projet adopté, ce remplaçant portera le nom d’Organisation des Nations Unies. L’ONU sera composée de quatre organes principaux : une Assemblée générale où tous les membres seront représentés, un Conseil de Sécurité composé de 11 membres, dont cinq permanents et six élus par l’Assemblée générale, un Conseil économique et social et une Cour Internationale de Justice. Le tout sera chapeauté par un Secrétariat Général.
Une des principales avancées de Dumberton Oaks est d’avoir convenu que les futurs États membres devraient avoir l’obligation de mettre des forces armées à la disposition du Conseil de Sécurité. L’une des principales faiblesses de la Société des Nations, ne pas disposer de force de maintien de la paix, semble ainsi effacée. Cette avancée contrebalance le fait que la question de la méthode de vote n’a pas été tranchée : les Occidentaux ne voulaient pas de la proposition soviétique que chacune des “républiques” la composant puisse avoir une voix !
La couverture médiatique de l’issue de cette conférence est sans doute l’une des premières à être aussi “globale”. En effet, dans les semaines qui vont suivre, le projet de Dumbarton Oaks va être diffusé et commenté à très grande échelle dans chacun des pays alliés afin de faire remonter aux Nation Unies les observations et critiques des autres gouvernements.



22 février 1946
Testament et succession
Résidence de J.M. Keynes (Angleterre)
– Mendès-France, un peu inquiet, entra dans la pièce où Lord Keynes se reposait. Lydia, l'épouse de celui-ci (4), lui avait dit, la voix anxieuse : « Ne le fatiguez pas trop. Il se remet d’une nouvelle alerte cardiaque survenue il y a deux jours. Je l’ai supplié de ne pas partir pour Savannah, mais il ne veut rien entendre… »
Par la fenêtre, le soleil d’hiver sur la campagne anglaise baignait la pièce d’une lumière froide qui tranchait avec l’ambiance chaleureuse de la pièce. Deux bibliothèques remplies d’ouvrages anciens couvraient les murs. Mendès-France avait entendu parler de la bibliophilie de Keynes, mais jamais jusqu’alors il n’avait pénétré dans les pièces personnelles de sa demeure. Il devina plus qu’il ne déchiffra une édition originale des œuvres de Malthus ainsi que de celles de Quesnay. Keynes était à demi-allongé sur un fauteuil, un épais plaid lui recouvrant les jambes. Il était en train de corriger un texte au crayon. Entendant Mendès-France entrer, il leva les yeux vers lui, posa papier et crayon sur une petite table, et lui fit signe de s’avancer.
– Venez Pierre, excusez-moi de ne pas me lever. Lydia s’est donnée tant de mal pour m’installer que je m’en voudrais de déranger son œuvre…
– Comment vous sentez-vous, Maynard ?

Il sourit doucement
– Aussi bien que faire se peut. Avez-vous fait bon voyage depuis Paris ? Quel dommage que je n’ai pas eu le temps de revoir cette ville. Je l’aimais tant.
Pierre Mendès-France posa son chapeau sur un guéridon, déboutonna son manteau et s’assit en face de Keynes.
– Ce n’est certes pas encore le Paris que nous avons connu avant-guerre, mais la ville panse ses blessures.
– Et votre grand homme, le Connétable, comme dirait le nôtre, de grand homme ?

Mendès-France sourit. Les relations entre Churchill et Keynes avaient été compliquées, avant et pendant la guerre, et la vision que Keynes pouvait avoir du Général était pour le moins particulière…
– Il est toujours Président du Conseil, mais ses relations avec la majorité de la classe politique sont exécrables. J’ai dû par deux fois l’empêcher de démissionner – malgré nos désaccords, je lui devais bien ça : sans son insistance, j’aurais peut-être fini par me faire tuer dans mon bombardier et en tout cas, je ne serais pas aujourd’hui au poste que j’occupe. Mais je ne réussirai pas à le retenir une troisième fois…
– A Savannah, il nous faudra donc aller à l’essentiel, face aux Américains. C’est d’une importance vitale. Attlee est tellement furieux contre eux qu’il pense même à un rapprochement avec l’URSS. C’est une folie. On ne peut pactiser là-dessus avec Staline, vous le savez bien. Ils ont été nos alliés et ils se sont bien battus, c’est vrai. Lydia, comme tous les Russes blancs, est quasiment devenue staliniste depuis quatre ans ! Mais vous comprenez bien que l’idée de l’autarcie et d’accords préférentiels avec le gouvernement soviétique est une folie pour la Grande-Bretagne. Pourtant, aujourd’hui, le meilleur allié de Staline, c’est la rigidité de White et de Morgenthau. C’est pourquoi il faut les arrêter avant qu’ils ne détruisent le système international. Avez-vous lu le mémorandum que je vous ai envoyé ?
– J’ai lu ce texte, oui. Je l’ai avec moi, avec quelques notes et suggestions, mais il est presque parfait. Ce sera une bonne base pour faire face aux Américains.
– Nous aurons donc une position commune…

Ce fut dit plus comme une constatation que comme une question.
– Oui, et peut-être arriverons-nous à modérer leurs appétits.
– Leurs appétits sont une chose, Pierre. Mais l’essentiel est qu’au nom de ces appétits, ils sont en train de mettre sur pied un système qui ne fonctionnera pas ! Il est important, que dis-je, vital de ne pas reproduire les erreurs de 1919 et de Versailles. Cette volonté de revenir à l’étalon-or a tué l’Europe. Ne commettons pas la même erreur aujourd’hui.

Un ange passa. Mendès-France savait que la carrière internationale de Keynes avait été lancée par sa dénonciation des clauses économiques du Traité de Versailles et son combat contre l’étalon-or, qu’il avait qualifié de « fétiche barbare ». Il savait que, sur ce point, il ne serait pas libre de ses mouvements. La présence de Rueff dans la délégation française, à la demande de De Gaulle, restreindrait sa liberté d’action.
– Ils sont pourtant intraitable sur la question des monnaies de réserve.
– Ce n’est pas l’essentiel. Il faut que les pays conservent leur souveraineté monétaire dans un cadre coopératif. Et, pour cela, il faut surveiller les amendements que White voudra faire à la charte du Fonds Monétaire. Il voudra imposer une liberté totale des capitaux et s’il l’obtient, ce sera une catastrophe.
– Sur ce point, nous sommes d’accord. Nous nous battrons ensemble.

Mendès vit un léger sourire pointer sur les lèvres de Keynes.
– Vous vous battrez, Pierre, avec mon soutien, bien sûr. Mais c’est vous qui aurez à soutenir le gros de la bataille.
– Ah, j’espère bien pouvoir compter sur vos arguments et votre puissance de raisonnement.
– Tout flatteur… Vous connaissez mieux que moi la fable du Corbeau et du Renard. Non, je voulais dire que je ne sais pas si j’arriverai vivant à Savannah.

Les deux hommes se turent. Dans le silence, Mendès entendait la respiration de Keynes.
La porte s’ouvrit.
– Maynard, Pierre, vous prendrez bien un thé ?
Lydia s’avança dans la pièce. Sa démarche d’ancienne danseuse étoile fascinait Mendès-France. Keynes tourna son visage vers sa femme.
– Assurément, Lydia chérie. Et n’oublie pas un peu de cake pour Pierre.
Elle vérifia que le plaid couvrait bien les jambes et le bassin de son mari, puis sortit, semblant à peine effleurer le parquet. Keynes attendit qu’elle soit partie pour reprendre la conversation.
– Pierre, vous ne prendrez pas seulement un peu de cake – goûtez-le, il est excellent. Vous allez prendre ma succession et ça, ce ne sera pas du gâteau. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que soient commises des erreurs similaires à celles de 1919. Les règles du commerce international doivent permettre aux pays détruits tout comme aux pays issus du colonialisme de se développer librement. L’impératif de croissance et de lutte contre le chômage doit avoir la priorité sur la notion de libre-échange. Il faut empêcher le Fonds Monétaire de prendre des positions qui contraignent la future conférence de La Havane. Je ne serai plus là pour y assister pas, soyez en sûr. Mais c’est à Savannah que les choses se décideront et c’est pour cela que j’ai décidé de partir. Même si je dois faire une nouvelle crise cardiaque. J’espère que j’aurai le bon goût de ne pas vous infliger cela en séance. C’est à Savannah que nous nous battrons, pour les générations futures.


Notes
1- Le surnom – très officieux – donné par les Américains à Daladier vient évidemment de celui qui lui avait été attribué par la presse française : le Taureau du Vaucluse.
2- Le plan Morgenthau, développé par le Secrétaire d’État au Trésor Morgenthau et son adjoint White, prévoyait de diviser l’Allemagne en deux états indépendants, nord et sud. De plus, la Rhénanie du Nord devait devenir une zone internationale sous protection britannique, la Sarre devait revenir à la France, la Silésie à la Pologne et la Prusse Orientale devait être partagée entre Pologne et URSS. Enfin, toutes les industries lourdes devaient être démantelées. Il s’agissait de mettre l’Allemagne hors d’état de nuire à qui que ce soit et de l’empêcher de déclencher une nouvelle guerre (et de peser diplomatiquement) à l’avenir. Présenté en janvier à l’occasion de la conférence de Québec entre Roosevelt, Churchill et De Gaulle, le plan avait plu aux Français, toujours attachés à leur projet de conquête de la rive gauche du Rhin. Néanmoins, les jours suivants, des fuites dans la presse provoquèrent un certain émoi auprès des opinions publiques concernant le sort réservé à l’Allemagne. On finit par dire assez vite que ce n’était qu’une idée en l’air et que la question aurait le temps d’être approfondie après la fin de la guerre en Europe.
3- L’ambassadeur de Chine en poste aux Etats-Unis, Wei Tao-Ming, n’a pas été choisi pour cette mission, car Wellington Koo est beaucoup plus expérimenté. C’était (déjà !) lui qui représentait la Chine lors de la Conférence de Paris de 1919 et qui fut le premier représentant chinois à la Société des Nations. En 1944, il n’a cependant que 56 ans.
4 Lydia Lopukhova, ancienne danseuse des Ballets Diaghilev.
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Hendryk



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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 18:11    Sujet du message: Re: L'économie mondiale post-FTL Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Les Soviétiques étaient représentés par l’ambassadeur Gromyko et les Chinois par leur ambassadeur à Paris… Alger… Marseille… et Paris à nouveau : Vi Kyuin Wellington Koo (3).

En ce qui concerne l'ambassadeur de Chine en France, il faudra voir si Koo conserve le poste pendant toute la guerre, car il me semble qu'on avait prévu de le remplacer par Wang Zhonghui dans un premier temps, puis Ho Fengshan à partir de juillet 1943. Koo aurait, comme OTL, été nommé à Londres.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 18:18    Sujet du message: Répondre en citant

Merci Hendryk - mais si on en avait parlé, l'avait-on mis sur le "papier" ?
Si oui, à quelle date ?
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Hendryk



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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 18:23    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Merci Hendryk - mais si on en avait parlé, l'avait-on mis sur le "papier" ?
Si oui, à quelle date ?

C'est mentionné au 12 juillet 1943 dans la chrono Asie-Pacifique.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 18:53    Sujet du message: Répondre en citant

Merci, Koo est donc à Londres - ce qui ne l'empêche pas de représenter la Chine à Dumbarton Oaks.
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Archibald



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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 19:07    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Daladier et Darlan ont bien du mal à sourire franchement.


Non mais ils ont finit de se plaindre les deux ambassadeurs oui ?

L'un devrait être mort et enterré en AFN, l'autre en plein marasme entre Pourtalet et camp de concentration... et ils viennent se plaindre de leur sort FTL !!!

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Très beau texte sur Keynes et Mendès. La rencontre de deux géants.
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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 19:09    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
De même, si un FMI devait bien naître de Bretton Woods, ce faut une institution éloignée des aspirations de Keynes et Mendès-France


Citation:
Je ne serai plus là pour y assister pas, soyez en sûr.


Citation:
7 juin 1944...
Les Soviétiques étaient représentés par l’ambassadeur Gromyko et les Chinois par leur ambassadeur à Paris… Alger… Marseille… et Paris à nouveau : Vi Kyuin Wellington Koo

Donc le 7 juin, Paris est non seulement déjà libérée, mais notre ambassadeur chinois aura eu le temps d'y demeurer quelques temps avant de se rendre à Dumbarton Oaks.

Donc la ville lumière devrait donc avoir été reprise aux Allemands disons vers la mi-mai au moins ? Cela signifierait qu'Overlord va prendre un sacré temps d’avance par rapport à l'OTL.


Citation:
Les Occidentaux ne voulaient pas de la proposition soviétique que chacune des “républiques” la composant puisse avoir une voix !

De ce qu'il me reste de mes souvenirs d'étudiant, il me semblais que Staline (qui comprenait bien que les Occidentaux aller faire front commun contre lui) avait d'abord demandé qu'on lui accorde un siège dans l'assemblée plénière pour chacune des républiques soviétiques, puis, les USA ayant alors souligné qu'ils étaient eux-mêmes composés de 48 états, on était parvenu à un compromis avec l'octroie à l'URSS de deux autres sièges, un pour la Biélorussie et l'autre pour l'Ukraine.

Si ma mémoire n'est pas complètement défaillante, cela induirait-il que FTL, bien que plus puissante qu'OTL au sortir de la guerre, l'URSS échoue à obtenir cette concession des alliés ?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 19:30    Sujet du message: Répondre en citant

Cela n'induit rien, mais on peut l'envisager, car si l'URSS est militairement plus puissante, les Alliés sont moins naïfs (je veux dire, Churchill n'est plus seul pour tempérera relative naïveté de Roosevelt).

Merci pour le signalement des 2 coquilles.

Ambassadeur à Paris : je pensais bien que ce spoiler serait vite repéré. Wink
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demolitiondan



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MessagePosté le: Mar Fév 26, 2019 21:28    Sujet du message: Répondre en citant

Fascinant -comme quoi la FTL ne peut pas tout hélas ... Pas de Best Case.

Petite redite.

Citation:
Bretton Woods sera considéré par les livres d’histoire comme la conférence ayant entériné la vision “américaine” du commerce, malgré les amendements franco-britanniques. L’issue aurait-elle pu être différente ?
Malgré des liens resserrés entre Français et Britanniques, il semble clair que la position américaine était tout simplement trop forte,


Las ... Qu'en dirait Hayek ?


Citation:
L’impératif de croissance et de lutte contre le chômage doit avoir la priorité sur la notion de libre-échange.


[/quote]
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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requesens



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MessagePosté le: Mer Fév 27, 2019 00:00    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
]

Las ... Qu'en dirait Hayek ?


Citation:
L’impératif de croissance et de lutte contre le chômage doit avoir la priorité sur la notion de libre-échange.


[/quote]

Merci, cela me rajeunit.
L'ecole de Vienne dont Hayek est un des repésentants est une mal aimée du débat économique... surtout en France !, c'est dommage car certaines de leurs thèses méritent un vrai débat.
_________________
"- Tous les allemands ne sont pas nazis, monsieur !
- Oui, je connais cette théorie, oui."
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Anaxagore



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MessagePosté le: Mer Fév 27, 2019 00:27    Sujet du message: Répondre en citant

Très bon texte sur Kaynes, un homme que j'ai toujours admiré. J'ai toujours été contre l'abus du libre-échange. Il profite aux cartels, pas aux nations... et encore moins à ceux qui y vivent.
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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requesens



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MessagePosté le: Mer Fév 27, 2019 00:32    Sujet du message: Répondre en citant

Anaxagore a écrit:
Très bon texte sur Kaynes, un homme que j'ai toujours admiré. J'ai toujours été contre l'abus du libre-échange. Il profite aux cartels, pas aux nations... et encore moins à ceux qui y vivent.


Kaynes Shocked , Sir John Maynard Keynes....

Anaxagore vous copierez 2 fois la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie...
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"- Tous les allemands ne sont pas nazis, monsieur !
- Oui, je connais cette théorie, oui."
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loic
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MessagePosté le: Mer Fév 27, 2019 09:33    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
[...] une URSS que l’on jugeait faible militairement préserver l’essentiel de son territoire face aux Allemands tout en exportant son blé aussi bien aux États-Unis qu’en Europe [...]


Ca doit être marginal, non ?

Très beau texte sinon. Mais je n'avais pas prévu de devoir ajouter une rubrique "1946" sur le site. Very Happy
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On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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